12.
Habillée d'une jupe noire qui descend jusqu'à mes genoux, d'un haut blanc et d'une veste de tailleur noire, j'entre dans ma première salle de cours du lundi. Je m'installe entre Vé et Sam.
Je vois que Sam est distant à sa manière de me saluer et qu'il n'ose pas vraiment m'adresser la parole. C'est un comportement puéril et je ne le laisserai certainement pas gâcher notre amitié naissante, alors j'engage la conversation.
— Ça va Sam ? C'est ce cours passionnant qui te rend d'humeur si joyeuse ? lui dis-je d'une voix plein d'ironie.
Un sourire rayonnant vient remplacer son regard froid. Je lui rends son sourire en attendant sa réponse. Il est habillé d'un t-shirt complétement noir et d'un jean bleu clair complétement assorti à ses yeux.
— Ça va, ça va, le week-end a été dur, la vodka veut ma peau je crois.
J'explose de rire, bien contente d'avoir cette conversation avant l'arrivée du prof.
— Tu m'étonnes, c'est ce qui arrive quand on promet de boire ou de faire des gages ! On finit la tête à l'envers et le foie en panne !
— Ouais... enfin... on s'est quand même amusé, non ?
— Oui, c'était une bonne soirée, faudra refaire ça, lui dis-je sans trop de conviction.
Je n'ai pas encore pu mettre des mots sur ce que cette soirée m'a fait ressentir. Je n'arrive donc pas à être enthousiaste, bien que la soirée fut agréable.
— D'ailleurs... t'es partie quand même super vite.
— Oui, on voulait rentrer, avant de se rendre compte qu'on était trop imbibées d'alcool pour conduire, on est restées sur la voiture à regarder les étoiles. Je sais que c'est bizarre, mais c'est un peu une tradition pour nous !
Il me regarde d'un air songeur. C'est un garçon profondément gentil, pourtant, ses yeux ont la couleur de la glace et ils semblent tout aussi froids.
— Dans ce cas, vous êtes rentrées comment ? Quand je suis sorti, je ne vous ai pas vu.
C'est à mon tour de m'interroger. Est-ce qu'il fait semblant de ne pas savoir que Jaz est venu à notre rescousse ? Je croyais qu'il faisait ça pour Sam.
— Attends, t'es pas au courant ?
— Au courant de quoi ? me dit-il, l'air vraiment perdu.
— Eh bien, Jaz nous a croisées dehors, il a vu que Vé s'était endormie sur le capot, il nous a ramenées chez Vé. Puis il m'a raccompagné jusqu'à chez moi, je cite « Sam est mon pote et s'il t'arrive un truc parce que je ne pense qu'à moi, je m'en voudrais pour Sam ».
Il me regarde, et semble perdu dans ses pensées. Je vois toutes les émotions passer sur son visage, la surprise, la méfiance, la colère aussi, je crois, mais surtout, je revois ce regard froid qui masque ses émotions. Je renchéris :
— J'ai trouvé ça étrange qu'il veuille à tout prix me suivre pour toi, alors je me suis dit qu'il t'avait vu avant de nous ramener et que tu lui avais demandé de me raccompagner ou je ne sais quoi. Je ne sais pas pourquoi il aurait dit ça dans le cas contraire...
Il garde le silence un instant, puis une nouvelle fois, son regard distant est remplacé par un sourire. Il ajoute :
— Oh, j'avais beaucoup bu, j'ai dû oublier mon échange avec Jason, le plus important c'est que vous soyez arrivées à bon port et sans encombre !
Puis il se retourne vers le tableau et ne lève plus les yeux de son cahier, essayant à tout prix de fuir mon regard.
Je finis par abdiquer. Je réglerai ça avec Jaz, ou bien, avec Jason je veux dire...
La matinée passe rapidement. Les cours s'enchaînent et nous nous dirigeons vers la cafétéria avec Vé. Nous choisissons notre menu et nous allons nous asseoir à notre table habituelle.
Quelques minutes après nous sommes rejoint par Sam, Lilia, Jen, Cynthia, Joe et Matt. La bande au complet ! Enfin, il manque Jaz.
Je suis vraiment heureuse qu'ils viennent avec nous alors nous les accueillons avec grand plaisir. Vé et moi, nous sommes réellement fusionnelles, et nous avons toujours eu du mal à nous intégrer dans une bande d'amis, parce que notre amitié prend beaucoup de place pour nous. Mais pour la première fois, on dirait qu'on peut y arriver.
