10.
Nous restons de longs instants allongées sur cette voiture. D'abord en silence pour profiter de la nuit, de l'ambiance, de la musique lointaine que nous entendons ici. Puis Vé décide d'entamer la discussion :
— Alors chérie, qu'est-ce que tu en penses de Sam ? me dit-elle avec un petit sourire espiègle.
— Ne m'en parle pas, je suis tombée des nues en l'entendant ! Je ne m'y attendais absolument pas ! Je pensais que c'était toi qu'il regardait en cours !
Vé s'esclaffe de son rire franc et aigu, son rire est la seule chose qui peut être considérée comme irritante venant de Vé, mais je trouve ça terriblement attendrissant. Son rire ressemble à celui d'une petite fille et je trouve ça adorable, l'entendre me fait toujours sourire, au minimum.
— Alors ?! Tu ne réponds pas à la question ! Tu vas faire quoi ? Il te plaît ?
— Honnêtement je n'en sais rien ! Je ne me suis jamais vraiment posé la question ! Il est... mignon.
— Mais... ?
— Mais je ne sais pas, il est frêle et avec ma carrure, je suis plus attirée par les hommes un peu plus imposant.
Vé me regarde avec un sourire malicieux, et quand elle me fait ces yeux-là, je sais que je dois me méfier et ne pas entrer dans son jeu. Mais c'est plus fort que moi. Je tombe dans le panneau à chaque fois.
— Vas-y, dis-moi ce que tu as à dire !
— Non rien, je comprends, tu cherches un homme plus large ou plus musclé.
— Oui, tout à fait.
— En plus tu préfères les bruns.
— C'est vrai.
— Une chance qu'on ait rencontrée officiellement Jaz alors...
Elle se tord de rire pendant que je la fixe interloquée. Je savais que je devais me méfier de ce petit sourire !
— Alors là, sûrement pas ! Il est bien foutu certes, mais il est odieux, il dégage un truc qui me fait froid dans le dos !
Je pense à cet instant que, sans l'alcool, j'aurai peut-être pensé à regarder son aura. Elle sera sans doute vert caca d'oie, plus proche de la couleur de la boue que du rayonnement qui indique la pureté de l'âme humaine.
À la suite de cette réponse, ma meilleure amie se bidonne de plus belle. Je ne vois pas pourquoi toute la soirée a tourné autour de lui. Tout le monde s'aperçoit que nous ne nous aimons pas, alors laissez-nous tranquille bon sang !
Les secondes passent avec Vé qui n'arrive visiblement pas à calmer son fou rire, je sens que l'alcool a fait plus de dégâts que prévu. Une fois le fou rire apaisé, nous continuons notre contemplation du ciel en silence.
Soudain, j'entends un rire, rauque et virile venir de derrière la voiture. Un rire suffisamment familier pour me que je ne me fige pas en me demandant sa provenance et suffisamment inhabituel pour que l'entendre me terrifie.
Jaz
— Ben alors, tu avais peur de tenir ma main plus longtemps que tu t'es précipitée vers la sortie, mais sans partir ? s'amuse-t-il.
— Ce n'est pas que je doive me justifier, mais nous avions prévu de rentrer, avant de nous rendre compte que nous avions beaucoup trop bu pour prendre la voiture.
Je me tourne vers mon amie et la vois assoupie. Sa capacité à s'endormir en dix secondes me surprendra toujours. Je reprends :
— Je pense qu'on restera là de toute façon, Vé s'est visiblement endormie.
Je descends de la voiture d'un saut et fais le tour pour me retrouver prêt de Vé. Je lui secoue doucement le bras, mais ça ne semble pas la réveiller. Je ne sais pas comment je vais faire pour me sortir de cette histoire. « Aucune retenue » hein... Nous voilà malignes maintenant. Je sais qu'il y a un grand plaid dans la voiture de Vé pour l'envelopper, mais j'aurais aimé la réveiller pour qu'on se mette dans la voiture ou pour retourner à l'intérieur de la fraternité.
