Chapitre 7 : Tension, souvenirs et lettres
Une feuille jaunie
Ramène l'inquiétude.
De l'inconnu honni,
L'enquête de deux prudes.
Anne respirait, soulagée. La pression accumulée ces derniers jours s'estompait enfin. La crainte d'avoir perdue sa fille s'était évanouie. Août s'annonçait plus calme, plus paisible. Et les nouvelles de Paris s'étaient faites moins graves.
Les lendemains du 14 juillet avaient été mouvementés : Necker avait d'abord été rappelé dans ses fonctions à la plus grande joie des parisiens ; le 17 juillet Louis XVI reçut la cocarde tricolore des mains de La Fayette à l'Hôtel de Ville de Paris ; enfin le 18 juillet, ô stupeur ! Le comte d'Artois, frère du Roy, émigra de France. Par la suite, la Grande Peur occupa tous les esprits et les campagnes bruissaient de ces horreurs commises.
Avec l'arrivée du mois d'Août, les paysans s'étaient alanguis sous la chaleur. Ils avaient repris péniblement leurs cultures et rangés dans un coin leur désir de vengeance. Les châteaux reprenaient leur souffle. Les grandes familles du Quercy osaient de nouveau sortir s'aérer. La vie paraissait reprendre doucement. Et le calme revenait.
Revenue toute honteuse de son escapade intempestive, Louise s'était platement excusée et s'était vite glissée dans ses draps. Elle avait rêvé d'hiver gelé, de cavalier mystérieux, de maladie... Et s'était réveillée bien plus fatiguée qu'elle ne s'était couchée.
Sa mère, curieuse de comprendre le comportement étrange de sa fille, grimpa à l'étage afin de la réprimander vertement. Elle poussa la porte d'un coup brusque et pénétra dans la pièce :
- Maintenant que vous allez mieux, ma fille, voudriez-vous bien m'expliquer votre voyage à Rocamadour ?
Louise prit un air renfrogné et secoua négativement la tête. Par réflexe enfantin, elle ne voulait pas révéler son secret à sa mère. Celle-ci soupira, dépitée :
- Quand donc grandirez-vous ? Vous êtes plus stupide qu'une oie !
La fillette lui tourna le dos, boudeuse. Elle s'obstinait stupidement à ne rien répondre. Elle avait pourtant grandi, mais elle se sentait toujours une âme que l'on doit protéger.
- Vous êtes déroutante, Louisette ; vous prenez subitement la décision de vous rendre à Rocamadour, résolution audacieuse et courageuse, bien qu'irréfléchie. Puis vous réagissez bêtement à mes questions. Répondez-moi !
Comme sa fille restait muette, la mère soupira :
- Je ne veux plus que vous me fassiez de telles frayeurs. Je vous interdis de sortir jusqu'à nouvel ordre. Vous vous plaigniez de vous ennuyer à Saint Udaut ; mais votre bêtise vous y maintient.
Louise tourna vers Anne de Saint Udaut un visage bouleversant. Des larmes coulaient le long de sa joue et se mêlaient à sa chevelure emmêlée. Elle se précipita dans les bras de sa mère en sanglotant. Cette dernière, surprise, la reçut gauchement et demanda doucement :
- Que se passe-t-il ?
La fillette ne répondait rien et hochait sa tête négativement. Elle s'écarta soudain de la calme présence de sa mère et affirma d'une voix qu'elle voulait assurée :
- Soit, je resterai ici. Mère... Je n'ai jamais voulu vous effrayer et sachez bien que je vous aime profondément. Je pleurais, parce que je culpabilisais... Et j'en suis toute contrite. Que va-t-il nous arriver ? Qu'allons-nous devenir quand ces paysans seront parvenus au faîte de leur colère ? J'ai besoin que vous me protégiez. J'ai besoin de tendresse, maman.
- Ne craignez pas les paysans.
Anne de Saint Udaut saisit nerveusement la brosse de sa fille sur la coiffeuse et entreprit de démêler les nœuds compliqués de la chevelure blonde de Louise. Elle se pencha tout à coup et déposa sur son front un baiser furtif avant de tourner des talons.
***
- Ce papier... Ce papier, nom de Dieu ! Où est-il donc ?
Gaston triturait nerveusement le fouillis de feuilles jetées sur son bureau. Depuis l'aube, il courait d'un bout à l'autre de la maison à la recherche de tel document, de telle signature, de tel dossier ; et lui qui détestait toutes ces paperasses sentait son aigreur croître. Chaque fois, il se sentait près de tout abandonner... Chaque fois, il retrouvait juste ce qu'il lui fallait. Il se sentait pris dans l'étau de conformité et rêvait d'un morceau de tabac à priser. Il balançait entre finir le travail commencé et nécessaire, et faiblir en prenant un temps pour se détendre. L'irritation s'était développée toute la journée chez cet homme instable et était parvenue à un pic si élevé que l'orage menaçait lourdement de fondre sur la maisonnée. La brave Charlotte s'était réfugiée derrière ses fourneaux, absolument apeurée. Louise et Anne de Saint Udaut discutaient anxieusement, un ouvrage à la main, pour masquer leur crainte.
En effet, le chef de famille avait résolu ce matin-là de procéder à un rangement minutieux de la maison. La Grande Peur, et particulièrement la visite des paysans, lui avait montré le désordre du château ; et l'avait inquiété. Il ne pouvait pas se permettre de perdre quelque papier important... ou pire : compromettant. Il gardait quelques secrets. Le futur qui se profilait se montrait dangereux : il craignait de laisser échapper ce mystère.