Lilia s'assied à coté de moi, un grand sourire aux lèvres. C'est une femme de 20 ans, brune et réellement jolie. Elle a de jolis yeux noisette et la peau couleur chocolat, avec un teint parfait. Cynthia se met à côté de Vé. Elle aussi est très jolie, mais même sa chevelure rouge ne parvient pas à éclipser ma meilleure amie. Jen, qui s'installe près de Cynthia, est blonde comme moi, et tout comme moi, elle est plutôt banale, à cela près qu'elle est très mince contrairement à moi.
Je détaille maintenant les garçons qui sont tous les trois totalement différents. Sam est encadré de Joe, un garçon massif, blond avec les cheveux coupés court, avec un style très militaire. Il a les épaules larges qui contrebalance avec la minceur de Sam. Matt lui a la peau très foncée et les cheveux frisés un peu plus long que ceux de Joe.
— Alors les filles, bien remises de la soirée ? nous demande Joe, avec un sourire étincelant.
Je jette un regard malicieux à Vé, et la vois sourire en gardant une mine boudeuse. Je décide de m'amuser de la situation et réponds :
— Oui très bien merci ! Vé a très bien dormi en plus, du coup ça va mieux !
Je lui jette un regard, et la vois devenir rouge écarlate. Je ne peux m'empêcher de pouffer. Je continue :
— Et vous alors, la soirée s'est bien passée après notre départ ?
Vé me lance un regard plein d'amour, je comprends qu'elle est soulagée que je n'ébruite pas sa fin de soirée. Mais quelque chose me dit que Jaz ne sera pas aussi discret que moi.
— Oui ! Enfin quand vous êtes parties la soirée s'est un peu essoufflée ! Nous révèle Joe, sans arrêter de fixer Vé, d'un regard charmeur.
— Oh arrête, je suis sure qu'il y a eu d'autres gages chauds ! répond innocemment Vé.
Je la regarde en coin, je ne sais pas si elle essaye de couper court ou si elle ne s'est pas rendue compte du regard de Joe. En tout cas, la petite brune et le grand blond, ça serait marrant à voir.
— Eh bien... Vous êtes parties et peu de temps après Jaz s'est également éclipsé, aussi mystérieusement que vous. Rétorque Joe en rigolant. On a arrêté de jouer et on a juste continué à boire, ce qui n'a pas réussi à tout le monde. Hein Sam ?
Les regards se tournent vers Sam qui a tellement enfoncé sa tête dans son cou pour se cacher, qu'il semble avoir rétréci de 10 cm. Je crois que c'est la première fois que je le vois rougir. Il semble tellement gêné. Je sais qu'elle m'en voudra, mais je suis obligée de sacrifier Vé cette fois.
— Oh t'inquiètes Sam, ça ne sera pas pire que Vé !
— Traitresse ! Peste Vé.
Je croise son regard furieux, mais je vois qu'elle a compris que j'avais essayé de sauver Sam, c'est pourquoi je sais qu'elle ne m'en voudra pas très longtemps. Mais dans le doute, je me jette également dans la fosse aux lions.
— Et puis moi non plus je n'étais pas très en forme ! Tellement qu'il a fallu qu'on me ramène chez moi alors si quelqu'un doit te jeter la pierre, ça ne sera pas nous ! lui dis-je en plaisantant.
Je vois son regard se redresser et croiser le mien. J'y lis la reconnaissance et je suis contente de l'avoir aidé.
— Alors maintenant on veut tout savoir ! plaisante Cynthia.
— Oh on avait juste un peu trop bu toutes les deux alors le retour a été compliqué, pas de quoi fouetter un chat ! Mais vous noyez le poisson, pourquoi vous ne nous dites pas ce qui s'est passé quand on est parties ?
— Parce que je ne me souviens de rien, donc ce n'est pas très important ! répond Sam à la hâte.
Je sens qu'il essaie de se cacher de quelque chose, mais je ne vais pas chercher quoi. S'il est suffisamment parti en vrille pour être dans cet état deux jours après, je préfère ne pas savoir au final ! Je ne sais toujours pas si je crois la version de Sam qui était trop bourré pour se souvenir avoir parlé à Jaz avant qu'il me ramène. Il y a quelque chose dans cette histoire qui me dérange.
