Chapitre 13 : La fuite d'un frère ( deuxième partie )

Profondément troublé par cette arrivée impromptue, Thierry répéta :

- Votre nom ! Ce sont les règles.

- Eh bien je dérogerai.

Le jeune homme se mit à trembler. L'adversaire de son ami, en plus d'être bien plus âgé, paraissait peu désireux de se conformer au règlement. Mais jusqu'où ce refus allait-il ?


- Pour rappel, le duel se termine lorsque l'un des deux duellistes est simplement blessé. Au premier coup porté, le duel prend fin, insistait Thierry peu rassuré.

L'homme acquiesça vaguement et appuya un long regard du côté du jeune prêtre.

L'église du village voisin sonna le premier coup de cloche. Le combat commença. Quelques passes suffirent. Au sixième coup, Édouard était mort.

Thierry ne comprit pas d'abord ce qu'il s'était passé. Il crut avoir rêvé ce furtif combat. Mais devant lui, Édouard gisait dans une mare ensanglantée. Mort. Un seul coup : en plein cœur. Quel habile escrimeur était-ce pour tuer si facilement ? Quel être inhumain pour rompre le fil de la vie sans état d'âme ? Ou... quel puissant objectif guidait son bras ?

- Arrêtez-vous ! Ne partez pas !

Thierry était meurtri.

L'inconnu se retourna. Son témoin s'était déjà enfui.

- Que voulez-vous, ricana l'homme.

- Le venger !

Et d'un coup brusque, il dégaina l'épée de son ami et marqua une large estafilade sur le front du duelliste. Ce-dernier pinça des lèvres et lâcha simplement ces mots :

- Je mets cet accès de colère sur le coup du désespoir et ne vous en tiens pas rigueur. Maintenant, adieu.

Et il partit, laissant Thierry abasourdi par ce qu'il venait de se passer.

Le lendemain, après une violente altercation avec son père, il avait fui Saint Udaut. Il avait sauté à cheval et s'était rendu à Cahors, sans faire de pause. En deux jours et deux nuits, il avait atteint les murs de la cité. Une certaine forme de crainte mêlée à de la colère l'avaient maintenu éveillé tout au long du trajet. Il n'avait rien bu, ni manger et était exténué. C'était il y a un an et demi, il avait tout juste seize ans.

Il s'était ensuite réfugié chez un ami de son grand-père dont il avait récupéré l'adresse dans le bureau de son père. Le vieil homme l'avait accueilli à bras ouverts après que Thierry lui eut tout raconté. Très vite, le jeune homme fut invité dans les plus importants clubs révolutionnaires de Cahors. Son désir ardent de vengeance mêlé à sa fougue naturelle charmaient tous ceux qu'il rencontrait. Il était arrivé sans le sou et repartait de cette ville riche et puissant. À seulement dix-sept ans, on le citait déjà.

Et tout cela grâce à son lien étroit de parenté avec Gérard de Saint Udaut, son grand-père. Souvent, le jeune homme s'était demandé qui était réellement cet homme et ce qu'il avait fait. Il avait en vain questionné les amis de son aïeul. Puis il avait abandonné ses questions. Après tout, il était heureux ainsi et il n'avait nul besoin de comprendre par quel dur labeur son grand-père s'était élevé dans la société. Tout était très bien comme cela.

Lorsqu'on lui avait conseillé de descendre jusqu'à Montauban, il s'était d'abord inquiété. Cahors et Montauban avait été le spectacle de combats acharnés entre huguenots et catholiques, deux siècles auparavant. Cahors était devenue le siège des catholiques et Montauban celui des protestants. Le temps avait passé, sans doute ces tensions s'étaient-elles amenuisées cependant elles existaient encore et en ce contexte troublée elles pouvaient bien reprendre une nouvelle ampleur.

"Si la ville est en danger, on aura sûrement besoin d'ardents révolutionnaires. Et ce sera pour moi l'occasion de prouver ma bravoure."

Ce dernier argument le résolut à partir. Et en ce début du mois de mars, il arrivait dans Montauban.

"Et bientôt je mènerais à bien ma vengeance. L'homme qui a tué Édouard par traîtrise, je le retrouverai. Il me faudra retrouver ce scélérat de Théophile, le seul à connaître réellement cet inconnu. Puis je m'occuperai de ma famille. Ma vengeance est infinie !"

Un moment, il arrêta ses pensées. En les reprenant, une légère crainte s'était insinuée en son coeur.

" Mais je ne suis pas uniquement celui qui venge. Je ne suis pas mauvais à ce point. Ce que je veux faire est aussi pour le bien de la Patrie. La France est trop longtemps resté enlisée dans les mains d'aristocrates méprisants et mous. La Révolution, la belle Révolution, est l'événement du siècle qui redorera le blason français. La France s'élèvera au-dessus de toutes les autres nations parce que nous serons tous égaux, libres et frères. Mon père est un obstacle à cette ascension, et de même pour mon cousin. Il est temps pour moi de libérer mon pays de ces deux..."

