Chapitre 35 : Justice (Partie 2)
Dans la salle où ils délibéraient, les jurés discutaient avec fougue.
- La petite Louise a répondu avec justesse et s'est parfaitement défendue.
- Mais il faut anéantir l'aristocratie. Ce qui s'est fait à Paris doit se répéter.
- Nous ne pouvons pas nous montrer aussi cruel que les montagnards. Elle n'est qu'une enfant.
- Qui sont pour la guillotine ?
- Elle n'a pas assez de motifs de condamnation.
Une seule main se leva. Louise avait encore la candeur d'une enfant et nul, sinon les esprits les plus noirs de France, ne voulait tâcher son âme d'une telle souillure. Mais ce qu'il se passait dans cette pièce était tout bonnement inimaginable pour des révolutionnaires endurcis. Nous étions à Figeac, au fin fond de la Province.
- Marie-Lys d'Yssac.
- Son comportement fut assez étrange.
- Je l'ai entendu marmonner des mots dans son délire après qu'elle se soit évanoui. Et notamment ton nom, Christian.
Ce-dernier sursauta avant de répliquer pensivement :
- Elle m'a dit que j'apparaissais dans ses cauchemards.
- Il semble qu'elle ait été traumatisée et que ce tribunal le lui rappelle.
- Il faut nous dépêcher. Nous avons peu de temps.
- Moi, ajouta Christian, je l'ai trouvée innocente comme son amie.
- Qui serait d'avis de la guillotiner ?
Quelques mains, cette fois, se levèrent timidement. Son comportement étrange avait dérouté plus d'un juré. Mais la majorité était pour la vie sauve.
Très vite après, on enchaîna avec les procès des parents et celui de madame de Saint Udaut.
Tremblante elle-aussi, elle pénétra dans la salle. D'un regard intimidé, elle parcourut le public du regard. Presque vide.
Après un coup d'œil las aux jurés, le juge commença son interrogatoire. Anne répondait d'une voix posée. Mais sa timidité était accentuée par les regards fatigués des jurés. Toute craintive elle répondait avec précipitation et s'emmêlait souvent dans ces dires.
- La Convention Nationale est chargée d'énoncer les faits inculpés à la ci-devante Anne de Saint Udaut : rejet de la République, désobéissance à un représentant de la République, Thierry Egalitat, tu es aussi coupable d'avoir éduqué tes enfants avec des valeurs contraires à celles prônées par la République. La parole est à la défense.
À ces mots, Anne de Saint Udaut ouvrit de grands yeux ronds et manqua de s'étouffer, en perdant toute retenue :
- Co... Comment ? Mais ? Pourquoi dites-vous cela ? J'ai éduqué mes enfants avant que cette Révolution n'existe ? Citoyens, je ne suis qu'une pauvre provinciale qui a vécu dans des traditions ancestrales et habituelles en ce pays.
- Pourquoi n'avoir point aporter ton aide à Thierry ?
- C'était contre mes valeurs.
- Mais ces valeurs sont une injures à notre République. Tu avoues donc ta faute ?
- Quelle faute... ?
Anne était perdue. Mais cette naïveté, loin d'attendrir les juges, les agaçait. On les voyait perdre toute patience car déjà ils éprouvaient quelques fatigues et ils n'étaient pas tout autant touchés que par les deux jeunes filles.
- Ainsi tu avoues donc ta faute.
Madame de Saint Udaut jeta un regard desespéré à Christian et Jehan qui grifonnaient activement sans se préocuper de l'accusée.
La salle s'était faite silencieuse. On attendait une réaction du juge. Mais ce-dernier était perdu dans sa reflexion et marmonnait tout bas : "Ainsi tu avoues ta faute, ta faute..." Une sorte de chappe de fatigue lui était tombé sur ses épaules et il paraissait incapable de décider quoi-que-ce-soit. Tous les procès qu'ils enchaînaient à la suite avaient fini par vaincre sa résistance.
Mais finalement, il se redressa pour annoncer d'un ton las :
- Les jurés peuvent se retirer pour délibérer.
***
Gaston de Saint Udaut tournait en rond comme un ours en cage. On lui avait expliqué qu'il serait jugé la dernier car son cas était le plus complexe. Mais maintenant une sourde inquiétude l'avait envahi.
Il s'était montré dur toute sa vie envers ses proches. Il avait été sévère, intransigeant sur l'éducation de ses enfants. Maintenant qu'il ne lui restait plus que Louise, maintenant qu'il était près de la perdre, c'était lui qui tremblait.
Il se découvrait des sentiments nouveaux qui le remplissaient d'une paix étrange et bénéfique. Il aimait. Ses colères s'étaient évaporées. Son ivresse envolée. Son étroitesse d'esprit s'était disloqué. Car il aimait son prochain.