— On restera jusqu'au bout la prochaine fois, vous pourrez plus vous cacher ! répond Vé en rigolant.
— Si vous étiez restées jusqu'au bout, on ferait encore la fête à l'heure qu'il est ! s'esclaffe Jen.
— Je crois que vous nous donnez beaucoup trop d'importance, on va avoir la pression à la prochaine soirée maintenant ! dis-je en prenant un air timide.
— Si vous vous roulez encore une pelle pareille, ne t'inquiète pas, on sera satisfaits de notre soirée ! rétorque Matt, sans avoir l'air de plaisanter.
Je ne sais pas quoi répondre, j'échange un regard avec Vé qui a l'air aussi gênée que moi. Elle finit par prendre la parole :
— J'avais presque oublié cette étape...
— Pas nous ! Se marre Joe.
— Olala les garçons, un bisou et vous n'en pouvez plus ! Vous êtes pathétiques ! gronde Lilia.
Je tourne la tête vers elle, soulagée, je la remercie du regard de nous être venue en aide. La situation commençait à devenir gênante.
— Oh ça va, on peut bien plaisanter ! boude Matt. Puis il n'y pas qu'avec Vé que Den s'est lâchée !
Je ne comprends pas où il veut en venir avant de repenser à mon baiser dans le cou de Jaz. Je sens mes joues s'empourprer, et je n'ose rien répondre. Mes résolutions, de n'avoir rien à regretter, s'effondrent assez rapidement. Je parvins quand même à articuler :
— Je vous signale quand même que ce n'est pas moi qui aie choisi mes gages hein les gars ?
— Si vous n'étiez pas obsédés par Jaz et elle, elle n'aurait pas du tout choisi ça d'ailleurs ! renchérit Cynthia.
— Obsédés tu y vas fort ! On avait juste envie de s'amuser ! Tu ne nous en veux pas Den, j'espère ?! s'inquiète Joe.
— Non ! Bien sûr que non ! C'était juste un jeu ! Mais je me vengerais à la prochaine soirée les gars, je vous préviens ! Leur dis-je avec un regard malicieux.
Ils feront moins les malins quand ils devront s'embrasser en public tous les deux !
— Oh non ! Qu'est-ce qu'on a fait, Matt, je sens qu'on vient de réveiller un démon ! Dit Joe en plaisantant.
L'utilisation du mot démon me fait sursauter. Je sais que ce n'est pas volontaire, mais l'idée que mon coté démoniaque témoigne de mon courroux me fait froid dans le dos. Surtout, quand je pense que c'est probablement ce côté démon qui m'a fait tenter le tout pour le tout à cette soirée.
— D'ailleurs Sam, il est où Jaz ? Demande Jen.
— Aucune idée, réplique froidement Sam.
De toute évidence, il souffle le chaud et le froid ! J'ai un peu de mal à comprendre ce qui se passe dans la tête de Sam. Il me semble vraiment proche de Jaz, pourtant, il agit comme s'il ne le connaissait pas. Ça m'intrigue beaucoup et je ne sais pas quoi en penser. D'autant que lorsque son nom est mentionné, son visage devient impassible. Si je n'avais pas vu son côté chaleureux, je n'aurais pas eu de mal à l'imaginer froid et calculateur, mais ça ne lui ressemble pas du tout.
Je pense à Jaz et je me demande où il est. Est-ce qu'il m'évite ? Je sais que je me fais des idées. J'ai envie de le voir, mais juste pour voir si son aura est bien bleu et jaune. Je fuis un peu le reste de la conversation, plongée dans mes pensées.
Soudain, je sens une chaleur particulière emplir mon corps. La même chaleur que samedi soir, à chacun de mes contacts avec Jaz. Je me retourne pour chercher son regard, mais ne trouve personne. Je suis surprise, je sens sa présence. J'essaie de regarder autour de moi, d'analyser chaque centimètre de la cafétéria à sa recherche. Je n'arrive pas à mettre de mots sur ce que je ressens.
Une lumière s'allume dans mon cerveau, je décide de chercher sa présence autrement. Je concentre mon énergie dans mon corps, je vois cette boule blanche à l'intérieur de ma poitrine, et je vois une flamme bicolore près de mon orbe lumineuse. Je savais que j'avais senti sa présence en moi, est-ce qu'il essaie de capter mon aura ?
Je tente une expérience inédite.
