Chapitre 12 : Délire ( deuxième partie )
Puis, épuisé, il retomba définitivement et se tut. Les mots criés, inarticulés et confus, résonnaient encore dans l'esprit de Marie-Lys. Mais nul autre qu'elle ne paraissait avoir compris le sens de ces paroles. Elle se promit de garder cette découverte pour leur enquête.
Ceux qui étaient présents dans la pièce se remettaient lentement de leur frayeur. Cette crise virulente les avait tant effrayé qu'ils peinaient même à reprendre leur souffle, coupé par ce spectacle.
- Charlotte ! Charlotte, courez quérir le médecin d'Yssac. Son état est bien plus grave qu'il n'y paraissait au premier abord. Marie-Lys, laissez-nous désormais. Vos parents risquent de s'inquiéter. Ma fille, vous avez bien fait de me prévenir mais vous auriez dû agir plus tôt.
Charlotte et Marie-Lys quittèrent la pièce tandis que Louise détournait son regard et se mordait la lèvre. Elle détestait faire des cachotteries à sa mère. D'autant plus que cette dernière avait un don pour la percer à jour.
- Louise... essaya Anne.
Mais la jeune fille sortit doucement de la pièce comme si elle n'avait rien entendu. Sa mère, restée seule, fit un tour sur elle-même, désespérée. Que dire à sa fille devenue si méfiante ? Sa fille qui, meurtrie par les violences de son père et la faiblesse de sa mère, perdait toute confiance et tout espoir... Sa fille encore bien naïve.
Un pas lourd dans les escaliers la fit sursauter. Elle vit réapparaître Louise dans l'embrasure de la porte. La jeune fille s'était mise à trembler... Ses yeux vagues exprimaient un désarroi et une peur profonde.
- C'est votre père, n'est-ce pas ? Demanda Anne.
- J'ai croisé son regard en descendant. Il paraissait si furieux que...
- Venez-là Louise. Vous avez pris peur. Mais ne vous inquiétez pas. Votre père vient certainement vérifier ce qui se trame chez lui ! Vous savez, il vous aime beaucoup !
- Ce n'est pas cela... Mère...
Elle leva son regard misérable et pinça ses lèvres. La châtelaine frémit. Elle prit sa fille entre ses bras et la câlina doucement. D'un air songeur, elle demanda :
- Est-ce que c'est parce que... Parce qu'il a bu une fois de plus ?
- Oui il a bu. Il tient... sa ceinture à la main. Oh ! Oh ! Mère ! Mère, j'ai si peur ! Protégez-moi, par pitié !
Ainsi il avait bu. Encore. Cela ne s'arrêterait-il donc jamais ? Jusqu'à quand boirait-il ? Jusqu'à quand les maltraiterait-il ? Mais au fond d'elle-même, Anne savait dans quel état d'esprit errait son mari. Et son cœur se serrait à cette seule pensée.
Gaston, qui sentait sa vie couler entre ses mains sans qu'il ne puisse en laisser quelque trace d'amour, avait de plus en plus le besoin d'oublier tout ce qu'il l'entourait. Il ne voulait pas se retrouver face à la réalité : à cette conscience qui lui criait qu'il abandonnait lâchement sa femme et sa fille, qui lui rappelait les ignominies commises dans le passé et qui lui demandait d'affronter bravement les révoltes qui s'allumaient.
Il sombrait dans la facilité et la paresse et se cachait derrière ses bouteilles. Mais ensuite et par-moment, pris d'un remord aussi subit qu'étrange, il cherchait à prouver son courage par quelques actions virulentes... Et s'en prenait aux siens. C'était un cercle vicieux dont il savait qu'il ne s'en sortirait jamais. Il aimait tant sa famille ! Mais le vice était malheureusement devenu son quotidien.
D'un geste brusque, il repoussa la porte. Son regard fier et colérique parcourut avidement la pièce et s'accrocha à l'Inconnu. L'expression de son visage se fit incrédule et se tordit. Il s'avançait face aux deux femmes, le souffle puissant et voluptueux.
- Qui est-ce ?
Louise sourit sottement. L'envie de se moquer la prit soudainement et elle ne résista pas à cette pique :
- Un inconnu, père.
Gaston se tourna furieusement vers elle et la tança. Comment pouvait-elle manquer d'esprit à ce point ? Néanmoins... Ce n'est pas lui qui risquait de s'en plaindre.
- Une femme doit rester naïve et ne point se mêler des affaires des hommes : cet état d'esprit me convient parfaitement ! Maugréa-t-il à part lui. Puis, la Raison est source de tant de conflits ! Je ne dois point me fâcher pour cette simple bêtise.
Il se rengorgea, fier d'avoir réussi à se contenir. Et avec étonnement, les deux femmes le virent esquisser un léger sourire. Mais loin de s'en rassurer, elles reculèrent un peu plus. Le châtelain reprit plus fort d'une voix tonitruante :
- Je vous le demande une bonne foi pour toute ! Qui est-ce ?