Un sourire sournois passa sur ses traits tandis qu'il poursuivait :

" Fluxions. C'est cela. En réalité, je suis quelqu'un de courageux qui n'hésite pas à affronter sa propre famille pour la gloire de son pays. Quel autre serait capable d'en faire autant ? Certainement pas cet homme qui m'a pris mon ami. Lui moins qu'un autre. Cet homme est dangereux. Très dangereux. Et pourquoi donc a-t-il tué mon ami ? Quel odieux calcul fut le sien ? "

Les heures passaient et il ne s'en apercevait pas. Quand la nuit le surprit, il était toujours en pleine réflexion. Il se mordit la langue. Voilà bien du temps de perdu. Demain, il n'en devrait être que plus efficace.

***

Deux jours passèrent. Thierry prit rapidement connaissance de ses nouveaux compagnons et se lia d'amitié avec deux d'entre eux, Bastien et Christian. Il leur révéla sa mission et s'assura de leur soutien. Maintenant, il était prêt à passer à l'acte.

Deux jours durant, il avait récolté plusieurs informations concernant ces aristos. Ces deux compagnons connaissaient bien le sujet et étaient prêts à le guider.


Ils avaient reçu l'information qu'une réunion se tiendrait dans la maison du marquis de Ciarac. Ce pouvait être le moment idéal pour découvrir les preuves du complot qui se montait.

Silencieusement, ils se glissèrent à travers les rues, masqués de pied en cape et parvinrent à un hôtel particulier raffiné et d'architecture récente.

- Comment faire pour surprendre leur conversation sans être vu ? Se demanda Thierry.

- Il y a une porte de service, derrière, indiqua Bastien.

Les trois hommes s'y faufilèrent et parvinrent à la pièce adjacente au salon où se tenait la réunion, sans rencontrer de réelles oppositions. Une dizaine d'homme à l'apparence aimable et distinguée s'y entretenaient.

Thierry sourit victorieusement. Il s'apprêta donc à se pencher un peu plus mais Christian le saisit par la manche et l'obligea à se reculer.

- Attention ! L'un des hommes regardent dans notre direction.

Le jeune homme ne l'écouta pas. Il souleva le rideau qui séparait le salon des communs et jeta subrepticement un coup d'œil.

- Les trois hommes qui discutent près de la porte, qui sont-ils ?

- Il y a là le marquis de Cieurac lui-même, Thierry. Ainsi que deux de ses plus fidèles compagnons. L'homme est puissant. Il a une grande influence dans cette ville et particulièrement sur le petit peuple. Si nous nous le mettons à dos pour un prétexte futile, la Contre-Révolution gagne. Montauban est une ville détestable : nous sommes bien les seuls à ne pas pouvoir agir en profondeur à cause de ces maudits catholiques royalistes.

- Je devine... tu es protestant.

- Oui et ma famille a souffert par le passé. Alors, si je puis me venger...

C'est alors que l'un des aristocrates remarqua ce curieux mouvement du rideau. Intrigué, il voulut s'approcher. Les trois patriotes sentirent leur coeur manquer un battement. Cependant, Thierry prit très vite les choses en main :

- Reculez-vous silencieusement mais prestement. Maintenant !

En quelques secondes, ils étaient dans la rue et couraient aussi vite que possible. Au fond de lui-même, Thierry se sentait blessé. Voilà seulement trois jours qu'il était là et déjà on avait une occasion de le railler.

Intérieurement, il se promit de réussir cette mission. Il en allait de son honneur. Mais en cet instant, il ne pouvait que ruminer et se tancer rageusement. Il avait tout simplement échoué.

Les jours suivants, il reprit ses recherches avec un soutien quelque peu refroidi de Bastien et Christian. Mais très vite, cette mission le lassa. Il n'était parvenu à aucune piste et, par ailleurs, Jean-Bon Saint André lui confiait d'autres missions en parallèles. Il ne trouvait plus le temps de se préoccuper sérieusement de cette quête.

C'est ainsi qu'arriva le 10 mai 1790. La fédération des aristocrates tenta de prendre la mairie de Montauban.

Au mois de mars, peu de temps avant que Robespierre ne devienne président du club des jacobins, Paris avait ordonné de procéder à un inventaire de tous les biens du clergé. Offusqués par ce qu'ils considéraient comme une profanation, les catholiques, guidés par le marquis de Cieurac, voulurent prendre d'assaut l'hôtel de ville où se trouvaient alors la garde nationale. Cinq hommes dont quatre protestants furent tués. Jean-Bon Saint André s'enfuit par crainte d'une nouvelle Saint Barthélémy. Il monta par la suite à la capitale où il figura très vite comme l'une des figures montagnardes les plus importantes. En juillet, Paris intervenait et la Contre-Révolution échouait.

Thierry et ses deux compagnons prirent la fuite pour Cahors. Ils n'osèrent plus revenir dans cette ville où les aristocrates avaient été près de reprendre le pouvoir.

Mais dans un coin de sa tête, le jeune homme n'oubliait pas ses projets de vengeance.

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Comme vous vous en doutez, ces émeutes à Montauban ce sont réellement passées. Jean-Bon Saint André (oui le pauvre, il a un nom atroce !!😂😂) est une vraie figure révolutionnaire même si on le connait plus pour les exactions qu'il a commises à Paris. Je n'ai pas non plus inventé le marquis de Cieurac et son rôle dans cette Contre-Révolution.

Et maintenant... qui est ce duelliste ? Je pense que vous avez tous devinez que c'était l'Inconnu. Mais qui a vu ses suppositions fausses ? Et je vous repose la question pour relancer le mystère : qui est l'Inconnu et que veut-il ?

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