Chapitre 11 ( partie 2 ) : Long hiver

L'esprit en ébullition, Louise noua son écharpe autour de son cou, saisit sa mante et ses mitaines et courut retrouver sa mère dans l'entrée.

- Je suis prête. Est-ce que nous y allons ?

Anne jeta un coup d'œil distrait à sa fille et réprima un sourire approbateur. Elle ne supportait pas de voir son enfant mal couverte revenir malade et tremblotante. Les deux femmes saisir chacune un panier et poussèrent la porte. Le froid jaillit en trombe à l'intérieur du château, glaçant tout, blanchissant tout. Elles n'en prirent point garde.

Elles traversèrent prudemment le village. La neige, cette semaine, comme menant une dernière bataille avant le redoux, avait redoublé d'intensité. Elle s'engouffrait sournoisement sous toutes les interstices et endormait l'activité. Les champs, laissés à l'abandon, se recouvraient d'une fine glace qui brisait les cultures. Les paysans, angoissés, regardaient tristement leur récolte disparaître.

En traversant l'un de ces champs, dévasté par l'hiver, Anne serra un peu plus sa cape avant de murmurer :

- Ce gel va soulever une ardeur peu commune chez nos gens pour les idéaux de la Révolution.

Louise leva son regard inquiet vers sa mère et pressa le pas. Toutes ces pensées fatalistes la minaient. Elle ne pouvait pas comprendre qu'on puisse tant se lamenter. Directe, franche et réactive, elle allait toujours droit au but et n'analysait que rarement la situation, faisant alors preuve d'une grande stupidité.

Son amie, Marie-Lys, était bien plus réfléchie. Sans cesse, elle pesait le pour et le contre, oubliant parfois même d'agir tant elle réfléchissait. Les deux amies se complétaient donc naturellement.

Enfin, la maison des Ducrot fut en vue. La mère de Louise gratta doucement à la porte, un sourire ravie et sûr de son effet aux lèvres. La porte s'ouvrit lentement. En reconnaissant les deux visiteuses, la maîtresse de maison sentit son sourire s'élargir :

- Par quelle bonté du ciel êtes-vous venu nous voir ?

- Nous vous portons du linge que nous avons reprisés en votre attention, expliqua Louise en entrant.

Mais parvenue à l'intérieur, elle s'arrêta net. Quelque chose n'allait pas. Mais quoi ? Il faisait bon. La maison était parfaitement en ordre. Et les enfants paraissaient plus souriants. L'ancienne apparence de misère s'était envolée. La jeune fille sentit la situation lui échapper. Que s'était-il donc passer pour que cette famille aille mieux ? Il y avait du mystère dans l'air.

Résolue à percer ce secret, Louise s'approcha des deux filles aînées :

- Bonjour Marie-Sabine, bien le bonjour Françoise. Je suis bien aise de vous voir les joues si roses. Je m'étonne de ce changement.

D'un œil discret et inquisiteur, elle détailla la tenue de Marie-Sabine et retint un cri de surprise. Elle portait une robe solide et en bon état. Oh ! Ce n'était pas grand-chose, certes.

Il était vrai que la misère était encore présente. Le froid s'infiltrait partout. Le mobilier était toujours aussi réduit et les habitants de la maison aussi sales. Avec effarement, Louise s'aperçut aussi qu'il manquait un enfant. Il n'en restait plus que deux, debout à épier les visiteuses. Elle sentit son cœur se serrer dans sa poitrine et réprima un haut-le-cœur. Pourtant un réel changement avait dû ainsi s'opérer pour que cette pauvre famille reprenne quelques maigres couleurs.

Mais, en son for intérieur, la jeune fille se félicitait de cet imprévu. Cela prouvait faussement à sa mère qu'elle avait porté quelques victuailles à la famille Ducrot et, de plus, ce pourrait être un parfait sujet de conversation. Effectivement, Anne ne manqua pas de questionner avec étonnement :

- Votre situation semble s'être améliorée. Ma fille m'avait conté la grande misère dans laquelle vous viviez et cela m'a émeue.

- C'est une heureuse nouvelle, répliqua madame Ducrot d'une voix rocailleuse. Qui a toutefois suivie un épisode particulièrement douloureux.