Le blessé se réveilla en sursaut. Ses yeux égarés s'étaient fixés sur le père de Louise. Il tentait désespérément de comprendre qui était cet homme.
- Ah ! Il s'est réveillé, clamait toujours Gaston. Parfait ! Il pourra me répondre. Qui êtes-vous ? Et que faites-vous chez moi ?
Alors, dans ses yeux, Louise réussit à percevoir qu'il avait compris. Mais un nouveau sentiment envahissait peu à peu son visage sans que la jeune fille ne parvînt à le définir. Le jeune homme éprouvait de la peur. Une peur incommensurable et débordante. Une peur qui s'insinuait partout sans rencontrer nul obstacle. Une peur effroyable mais qu'il gardait secrète et silencieuse. Néanmoins, ce nouveau sentiment, nul dans cette pièce ne réussit à le déchiffrer. Tous virent son trouble mais personne ne le comprit.
Il ne répondit rien. Son visage reprenait lentement quelque assurance tandis qu'un sourire énigmatique effleurait ses lèvres. Ses yeux se mirent à briller doucement, peut-être de fierté. Et son maintien se fit plus noble. Mais nulle réponse ne jaillit de sa bouche.
Gaston de Saint Udaut avait cru faire face à quelque godeluraut, sans aucune éducation, qui se serait joué de sa femme et de sa fille. Avec un réel étonnement, il observait des manières aristocratiques. Cependant, loin d'abandonner la partie, il sentit soudainement sa colère ressurgir. Qu'un homme s'invite chez lui sans le prévenir et qui ose lui tenir tête ainsi mettait ses nerfs à vif. D'autant plus que le châtelain ne se sentait pas très bien. Il avait quelques vertiges, voyait flou... n'entendait qu'à grand peine. Ses émotions le submergèrent et il ne se contint plus.
D'un geste sec, il fit claquer sa ceinture contre le sol et s'approcha du blessé. Ses yeux pleins de rage roulaient, effrayants. Il brandit une nouvelle fois la lanière de cuir et menaça :
- Qui êtes-vous ?
Mais l'autre n'en démordait pas. Il ne restait pas tassé dans son lit comme l'aurait fait bon nombre de personnes. Il se tenait toujours droit, face à son hôte, le regard fier.
- Qui êtes-vous ? Répéta le châtelain.
Mais sans attendre de réponse, il fit claquer sa ceinture qui gifla la jambe blessé de l'Inconnu. En effet le père de Louise n'avait pas pu remarquer sa blessure, recouverte d'un léger drap. Mais à l'instant même où il entendit crier le blessé, il comprit et s'en voulut. Néanmoins, il chercha à n'en rien laisser paraître.
- Blessé ? S'interrogea-t-il.
Et l'Inconnu, en un grand effort, articula :
- Oui. C'est la raison pour laquelle votre femme et votre fille m'ont conduit ici.
Ses yeux pleins de fièvres brillaient de fatigue et d'inquiétude. Il pinçait ses lèvres en un geste qui montrait sa perplexité. Toute sa vie, il avait voulu se sentir complètement indépendant. Aujourd'hui, sa situation le mettait profondément mal à l'aise. Cependant, il devait se rendre à l'évidence : son état était tel qu'il ne pouvait pas quitter cette maison.
- Je partirai dès que je serais rétabli. Dans une semaine.
Louise voulut protester. Dans une semaine, il serait toujours aussi faible. Mais son père leva sa main pour lui intimer de ne rien faire. D'une voix enrouée par l'alcool, il répéta :
- Une semaine.
Et ceci fait, il se tourna brusquement vers sa fille :
- Maintenant que vous avez obtenu ce que vous vouliez, filez !
Et la jeune fille ne se le fit pas dire deux fois.
***
- Marie-Lys ! Il faut que tu m'expliques quelque chose !
- Louise, s'étonna-t-elle...?
- Mon père m'a laissé partir, oui. Mais maintenant, écoute : quand l'Inconnu a fait sa crise, il y a quelques heures, je l'ai entendu crier. Et j'ai vu que tu avais compris ce qu'il disait.
- Ce sont des indices très précieux pour notre enquête. Mais, Louise, il est impératif que tu gardes ce que je vais dire pour toi-même.
- Je t'écoute.
- J'ai eu du mal à percevoir certains mots. Néanmoins je suis sûre d'avoir entendu mal, non, si, perdu ( je l'admet ces premiers termes ne nous avance guère )... lettres, Théophile et, c'est ce qui me dérange le plus, pas vengeance.
- C'est étrange en effet et particulièrement troublant. Bien. Maintenant, si tu le permets, je vais retourner dans la chambre... je...
- Que vas-tu faire ?
- Je vais écrire une lettre à mon cousin. Décidément, il semble connaître cet Inconnu bien plus qu'il ne voudrait le laisser croire.
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