Je recommence à lui toucher le bras, quand une chaleur parcourt ma peau. Je remarque que la main de Jaz a effleuré la mienne. Je retire ma main à toute vitesse et vois qu'il fait de même.
— Je ne suis visiblement pas la seule qui manque d'audace...
— Laisse-moi faire, ouvre la porte arrière.
Je m'empare du sac de Vé pour récupérer ses clés et ouvre la voiture, ainsi que la porte arrière. Je me retourne vers Jaz et le vois porter Vé comme si elle ne faisait que 12 kg. Mon ventre se serre quand je vois l'aisance avec laquelle il la soulève et la force qu'il a l'air d'avoir. Sans aucun effort, il l'installe à l'arrière et referme la porte. Je ne connais pas un seul garçon qui n'aurait pas profité de sa vulnérabilité pour la regarder plus en détail ou pour avoir les mains un peu trop baladeuse en l'installant correctement, mais il n'en fait rien. Je rouvre la portière pour la couvrir avec le plaid et je la referme ensuite.
— Merci Jaz, lui dis-je en m'installant de nouveau sur le pare-brise.
— Assieds-toi sur le siège passager.
— Je te demande pardon ?
— Rentre dans la voiture, j'arrive dans 5 minutes.
Puis il tourne les talons et retourne à l'intérieur. C'est nouveau ça ?
Après le Jaz grossier et le Jaz condescendant, voici le Jaz autoritaire. J'aurai tout vu ! Comme si j'allais faire ce qu'il me demande. Alors là, je crois que je rêve, qui est-il pour me donner des ordres, hein ?
Il commence à faire froid, et je sens que j'ai besoin de me réchauffer, mais je ne peux pas laisser Vé dans cette voiture froide sans moi. Il va falloir que je trouve un moyen de m'occuper d'elle, c'est mon rôle après tout ! Tout ce que je sais, c'est que je n'irai pas sur ce foutu siège passager, il est hors de question que j'obéisse à ce crétin !
Je vois au loin des regards masculins tournés vers moi, et entend des éclats de rire. Être seule à l'extérieur d'une voiture, en tenue de soirée, au milieu d'étudiants alcoolisés, je me sens brillante toute à coup... Quelle idée d'avoir bu autant !
Sentant un regard sur moi, je lève les yeux et vois Jaz revenir avec son blouson en cuir sur le dos. J'ai essayé de tenir tête à Vé tout à l'heure, mais tout chez lui crie à la luxure. Son regard bleu cobalt, gris, ses muscles saillants, son look de bad boy... J'essaie de calmer mes hormones avant qu'il n'arrive à mon niveau. Mais de toute évidence, il m'attire bien plus que ce que j'ai osé dire à voix haute.
— Tu n'écoutes jamais ce qu'on te dit, toi ? siffle-t-il entre ses dents.
— Tu me prends pour qui pour m'ordonner tes quatre volontés ? Ta petite-amie imaginaire ? Parce que si c'est ça, je passe mon tour.
Je vois que ma réponse l'a désarçonné et je profite de ce calme avant la tempête pour renchérir :
— Qu'est-ce que tu veux Jaz ?
— Rentre dans cette foutue bagnole et file-moi les clés, je n'ai pas bu une goutte d'alcool.
A mon tour de rester interloquée après ces paroles. Je le vois me regarder d'un air amusé.
— Pourquoi te ferai-je confiance d'abord ? lui dis-je, méfiante.
— Parce que tu crois être en mesure de faire la difficile ? Ça grouille de mecs bourrés mal intentionnés, tu veux laisser ta copine assoupie ici ? me dit-il en me montrant l'arrière de la voiture.
— Non bien sûr, mais je n'ai pas plus confiance en toi qu'en eux !
Il explose d'un rire rauque et chaud, je n'arrive pas à savoir si son rire m'inquiète davantage ou me détend au contraire.
— Si tu crois que j'en ai après ta vertu, ne t'en fais pas, princesse, tu n'es pas vraiment mon genre, et si c'est pour elle que tu t'inquiètes, dit-il en regardant vers Véia, je préfère les femmes quand elles sont conscientes.
