Chapitre 35 : Justice

Sont-ils coupables ou non ?
On accuse, on défend.
Délibérations
Torturent cœurs aimants.

Élisabeth avait pris le premier coche en partance pour Figeac et était arrivée vers le milieu de la matinée. Quelques uns de ses voisin s'étonnèrent de ce qu'une si jolie femme voyagât seule mais en ces temps de trouble, on ne se posa pas plus longtemps la question.

Dès son arrivée, elle courut vers la prison. Son cœur battait à rompre et elle craignait ce qu'elle y trouverait. Mais à peine avait-elle traversé l'entrée qu'elle apperçut Thierry en grande conversation avec un homme qu'elle ne connaissait pas.

Elle sentit un commencement d'affolement la gagner. Tout allait trop vite. Elle pensait controlé vaguement et se retrouvait aujourd'hui dépassé par les événements.

Elle ne voulait pas de mort. Elle voulait une punition, certes, pour l'Inconnu car il était normal que justice se fasse. Mais la guillotine lui paraissait être une peine trop importante. Elle, la petite paysanne du Ségala, avait agi inconsiderement en oubliant le contexte actuel et en utilisant la justice comme ce qu'elle avait été autrefois. Il était temps maintenant de réparer ses erreurs.

- Thierry ! S'exclama-t-elle.

- Que fais-tu ici, Lise...? Lise !

L'homme avec qui il parlait se retira incontinent pour les laisser seuls. La jeune femme se pencha vers le jeune révolutionnaire pour lui murmurer :

- Qui était-ce ?

- Le juge.

Il hésita un instant avant de se décider, timide, craintif et doux :

- Et... Je... Je lui demandais d'être indulgent avec mes parents...

- Thierry ! Thierry ?

Élisabeth levait un regard admiratif et étonné :

- Thierry ! Mais alors, pourquoi les as-tu conduit ici ?

- Je ne sais pas si la demande que je viens de faire provient d'une faiblesse passagère...

- Non, Thierry... Une force plutôt.

- Mais c'est un incorruptible. Il semblait peu convaincu par mes arguments... Que viens-tu faire ici ?

- Les sauver.

- Tu ne pourras pas. Moi-même suis encore partagé entre l'envie de découvrir ce secret mysterieusement enfoui que seul un procès divulguerait et cette générosité.

- Que s'est-il donc passé Thierry ? Je retrouve mon amant de Figeac. Est-ce l'air de cette ville qui te change ainsi ? Tu étais devenu sombre et mauvais. Je ne te reconnaissais plus. Et voilà que tu réapparais.

- Toi, tu n'as pas changé. Tu as gardé cette même fierté que le jour où je t'ai rencontré chez la citoyenne de R...

- J'y étais servante et tu étais locataire.

- Tu m'avais regardé avec un regard pleins de charmes et m'avait envoûté. Depuis ce jour, et malgré ta basse condition, nous ne nous étions plus quittés. Chaque nuit, tu me rejoignais dans ma mansarde d'étudiant pour passer de fols instants.

- Chaque soir, je craignais que ma maîtresse ne me surprenne.

- Et nous avions vécu les plus bels instants de notre vie.

- Moi je connaissais déjà depuis longtemps Octave. Je t'en parlais quelques fois et tu devenais jaloux.

- Je le suis encore, répliqua-t-il en perdant sa joyeuse humeur.

- Et je te le répète : je n'ai pour lui que de l'amitié.

- Je crois que malgré tout ce que tu me dis sur lui, je ne pourrais jamais oublier son regard, ce soir-là au théâtre, la veille de la mort d'Édouard. Il est en partie la cause de tous mes malheurs. Lui, et mon père qui a dédaigné mes appels au secours et s'est montré rude et inhumain à mon égard.

- Tu as vécu du beau et du mauvais. Oublie le pire pour regarder vers le Vrai. Tout à l'heure, il te faudra être impartial. Mais n'oublie pas que tu juges ta propre famille.

***

On appela Louise. Elle vint s'asseoir sur le banc des accusés, tremblantes et frêles. La jeune fille était encore jeune. Les juges n'avaient pas la cruauté des parisiens. On la regarda avec bienveillance.

- Tes noms et prénoms ?

- Louise de Saint Udaut.

- Ton âge ?

- J'ai bientôt dix-huit ans.

- Lieu de résidence ?

- Saint Udaut.

La liste de renseignements s'égrena encore longuement. Louise s'impatientait. Quand donc saurait-elle de quoi on l'inculpait ? Mais finalement...

- La Convention Nationale est chargée d'énoncer les faits inculpés à la ci-devante Louise de Saint Udaut : opposition à la République et désobéissance à un représentant de l'ordre, le dénommé Thierry Egalitat. La parole est à la défense.

Louise, jetant un coup d'œil autour d'elle, vit qu'elle n'avait pas d'avocat. Craintive, elle vint se placer à la barre.

- La perception du monde est différente dans nos campagnes. Nul ne se mêle de politique si ce n'est avec une arrière pensée de querelles de voisinage. Le Roy était un symbole pour nous, ainsi que Dieu. Ainsi que l'Inconnu...

