Chapitre 13 : La fuite d'un frère
Un passé douloureux
Qui détruit un futur.
Un projet malheureux
Qu'une ambition assure.
Montauban - même époque
Un jeune homme, de dix-sept ans environ, pénétrait dans l'enceinte d'un grand bâtiment neuf. Un sourire hautain volait sur ses lèvres sèches. Il paraissait excité et hâtif. Sa démarche féline et ses cheveux en bataille le prouvaient assez bien.
Il était vêtu sobrement, comme un étudiant. Une culotte sombre dont la fin était cachée par de hautes bottes en cuir usé ; une veste noire qui laissait entre-apercevoir un foulard blanc enserrant son cou ; et un chapeau troué à maints endroits sous lequel se cachait un bandeau, blanc aussi.
Il avait la taille élancée, le port de tête fier et la mine hautaine. Pour un jeune homme de son âge, il faisait preuve d'une grande assurance et d'un grand détachement. Il regardait droit devant lui, sans même daigner regarder ceux qu'il croisait.
Enfin, il parvint à la porte du bureau qu'il cherchait. Il frappa sèchement et patienta. Un homme au visage austère et au regard de corbeau lui ouvrit et demanda dans la foulée :
- Êtes-vous celui qui nous vient de Cahors ?
- C'est cela même.
- Veuillez entrer. Je suis moi-même Jean-Bon Saint André, président de la Société des Amis de la Constitution à Montauban.
- Vous êtes pasteur, demanda distraitement le nouvel arrivant ?
- Exact. Et vous-même ? Quelle religion embrassez-vous ?
- Celle de Voltaire.
Le pasteur le dévisagea longuement avant de marmonner :
- Je vous aurais dit catholique.
- Je l'étais. Mais nous ne sommes pas là pour parler de cela, n'est-ce pas ?
- Non en effet. De Cahors, donc. Et comment est la situation là-bas ?
- La Révolution progresse lentement. Je n'ai pas noté de troubles majeurs.
- Ici, la situation est autre.
- Que voulez-vous dire ?
- Les catholiques regardent d'un très mauvais œil les événements qui se déroulent à Paris. Ils aimeraient que leur religion reste la première du pays. Quelques marquis semble avoir créé une fédération et cherche certainement à renverser notre garde nationale. En février, la noblesse a remporté les élections municipales. C'est un danger que nous ne pouvons pas sous-estimer.
- Qu'attendez-vous pour les emprisonner ? Vous avez votre motif : ce sont des ennemis de la Nation.
- Nous n'avons pas assez de pouvoir pour cela... pas encore. Le marquis de Cieurac qui paraît être le chef de cette fédération a remporté les municipales de Montauban, je vous l'ai déjà dit. Et moi-même ne puis rien pour contrer son autorité.
- Qui... Je vois. Mais les protestants ?
- Les catholiques sont en grande partie fidèles au roi. Mais, et je vais vous faire une confidence, les protestants espèrent que la Révolution nous redonnera notre droit de citoyenneté.
- Excusez-moi, je n'ai pas bien compris ?
- Depuis la révocation de l'Édit de Nantes, nous n'avons plus ce droit. Néanmoins les choses changent. Et nous tenons bien à maintenir nos positions. Je vais vous entretenir de tout ceci plus en détails dans un instant. Veuillez vous asseoir et donnez-moi votre nom.
- C'est-à-dire que...
- Je vois. Vous avez des ascendances aristocratiques. Vous pourrez changer de nom. Mais je veux auparavant que vous me donniez votre patronyme complet.
Le jeune homme grimaça. Il n'aimait pas son nom. Mais face à son supérieur, il dut s'exécuter. Et d'une voix grave et méprisante :
- Thierry de Saint Udaut, du village éponyme. Je désire maintenant changer de nom. Je suis désormais Thierry Egalitat.
- En référence à Philippe d'Orléan ? Ou devrais-je dire Philippe Egalité ?
- Comme lui j'étais noble et comme lui j'ai choisi les français.
- Je respecte votre choix. Et maintenant, je vais vous expliquer quelle sera ici votre mission. Je vous laisse deux jours pour connaitre par cœur cette ville et faire de même avec les autres membres de notre Société. Puis je vous autorise à choisir avec vous deux hommes. J'exige que vous perciez à jour cette Contre-Révolution. Que vous m'apportiez assez de preuves pour les nuire.
***
Le jeune homme déposa ses affaires sur son lit et se mit à songer. Il tournait en rond dans la minuscule soupente qu'on lui avait malheureusement attribué et se sentait trop à l'étroit.
" Je vais résoudre aisément cette affaire. Et quand on m'aura redonné quelque confiance, je parviendrais sans doute à obtenir une solide escouade pour mener à bien... ma vengeance. Pour cela, il me faudrait être ardent orateur. Je crois pourtant avoir fait bonne impression face à Jean-Bon Saint André. Et quand j'ai donné mon nom, je pense l'avoir définitivement mis dans ma poche. Je dois continuer sur cette lancée. Maintenant... qu'y a t-il à Saint Udaut ? Quel drame secoue cette vieille bâtisse ? Car il ne peut se passer une année sans drame et j'apporterai le mien quand l'heure viendra. "
Tout en songeant ainsi, il avait défait son sac et étalé sur son lit ses affaires. D'un œil hagard, il contemplait le pistolet qu'il avait acheté à Cahors. Un vrai bijou. L'objet était vieux et avait déjà servi par le passé mais il restait en excellent état de marche. Satisfait, Thierry le saisit et le pointa tour à tour contre la fenêtre, la porte et la salle d'eau.
