Chapitre 14 : Enquête (deuxième partie)
Il ne répondit rien. Ses yeux rêveurs s'accrochèrent aux traits de Louise, sans vraiment la voir. Une grande mélancolie en jaillissait. Les deux cousins attendirent vainement une réponse. Puis, surpris par cette rêverie inattendue, Théophile questionna :
- Des réponses. Tu m'as volé mes lettres, O...
- Pas mon nom ! Le coupa-t-il.
Louise sourit victorieusement. Ainsi, ces deux hommes étaient assez proche au point de se tutoyer ! Et le nom de l'Inconnu commençait par un O. Ce n'était rien mais c'était aussi plus qu'elle n'en attendait d'une discussion avec ce mystérieux cavalier.
Le jeune prêtre jeta un regard oblique vers la jeune fille pour lui faire comprendre qu'il serait mieux qu'elle parte. Furieuse, elle fit mine de n'avoir rien compris. Son cousin soupira et décida de l'ignorer.
- Ces lettres ? Insista-t-il.
- Il n'y a que Louise qui sache où elles sont.
- Eh bien qu'elle me le dise !
- Tu n'en a pas besoin.
- Et toi, pourquoi me les as-tu volées ?
- Parce que j'en avais besoin.
Théophile s'échauffait au fur et à mesure de la discussion. Trop de secrets entouraient cet homme. Ce n'était plus possible !
- Et cette balafre ? Et pourquoi es-tu ici ? Mais que comptes-tu faire ? Quel objectif poursuis-tu ?
- Tu étais mon témoin lorsque l'on m'a fait cette balafre. Tu t'es enfuie lâchement ! C'est son frère ! S'exclama-t-il en pointant du doigt la jeune fille.
Celle-ci sursauta. Thierry... Elle mit du temps à assimiler ce qui venait de se dire. Ainsi... Elle gémit. Le mystère s'épaississait encore. Toujours de nouvelles questions et jamais de réponse ! Celui qu'elle avait d'abord cru n'être qu'un vulgaire vagabond se révélait en réalité être un homme complexe, au passé intrigant et aux objectifs obscurs et peut-être dangereux.
Mais la jeune fille en avait plus qu'assez qu'on parle ainsi devant elle en l'ignorant superbement. Elle aussi voulait des réponses. Elle vint se positionner face à l'Inconnu et cria :
- Que voulez-vous et qui êtes-vous ? Je vous ais soigne cet hiver ! Ce fut long et compliqué ! Mes parents vous ont sauvé la vie... mais pourquoi maintenez-vous le mystère ?
L'homme ne daigna même pas l'écouter jusqu'au bout. Il se tourna vers Théophile, lui chuchota quelques mots au passage et s'en alla. Louise était désespérée. Elle voyait bien qu'elle n'obtiendrait jamais de réponses. Mais elle avait tant envie de savoir ! Elle jeta un regard douloureux à son cousin et frémit. Ce-dernier, les yeux brûlants d'angoisse, fixait son regard pénétrant sur l'Inconnu qui s'en allait.
- Attend ! Attend ! Que vas-tu faire ?
L'homme se retourna lentement pour dévisager le jeune prêtre avant de lâcher ces mots :
- Je crois qu'il serait bon que je réfléchisse un peu. Je vais repartir pour, peut-être, ne plus revenir.
- Et nous ne te verrons plus ?
Une nuance de regret transperçait ses paroles. Il paraissait triste soudain, alors qu'il l'avait tant maudit.
- Non. Je ne crois pas.
Louise sourit. Une voix dans son esprit lui soufflait qu'il mentait. Le fol hiver qu'elle avait passé à ses côtés ne pouvait pas s'éteindre sans conséquences. Elle savait qu'elle reverrait l'Inconnu tôt ou tard.
- Rentrez chez vous maintenant, Louise. Il est impératif que je parle avec cet homme, lui intima son cousin.
***
- Il faut que tu m'expliques. Je ne te reconnais plus ! Tu étais généreux avant, bon et confiant. Et aujourd'hui tout a changé. Une haine infinie te poursuit. Tu n'es plus celui en qui j'avais confiance. Dis-moi que ce n'est qu'un masque et qu'au fond de toi tu es toujours le même ! Par pitié, dis-le moi !
- Je suis le même que celui qui s'est battu en duel, il y a deux ans de cela. Et ce jour-là, tu me soutenais.
- Pourquoi l'ais-je fais ? Je suis prêtre ! Et jamais je n'aurais dû te laisser combattre ! Ni même accepter d'être ton témoin. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Sans doute ais-je cru que cette suprême blessure serait la dernière et que tu abandonnerais par la suite tes folies. Je n'avais pas mesuré de tels sentiments.
- J'aimais, Théophile.
- Quoi ? Que dis-tu ?
- Élisabeth...
Abasourdi, le jeune prêtre resta un moment sans rien dire. Il sentit ses pensées s'embrouiller. Tout s'emmelait. Il n'y comprenait plus rien.
- Ainsi... tu l'aimais ?
- Je l'aime encore.
- Pars ! Pars immédiatement ! Et ne reviens plus. Ta colère te défigure alors que je sais que tu es quelqu'un de bien. Médite loin d'ici, en Auvergne peut-être. Où le paysage enchanteur sourit toujours aux voyageurs. Ou en Provence, au milieu des lavandes...
- Rien ne remplacera jamais le Causse, murmura-t-il en tournant des talons.
