Chapitre 34 : Prison de Figeac

Quand un nom emprisonne
Tout en ébullition.
Mais dans les cœurs résonnent
Désir de conversion.

"Octave... Il s'appelle Octave..."

Élisabeth s'était arrêtée net en entendant ce prénom. Elle répétait et répétait ce nom en boucle et s'en ennivrait.

"Il s'appelle Octave... Et maintenant ? Bel Inconnu, ton voile a chû. Tu es seul maintenant. Combien de temps un mystère peut-il vivre sans son voile ? Tu as détruit ton symbole, Charles... Tu t'es détruit..."

- Louise, Marie-Lys !

Les deux filles frémirent en entendant cette voix jaillir de nulle part et se levèrent timidement. Octave en profita pour se redresser. Il éprouvait un grand mal-être après le scène qui venait de se passer et se sentait tout perdu.

Élisabeth lui tendit sa main et le releva. Ils échanchèrent un long regard tendre et elle lui sourit pour lui apporter un peu de réconfort.

- Lise, murmura-t-il avec passion...

- Qu'as-tu fait ?

Elle paraissait déçue et mélancolique. Il s'approcha encore et répéta plus triste :

- Lise...

- Tu t'es laissé prendre. Tu ne pouvais vivre qu'en restant immortel et je croyais que tu serais quelqu'un d'exceptionnel.

- Je ne sais pas ce que j'ai fait.

- Chut ! Tais-toi...

Elle s'approcha encore et lui vola un doux baiser passionné. D'abord surpris, Octave se laissa faire. Il retrouvait en ce baiser quelques forces et sentait son ardeur croître. Mais lorsqu'elle la lâcha, il retomba sur terre. Il redevint faible et désorienté, comme un enfant.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Lise... Est-ce que j'ai vraiment...?

- Non tu n'as pas rêvé.

Elle ajouta plus bas :

- Et ne comptes pas sur Louise et Marie-Lys pour garder le secret, Octave...

- Octave. Octave... Octave !

Il était affolé. Ce nom lui rapellait d'atroces souvenirs qui lui mordaient l'âme et le tourmentaient. Il paraissait tout à fait perdu.

- C'est Octave. Oui je m'appelle Octave...

- Allez ! Viens.

Elle lui prit doucement le bras et le conduisit vers les buissons. Louise et Marie-Lys la regardaient faire. Elles avaient une vraie piste. Elles se sentaient proches de leur but. Mais elles ne ressentaient aucune joie, ni fierté.

- Il s'appelle Octave, murmura Marie-Lys comme pour s'en convaincre.

- Oui.

- Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

Louise réfléchit pour mettre ses idées au clair et blêmit :

- Le château ! Il brûle !

Son amie sursauta et lui jeta un regard effrayé. Elles vivaient en plein cauchemard !

D'un accord muet, elles se précipitèrent vers Saint Udaut. Mais elles n'eurent pas fait trois pas qu'elles apperçurent Christian passer une corde autour des poignets de l'Inconnu. Stupéfaites, elles s'arrêtèrent et se mirent à pleurer. Leur monde s'écroulait !

Christian frémit en les entendant gémir et tourna un long regard vers elles. Il fut troublé par les larmes de Marie-Lys.

Élisabeth leur jeta un regard contri et s'approcha :

- Séchez vos larmes. Vous avez été courageuse mais ce qu'il va se passer vous dépasse.

- Pour qui êtes-vous Élisabeth ?

- Croyez bien que je suis pour ce qui est juste ! L'Inconnu vous a déjà fait assez de mal.

- Saint Udaut, indiqua alors Marie-Lys. Les écuries brûlent...

***

Jehan était très différent de sa sœur. Lui était d'un naturel prompt et colérique. Après la mort de son père, loin d'analyser intelligemment la situation comme l'avait fait Élisabeth, il était entré dans une terrible colère et avait juré de se venger.

Dans son pauvre esprit malmené, il s'était souvenu de la mort de sa mère et en avait éprouvé une certaine gêne : comme si tout se fut répété à l'identique. Après s'être fait cette constation, il n'en devint que plus furieux.

Avec nombres des paysans comme lui prisonniers évadés, il s'était réfugié dans le Causse. C'est pourquoi la nouvelle ne leur parvint que très tardivement, apportée par le fils d'un des paysans présents. Mais dès qu'on la lui apprit, alors que tous le regardait avec curiosité, il sentit une haine sans borne l'envahir. Il cria vers le ciel que tout devait s'arrêter maintenant et qu'il ferait en sorte que ceux qui l'avaient frappé soient punis.

- Venez avec moi ! Cria-t-il. Je vais recouvrir ma liberté et mon indépendance.

Quelques uns firent un pas en avant, mais beaucoup s'effrayèrent et le regardèrent avec dédain. Incrédule, il nota cette passivité :

- Lâches ! Eh bien j'irais avec les plus courageux.

Tremblant d'une rage aussi mordante que soudaine, il parvint au château et mit le feu aux écuries. Il se tenait dans la rue, ricanant sauvagement, quand Thierry l'intercepta et le roua de coups jusqu'à ce qu'il tombe à terre :

- Qu'as-tu fait idiot ? Tu brûleras en Enfer !

