Chapitre 23 : Thierry ( Partie 2)

- Un bruit de pas ! Dans le grenier... Ils ont été plus rapide cette fois, s'inquiéta Louise.

- J'ai un mauvais pressentiment... C'est différent aujourd'hui. Écoute ! Est-ce que... Est-ce que quelqu'un vient ? Louise ! Louise ! Je... La fenêtre ! Je vais vous demander quelque chose de fou !

- Et je le ferai.

- Il nous faut passer par la fenêtre et grimper sur le toit. Là, nous serons caché.

Surprise par le danger de la chose, Louise sursauta :

- Le toit ? Mais... si nous glissons...?

- Vous n'êtes pas en sucre, non ? Mais il faut nous dépêcher. Allons !

Soudainement aiguillonée par la menace qui planait, la jeune fille acquiesça. Théophile, passant devant, glissa prestement son corps par la lucarne. En quelques mouvements il s'était caché derrière un mur, solidement campé sur quelques tuiles. Louise chercha à le rejoindre nerveusement. Les pas étaient désormais tout proche... Les battements de son cœur s'accélèrent !

***

- Thierry, mon fils, comment pouvez-vous être aussi sûr qu'il soit là ? Questionna son père en l'attrapant par le bras dans l'étroit couloir.

- Chercheriez-vous à gagner du temps, sourit le jeune homme ? Et pour vous répondre : cette simple question confirme ce que je pensais. Le père Théophile est caché ici.

Ceci dit, il se retourna pour observer d'un air narquois la porte.

- Voilà c'est ici.

***

Affolée par les bruits de pas maintenant tout proche, Louise se jeta par la fenêtre. Mais trop brusquement. Ce rapide mouvement la déséquilibra. Ses mains patinèrent sur les tuiles et l'une d'elles se décrocha. Elle se sentit tomber, déraper. Affolée, elle crut qu'elle allait choir jusqu'au sol mais une gouttière la rattrapa heureusement en l'égratinant au passage. Elle serra les dents pour retenir un cri qui l'aurait immédiatement trahie.

- Louise, chuchota Théophile, Louise, accrochez-vous. Moi-même ne puis vous aider...

La jeune fille fronça des sourcils et poussa sur ses bras pour remonter sur le toit. Bien trop frêles, ces mains retombèrent lourdement. Louise sentait ses doigts glisser imperceptiblement et s'en effrayait. Elle leva un regard craintif vers son cousin impuissant.

***

Thierry poussa la porte de la pièce avec une assurance qui retomba aussitôt qu'il vit que la pièce était vide. Surpris, il en fit le tour avant de se retourner vers son père :

- Il n'y a donc personne ?

- Non Thierry.

- Ainsi... mais comment aurais-je pu le tromper à ce point ? Je croyais bien vous connaître... Non... non ! Je n'y crois pas un seconde. Mon cousin est caché non loin de là.

C'est alors que Gaston se plaça entre la fenêtre et son fils. Las, ce simple mouvement alerta le jeune révolutionnaire.

- Poussez-vous que je regarde par cette lucarne.

- Parlez-moi sur un autre ton, je vous prie.

- Ces simagrées sont terminés. Poussez-vous !

***

Et Louise lâcha. Tout son corps dérapait sur les tuiles et chutait de plusieurs aunes. Elle tentait de se raccrocher aux balcons mais rien n'y fit, elle tombait. Elle ne criait pas : le souffle coupé, plus aucun son ne sortait de sa bouche. Pendant un court instant, l'image d'une même chute se superposa dans son esprit avec sa situation actuelle. Mais tout passa très vite : elle n'eut pas plutôt dit ouf que déjà elle percutait le sol.

Elle ne cria pas. Elle ne perdit pas connaissance. Elle resta allongée sur le dos, le regard perdu dans les nuages...

Et au-dessus d'elle, son cousin immobile et invisible priait. Nul ne pouvait le voir mais fallait-il qu'il quittât sa cachette pour venir en secours à Louise ?

***

- Tiens ! S'exclama le jeune homme avec un petit air triomphant. Ne venez-vous pas d'entendre le bruit de quelqu'un qui dérape sur les tuiles ?

Gaston blémit : il avait vite compris que sa fille ou son neveu avait fait une chute et ne souhaitait qu'une chose : venir à leur secours.

- Ce doit être un chat. Ne vous préoccupez point de cela, mon fils.

- Ttt... pas de "mon fils", répliqua Thierry d'un ton distrait en se penchant par la fenêtre.

Mais une nouvelle fois, la surprise marqua ses traits. Personne ! C'était de la folie ! Ce prêtre était réellement insaisissable. Déjà à Rocamadour, il avait rendu fou les soldats qui le recherchaient en leur échappant à chaque fois par quelques tours d'escalade. Et ici, il recommençait.

Poussant un grand cri de colère, le jeune homme sortit de cette pièce et du grenier, dévala à toute vitesse les escaliers et se retrouva dehors. Les parents suivaient, tout essouflés et craignant le pire...

- Louise ! S'écria Thierry en parvenant à son niveau.

Gaston et Anne arrivèrent peu après et eurent un mouvement d'horreur.

- Louise !

