Chapitre 34 : Prison de Figeac (Partie 2)
Théophile s'étonnait de ce calme surprenant à Saint Udaut. Il y avait eu de l'agitation dans l'après-midi, des cris et il avait cru comprendre qu'un malheur avait eu lieu. Mais cette tranquilité soudaine l'inquiétait au plus haut degré.
Il était trop faible encore pour entreprendre quoi que ce soit. Et il s'était promis de ne plus intervenir, sans doute par lâcheté, dans cette sombre affaire. Mais par curiosité, il prit appui au mur et vint observer par la fenêtre.
Il sursauta...
Les rues étaient vide. Les écuries avaient brûlé, fumeuses. Gaston et Anne qui n'avaient cessé de veiller à son chevet avait tout à coup disparus... Un calme étrange et iréel avait envahi Saint Udaut.
Alors, malgré ses blessures et sa lâche résolution de ne plus intervenir en rien, il se décida à descendre aller voir. Il s'appuyait aux murs, balustrades, meubles et tout ce qu'il trouvait sur son chemin. Sa progression était lente et lui arrachait régulierement des gémissements. Mais il parvint enfin au premier étage où il retrouva stupéfait Élisabeth.
- Dites-moi ce qu'il s'est passé ! Dites-le moi...
- Thierry a emprisonné votre famille et Jehan. Ils sont partis pour Figeac.
Absourdis, le prêtre se laissa tomber dans un épais fauteuil avant de murmurer...
- Cela devait arriver...
- Qu'allez-vous faire ?
- Je ne veux plus me brûler... Je pars pour Rome.
- Vous partez ?
- Oui...
Ses yeux s'étaient faits rêveurs. On sentait son âme craintive aspirer à la paix et au repos.
- Oui... Répéta-t-il. Je pars. Et quand tout sera terminé, peut-être reviendrais-je alors. Mais j'en doute.
- Vous abandonnez Rocamadour.
- Rocamadour...
- Tu quittes ta famille dans une passe difficile.
- Oui...
- Tu t'exiles au moment où la France manque le plus cruellement de prêtres.
- Réfractaires.
- Mais je ne peux rien dire. Alors partez ! Moi je reste car ma présence est nécessaire à Figeac. Il n'y a que les femmes qui soient avisées en ce monde.
***
- Nom ?
- Gaston de Saint Udaut.
- N°176.
- Nom ?
- Anne de Saint Udaut.
- N°177.
- Nom... ?
Ils passaient un à un et donnaient leur nom, recevaient leur matricule, s'avançaient dans la pièce. Inhumain...
Les prisonniers cherchaient à aborder une attitude et un ton neutre pour ne point se laisser affliger par cette humiliation. Mais Louise finit par éclater en sanglot sous les regards dédaigneux des autres.
Et quand vint le tout d'Octave, le geolier leva son regard vers lui et esquissa une grimace ironique :
- Toi, tu ne me donneras pas ton nom ? Et que fais-tu ici, une fois encore ?
- Tout cela, je ne le dirais pas.
Et il se tut de nouveau. On le laissa passer, impressionés par sa prestance mais non sans jeter des coups d'œil haineux à son passage. Et tous furent emprisonnés dans des cellules communes, hommes et femmes séparés.
Vers le soir, devant la prison des femmes, un événement inattendu apporta quelques imprévus...
- Christian... Attends une seconde. Il faut que tu sortes Jehan de prison, ordre du procureur général. Il fera partie des juré.
- Comment cela ? Lui ?
- Crois-moi, si cette decision ne venait pas de si haut j'aurais refusé net. Jehan est celui qui a détruit le charme de Saint Udaut et cela je ne puis le supporter ! Il est pour moi plus coupable même que mes parents...
- Je hais Jehan ! Il fut un temps où il nous a servi mais je répugnais déjà à user de ses services. Aujourd'hui, je me fais violence pour ne pas me jeter sur lui dès que je le vois.
- Et pourtant...
Thierry était devenu songeur et doux. Il parlait d'un ton absent et presque admiratif.
- Il paraît changé, ces derniers temps. Je lui ai parlé avant qu'on ne l'enferme. Il est devenu calme et résolu, triste et tendre. Sans doute cette menace de mort bouleverse-t-elle son cœur.
- Je pense que j'irais le voir dans la soirée.
- Mais Christian ?
- Oui ?
- Toi aussi tu fais partie des jurés.
Surpris, le jeune homme se retourna vers Thierry en roulant de grands yeux ronds...
- Mais je ne veux pas !
- Tu n'as pas le choix. Maintenant, j'ai à faire...
- Thierry ?
- Oui ?
- Alors, laisse-moi parler à Marie-Lys. J'ai des informations à lui révéler.