J'éclate cette bulle blanche et l'éparpille tout autour de moi, en fermant les yeux un instant pour me concentrer. Je rouvre les yeux et vois des centaines de lumières de tous les verts possibles. Je suis ébahie par tant de couleur, mais je ne dois pas trop attendre, il faut que je cherche des flammes jaune et bleu. Je regarde devant moi, sur les côtés puis fini par me retourner et je vois des nuées de bleu et jaune vers la porte de la cafétéria. Je ne réfléchis pas une seconde et me lève pour aller vers la porte. Je cligne des yeux quelques fois pour enlever ces lumières vertes qui me parasitent. J'accélère et percute malencontreusement une fille, je me confonds en excuses sans m'arrêter pour autant.
J'atteins enfin la porte et l'ouvre pour arriver dans le couloir. Je vois une silhouette brune, grande, avec des épaules larges et une veste en cuir avec les manches relevées et un jean slim bleu foncé.
— Jaz ! crié-je, sans trop savoir ce qu'il m'a pris de hurler comme ça dans les couloirs.
Je vois son ombre faire volte-face et me fixer, avec un air impassible. Je continue à m'approcher de lui, mais avec des pas mesurés, en cherchant à cacher mon impatience.
— Qu'est-ce que tu veux, Eden ?
— Je t'ai déjà dit qu'on ne m'appelle pas comme ça.
Il me fixe, sans rien répondre, son air toujours impassible. Il attend visiblement que je continue, mais je ne sais pas ce qui m'a pris de le suivre. Je ne sais pas comment expliquer ce que j'ai ressenti, mais une partie de son aura était en moi, une partie de son énergie était en moi. J'essaie de trouver une autre raison, pour justifier ça. Mais c'est difficile de trouver mes mots quand le bleu de ses yeux pénètre les miens si brutalement. Je n'ai jamais croisé un regard pareil, il me dévisage comme s'il pouvait voir à l'intérieur de moi, c'est tellement déroutant. Je finis par me rappeler cette incohérence avec Sam qui peut être une porte de sortie pour moi.
— Tu ne l'as pas dit à Sam pas vrai ?
— Je ne lui ai pas dit quoi, Eden ? s'impatiente-t-il.
Sa façon de prononcer mon nom me crispe autant qu'elle me parait naturelle. Combien de temps faut-il pour qu'une chose devienne spontanée et normale ? Surement plus de deux jours, je dirais.
— Tu m'as dit que tu me raccompagnais pour lui, tandis que lui n'avait aucune idée que tu m'avais suivi.
Je vois une ombre passer dans son regard. C'est succin et discret mais au moins, il a réagi, même si ce n'est pas assez précis pour que j'y comprenne quelque chose.
— Il avait beaucoup bu, il a sûrement oublié. Tu m'as couru après juste pour ça ? me dit-il avec un sourcil relevé, visiblement amusé.
— Comment peux-tu savoir si je courais alors que tu étais à plus de 10 mètres de moi ?
— Je n'ai pas le temps de jouer aux devinettes, princesse, retrouve tes amis et ton nouvel amoureux, je ne peux pas constamment m'occuper de toi.
Je suis sous le choc de sa déclaration. Et puis ce surnom, je n'ai rien d'une princesse ! Et puis je ne lui ai jamais demandé de s'occuper de moi, c'est quand même lui qui m'a suivi jusqu'à chez moi sans lâcher l'affaire. Et je ne vais pas me priver de lui faire remarquer.
— Attends mais je ne t'ai rien demandé samedi soir quand tu as tant insisté pour me raccompagner alors que le seul danger qu'on a croisé était un nid de poule dans le trottoir ! Je ne t'ai rien demandé quand on était à la fête, c'est toi qui as voulu jouer le capitaine et donner des ordres pour nous ramener, alors n'ose pas me dire que j'attends que tu t'occupes de moi alors que de toute évidence, c'est uniquement toi qui en as envie ! Si tu veux te comporter comme un enfoiré très bien, mais assume-le au lieu d'accuser les autres.
Il ne semble pas ébahi par ma réplique cinglante cette fois, à croire qu'il s'accoutume à mes réactions. C'est donc ça ? Il me prend pour un foutu antibiotique. Je bous de plus en plus à l'intérieur de moi tandis que je le vois continuer de me jauger de haut en bas. Mon regard s'attarde sur sa bouche charnue sur laquelle est flanquée un sourire arrogant.