La jeune fille avait les yeux tout humide, grand ouvert et toujours tournés vers le ciel. Elle se sentait coupable au fond d'elle-même car elle venait certainement de trahir son cousin et de causer encore plus de soucis à ses parents. Et puis, n'allait-elle pas être immobilisée plusieurs jours durant, très malade ?

- Louise, sanglota doucement sa mère en s'accroupissant à ses côtés. Est-ce que vous m'entendez ? Pouvez-vous bouger ?

La jeune fille cligna des yeux et sourit. Rassérénée, Anne fit signe à son mari d'aller appeler un médecin, mais ignora délibérément son fils comme pour lui faire comprendre qu'il fallait mieux qu'il parte. Thierry ne l'entendait pas de cette oreille :

- Savez-vous ce qu'elle fait ici ? Ne devait-elle pas être dans le Causse ?

Il sourit et ses yeux brillèrent de fierté. Anne se mit à pleurer. Quel fils atroce qui fait languir une mère et ne revient que pour semer le mal et la terreur ! N'avait-il donc aucun cœur ?

Il se leva pour enfin quitter les deux femmes et se rendit jusqu'à l'écurie :

- Christian et Bastien, séparez-vous en deux équipes : que l'une aille jusqu'au grenier pour y monter la garde ; l'autre entourera le château. Il y a un prêtre réfractaire, celui de Rocamadour, caché ici. Il détient de précieux renseignements sur l'homme que nous cherchons.

***

Depuis ce jour où le père Georges l'avait aidée à pénétrer dans son château et en sortir malgré les flammes, Marie-Lys s'était lié d'amitié avec le vieux paysan. Elle lui rendait régulièrement visite et ils aimaient parlé des idées de l'époque, du Causse d'antan et discuter sur les actualités de Paris. La jeune fille était quelqu'un de très intelligent qui réfléchissait beaucoup et voyait souvent juste. C'était un vrai plaisir de discuter avec elle pour un illettré mais vieux sage comme le père Georges. Les deux s'entendaient à merveille. Et pour Marie-Lys, c'était aussi un moyen d'oublier tous ces malheurs et de passer du bon temps.

Elle délaissait donc un peu la sémillante Louise. Mais l'amitié est ainsi. Elles avaient besoin de se séparer un peu pour se retrouver mieux ensuite. C'est ainsi que Louise restait avec son cousin, plus audacieux, et que Marie-Lys se rendait tous les jours chez le père Georges.

Comme le soir venait, la demoiselle d'Yssac revint à Saint Udaut. Mais en parvenant au château, elle eut la surprise de voir des gardes nationaux postés à intervalles régulières tout autour de la propriété. Elle comprit vite qu'il fallait qu'elle reste discrète et qu'elle cherche un côté moins gardé.

Mais dans la nuit, elle apperçut une ombre sur le toit de la maison, tournée dans sa direction. Son esprit intelligent comprit qu'elle devait l'aider à quitter son perchoir. Elle s'approcha de la grille, salua le soldat et chercha à passer.

- Qui êtes-vous ? Questionna l'homme de garde.

- Marie-Lys d'Yssac. Je suis hôte de cette famille.

"Aristo..."entendit-elle cracher tout bas. Tout son corps frémit. Mais elle choisit de ne pas montrer son dégoût pour que la suite de son plan marche.

- Je ne passe que chercher des affaires car je suis invitée à dîner chez le père Georges.

Le soldat fronça des sourcils, et se demanda s'il pouvait ou non accéder à sa requête. Mais il acquiesça finalement.

Alors, et sans plus tarder, la jeune fille fit le tour de la maison et monta sur la terrasse. Elle vit la silhouette du prêtre descendre le long du mur, lestement, et fut impressionnée par la souplesse du jeune curé.

- Merci Marie-Lys, chuchota Théophile en parvenant à son niveau. Je commençais à avoir une crampe tout là haut...

- Je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais Louise me racontera.

- Non... ne...

- Chut chut ! Pour la suite je suis désolée mais il faudra vous travestir.

- Comment cela ? S'insurgea le prêtre.

- J'ai dit au soldat qui montait la garde que je repartirai dîner chez le père Georges. Il serait bon que vous passiez le prévenir du rôle qu'il doit jouer dans cette histoire, d'ailleurs. Je vous laisse ma robe ; vous vous couvrirez votre tête de ma mante. Laissez-moi simplement passer dans ma chambre prendre une tenue de rechange.

C'est ainsi que prenant l'identité de la jeune fille, le père Théophile parvint à quitter Saint Udaut et à s'enfoncer dans le Causse. Il vint habiter la cabane où l'Inconnu avait passé l'hiver de l'année 1790 et poursuivit ses célébrations dominicales en pleine verdure.

Thierry, furieux, mena son enquête pour savoir comment son cousin s'était échappé. Il soupçonna vaguement le père Georges et Marie-Lys mais ne réussit pas à les déclarer coupable.

Et Louise restait blessée, gravement. Le médecin vint le lendemain lui donner quelques soins. Mais elle fut consignée dans son lit avec interdiction de sortir. Un ennui profond l'habitait... Dans ce petit village à la frontière du Ségala, tout allait de mal en pis.

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