Chapitre 19 : Lettre d'Yssac (deuxième partie)

Le regard de la jeune femme se voila et se teinta de mélancolie. Elle plongea son beau regard dans celui de la jeune fille et lui confia :

- Je ne sais pas moi-même. Je voudrais savoir mais... seul le père Théophile, le cousin de ton amie, connait ce secret. Il ne te le révélera jamais : l'Inconnu lui a donné ce nom en confession.

Déçue, Marie-Lys baissa les yeux. Elle joua machinalement avec un brin d'herbe, songeuse. Une fois de plus, son visage exprimait cette moue si particulière qui lui était propre. Puis, elle demanda, élevant peu à peu la voix dans un ton colérique :

- Et vous ? Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous le frère de Louise ? Reviendra-t-il ? Et que fera-t-il s'il revient ? Pourquoi ne vous mêlez-vous pas aux intrigues du village et préférez errer dans le Causse comme en ce moment-même ?

- Tes nerfs sont à vifs. Tu devrais rentrer aller te reposer un peu.

Mais la jeune fille, se levant lentement et plongeant son regard clair et si intelligent dans celui d'Élisabeth, répliqua d'une voix posée :

- C'est une vraie question.

Alors, et sa grande surprise, la jeune femme, qui s'était levée aussi, recula lentement. Son regard effrayé s'était fixé sur Marie-Lys et ne la quittait plus. Elle continuait de reculer mais de plus en plus vite. Et subitement elle se retourna et courut. La jeune fille voulut la rattraper mais elle avait déjà disparu.

***

Marie-Lys poussa lentement la porte de la maison. En pénétrant dans l'entrée, elle fut surprise par le calme qui y régnait. Un silence lourd et pesant comme si tout sentiment avait disparu. Un vide profond qui emplissait tout. La maison paraissait changée.

Dans le salon, la lettre était toujours à terre, sur le tapis. Marie-Lys la saisit délicatement pour poursuivre sa lecture...

Ne vous inquiétez pas pour moi. En quatre ans, je me suis fait une multitude d'amis qui veillent sur moi. Mais c'est pour vous que je m'inquiète. On dit que les grandes familles sont parfois violentées par des paysans audacieux. Alors, si c'est votre cas, gardez ce que je vais vous dire en mémoire : votre dignité est votre vertu ; votre courage est votre bouclier. Je vous sais fières et vaillantes. Vous êtes sages et je vous fais confiance. Restez prudentes en tout temps ! Le monde est dangereux.

À Paris, j'en subis les effets. Provoqué en duel, j'ai répondu fougueusement. Ma lame est allée trop loin : j'ai tué. C'est un crime qui me pèse chaque jour et qui me donne la force de prouver mon intégrité aux yeux des hommes. Ce que j'ai fait était impardonnable. Mais il n'est pas bon de ressasser ses erreurs, ses crimes...

Un ami est mort parce qu'il avait critiqué violemment ce Danton. Un autre, un peu plus tard, a été guillotiné pour avoir craché contre la Révolution. Les décès se sont enchaînés. J'ai tissé de nouvelles amitiés : nous étions liés par un puissant désir de rendre justice. Et je veux tout vous révéler jusqu'au bout...

J'ai songé de nombreuses fois à revenir chez moi. Mais comment pouvais-je quitter tant de malheureux ? J'ai alors fondé - en aucun cas il faut que vous ne révéliez ce que je vais vous dire, il en va même de votre vie - j'ai fondé un réseau royaliste qui cherche à arracher les braves âmes à la guillotine. Nous avons sauvé jusqu'ici une vingtaine de malheureux. Mais ces victoires m'ont conduit à être activement recherché par le Comité.

Je crois que je ne suis plus le même homme. J'ai vu trop d'horreur à Paris et j'ai bien trop souffert. C'est l'une des raisons qui me fait craindre mon retour, chère femme et chère fille. Mais je ne vous en aime pas moins, et plus encore.

J'espère de tout cœur que ces quelques nouvelles vous donnerons un peu de baume au cœur. À mes yeux, vous êtes si belles que j'attends impatiemment ce jour où je pourrais de nouveau vous serrer dans mes bras. Sachez que je vous aime et que je fais tout pour pouvoir maintenant quitter Paris,
Votre époux, votre père,

Monsieur d'Yssac.

La jeune fille resta songeuse sur ces derniers mots. Elle tenait la feuille comme une braise et ne savait pas quoi en faire. Elle avait envie de la froisser rageusement, de la déchirer, de la brûler, de la jeter loin d'elle. Mais c'était aussi un trésor, un bijoux !

D'une main tremblante, elle la reposa délicatement sur un guéridon. Et maintenant ? Pouvait-elle terminer sa journée comme si rien ne s'était passé ? Elle se sentait un peu gauche dans ce salon et hésitait. Alerte, elle se retourna et balança sa tête de gauche à droite.