***
Théophile s'était adossé à un arbre. D'une main, il épongeait la sueur de son front. La fatigue et la peur se mêlait dans son esprit. Il se sentait si las, si perdu... Où était passé son entrain coutumier ? Ce qu'il venait de se passer l'avait-il abattu au point de lui faire perdre toute envie de se battre pour ce qu'il croyait juste ?
Il revoyait la visite de son évêque, six mois auparavant et la venue des révolutionnaires la veille... Il entendait les chanoines discuter de l'actualité en égrenant les nombreux bouleversements qui secouaient la France. Il ressentait dans son esprit la crainte de la communauté, leur angoisse quant à leur avenir et leur haine qui grandissait malgré eux face à tout le mal de ce siècle. Devait-il se battre ?
Il revoyait danser devant ses yeux fatigués les mots de la lettres de Louise. "Si vous voyiez mon désarroi...". Cette jeune fille semblait porter le poids du monde sur ses épaules. Mais elle ne le savait pas. Car ce qui s'annonçait, bien trop horribles pour être imaginer, elle pensait naïvement pouvoir encore l'éviter. Le jeune prêtre savait que sa famille serait cruellement frappée. Devait-il se battre ? N'était-il pas trop tard ?
Il avait peur soudain de retourner à Rocamadour. Il craignait ce qu'il adviendrait de son sanctuaire et ne se sentait pas la force de le protéger. Une immense faiblesse l'envahit quand, par ailleurs, ce danger sur Saint Udaut planait.
Alors, dans son for intérieur, la solution se dessina... Afin de garder un œil sur les évènements à Saint Udaut et de se tenir loin des dangers qu'il encourait en revenant à Rocamadour, il lui fallait simplement demander l'hospitalité à son oncle.
Fort de cette décision, il reprit quelque contenance et prit le chemin du retour. Il vint fébrilement toquer à la porte du bureau de Gaston. En lui-même, il se demandait toujours si c'était le bon choix. Mais il avait peur, plus qu'il ne voulait l'admettre. Il craignait de mourir, ou pire de voir ses sacro-saintes valeurs méprisées ouvertement. Il préférait s'enfermer dans un confort rassurant avec en prime ce petit imprévu en la personne de l'Inconnu. Oui, c'était la bonne décision.
- Entrez ! Entendit-il.
- Mon oncle, j'aurai une faveur à vous demander. J'aimerai séjourner à Saint Udaut, le temps que ces révoltes se calment.
Le visage paisible de son oncle se fit songeur d'abord puis déçu et colérique. Le père de Louise prit son temps pour peser ses mots, mais quand il prit la parole, son neveu sursauta.
- Vous fuyez. Lâche ! Où est votre place sinon à Rocamadour ? Vous devez être là où on a besoin de vous. Ici, vous ne serez que nuisible.
Théophile sentit sa gêne grandir. Comment lui faire comprendre qu'il restait parce qu'il y avait aussi du danger ici ? Et que seul lui pouvait résoudre ce problème ?
- Si je reste, c'est en rapport avec le blessé que vous aviez accueilli.
- Il est guéri maintenant : il n'a plus besoin d'aide. Et je doute qu'il y ait plus de danger ici. Vous êtes curé de Rocamadour, et non de Saint Udaut.
Le jeune prêtre frémit. Tout se mélangeait. Il voulait se convaincre lui-même que se cacher ici était le bon choix. Car, il avait peur. Il ne savait pas s'il réussirait de nouveau à fuir si jamais les révolutionnaires revenaient. Il voulait rester ici. Mais tout son être criait lâcheté.
- Je... je ne sais plus. Il me semblait que c'était le meilleur choix que je pouvais faire mais...
- Eh bien moi je sais. Pouvez-vous abandonner Rocamadour que vous chérissez tant ? Ses falaises, son sanctuaire, son histoire... et les chanoines ? Je vous pensais plus preux.
L'Inconnu avait promis de partir. Reviendrait-il ? S'il revenait, Théophile devait rester. Mais sinon ?
- Vous devez avoir raison. J'ai senti mon courage m'abandonner mais cela ne sera plus. Je rentre chez moi. Si la situation s'aggrave encore, je devrais probablement revenir me cacher ici.
Gaston lui jeta un regard indescriptible, victorieux mêlé de soulagement et d'un peu d'inquiétude sans doute...
En redescendant de sa chambre, Louise apperçut le jeune prêtre. Elle resta un instant interdite avant de prendre son courage à deux mains. Il avait des choses à lui dire !
- Mon cousin, vous ne m'avez toujours pas expliqué votre lien avec cet Inconnu ? Ni raconté ce que contenait ces lettres.
- Non, en effet. Les lettres, j'ai moi-même oublié ce qu'elles contenaient. Voilà pourquoi je cherche tant à les retrouver. L'homme que vous avez soigné...
Louise retint son souffle. Enfin, elle allait découvrir qui il était. Elle était déçue de ne rien savoir pour cette mystérieuse correspondance mais l'Inconnu... Après un an de déception, elle allait savoir !
- C'était quelqu'un de bien. Mais il a changé. C'est un ami.
Louise ouvrit de grands yeux. Le jeune prêtre évitait le sujet.
- Mais si ce n'est qu'un ami, pourquoi s'intéresse-t-il autant à nous ?
- Si je vous le disais, vous ne me croiriez pas. Et je prendrais un grand risque. Au-revoir Louise.
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