— T'es un adulte Jason, un jour ou l'autre, faudra bien que tu te décides entre le chevalier servant et le connard fini, même si pour moi, il ne fait aucun doute que tu es déjà expert du second choix.
Je tourne les talons et retourne dans la cafétéria en le laissant en plan et sans lui jeter un seul regard. Je bouillonne de rage et je ne laisserai pas ses yeux percer ma carapace. Comment un homme peut-il être si agaçant ? Comment un homme peut être si pénible ? Et comment un homme peut cumuler les deux et être tout de même si attirant ? Tout ça me dépasse.
J'ai l'impression qu'il joue avec moi, mais il est terriblement mal tombé. Vous connaissez la phrase « quand une femme se venge, même le diable s'assoit et prend des notes » ? Pour ce genre de petits jeux, c'est la même chose, et quelque chose me dit qu'il lui faudra beaucoup de papier. Le seul problème, c'est que je ne connais pas les règles de ce jeu, quoi qu'il en soit, je vais sans doute les découvrir assez rapidement.
J'arrive à la table du groupe et m'assieds en silence, devant l'air médusé de mes amis. Je suppose que je dois leur donner une explication pour ma fuite soudaine, mais je ne sais pas quoi dire, devoir mentir autant, c'est nouveau chez moi. Je vais avoir besoin de trouver des excuses convaincantes. Je me creuse la tête quand Sam rompt le silence :
— Tu peux nous dire ce qu'il vient de se passer, Den ?
Il se redresse et me regarde intensément, comme pour jauger tout mon être. Je sens également le regard de tous les autres et mes joues deviennent roses.
— Je peux me montrer honnête ?
— Bien sûr que tu peux ! me répond Lilia, avec un sourire franc et sincère.
Qu'est-ce qui est plus crédible qu'un gros mensonge ? Un mensonge dissimulé dans une vérité partielle.
— Écoutez, depuis qu'on est petite avec Vé on est meilleures amies. On se connaît depuis toujours.
Je jette un regard à l'intéressée qui me rend un petit sourire discret qui m'aide à me ressaisir. Je reprends :
— On n'a jamais eu plein de copains et d'amis qui veillent sur nous, parce qu'on est tellement fusionnelles que visiblement, nous faisons un peu peur, dis-je en rigolant. Du coup, je n'ai pas l'habitude de m'excuser avant de partir de table ou de réagir comme une personne normale en société.
Nos amis me regardent en souriant sincèrement, et j'ai vraiment l'impression d'avoir trouvé ma place dans ce groupe. J'espère ne pas me faire d'illusion, mais au milieu de ces regards compatissants et de ces sourires, je me sens bien.
— Den ! Vraiment, ne t'inquiète pas pour ça, c'est juste qu'on s'est un peu inquiétés de te voir partir en trombe comme ça ! m'explique Matt.
— On a cru avoir fait quelque chose qui t'a déplu, renchéri Joe.
Je sais que je dois leur donner une explication, parce que ce n'est pas naturel de se lever comme ça, et si quelqu'un nous a vu Jaz et moi, ça risque de compliquer les choses.
— Je suis vraiment désolée, les gars ! C'est simplement que j'ai vu Jaz au loin.
Sam, jusqu'alors plutôt souriant, perd son sourire et se paralyse. Je reprends vite :
— Je voulais le remercier de s'être occupé de Vé quand j'étais aussi mal en point qu'elle. Comme je vous l'ai dit, on n'a pas vraiment l'habitude de ne pas compter exclusivement l'une sur l'autre. Je me suis dit que je devais au moins le remercier.
J'aperçois Sam se détendre, mais il reste encore un peu crispé. J'ai du mal à appréhender cet air sombre qu'il peut avoir parfois. Je décide alors d'ajouter en rigolant :
— Mais bon, il m'a remballé immédiatement en me disant qu'il n'avait pas le temps de s'occuper de nous, alors le message est passé !
Je prends un air nonchalant pour cacher le fait que cet échange m'a perturbé. Sam se déride et me sourit de nouveau.
— Sérieux il t'a dit ça ? me dit Vé. Eh bien, je crois que je vais éviter de le remercier à mon tour alors.
Nous explosons d'un rire simultané comme à notre habitude et les autres nous suivent quelques secondes plus tard.
Le reste de la journée se passe comme habituellement. À la fin des cours, après avoir dit au revoir à Vé, je me dirige vers la sortie du campus. Nous n'avons pas fini les cours tard aujourd'hui, ça reste toujours un plaisir pour moi de sentir le soleil sur ma peau en sortant de la fac ou du travail. Je sens que j'ai du temps pour moi, et ça me fait du bien.
