Chapitre 8 : Les biens du clergé ( deuxième partie )

Il jeta un bref coup d'œil au soleil qui se couchait et, tout à coup, agrippa une pierre du mur. En trois mouvements sûrs et précis, il se trouvait au-dessus de la porte. Son corps alerte et entraîné glissait contre le mur du château de Rocamadour aussi vite que sur terre. Il se hissa jusqu'au deuxième étage et frappa lentement le carreau d'une chambre. Dans un léger crachotement la vitre se brisa. Il contempla un instant les morceaux de verres éparpillés sur le sol à l'intérieur et glissa son long corps nerveux par la fenêtre.

La pièce était dissimulée dans la pénombre. Il la connaissait par cœur. D'un geste ferme, il fit basculer son capuchon en arrière, dévoilant un visage sale, une barbe légère qui lui conférait un air mystérieux et une légère balafre sur le front. Avec son nez aquilin et ses yeux bien trop durs, il faisait peur à voir.

Sans hésiter, il obliqua vers un bureau, à sa droite et s'accroupit afin de pouvoir fouiller plus facilement les dossiers. Ses mains alertes trituraient nerveusement chaque chemise. Il les tâtait, les soupesait, avant de les reposer d'un geste bref. Ses doigts attrapèrent une liasse de papier soigneusement liée avec un ruban. Le touché seul du grain lui confirma qu'il avait bien trouver ce qu'il cherchait. Il glissa son paquet sous sa chemise avant de sauter dehors.

***

- Je ne comprend pas ! Comment peut-on éditer des lois aussi sauvages ! Cela dépasse l'entendement ! Depuis juillet nous supportons leur insolence... Il est temps que cela cesse.

- Anne, ma mie, je pense que vous êtes loin de comprendre la situation dans laquelle se trouve notre chère France. Les paysans ont enchaîné en quelques années une sécheresse, des grêles continues, un hiver dévastateur qui a tout inondé... L'été dernier, il ne leur restait plus rien ! Les prix extrêmement faibles se sont envolés... Le vagabondage a pris une ampleur inquiétante... Et la cour continuait son train insouciant. L'État est ruiné, la France va bientôt être à feu et à sang. L'Assemblée Constituante cherche l'argent là où il se trouve.

- Alors pourquoi ne pas demander des taxes à nous, les nobles ?

- Vous déraisonnez ?

- L'Église a pour mission de s'occuper de l'éducation, des soins, de la charité... Et nous ? Bon, toute cette histoire me fatigue. Vous devez avoir raison : nous sommes très bien ainsi, exempts de tout impôt. Je pars à Figeac me faire confectionner une nouvelle coupe de tissus chez mon tailleur.

Louise qui était restée muette s'anima tout d'un coup :

- Puis-je vous accompagner ?

Sa mère lui adressa un sourire complice et acquiesça. Gaston leur jeta un regard épuisé. Leurs futilités le lassaient. Il se murmura pour lui même :

- Si insouciantes ! Quand la réalité les rattrapera, je me demande comment elles réagiront.

Il se détourna et compléta, par association d'idées :

- Et la cour ! Le Roy semble muet, débile... Je ne sais pas ce qu'il va advenir de nous.

***

Marie-Lys, quant à elle, était partie tôt ce matin à cheval avec sa mère. Elles avaient emporté un panier de vivres et leur chapelet. Au petit galop, elles s'étaient vite envolées dans les profondeurs du Ségala. Les chemins serpentaient entre bois sec et prairies verdoyantes. L'alternance de paysage tantôt arides tantôt verts enchantaient les deux femmes.

En fin de matinée, elles parvinrent au pied d'une colline au sommet de laquelle on pouvait apercevoir un petit clocher. Elles rirent et lancèrent leurs chevaux au galop pour une course.

Une petite chapelle en haut les accueillirent.

- Saint Joseph, je vous confie la France.

- Je vous confie nos craintes, nos peurs, nos familles, nos espoirs.

Madame d'Yssac sortit de son aumônière quelques piécettes qu'elle glissa dans un tronc. Riant, la mère et la fille dévalèrent ensuite la colline au grand galop. Elles laissèrent le vent jouer avec les mèches rebelles de leur chevelure et fouetter leurs traits délicats.

Mais parvenues en bas, elles s'arrêtèrent net. En face, les observait un grand cavalier sombre et tout encapuchonné. Curieuses, elles le fixèrent un instant, avant de se détourner.

- Je n'aime pas ça, murmura la mère de Marie-Lys.

- Mère, mère... Je... Je crains que... Je crois que je sais qui c'est. Louise m'a dit lui avoir parler une fois.

- Qui est-ce, la coupa durement la jeune mère ?

- Un inconnu.

Madame d'Yssac lui jeta un regard furieux. Le retour se fit moins gaiement. Elles ne rirent, ni ne firent de course. Marie-Lys soupira.

Mais en passant par la vieille église de Saint Udaut, sa mère lui intima de descendre :

- Nous allons réaffirmer notre soutien à ce pauvre curé.