Il s'installe sur le siège conducteur et me lance un regard victorieux. Je n'avais pas l'intention de me laisser séduire, mais tout de même, c'est vexant. Cette façon de me dire que je ne l'intéresse pas comme si ça avait la moindre importance à mes yeux ! Quel mufle ! Cependant, là où il n'a pas tort, c'est que je n'ai pas réellement beaucoup d'autres possibilités. J'abdique et me positionne sur le siège passager en lui tendant les clés de la voiture, sans lui jeter le moindre regard.
— Vous habitez sur le campus ? demande-t-il en démarrant la voiture de Vé après avoir réglé le siège, ses jambes étant deux fois plus longues que celle de Vé.
— Véia oui, moi j'habite en dehors, mais tu peux nous laisser sur le campus, je rentrerai à pied après l'avoir mise au lit. Comment vas-tu rentrer chez toi d'ailleurs ?
— Je n'habite pas loin, je rentrerai à pied.
Le reste du trajet se fait dans le silence, même si je ne parviens pas à me détacher de ce sentiment bizarre que les choses ne tournent pas rond. J'essaie de focaliser mon énergie pour voir son aura, mais l'alcool semble inhiber mes capacités de concentration.
Arrivés à la fac, je le remercie et tente de réveiller Vé, sans succès.
— C'est bon, je vais la porter encore.
Il s'exécute avec une facilité déconcertante, je ferme la voiture et lui indique le chemin. J'ouvre la porte de sa chambre et vois que sa colocataire est présente dans son lit, pour une fois. Nous essayons de ne pas la réveiller. Jaz met Vé sur son lit. Je lui demande de m'attendre dans le couloir pendant que je la déshabille et il s'exécute sans broncher. Je lui enlève ses chaussures et ses collants pour qu'elle puisse être plus à l'aise pendant qu'elle dort. Je la borde et lui fait un bisou sur le front pour lui souhaiter bonne nuit. Je me saisis d'un stylo sur son bureau pour lui écrire un mot ;
« Tout va bien, je t'ai ramenée à la maison, appelle-moi quand tu te réveilles.
- Den »
Je profite d'avoir un double de la chambre pour refermer la porte à clé derrière moi et retourne vers la sortie avec Jaz sur les talons.
— Pourquoi tu ne restes pas avec elle ?
— Je travaille demain, il faut que je rentre, que je me douche et il me faut des vêtements qui ne sentent pas la cigarette, la vodka et la bière.
Je vois qu'il m'écoute sincèrement et je suis vraiment surprise de cet homme que je vois devant moi. Un homme qui n'a rien à voir avec ce qu'il me montrait jusqu'à présent. J'ai un peu du mal à comprendre comment on peut avoir autant de personnalités. Et venant d'une fille « mystiquement bipolaire », c'est préoccupant. Je décide de m'aventurer sur ce terrain et de poser calmement la question :
— Pourquoi passer ton temps à te conduire comme un gros con et être gentil ensuite ?
Il ne s'y attendait visiblement pas.
— Gentil ? répète-t-il avec un certain dédain dans la voix, je suis tout sauf gentil, tu devrais le savoir.
— Je ne te connais que depuis 2 heures, je vois mal comment je devrais être au courant de ta nature propre.
— Tu es sincère, pas vrai ?
Non mais qu'est-ce que c'est que ces devinettes encore... ? Nous arrivons à la sortie du campus et marchons vers le parking. Je le remercie pour Vé et lui dit au revoir en tournant à gauche pour rejoindre mon appartement.
— Eden, attends ! crie-t-il.
Je fais volte-face, ne m'attendant pas à ce qu'il m'interpelle de nouveau.
— Tu as bu, et sans vouloir être grossier... (une première pensé-je) ta robe ne laisse pas vraiment beaucoup de place à l'imagination...
Je rêve ! Selon lui, je suis donc une « princesse » qui s'habille comme une femme aux mœurs légères et il n'a rien trouvé de mieux que de me dire ça maintenant.