Autrefois, nous passions tout notre temps ensemble avec Vé. Mais l'année dernière, après avoir été séparées pendant un an, nous avons pris d'autres habitudes, et même si nous nous aimons plus que tout au monde, nous avions décidé de nous laisser un peu de temps libre et d'intimité. Ce soir est justement l'un de ces soirs où nous sommes chacune de notre côté à vaquer à nos occupations respectives.
Je réfléchis à mes plans de soirée en continuant d'avancer tranquillement, pour profiter de chaque rayon du soleil. La baignoire de la maison de mes parents me manque, il y a si longtemps que je ne me suis pas allongée dans un bain chaud, avec des bougies et un bon livre. Rien que d'y penser, j'ai l'impression d'y être. La chaleur sur ma peau, la tranquillité d'une ambiance tamisée et le bonheur de lire une bonne histoire. J'en frissonne et j'ai hâte de finir mes études pour avoir un appartement plus grand, mais surtout avec une baignoire.
— Tu as l'air bien concentrée dis-moi !
La voix douce de Sam me ramène à la réalité, loin des romans et des bulles de savon.
— Euh salut ! J'étais totalement dans mes rêves, je plaide coupable, plaisanté-je.
Il s'approche de moi avec un sourire rayonnant. Il s'est redressé et me parait plus grand tandis que la distance entre nous se réduit. Il a l'air si différent de ce midi, moins hésitant et plus sûr de lui ? Peut-être plus lumineux et moins froid.
— Den, je voulais te demander un truc...
A ces quelques mots, il semble redevenir vulnérable et incertain. Je crains le pire. J'entends de nouveau dans ma tête Vé me dire « peut-être que Sam ne t'aime pas et que Jaz est juste un psychopathe ». Quand je le vois comme ça, si tendre et gentil, en plus de sa beauté à couper le souffle, je ne suis plus sûre de ce que je préfère.
— Voilà, tous les deux on s'entend bien, et je t'apprécie vraiment beaucoup. J'aimerais apprendre à te connaître un peu mieux...
Mon regard se perd dans le sien, ma respiration se bloque. Mon cœur ne repartira pas tant que sa phrase ne sera pas finie.
— Est-ce que ça te dirait d'aller boire un verre ou de dîner avec moi un soir ?
Ça y est, les mots ont été prononcés. Il n'y a plus moyen de revenir en arrière et de prétendre qu'il ne s'est rien passé. J'entends les mots de Jaz qui résonnent encore dans mes oreilles « ton nouvel amoureux ». Qu'est-ce que je vais faire ? Est-ce que je lui laisse une chance de faire évoluer notre relation ou est-ce que je campe sur mes positions ? Plus je me pose de questions et plus je le vois se décontenancer. Si je continue à faire durer le suspense, il va tomber dans les pommes, je crois.
J'aimerais tellement avoir le pouvoir de lui faire ravaler ces mots et d'effacer cette partie de la journée. Voir les auras c'est normal mais remonter le temps, c'est trop demander peut être ?
Il s'aperçoit que je le regarde et m'adresse un sourire timide, empli de tendresse. Il est vraiment incroyable, il est mignon, il est intelligent. Au fond de moi, je sais que ça serait un merveilleux copain...
— D'accord.
La surprise se lit sur son visage, elle doit se lire sur le mien aussi puisque je ne savais pas ce que je répondrais jusqu'à ce que les mots franchissent mes lèvres. J'ajoute :
— Mais pour la première fois avec Vé on se sent à notre place dans un groupe, alors promets-moi que si ça ne marche pas, ça ne changera rien !
Il réfléchit un instant avant de reprendre la parole :
— Ok, je te le promets.
Il repart, tandis que je poursuis ma route jusqu'à chez moi. Perdue dans mes pensées, je m'imagine changer notre dialogue pour dire « Excuse-moi, je ne suis pas sûre de pouvoir sortir avec toi parce que je suis une putain de créature magique qui ne comprend pas sa mission et qui va peut-être exploser dans quelques mois ! ». C'est bien la preuve que l'honnêteté, ce n'est pas toujours la meilleure solution.
Dure journée... Sam, Jaz, Sam... Ma vie commence à prendre un tournant vraiment incroyable...
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