Chapitre 32 : Une lueur démente

Quand le mal est folie,
L'âme tordue se perd.
Et les yeux si jolis
Brillent d'un éclat vert.

Une silhouette apparut sur la colline en face du Bourg... Une jeune et fière cavalière qui d'un regard analysa et comprit la scène. L'Inconnu leva son regard vers elle et eut un tressautement du cœur. Il s'était mis à souffler bruyamment et tremblait. Bastien, trop éberlué par ce qu'il venait de se passer pour réagir, le laissa sauter à cheval et filer vers la jeune femme.

Les deux amis glissèrent à terre et se prirent les mains en signe d'amitié. Élisabeth avait dans ses traits quelque chose de méprisant et de mélancolique. Elle tournait son visage vers le campagne et ne daignait pas regarder Charles qui cherchait en vain son attention. Finalement, elle murmura du bout des lèvres :

- C'est mal.

- J'ai peur, Lise... J'ai si froid.

Elle lâcha ses mains et se retourna tout à fait. Elle n'osait pas parler par peur de montrer trop son trouble. Lui soupira :

- Cela... Cela m'a échappé.

Elle lui fit face brusquement en dardant sur lui une étincelle noire. L'Inconnu frémit et ajouta :

- Belle...

Il ne put en dire plus qu'un sanglot étouffait sa voix. Il s'affaissa à terre piteusement en s'écriant, les yeux rivés sur ses mains :

- Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Mais qu'est-ce que j'ai fait...

Elle ne disait toujours rien et gardait cet air sévère et terrible. Lui se lamentait :

- Je n'avais jamais tué... Jamais, jamais !

- Hypocrite, persifla-t-elle enfin. Tu te croyais donc parfait !

- Que t'arrive-t-il ? Ton visage est tout en sang ? Mes mains sont moites et rouges... La colline est érubescente... Et j'ai froid... Mais non je n'ai pas tué !

Il se leva furieusement.

- C'est toi qui me tourmentes ! Pourquoi me fixes-tu ainsi ? Tu rejettes sur moi une faute que je n'ai pas commises ! Je me défendais... Je n'avais pas le choix !

- Tu as tué.

- Mais ce n'était pas comme cela ! Il n'est pas mort, il est vivant. Il est vivant... Il est vivant ! Pourquoi mes mains sont-elles moites ? Il y a du sang par terre. Non, je n'ai pas tué, Lise... Ce n'était pas moi... C'était, c'était...

- C'était toi.

- Arrête ! Tais-toi et pars ! Pourquoi dis-tu cela ? Tu ne sais rien, tais-toi !

Le ton s'élevait et il se mettait véritablement en colère. Ses traits se déformaient peu à peu par un mélange de terreur, d'angoisse et de ressentiment. Il se sentait mal...

- Pars, Lise... Pars ! J'ai si mal. Ma tête lance et lance ! Pars... Oh ! Ma tête !

Il était contre le sol, en tenant entre ses mains son visage. Elisabeth fit un pas en arrière pour s'en aller, mais un mouvement de pitié la retint. Elle posa une main sur l'épaule de son ami agenouillé contre terre et lui murmura d'une voix douce :

- Tu vois bien ce que cela t'a fait. Tu hésitais où te tourner mais maintenant il est trop tard pour reculer. Ta réputation déjà grande va grandir encore et on ne parlera plus que de toi. Mais termine ce que tu as commencé. Tu me disais, Charles, que quand tu aurais commencé rien ne pourrais t'arrêter. N'oublie pas ce que je t'ai dit : choisi un parti entre les royalistes et les libéraux, entre ton cœur et ta vengeance, et va jusqu'au bout. Il y aura des ravages si tu n'exécutes les choses qu'à moitié. Ta longue indécision a déjà causé la perte d'une bonne partie du village.

- Et pourtant, non. Je me suis engagé pour les royalistes en tuant ; mais je vais retourner ma veste et me battre contre eux.

Son visage était devenu blême et ses yeux fous. Il paraissait ailleurs et cela effrayait la jeune femme. Mais elle ne savait rien de lui.

***

- Bastien, c'est fait ?

- Thierry...

Le jeune révolutionnaire se sentait mal. Il ne voulait pas admettre son incompétence.

- Thierry, ils sont morts !

- Alors concentrons-nous sur les erreurs que pourraient commettre ma famille et je ne doute pas que nous remporterons bientôt une victoire décisive.

***

- Louise... Je crois avoir deviné ! Et cela dit : "J'ai volé. Je sais que c'est mal mais je n'ai plus de quoi vivre. Confessez-moi. "

- Un voleur... L'Inconnu ne peut être un vulgaire voleur, Marie-Lys ! je n'y crois pas.

- Et pourtant il le dit ! C'est un voleur, ami du père Théophile qui, pour une raison qu'on ignore, a décidé de s'attaquer à Saint Udaut.

- Non, il cherche autre chose. Il a volé par nécessité mais c'est un autre homme. Quelqu'un d'intègre et de juste, poussé par quelques riches idées. C'est un bienfaiteur, notre Inconnu.