Comment le dire au monde ? Comment révéler et convaincre qu'il avait changé ? On le jugera par son passé mais il n'était plus son passé. Il se sentait autre homme et haïssait celui qu'il avait été. De tout ce qu'on dira sur lui, durant le procès, il savait d'avance qu'il l'approuverait. Car son lui d'avant méritait la guillotine et même plus que la guillotine. Comment leur dire qu'aujourd'hui ce n'était plus le même ? Pourrait-il repartir ou ce nom de Gaston de Saint Udaut le poursuivra-t-il éternellement ?
Il aimait sa femme. Il regrettait ses passions passées qui avaient détrui la bonne entente qui régnait auparavant dans le ménage. Et qui avaient fait son malheur et celui de ses proches...
Il adorait sa fille, Louise. Un trésor pur et simple. Certes naïves. Certes gauches. Mais on ne lui en voulait pas longtemps. Elle était la note joyeuse de son univers et il craignait plus que tout de la perdre.
Et que dire de Marie-Lys ? Que dire de cette pauvre orpheline ? Il se souvenait de la force de son père et de la générosité de sa mère. La famille d'Yssac était aimé au pays. Et les Saint Udaut détesté. C'était ainsi.
- J'aurais pu être heureux. Mais j'ai toujours voulu tout avoir. Et l'adoration de mes proches, et la puissance, et la richesse, et la paix. J'ai tout perdu et je vais perdre jusqu'à mon honneur et... Ma vie ? J'accepte la mort mais je dois être le seul à l'accueillir. Le seul et l'unique. Mon nom sera souillé mais ma famille vivra, c'est tout ce que je demande à Vous, Dieu qui êtes trop longtemps resté muet.
On appela Gaston. Thierry était dans la salle. Élisabeth s'était assise à ses côtés. Jehan, parmi les jurés, s'était soudainement durci à la vue de son châtelain. Une voix demanda :
- Nom, prénom, origine.
- Gaston de Saint Udaut. Châtelain du village éponyme.
Il y eut quelques murmures. À Figeac, Saint Udaut était vite devenu un lieu de troubles et de maledictions. Certains, essentiellement parmi les plus révolutionnaires, avaient rapidement décrit le châtelain du hameau comme une sorte de monstre qui tyranisait les campagnes. Et il était là.
On demanda encore quelques autres renseignements avant d'énoncer les accusations.
- Accusé de rejet de notre République, désobéissance à un représentant de la République, maltraitance contre ses propres enfants et contre autrui, abandon d'enfants, vol des terres de particuliers et crime.
- Je rejette votre République. J'ai désobéi à Thierry, mon fils - il avait insisté sur ces deux-derniers mots. J'ai maltraité mes enfants. Il ne me reste plus que ma douce Louise. J'ai ruiné des paysans pour m'emparer de leurs terres et j'ai tué la femme d'un de mes paysans. Je suis coupable pour tout.
- Ne dis-tu rien pour ta défense ?
- À quoi bon ? Je pourrais vous dire que j'ai changé. Que je regrette les erreurs commises par le passé. Que je méprise l'homme que j'étais autrefois. Mais me croirez-vous ? Non je ne peux rien pour me défendre car je suis coupable de tous les méfaits énnoncés ici.
Il fit une brève pause avant de se murmurer à part soi :
- Mais c'était un autre moi.
- Tu avoues donc ta faute ? Sais-tu que cela peut te mener à la guillotine ?
- Je me suicide.
- Comment ? Que viens-tu de dire ?
Ces trois mots avaient jeté un froid dans la salle. On doutait maintenant de bien faire en souhaitant le condamner à mort. Il voyait la sentence inévitable et en était abattu. Certes, ô combien il aurait préferé vivre. Mais par ce sacrifice, il espérait sauver sa famille. Et surtout, il voulait sauver Octave.
- Ainsi tu es coupable. Mais tu dis avoir changé.
- Je suis vieux. Toutes vies ont une fin. Et si la mienne peut être héroïque je lui ouvre les bras.
Les juges étaient désorientés par cet état d'esprit. Il était rare qu'ils aient à juger une âme aussi complexe et ils ne savaient pas comment la définir. Les jurés se retirèrent pour délibérer. Ils parlèrent longuement car les deux cas étaient difficiles.
Dans le courant de la soirée, Thierry obtint l'autorisation d'entrer dans la pièce car il désirait apporter sa science. On l'écouta avec beaucoup d'attention :
- Quoi que vous décidiez, je vous conseille fortement d'annoncer tout haut que vous tuerez mes parents. Car c'est l'unique moyen de faire pression sur Octave pour qu'il dévoile tout ce qu'il sait. Il se tait. Se renferme. Ne veut rien dire. Et nous sommes aux abois derrière lui. Nous voulons tous inverser la tendance. Je suis comme vous : j'éprouve une immense admiration et curiosité pour lui. Mais je veux découvrir qui il est. Et même d'un simple point de vue justicier : il a volé. Il faut qu'il avoue. Alors servons-nous du moyen que je viens de vous dire.
- Nous jugerons demain cet Inconnu. Il révelera tout ce qu'il sait. Car nous tuerons tes parents.
La voix avait claqué dans la pénombre et tous frissonnèrent.
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