Surpris, le jeune révolutionnaire lui accorda un regard étrange avant d'acquiescer.
- Fais vite.
Christian se tourna vers la grille, troublé. Toutes les femmes avaient surpris la discussion et le regardaient avec curiosité. Mais lui sentait son malaise s'accroître. Il chercha des yeux la jeune fille et soupira en appercevant son visage pâle et sec.
- Marie-Lys d'Yssac.
Elle blêmit et il la vit perdre presque connaissance comme si une image s'était imposée en son esprit.
- Marie-Lys d'Yssac, répéta-t-il d'une voix douce.
Elle s'avança et il la fit sortir de la cellule. Elle tenait à peine debout tant elle tremblait de peur. Mais lui la couvait d'un regard troublant et presque protecteur.
- Que me voulez-vous, murmura-t-elle d'une voix blanche ?
- Marie-Lys... Commença-t-il timidement.
- C'est vous que je vois toujours dans mes cauchemards, ajouta-t-elle précipitemment avec effroi.
- Écoute...
Il se tut, ne sachant comment aborder le sujet qui lui tenait à cœur. Il la conduisit dehors et la fit s'asseoir sur un banc.
- Je sais que je suis un révolutionnaire particulièrement cruel, haï par tout Saint Udaut, et dont l'âme est perdue loin dans le tréfond des Enfers...
- Ne dites pas cela, l'interrompit-elle avec surprise.
- Mais on ne commande pas aux sentiments et le hasard, le destin ou la Providence - comme tu le souhaites - a fait que je vous aime, Marie-Lys.
Elle sursauta et se releva d'un bond. Les battements de son cœur s'accelèrent à rompre et elle crut perdre de nouveau connaissance. Mais elle s'obligea à se rasseoir.
- Et ? Questionna-t-elle avec anxieté.
- Je sais les malheurs qui t'ont frappé et ils m'ont émeu moi aussi. Ais-je quelques espoirs... ?
- Il faudrait déjà que je sorte d'ici vivante, ironisa-t-elle pour masquer sa crainte. Je puis vous dire que vous m'avez toujours fait forte impression. Est-ce de l'amour ? Je ne suis point experte en ce domaine... Christian, votre aveu me met au désarroi mais je crois que... Non je ne le dirais pas. Laissez-moi retourner avec les autres. Vos paroles m'ont troublée et j'ai besoin de réfléchir.
Et elle s'enfuit. Il la suivit d'un regard douloureux, resta songeur et un long moment, avant de revenir vaquer à ses occupations.
Il y avait fort à faire car demain aurait lieu le procès de la famille Saint Udaut et des autres protagonistes.
Mais après le dîner, Christian s'approcha de Jehan.
- Tu es libre, maintenant.
- Certes.
Il n'avait pas répliqué agressivement comme il en avait l'habitude. Christian prit quelques confiances.
- Comment vas-tu ?
À ces mots, et étrangement, Jehan eut un sanglot dans la gorge. Il s'éloigna rapidement à l'écart des autres en invitant d'un geste Christian à le suivre.
- Je crois que j'ai besoin de me confier... Même à toi. M'écouteras-tu ?
- Je ferais de mon mieux.
- Christian... Tout est vain !
- Tout est vain.
- Tout ce que j'ai fait était vain. Par ma faute, l'âme de Saint Udaut s'est brisée.
- Mais n'est point morte.
- Et je ne veux plus de vengeance. L'Inconnu ou quel-que-soit son nom a prouvé qu'il était plus fort que moi et meilleur. J'ai eu tord de chercher la vengeance.
- Non. Tu étais poussé par l'énergie du desespoir d'un paysan ruiné.
- Peut-être, mais j'ai eu tord tout de même. Je me suis laissé abattre par mes sentiments, quand Octave triomphait de ses passions.
- Nous ne sommes pas fait du même bois. Ne te compare pas aux autres.
- Et maintenant...
À ces mots, il s'effondra au sol en larmes.
- Je vois combien j'ai faux et je suis torturé !
- Comment cela, questionna Christian curieux ?
- On ne commande pas aux sentiments, ni aux feux de l'amour.
Le jeune révolutionnaire tombait des nues. Cette révélation le surprenait réellement. Il tâcha malgré tout de retrouver quelques contenances et s'écria :
- Dis-toi que tu n'es pas le seul. Cet amour nous consumme, nous démange et nous méliore certainement. Mais demain, tout sera fixé et notre âme retrouvera sa paix. Maintenant, citoyen, nos destins sont liés et j'accepte de renouer avec vous. Demain, tout changera. Demain, tout sera révélé. Demain, nous saurons. Et nous serons delivrés de cette cruelle tyranie du cœur.
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