Ces propos provoquèrent quelques remous dans l'Assemblée, mais elle continua :

- Nous sommes attachés au symbole car ils sont nos repères. Peu ont reçu une excellente éducation. Et moi-même l'ais-je arrêtée bien tôt. Nous avons donc très peu de capacité d'analyse, cela je le reconnais. Alors comment voulez-vous que nous comprenions quoi-que-ce-soit dans ce charabia révolutionnaire ? Comment voulez-vous que nous perdions tous nos repères en ce monde pour votre politique ?

Elle s'arrêta, presque essoufflée et en larmes. Les juges et greffiers avaient cessé d'écrire pour l'écouter avec attention. Jehan surtout la fixait avec intensité comme s'il trouvait un écho à sa vie dans cette tirade.

Mais le juge était vicieux. Il plissa des yeux avant d'emettre :

- Ta plaidoirie est admirable. Mais je m'interroge cependant sur quelques éléments. Tu places Charles au même rang que ton Dieu et ton Roy. Dans quel but ?

- Je... J'ai fait cela ?

Elle était toute confuse.

- Il a marqué nos imaginations à un tel degré qu'il est certainement devenu un symbole, presqu'au même titre que le Roy.

- Je vois... Puis tu parles de ton manque de culture, mais tu parles avec une élégance qui tend à prouver le contraire.

- Le talent et la grâce naturelle, citoyen, ça existe.

Cette répartie, loin d'offusquer les juges, les firent s'attendrir. Nul n'ajouta de remarques et on la raccompagna en prison.

Ses parents, qui n'avaient pu être présents, s'élancèrent vers elle en la questionnant avec empressement. Amusée, elle leur répéta vaguement sa défense. En son for intérieur, elle se sentait confiante. Les jurés avaient paru charmé.

On appela Marie-Lys. Elle s'avança, inquiète. En pénétrant dans le tribunal, elle se sentit glacée par la peur. La salle... Avait la même architecture, le même aménagement, les mêmes dorures que le tribunal de son rêve. Et parmi les jurés, il y avait Christian. Elle sentit son malaise s'accroître encore plus lorsqu'une voix résonna :

- Marie-Lys d'Yssac !

Elle se sentit vaciller et s'arrêter. Elle vivait son cauchemard. Atroce ! Tout était trouble et confus. Elle avançait comme un fantome et sans savoir ce qu'elle faisait réellement. Mais elle se contenait encore.

Comme Louise avant elle, elle vint s'asseoir sur le côté de la salle. Ses mains étaient devenus moites. Sa nervosité se voyait et étonnait ses juges. Jehan et Christian ne comprenaient pas cette attitude soudaine si peu coûtumière de la fière allure habituelle à la jeune fille.

Après un instant de flottement, le juge demanda les renseignements nécéssaires au procès verbal. Mais il le fit avec plus de douceur qu'à l'ordinaire, comme pour ménager l'accusée. Christian éprouvait de curieux sentiments qui le bouleversaient. Il se sentait coupable de cette faiblesse car il désirait paraître fort. Mais il sentait son cœur battre fort du désir de la prendre dans ses bras pour la consoler.

Son visage prit un air ironique et mauvais. Marie-Lys, à la vue de cette transformation auquel elle ne s'y attendait pas, devint plus tremblante encore. Elle tournait ses regards dans la salle avec un désarroi évident. Déjà, toute l'assemblée l'avait prise en pitié et maudissait les juges qui la faisaient souffrir.

Cependant, cette réaction disproportionnée surprenait fortement. Après un premier mouvement de pitié, on commença à la juger avec agacement. Et finalement la question jaillit :

- Pourquoi ce trouble ? Louise, avant toi, était assez sereine... Tout cela nous surprend outre-mesure.

Elle ne répondit d'abord rien et baissa les yeux. Était-elle obliger de leur révéler la cause de son malaise ? Mais Christian, se levant à-demi, insista d'une voix rude :

- Marie-Lys d'Yssac !

En levant les yeux, elle retrouva la scène parfaitement reconstituée et elle s'évanouit.

"- Marie-Lys d'Yssac !

La jeune fille s'avançait craintivement. L'effroi la paralysait et l'empêchait presque d'avancer. Tout était sombre autour d'elle, excepté cet homme qui la pointait du doigt dans un jet de lumière. Son visage était grimaçant et laid. Il lui faisait peur.

- Marie-Lys d'Yssac !

La voix se répétait. Sa tête lui lançait. Elle avait mal partout. Torturée, elle tombait à genoux à terre et levait les yeux vers l'homme. Un juge. Un jeune homme au regard sévère et narquois mais où pointait une nuance de tristesse.

- Marie-Lys d'Yssac !

Elle se retournait et se levait. La lumière se déplaçait et venait éclairer deux corps ensanglantés qui étaient derrière elle. Ses parents... Surprise et affolée, son cœur faisait un bond. Elle reculait de deux pas et jettait un regard circulaire à la pièce.

Une foule qu'elle n'avait pas encore vu était là. Qui criait. Qui criait encore. Et sa tête lui lançait. Et ses parents étaient là, derrière elle, morts ! Et le juge la fixait de son regard intransigeant. Et il faisait noir. Elle avait peur.

- Marie-Lys d'Yssac, Marie-Lys d'Yssac, Marie-Lys d'Yssac...

La voix semblait ne provenir de nulle part. Elle transperçait son esprit, laissant dans son sillage une douleur atroce. La jeune fille avait peur.

- Marie-Lys d'Yssac !"

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