Marie-Lys l'observa silencieusement un instant avant d'opiner. Elles pénétrèrent dans le presbytère. Le vieil homme était assis sur une chaise et fixait la rue par la fenêtre. Il ne réagit pas au son de la porte qu'on claquait. Son visage affichait une moue lasse et morne. Ses yeux vides paraissaient ne s'accrocher à rien. Il avait négligemment posé ses mains rugueuses et sales sur ses cuisses. Ses traits pales et son teint blafard effrayèrent madame d'Yssac qui se précipita et tomba à genoux face à lui :

- Père Yves, père Yves ! Répondez moi !

Elle crut qu'il était mort. Affolée par son manque de couleurs, elle hésitait à le gifler. Marie-Lys observait tout craintivement. Mais le curé parut sortir de sa torpeur. Ses traits frémirent de manière imperceptible et il cligna des yeux. Il se redressa douloureusement et contempla les deux visiteuses.

- Vous êtes bien les seules à venir me témoigner votre soutien en ce jour maudit, articula-t-il enfin.

Madame d'Yssac hésita avant de se lever tout en esquissant un geste intraduisible. Le silence reprit : nul ne savait quoi dire.

- Nous sommes venues, dit bêtement la mère de Marie-Lys.

La jeune fille tourna rapidement son regard vers elle et esquissa une moue impatiente. Elle sursauta en apercevant le curé se lever, tenant son dos courbaturé d'une main.

- Nous vivons des temps durs.

Tout à coup, la porte s'ouvrit brusquement. Tous sursautèrent et obliquèrent leur regard vers l'intrus. Ou plutôt les intrus. Le vieux Jérôme accompagné de son fils étaient apparus sur le seuil de la porte.

Ils s'avancèrent jusqu'à se trouver face au vieil homme. Jérôme l'attrapa et l'obligea à le regarder droit dans les yeux.

- Vous n'avez rien, vieil épouvantail, si ce n'est trois églises qui tombent en ruine. Celles d'Yssac et de Thymes ne m'intéressent pas. Mais, lorsque cette loi sera pleinement en vigueur, je m'emparerai de celle de Saint Udaut.
- Et qu'en ferez-vous, le toisa madame d'Yssac ?
- Rien. Je viendrai tous les jours vous narguer. Puis, sans doute que je la vendrai pour gagner quelque monnaie à une carrière de pierres.
- Pourquoi faites-vous cela ?

Il ne répondit rien mais fit délicatement apparaître entre ses doigts épais une pièce de bronze.

D'un geste éloquent, la mère de Marie-Lys fit comprendre au curé qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Elle vint faire face aux deux paysans et sussura d'une voix douce :

- J'ai de l'argent. Si c'est tout ce qui vous intéresse, je pourrais vous racheter l'église.
- Ce ne sont pas vos terres. Laissez monsieur de Saint Udaut s'occuper lui même de ses affaires, grinça Jérôme.

Et sans attendre de réponse, il prit son fils par les épaules et sortit. Son pas lourd et effrayant résonna longtemps dans les rues désertes du hameau. Marie-Lys adressa un regard consterné à sa mère.

- S'ils reviennent et vous font du mal, prévint cette dernière, n'hésitez pas à venir me voir. Je verrais ce que je puis faire.

***

Il était tôt. À l'horizon le soleil étendait tout juste ses rayons mais la pénombre était encore présente. La forêt étirait ses longues branches en retenant un bâillement. L'air bruissait de milles sombres couleurs et murmurait sa chanson mystérieuse.

Un homme se glissait entre les branches décharnés des arbrisseaux. Il portait une longue cape trouée et un chapeau enfoncé sur ses yeux étrécis. Il serra son col et y plongea son nez. Seul son regard furtif émergeait de cet accoutrement sordide.

D'un geste sec, il frappa une branche qui lui barrait le passage et sursauta.

- Ah ! Tu es là, prononça-t-il. Je me demandais si vous viendrez vraiment.

Trois hommes le fixaient impitoyablement. Il parut embarrassé : il triturait nerveusement son couvre-chef. Esquissant un pas en avant, il leur dit :

- Vous voyez, je suis venu.
- Tu as bien fait, acquiesça un des hommes. Je suis le père Jérôme, voici mon fils, Jehan.

Le visiteur fit un mouvement de tête en direction du troisième homme, en retrait des deux autres. Mais le vieux Jérôme ne daigna pas lui répondre.

- Bien, commença le visiteur. Je suis monsieur Sabert. J'étais précepteur des demoiselles d'Yssac et de Saint-Udaut. Je suis aussi fervent partisan de la Révolution.

- C'est tout ce que nous voulons, sourit Jehan.

- C'est une vengeance qui nous importe, éclaircit son père.

- Et une quête... au trésor : rafler la fortune de deux familles, compléta Jehan.

- Je sais ce qu'il s'est passé et je suis de tout coeur avec vous. Je ne demande qu'une précision...

Il s'arrêta pour jeter un regard éloquent vers le troisième homme. Ce-dernier leva sa tête et sourit. À la surprise de tous, il se leva et passa, en frôlant le précepteur.

Monsieur Sabert recula d'un pas, tout apeuré. Il salua d'un mouvement de tête les deux paysans et voulut rattraper cet inconnu. Mais en passant les fourrés, il s'aperçut qu'il avait disparu.

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Un complot semble se monter. Un vol s'est produit à Rocamadour. Les inquiétudes s'amplifient. Que pensez-vous qu'il se trame ?? De quoi se vengent-ils ??

En média : c'est l'Inconnu mais il faut imaginer une balafre en plus en haut à gauche

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