Des soldats se précipitèrent vers les écuries pour former une chaîne jusqu'à la Luisse et éteindre l'incendie. Mais pour Thierry, le comble fut lorsque son père, passant le seuil de la maison, questionna d'une voix horripilante :

- Que se passe-t-il ?

Bastien était exilé. Christian en mission. Thierry devait lui-même faire le travail : il marcha droit vers son père.

- Au nom de la loi, je vous arrête.

Gaston ouvrit de grands yeux ronds.

- Mais... Mais... Vous n'avez pas le droit !

- Détrompez-vous, depuis ce matin j'ai tout pouvoir à Saint Udaut. Vous, ainsi que Jehan, votre femme, Louise et Marie-Lys lorsqu'elles seront retrouvées.

C'est à ce moment précis qu'Élisabeth, l'Inconnu Cristian, Louise et Marie-Lys apparurent. Quelques cris... Des instants de stupeur ! Tous le village se réunit au pied du château pour observer cette scène irréelle. Thierry, maître tout puissant et Jehan vaincu. Les Saint Udaut emprisonnés.

Et surtout, l'Inconnu tête basse, rêveur et triste. Un Roy déchu, un empire écroulé. Oui, malgré sa honte, il gardait sa prestance, sa dignité et son aura troublante. On le regardait avec compassion, étonnement, respect et pourtant un peu de mépris. C'était une personnalité surprenante qui alimentait les conversations.

- On dit qu'il s'appelle Octave.

- Est-ce vrai toutes les horreurs que l'on raconte sur lui ? Qu'il a emprisonné les deux jeunes demoiselles et les a battu violemment ?

- Il devait avoir ses raisons. Tout lui est excusé : ce n'est pas un homme mais un dieu.

- Un dieu ne s'humilit pas. On ne sait rien d'un dieu. Mais lui a lâché son prénom... Octave...

- Octave, oui... C'est étrange... Cela me fait penser à cette sombre affaire de 1779.

- Oui, c'est vrai ! Je n'avais pas fait le rapprochement... Ce doit être ça, oui ! Mais alors, est-ce qu'il a changé ?

Les cancans se turent doucement quand Thierry ordonna le départ vers Figeac. Tous dans une même charette pour arriver plus vite à la ville. Louise pleurait au grand mépris de Marie-Lys. Anne conversait douloureusement avec son époux. Jehan s'était reculé dans un coin et, songeur, fixait la route d'un regard morne. Quant à Octave, lui aussi était perdu dans ses pensées mais un doux sourire illuminait son visage. Après la tension de ces derniers jours, il paraissait avoir retrouvé un calme intérieur et prit une décision.

À l'exception de ce dernier, tous semblait avoir vieilli de quelques années. Même Thierry, assis devant, était comme tourmenté de l'intérieur. Il avait toujours cru suivre le droit chemin et s'était persuadé que pour y parvenir, il lui fallait faire quelques sacrifices. Il s'était toujours cru juste et bon. Et les quelques fois où il avait dû exercer son autorité, il les avait excusés en se disant que la fin justifiait les moyens. Mais jamais il n'avait dû se résoudre à un tel sacrifice. Son cœur était meurtri de se savoir le meurtier de sa famille. Il doutait.

Christian, à ses côtés, paraissait agité. Il passait et repassait en son esprit les images de la capture de l'Inconnu. Il ne cessait de jeter des coups d'œil derrière lui et plus particulièrement vers la fière Marie-Lys. Cette dernière surprit ce manège et s'en émeut...

Elle commençait à se lasser de Louise et pestait à chacun de ses gémissements. Mais l'attitude bizarre de Christian la surprenait beaucoup et elle s'en interessa.

Tout ces jeux dans la charette furent pourtant coupés par une circonstance étonnante. Thierry ordonna que l'on stoppe le convoi et, sautant à terre, se dirigea vers le fond où il sortit de force Octave. L'Inconnu roula à terre sans exprimer aucun gémissement et se releva avec cette fois-ci dans le regard une nuance de fierté.

- Dis-moi qui tu es !

- Je ne le ferai pas ici, répliqua-t-il vertement.

D'abord surpris, Thierry en fut fâché et il saisit une corde pour en fouetter le prisonnier. Octave glissa à terre sous les coups et se recroquevilla lamentablement sur lui-même. Mais un cri étonna :

- Assez !

Gaston s'était levé et fixait durement son fils.

- Arrêtez tout ceci ! Il ne le mérite pas.

Nul ne s'attendait à ce que Thierry obéît et pourtant, après une hésitation, il lâcha la corde et remonta dans la charette après s'être assuré qu'Octave ait bien retrouvé sa place. Sans mot dire, il se remit à fixer la route.

- Père, hoqueta Louise entre deux sanglots. Qui est Octave ?

- Octave ? Octave... Que... ?

- Qui est Octave ?

- C'est... Ce n'est... Ce n'est personne !

- Qui est-ce ?

Et soudain, un cri :

- Figeac !

Dans l'aurore ocre et fileuse, les murs de la ville venaient d'apparaître.

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