La porte de l'entrée claqua. Un froissement de jupons : sa mère. Le regard déterminé et presque heureux. Marie-Lys sentit son cœur se pincer : qu'est-ce que cela signifiait ? Elle échangea avec sa mère un regard inquiet et interrogateur. Madame d'Yssac inspira profondément :

- Ma petite, j'ai besoin que vous soyez forte.

La jeune fille sentit sa respiration s'accélérer. Une mauvaise nouvelle... ! Elle serrait ses poings très fort. Votre dignité est votre vertu ; votre courage est votre bouclier.

- Mère, souffla-t-elle d'une voix implorante.

- Vous savez que je vous aime, Marie-Lys. Et que je fais tout pour votre bonheur... Votre père a besoin de moi à Paris. Je pars dans une semaine le rejoindre.

Et son cœur s'accéléra encore. Marie-Lys haletait. Sa vue se brouillait de larmes et de douleur. Ses jambes se transformaient en coton. Elle peinait à tenir debout. La pièce tangua. Elle s'évanouit.

***

- Louise ?

La jeune fille sortit son nez de son livre pour jeter un coup d'œil interrogateur à sa mère qui venait d'entrer dans sa chambre.

- Louise, votre amie Marie-Lys viendra vivre ici quelques temps.

Sous le coup de la surprise, la jeune fille sauta à bas de son lit et ouvrit de grands yeux inquiets.

- Cela ne vous réjouie pas, Louisette ?

- Moi si. Mais cela veut dire qu'il est arrivé malheur à Yssac. Savez-vous ce qu'il s'est passé exactement ?

- Oui il est arrivé malheur. Mais, pas un malheur tel que vous l'imaginez. Une lettre leur est parvenu ce matin, une lettre de Monsieur d'Yssac. La mère de ton amie part le rejoindre sous peu.

Incrédule, Louise fit quelques pas en rond. Elle réfléchit un peu avant de murmurer d'une voix blanche :

- Comment cela se peut-il ? Comment une mère peut-elle abandonner sa fille ?

Anne frémit et lui jeta un regard étrange. Doucement, elle amorça une réponse :

- Vous savez, elle reviendra. Ce n'est qu'une absence temporaire...

- Mère, mère ! Sous la dictature de Robespierre, à Paris, qui sait ce qui leur arrivera !

Après un temps de silence, Louise reprit plus calmement :

- Je vais lui préparer une belle chambre. J'irai dans les champs cueillir de beaux bouquets. Je demanderai à Charlotte de lui concocter un dîner un peu festif. Je veux qu'elle se sente heureuse chez nous, mère.

***

Une semaine plus tard, Marie-Lys et la famille Saint Udaut disaient au-revoir à Madame d'Yssac. Le cœur lourd, sa fille refusait de quitter ses bras et criait qu'elle voulait partir avec elle, qu'elle ne voulait pas l'abandonner...

Décontenancée par cette attitude si rare chez sa fille, sa mère jetait des regards implorants vers les Saint Udaut. La scène était cocasse. Et si ce n'avait été son amie, Louise aurait certainement rit.

- Mère, mère... Vous ne pouvez pas m'abandonner comme cela ! Mais que vais-je faire toute seule ?

À ces mots, Louise se renfrogna : et elle ? Elle ne comptait pas ?

- Mère ! Je vous en prie, emmenez-moi avec vous ! Pourquoi vous ne m'écoutez pas ? Pourquoi vous ne répondez pas ? Écoutez... Je veux partir avec vous !

- Non, Marie-Lys il est plus prudent que vous restiez ici. Je ne serais pas longue : juste un aller retour pour aider votre père à quitter Paris.

- C'est faux ! Vous ne reviendrez pas ! Et en quoi pourriez-vous l'aider là-bas ? Il est fort, père. Et vous vous mettrez en danger inutilement.

Madame d'Yssac lança un regard ennuyé vers sa fille. Elle n'avait pas tort... Mais comment admettre ouvertement que l'amour qu'elle portait pour son mari la poussait immodérément à courir vers la capitale ? Et que la tendresse qu'elle avait pour sa fille lui indiquait de la laisser sagement à Saint Udaut ?

- Marie-Lys je ne vous reconnais plus... Vous montrez plus de contenance habituellement.

- Comment puis-je me montrer calme alors que dans quelques instants je serais orpheline ?

Surprise par ces derniers propos, Louise se décida à intervenir. Elle saisit son amie par les épaules et la serra contre elle doucement. Madame d'Yssac considéra une dernière fois sa fille et grimpa dans la voiture.

Mais Marie-Lys eut un dernier sursaut. Elle se dégagea des bras de Louise et cria à travers la fenêtre de la portière :

- Maman je vous aime ! Je vous aime ! Adieu...

Et le coche s'ébranla, laissant dans son sillage l'effluve du parfum de Madame d'Yssac. Une dernière image de la digne dame. Un ultime souvenir.

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Madame d'Yssac reviendra-t-elle ou non de Paris ? Et d'après vous ? Que va-t-il lui arriver ?

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