Ainsi, il triait tout depuis l'aube. Mais sa colère augmentait chaque fois qu'il ne parvenait pas à trouver ce qu'il lui manquait. Plusieurs fois, de rage, il frappait la table, le mur ou un quelconque objet. Il jetait des cris agacés qui se répercutaient dans tous les alentours. Il retenait ses poings ; mais faisant preuve d'une patience peu commune chez lui, ou d'un sens du devoir acerbe, il n'avait toujours pas abandonné son rangement.
- Cela n'est pas forcement bon... Il se fâche et devient de plus en plus effrayant, laissa échapper la mère de Louise. Je n'ose pas aller l'aider. Ma présence l'insupporterait plus qu'autre chose. Mais je crains que nous gênions ici. Allons plutôt à l'extérieur, devant la terrasse.
Les deux femmes saisirent fils et aiguilles et descendirent dehors. Le père de famille leur jeta un regard noir et méprisant qu'elles ne virent pas.
- La femme est un être occasionnel et accidentel. St Thomas d'Aquin. Dit-il. Elles ne servent décidément à rien.
Il parcourut des yeux le salon quand son regard fut accroché par une étagère qu'il n'avait pas encore explorée.
- Je le savais ! Il était là !
Et de nouveau, il reprit son va-et-vient incessant. Pestant contre les objets, sa tête lui tournait, il ne se sentait pas bien.
Il fronça des sourcils en observant la lettre qu'il tenait à la main. Songeur, il se mit à marcher de long en large dans les pièces de la maison. Avidement, il en parcourait l'écriture fine et enflée. Mais loin de le calmer, la lettre le mettait bien plus en rage.
Il était parvenu sur le haut de la terrasse, de sorte que sa femme et sa fille pouvait le voir. Levant un regard courroucé, il toisa son épouse et lança d'une voix forte et railleuse :
- Voici que je retrouve cette lettre ! Et devinez qui l'a écrite ?
Anne blêmit tout à coup : une seule personne pouvait mettre dans un tel état son mari. Se tournant vers sa fille, elle lui intima de partir. Louise ne tint pas compte de cet avertissement. Sa curiosité était piquée.
- Partez, vous dis-je, répéta sa mère.
- Oh non ! Je veux voir ce qu'il va se passer !
- Louise, je vous prie de ne pas discuter mes ordres, dépêchez-vous ! Votre père est fâché et je ne veux pas qu'il...
- Trop tard ! Il vient vers nous.
L'homme brandissait le pli comme un trophée. A son expression, on ne pouvait dire s'il était ravi, ou en colère. Sa femme lui arracha la lettre et la lut d'une traite :
"
20 juin 1786
A monsieur de Saint Udaut
Je suis flatté, mon fils, d'apprendre que vous m'estimez au point de me renier ! C'est une mienne tante qui, passant par Saint Udaut, fut invitée à votre table ; elle y apprit de fortes intéressantes choses. Vous aviez abordé le sujet délicat de notre récente dispute au sujet de votre fils Thierry. Je vous avais négligemment laissé entendre qu'il mériterait qu'on le reprenne un peu plus. Vous m'aviez alors rétorqué que vous seul vous chargez de son éducation. Soit ! Vous aviez méprisé mon paternel avis. Mais, ce que je ne puis permettre, c'est que vous affirmiez haut et fort que vous n'êtes pas mon fils et que vous ferez tout pour vous soustraire à ces liens du sang. Que dire... J'en suis outré !
<< Il est temps désormais que je reprenne un œil sur vos débordements de père. Vous m'affligez, mon aîné. Votre frère cadet, lui, a de la poigne. Il a rejeté ces sornettes de religion chrétienne et s'est tourné vers la Raison. Quelle ne fut pas ma fierté d'apprendre qu'il n'avait pas hésité à battre Théophile, votre neveu, qui souhaitait devenir prêtre. J'ai donc incité son père à le chasser. "L'éducation développe des facultés mais ne les crée pas" nous dit ce bon vieux Voltaire. Ce mauvais garnement, malgré toute la bonne volonté de ton frère, était un cas perdu.
<< Las, si seulement vous pouviez m'écouter pour Thierry avant qu'il ne soit trop tard. Mais, vous-même... Toi qui méprise tant la faiblesse, toi qui l'exècre, comment peux-tu suivre ce Christ ? Tu le sais bien... Ces sornettes de bonne femme. " L'univers m'embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n'ait pas d'horloger." Voltaire encore. Un Dieu, oui ; mais le Dieu des chrétiens, jamais ! Il suffit simplement de regarder l'opulence dans laquelle se pavane le clergé pour comprendre que ce n'est pas cette voix là qui nous mènera au ciel. Mais... la Raison, cette chère Raison, ne nous trompera jamais ! Écoutez donc mes bons conseils, mon fils, et corrigez le caractère futile de Thierry.
Puisse la Raison vous éclairer,
Votre père,
Monsieur de Saint Udaut."
Effarée, Anne releva son visage. Son mari ne se contrôlait plus. La tension accumulée pendant la journée avait finalement explosée. La goutte avait fait déborder le vase. Il arracha la lettre et s'écria :
- Ah ! Même de sa tombe, il me nargue ! Avez-vous vu cette écriture ? Cette outrance ? Ce rejet de notre sainte religion ? Femme, répondez-moi.
- C'est votre père. Et vous devez le respecter.
- Le respecter ? Savez-vous ce que je vais faire de sa lettre de recommandation ?
Il la fit tomber et la froissa du pied avant de cracher dédaigneusement dessus.
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Maintenant que la tension est bien montée, la colère de Gaston peut éclatée !! Que pensez vous de la relation entre le grand-père et le père de Louise et de leur divergence ( notamment en ce qui concerne la Raison et la Religion ) ?
Merci pour tous ces commentaires et votes !!!! 😊
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