— Si tu as d'autres compliments à me faire, surtout n'hésite pas, c'est le moment. Fais comme si je n'avais pas hâte de rentrer chez moi et continue de me raconter ta vie Jaz, vraiment ne te gêne surtout pas !
— Laisse-moi te raccompagner...
— Pardon ?
Alors là, c'est la meilleure, je viens de le rencontrer, il se comporte comme le dernier des abrutis, et il veut me « raccompagner » ?
— Écoute, je sais que tu ne m'aimes pas, et franchement, ce n'est pas l'amour fou de mon côté non plus ! Mais Sam est mon pote, et s'il t'arrive un truc parce que j'étais trop occupé à ne penser qu'à moi, je finirai par m'en vouloir... pour Sam. Me concernant, t'es une fille têtue et s'il t'arrive un truc, ça sera de ta faute d'avoir été trop bête pour m'écouter.
Je me tais un instant, ça n'a pas de sens, Sam a juste dit que je lui plaisais, pas qu'il voulait se marier avec moi et faire des bébés. Il faut se calmer à un moment.
— Sam a juste dit qu'il me trouvait jolie, il ne t'en tiendra pas rigueur. Mais j'ai l'impression que même si je refuse, tu me colleras jusqu'à ce que j'arrive chez moi, alors très bien !
Il parait étonné que j'abdique aussi vite, et pour être franche, moi aussi. Nous avançons dans l'obscurité et je ne sais pas si je dois lui parler ou me taire, alors dans le doute, je ne dis rien.
Nous restons silencieux pendant de longues minutes, le trajet jusqu'à chez moi n'a jamais paru si long. N'apercevant pas un nid de poule sur le trottoir, mon pied s'engouffre dedans et je trébuche. Je sens une chaleur, maintenant caractéristique, s'étendre dans mon bras. Jaz m'a rattrapé avant que je ne tombe et a posé ses mains sur mes bras pour me redresser. Je sens la chaleur emplir mon bras, puis mon épaule et se transmettre à toutes les parties de mon corps.
Je ne suis qu'à quelques centimètres de lui et sa proximité me chamboule, d'autant plus que je la trouve familière. Son contact me coupe le souffle et je ne sais pas ce qu'il se passe. Je le remercie brièvement en me retirant de son emprise, plus brutalement que je l'aurai voulu. Et je continue ma route, sans lui jeter un regard pour savoir s'il continue de me suivre. Cependant, je sens sa présence, je sais qu'il est tout prêt de moi, et je sais qu'il me regarde. J'ai toujours été très maladroite, mais ça ne m'a jamais autant joué de tours que ces derniers temps. À chaque fois que je manque de tomber, il est là juste à coté de moi, soit à se moquer, soit, maintenant, à me rattraper.
Nous arrivons devant mon appartement. Je le remercie froidement de m'avoir suivie, consciente que nous n'avions croisé personne sur le chemin. Le seul danger contre lequel il m'a défendu, c'est une chute lamentable.
Je me tourne vers la porte pour partir quand il m'attrape le bras et me fait faire volte-face. Nous nous fixons en silence et je parviens à briser le silence :
— Pourquoi ces frissons quand on se touche ?
Il me relâche avec autant de brutalité qu'il m'avait attrapé quelques secondes plus tôt, confus. Je ne sais pas si je lui fais le même effet, mais je suis totalement perdue.
— Qu'es-tu, Eden ?
Je n'ai pas le temps de penser à ce qu'il essaie de me demander, que je lui réponds :
— Personne ne m'appelle comme ça. Bonne nuit Jaz.
J'entre dans l'immeuble et le fixe un instant à travers la porte vitrée, il semble déboussolé. Je teste une dernière fois de projeter mon énergie vers lui. Je laisse cette boule blanche se remplir de toute ma volonté, de toute mon énergie et je la projette vers Jaz qui s'éloigne. Je lève les yeux et vois sa silhouette s'en aller, entourée de flammes bleu et jaune.
*************
Alors d'après vous, est-ce qu'on aime Sam ou est-ce qu'on adore le Jaz bad boy?
Et qu'est Jaz puisque sa couleur ne correspond à rien de ce qu'on connait ?
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