Chapitre 21 : Messe secrète

Doucement en secret
L'Eucharistie est dite
Et la messe sacrée
Est chantée assez vite.

DING ! DONG ! DING ! DONG !...

Les cloches sonnaient, matinales. Et sonnaient encore, allègrement et vivement. Elles résonnaient dans tout Saint Udaut et faisaient vibrer tous les alentours. Sonnaient encore et encore... et encore ! Elles réveillaient la contrée, la sortaient de sa torpeur nocturne. On était dimanche matin.

DING ! DONG ! DING ! DONG !...

Deux enfants à la mine effrontée et réjouie tiraient sur les deux cordes de toutes leurs forces. Ils s'envolaient dans les airs quelques instants, ce qui les faisait rire, et retombaient légèrement au sol pour prendre un nouvel élan. Au-dessus d'eux, les deux cloches, imposantes et belles, dansaient merveilleusement. Comment deux êtres aussi frêles pouvaient-ils faire chanter ces masses incroyables ?

DING ! DONG ! DING ! DONG !...

Le soleil, doucement, levait ses rayons sur la Terre. Il était encore bien tôt. Le ciel se paraît de couleurs érubescentes, flamboyantes ! Un air joyeux animait ce clocher.

- Eh ! Vous deux ! Arrêtez cela immédiatement ! Eh !

Jehan, le regard noir et furieux, grimpait activement les marches du clocher pour faire cesser ce chant. Depuis quelques temps, le groupe révolutionnaire avaient interdit de faire sonner les cloches. Le pauvre prêtre et les quelques royalistes qui, courageusement, n'avaient pas succombé à la hargne du père Jérôme, s'étaient tus pour ne pas envenimer une situation déjà complexe. Ainsi, ces deux enfants, poussés par leurs fiers parents, étaient bravement montés au clocher sonner dimanche.

Jehan parvint enfin en haut du clocher. Les deux gamins le regardaient avec ironie. Nullement impressionnés.

- Qui sont vos parents ?

Leurs sourires s'élargirent. Les deux enfants se séparèrent pour passer chacun d'un côté du jeune homme. Jehan inquiet ne savait que faire. Il se jeta sur le plus proche mais ce-dernier lui échappa. Les deux enfants, maintenant que la voie était libre, dévalèrent les escaliers en criant des cris de victoire.

Gauche et maladroit, Jehan restait à les regarder et se fustigeait mentalement.

***

Au son des cloches, Théophile se réveilla. Il sourit en notant cette petite victoire de ceux qui étaient fervents catholiques. Il se sentait fier de son pays et de ceux qui n'abandonnaient jamais ! Las, ce joyeux sentiment s'effaça rapidement pour laisser place à de l'inquiétude et de la mélancolie.

Un soupir... ces cloches rappelaient le temps jadis. Il n'y avait pas encore de Révolution et la messe pouvait ouvertement être célébrée tous les jours. Dans la grande église de Rocamadour, un cœur grégorien entonnait quelque mélopée, reprise par la pieuse assemblée. Toute la voûte de la basilique vibrait de ces chants. Les voix graves des hommes et celles plus fluettes des femmes se joignaient et se confondaient pour ne former qu'une même mélodie céleste. Et du haut de son piemontoir, la Vierge Noire regardait tout, en souriant. C'était le temps de la liberté.

Théophile se sentait coupable et lâche. Par son rôle de prêtre, il était tenu de célébrer quotidiennement la messe. Mais en ces temps troublés, il lui était déjà arrivé de faillir à son devoir.

Aujourd'hui était dimanche. Il sentait en son cœur la volonté de donner l'Eucharistie aux habitants de Saint Udaut. Mais comment y parvenir sans éveiller les soupçons du père Jérôme ? Ni des gardes nationaux patrouillant la région ? Il le savait, de nombreux prêtres réfractaires, comme lui, se cachaient dans les bois pour dire la messe. Et aujourd'hui, il voulait faire de même.

Il en était là dans sa réflexion quand il reçut une visite inattendue. Monsieur de Saint Udaut frappa à la porte avant d'ouvrir. Il s'arrêta gauchement sur le seuil, l'air troublé et n'osait plus avancer. Il jeta un regard craintif et surprenant à son neveu.

- Mon oncle... que voulez-vous ?

Le jeune homme sentit son cœur s'affoler : que se passait-il encore ? Mais la réponse le rassura partiellement.

- Mon père, accepteriez-vous de recevoir la confession ?

Gaston avait grandement inspiré. Cette simple question avait dû lui être difficile. La simple nomination de "mon père" semblait lui avoir écorché la bouche. Le châtelain était quelqu'un de fier qui peinait à reconnaître ses torts. Mais cette demande formulée dans ce contexte et de cette manière avait de quoi dérouter.

Théophile acquiesça gravement avec un serrement au cœur. Il fit signe à son oncle de patienter, le temps qu'il récupère une aube et qu'il prépare un confessionnal de fortune.

- Pardonnez-moi mon père parce que j'ai pêché. Je ne me suis pas confessé depuis...

Un silence. Gaston réfléchissait. La date était lointaine.