Il sourit fièrement et se tourna vers une seconde arme. Une belle et longue épée à la lame effilée et tranchante. Il la prit délicatement, la soupesa et joua avec un instant. En cet moment, il se sentait invincible et heureux. Il frappait l'air gaiement comme...
Comme il le faisait enfant... Ce n'était pas la mélancolie qui envahissait son âme à cet instant mais bien plutôt un autre sentiment, plus violent.
Par association d'idée un visage s'imposa dans son esprit. Le jeune homme recula d'un bond et se frappa la tête contre une poutre. Tout se mit à tourner. Il serra fortement les poings, plein de colère et de peur. Son père.
C'était son père qui, rejetant violemment sa tristesse, l'avait incité à partir. Il se rappela son désarroi ce jour-là... et il se souvint de ses dernières heures à Saint Udaut.
C'était un calme soir de printemps. Comme il étudiait à Figeac, ses parents lui laissaient quelques libertés. Entre autre, ils l'autorisaient à se rendre au théâtre. Ce soir-là, on jouait du Beaumarchais : Le barbier de Séville. Le jeu des acteurs était bon. Thierry et Édouard, son ami, étaient un peu gais. En bref, la soirée s'annonçait belle.
Dans une loge, à droite de la leur, un homme ne cessait de jeter des coups d'oeil dans leur direction. Il paraissait bien intrigué par Thierry. Ce curieux manège interpella Édouard qui détourna son attention de la pièce. Ils se mirent à s'observer mutuellement. Puis l'homme sourit mystérieusement, soudainement sûr de lui. Il jeta brièvement un regard à sa montre et se concentra de nouveau sur la pièce. Subitement inquiet, Édouard préféra tout garder pour lui, pour l'instant. Puis ce fut l'entracte et l'homme se leva. Édouard se mit à trembler. Il pressentait quelques drames. Quelques secondes plus tard, l'inconnu entrait dans leur loge :
- Veuillez m'excuser, dit-il immédiatement. Je me suis trompé de loge.
Et il fit mine de repartir. Mais sans lui laisser le temps d'aller plus loin, Édouard troublé l'attrapa par le bras et s'écria :
- Pas si vite, Monsieur... Monsieur... ?
- Je ne donne jamais mon nom à des inconnus.
De nouveau, il voulut faire demi-tour, mais Édouard se fâcha :
- Pas de ça ici ! Je ne sais pas qui vous êtes mais cela fait tout de même presque une heure que vous nous observez. Et de plus, vous vous trompez malencontreusement de loge à l'entracte. Cela mérite quelques explications.
L'homme rit. Il paraissait beaucoup s'amuser de ce contretemps. Néanmoins, devant la mine furieuse de son interlocuteur, il reprit son sérieux :
- Mais je ne plaisantais aucunement. J'étais tout à l'heure en pleine réflexion sur la présence inopinée de deux miséreux étudiants dans cette riche loge.
Sous l'injure, Édouard sentit son esprit embrumé par l'alcool se troubler encore plus. Une colère soudaine s'empara de lui et lui fit perdre tous ses moyens. Tremblant, il chercha maladroitement à defaire ses gants. Thierry fronça des sourcils. Il comprit ce que s'apprêtait à faire son ami et voulut l'en empêcher
- Calme-toi ! Ne commet pas l'irréparable.
Il poursuivit ensuite en regardant du côté de l'inconnu :
- Monsieur a certainement laissé échapper ces paroles sans prendre garde à leur sens. Il va s'excuser...
- Je n'en ai nullement l'intention. Je ne retire jamais ce que j'ai dit. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser...
Il alla pour se retirer. Cependant, Édouard, furieux par cette dernière pique, ne lui en laissa pas le temps.
- Attendez un instant Monsieur, cria-t-il, toujours en tirant désespérément sur ses gants.
Il arracha un cri de victoire : il venait de réussir. L'homme s'était retourné pour l'observer avec amusement.
- Ne prenez pas la peine de jeter votre gant. J'ai compris. Quelle arme choisissez-vous ?
Édouard resta bêtement perplexe, son gant à la main. Il tressaillit et se reprit :
- L'épée, monsieur. L'épée.
- Soit. Je vous donne rendez-vous demain sur les coups de six heures, sur les berges du Célé.
Et il sortit, un sourire enchanté dansant sur ses lèvres.
Thierry se remémora son expression hautaine et sa complaisance. Ce visage hantait ses cauchemars depuis ce jour où était mort son meilleur ami.
Car le lendemain, les deux hommes s'étaient retrouvés face à face, l'épée à la main. Ils s'étaient affrontés du regard. Édouard tremblait.
- Votre nom maintenant, insista Thierry, témoin de son ami.
- Non.
- Et votre témoin, qui est-il ?
- Ici.
C'est à ce moment-là que Thierry comprit que son ami était perdu. En effet, de derrière les fourrés venait d'apparaître son propre cousin Théophile. Le jeune homme comprit avec effroi que toute cette mise en scène la veille avait eu pour but ce duel justement et que l'homme avait tout calculé. Il voulait le toucher au plus profond de lui-même par le biais de son ami. Mais pourquoi ?
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Une provocation en duel, si vous avez bien suivi vous savez comment cela va finir. N'hésitez pas à commenter et voter...
Média : Thierry
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