Mais Marie-Lys secouait la tête tristement :

- Non, Louise. Le fond de son âme est certainement noir. Pourquoi refuses-tu de l'admettre ?

- Je ne pense pas qu'un homme soit uniquement bon ou mauvais. Il a commis des fautes par le passé mais il a pu et dû changer.

Mais derrière elles, Charles venait d'apparaitre. Il les fixait du regard avec curiosité et il eut tôt fait de remarquer la correspondance étalée en corolle autour d'elles.

Alors il se sentit déçu pour ces jeunes filles qu'il croyait honnêtes. Il crut s'être trompé sur leur compte et ressentit une bouffée de haine. La violence des sentiments qu'il venait de ressentir en tuant le père Jérôme laissait en son âme de sombres traces.

"Elles me trahissent et se parjurent ! Louise m'avait promis de ne jamais lire ces lettres et voici qu'elle cherche à les décoder ! N'y-a-t-il donc que des traitres, tout autour de moi ? Suis-je donc seul parfait et saint ? Oh oui ! Le Seigneur m'appelle pour de grandes choses, de grandes choses... Et je suis freiné par cet entourage mesquin. Il me faut passer au-dessus des barrières, oui au-dessus des barrières, des barrières... Et je ferai de grandes choses. Et les parjures passeront. Et les démons mourront. Et le Mal sombrera. Et je ferai de grandes choses ! Mais il est temps de réagir, oui. Tout n'a que trop duré. Après tout je n'ai que tué, pourquoi devrais-je m'arrêter ? Il est grand temps d'oser."

Ses yeux agrandis luisaient étrangement. Il avait un sourire bizarre qui paraissait fantastique. Il regardait à peine devant lui et ouvrait à demi la bouche, comme en extase. Mais brusquement, il se ressaisit et sourit franchement.

Il s'avança vers elles et parvint à leur niveau au moment où Louise disait :

- Je ne sais plus quoi penser... Si c'est un mauvais voleur ou un être pur...

Elle s'arrêta subitement en voyant apparaitre justement l'Inconnu.

***

Théophile, après le départ de son ami, s'était endormi. Cependant, à son réveil, il s'étonna de son absence... Inquiet, il se leva et décida de partir à sa recherche.

"Il a lui arriver quelque chose ou il s'est décidé à agir. Dans ces deux cas, ma présence est nécessaire."

Malgré tout, sa santé restait fragile. Il peinait à se déplacer. Il prit appui sur un baton et avança tant bien que mal. Mais déjà, où était l'Inconnu ?

Il avait dit qu'il se rendrait sur la route de Figeac mais c'était il y a plus de deux heures ! Maintenant il devait en être revenu. À moins qu'une circonstance imprévue ne l'ait empêché... À moins que sur sa route quelque chose l'ait distrait...

Le jeune prêtre se décida à rejoindre la grand'route. Et s'il n'y trouvait rien, il lui faudrait revenir car cela voudrait dire qu'un malheur était arrivé.

Il avançait lentement car la fièvre qui l'avait pris dans la cave venait de prendre une nouvelle ampleur avec cet effort physique. Mais une idée restait fixe dans son esprit :

- Il faut que je sauve cet homme.

Il sentait un sentiment de culpabilité grandir en son cœur, comme une importante responsabilité. Son état de prêtre le rendait disposé à soigner les âmes des pêcheurs. Néanmoins, il croyait que tout était différent pour Charles, comme si son existence était prédestinée.

C'est ainsi qu'il traversa Thymettes et se résolut à couper par les champs. Les battements de son cœur s'accéléraient. Malgré sa faiblesse, il se résolut à courir. Il parvint au bois où était dissimulé la grotte et entendit des éclats de voix.

En s'approchant anxieusement, il reconnut son ami, Louise et Marie-Lys. L'attitude bizarre de l'Inconnu lui fit comprendre qu'il s'était résolut.

- Charles... Charles, attends !

Il venait de s'avancer dans la clairière. L'Inconnu sursauta et se retourna furieusement :

- Que fais-tu là ?

- Et toi ?

- Théophile, et vous Charles, s'écria Louise avec fougue, maintenant que nous sommes tous réunis il est temps de nous expliquer !

Surpris, les deux amis lui jetèrent un regard ennuyé. Mais Théophile approuva sombrement :

- Oui Charles, explique-toi ! Ce n'est pas à moi de révéler tes secrets.

Son ami lui adressa un regard noir. Tout son être était plein de ressentiment et sa colère ne demandait qu'à être exteriorisée.

- Que je vous dise quoi ? Ce que je suis venu faire ici ? Eh bien sachez-le tous ! On a détruit ma vie et je suis venu pour rendre la pareille à ceux qui m'ont fait souffrir.

- Alors pourquoi n'avoir pas agi avant, s'écria Louise ? Vous vous êtes terré sans rien faire !

- Mais maintenant c'est terminé et j'agis.

Son regard avait pris une expression folle et douloureuse. Il attrapa le bras de Louise, le tordit et la mit à terre. Elle gémit et se recroquevilla contre elle-même. Il se tourna vers Marie-Lys...

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