- Depuis environ vingt-cinq ans.

Le jeune prêtre sursauta : tant d'années ! Il comprit alors que de nombreux mystères lui seraient aujourd'hui révélés, certainement les réponses aux questions qui le taraudaient depuis une autre confession similaire à celle-ci : celle de l'Inconnu.

- Vingt-cinq ans, poursuivit douloureusement le vieil homme, vingt-cinq ans que ce drame a eu lieu. Et je ne me suis plus confessé : la honte paralysait tout entier mes membres et je ne me sentais jamais le courage d'avouer mes fautes, mon crime !
Théophile pâlissait à vue d'œil. Il savait que cette confession serait dure à entendre. Il ferma les yeux.

- Alors, moi, fervent catholique, qui le revendiquait fièrement, j'ai laissé la honte et la lâcheté m'envahir et je ne suis jamais allé voir de prêtre. J'ai manqué à mon devoir de bon chrétien. Je me suis toujours opposé au voltairisme de mon père et me présentait comme un fervent catholique. Mais ce n'était que façade. Toute mon âme tremble encore de ma lâcheté et de cette terrible honte. Tant et tant que je n'ose toujours pas vous avouer mon péché ! Mon père, ne me jugez pas !

- Je ne suis pas là pour juger.

Gaston tremblait comme un enfant et s'abaissait lamentablement devant son neveu.

- Je suis venu déposé un terrible fardeau qui déchire encore le village car c'est lui qui a amené ces idées révolutionnaires en cet hameau paisible... Mais ne me jugez pas !

- Non, je ne suis maintenant que l'image du Christ miséricordieux.

- Vous connaissez l'histoire. Et je sais qu'il vous l'a confessé. Car oui, je sais qui il est. Il a changé mais je l'ai reconnu, cet Inconnu. Tous connaissent l'histoire et vous la connaissez mieux que personne mais je dois de nouveau vous révéler mon péché. Et vous dire de nouveau ce drame. Mon père...

Gaston agenouillé se pencha contre terre, jusqu'à ce que son front touche le sol, et il narra tout, dans ses moindres détails, du drame qui s'était déroulé en 1779. 

Théophile écoutait tout, le visage grave et sérieux. Il découvrait ce secret qui pesait tant sur l'âme de son oncle et notait tout dans sa tête. Car ce qu'il se disait, il ne pourrait jamais l'oublier ! 

Puis Gaston confia peu à peu tout les péchés qui noircissait son cœur : ses accès de colère contre Thierry, ses marques de mépris, son l'orgueil incommensurable... Quelques larmes rageuses coulèrent. Mais le père de Louise refusait d'admettre sa faiblesse. Il les essuyait avec colère et poursuivait son incessante litanie.

Théophile pinçait ses lèvres. Quand le vieil homme eut fini, il cligna doucement des yeux avant de murmurer :

- Vous êtes repentant et vos péchés vous seront remis.

Un sourire infinie éclaira son oncle. C'était comme un enfer qui se terminait ! L'homme se releva timidement et lança un regard à son neveu. Ce-dernier songeait... Ainsi, derrière une fausse façade, une âme sombre se cachait depuis tant d'années... Par orgueil, Monsieur de Saint Udaut avait caché ce qui nuisait à son image de fervent catholique. Mais, rongé par la culpabilité, son cœur avait aujourd'hui explosé. Resterait-il toujours l'être violent et sanguin que Théophile connaissait ? Ou, à la faveur de cette paix nouvelle, laisserait-il son âme s'adoucir ?

Mais le jeune prêtre chassa très vite ces pensées. Dans l'immédiat, il y avait plus important :

- Mon oncle, j'aimerai vous demander une faveur.

- Dites, elle est d'avance acceptée.

- De nombreux paysans dans les environs ne peuvent jamais assister à la messe dominicale car je l'ai toujours faite en privée au château. Je pense qu'il serait bon aujourd'hui de la célébrer dans le Causse et d'avertir les familles pour qu'elles puissent venir.

- C'est un risque que nous prendrons mais je pense que votre demande est juste. Je demanderai à Louise et à son amie de prévenir les familles. Moi et mon épouse nous chargerons d'installer un autel du côté de Thymette.

- Vers six heures du soir, à l'heure de l'Angelus, je vous y rejoindrai vêtu comme un paysan et sans col romain. Ainsi nous serons discret et nous aurons plus de chance de ne pas éveiller les soupçons. Puis, si tout réussit bien, je pourrai recommencer les dimanches suivants.

Un sourire réjouie éclairait le visage du jeune prêtre. Il se sentait lui aussi en paix maintenant et fier de l'acte courageux qu'il s'apprêtait à faire.

***

Louise et Marie-Lys coururent chez le père Georges, toutes excitées. La nouvelle passa chez les bons catholiques comme une trainée de poudre. Les messes étaient si rares en ce pays : aujourd'hui était jour de fête !

Las, cette agitation soudaine surprit Jehan qui décida de mener son enquête. Son esprit vif et intelligent avait partiellement comprit ce qu'il se tramait et il était résolu à empêcher cette messe... 

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