Elle invita les deux aristocrates à s'asseoir sur une des vieilles chaises en piteux état et se laissa elle-même tomber sur la dernière qui restait.

- L'hiver, qui s'achèvera je l'espère sous peu, a emporté mon petit dernier, Jean-Marie. Pleins de douleurs, nous sommes allés à Rocamadour prier votre neveu de nous aider. Nous nous refusions de l'enterrer dans la fausse commune et, intérieurement, nous espérions le soutien de quelques bonnes âmes. Touché par notre douleur, le père Théophile m'a béni et a promis de prier pour notre salut et celui de mon fils. En attendant de trouver une solution à nos malheurs, il m'a donné quelques pièces. Juste de quoi enterrer le petit Jean-Marie convenablement.

« Quelques jours plus tard, un jeune homme frappait chez nous. Il se tenait tristement, gauche et un chapeau à la main : « M'dame, m'a-t-il dit. J'suis un brave homme qui d'mande qu'à m'installer queque'part. Simon. Simon, que j'm'appelle. J'ai plus d'famille, pus rien ! V'là ce que j'vous propose, c'est que vous m'logiez chez vous. Pis je m'engagerais pour la France et vous v'là débarrassez d'moi. Mais j'veux juste passer le printemps et l'été ici. J'vous enverrais en échange une part de ma solde de soldat, promis ! Et en attendant, v'là un peu d'argent. » Le ciel nous l'envoyait ! Il est aujourd'hui à la ville, partis acheter de quoi dîner car nous n'avons plus rien ici !

Épuisée par ce long récit, madame Ducrot chercha à reprendre sa respiration. Sa fille aînée, les yeux brillants, prit alors la parole :

- C'est quelqu'un de bien brave, qui nous a réellement sauvé de la misère. Il est courageux et honnête. Je ne doute pas qu'il suivra une brillante carrière militaire et sortira des rangs.

Louise lui lança un coup d'œil surpris. Elle pinça ses lèvres, au fond d'elle-même frustrée. Tous ses mensonges étaient devinés. Maintenant, elle en était certaine. Elle croisa le regard furieux de sa mère et se tassa sur sa chaise. Distraitement, elle demanda :

- Vous semblez l'apprécier.

Sa remarque jeta un froid. Tous la regardaient avec étonnement et curiosité. Parlait-elle de la famille entière ou de Marie-Sabine en particulier ? Inconsciente du double-sens de ses paroles, Louise poursuivit gaiement :

- Si c'est un beau jeune homme et qu'il est promis à un bel avenir, vous avez de la chance. La Providence veille sur vous !

Marie-Sabine sentit qu'elle devait reprendre la parole pour sauver la conversation. D'une voix hachée par la surprise et l'émotion, elle articula :

- Il est vrai que nous l'aimons beaucoup. Mais nous lui sommes surtout reconnaissantes de la considération qu'il a eu pour nous.

Elle hésita un instant, tout en triturant nerveusement son châle. Un regard approbateur de sa mère la décida, elle ajouta doucement :

- Et récemment, il m'a avoué sa flamme. Le mariage aura lieu cet été si tout se passe bien.

***

- Et maintenant, Louise, s'écria Anne en quittant la maisonnette, j'exige que vous m'expliquiez ce que vous faisiez chaque jour dans le Causse, en plein hiver ? Car vous m'avez menti ! Vous n'êtes jamais venu leur apportez votre aide !

- Oh si, mère !

Les deux femmes s'affrontèrent du regard, toutes deux furieuses. Puis, Louise, sans baisser les yeux, ajouta d'une petite voix :

- Mais qu'une seule fois...

À sa grande surprise, sa mère éclata de rire. Elle saisit le front de sa fille entre ses mains et lui colla un tendre baiser. Surprise, Louise recula d'un pas.

- Vous me faites rire ! Et que faisiez-vous donc, les autres jours ? Reprit Anne.

- Ah ! Ça, c'est mon secret !

- Et vous me le direz...

- Jamais ! Mais c'était aussi œuvre de charité.

- Peut-être, mais n'est-ce pas dangereux ? Vous me mentez, Louisette. J'en suis déçue.

Quand, soudain, Marie-Lys surgit des buissons, l'air échevelé et affolé. Les deux femmes sursautèrent et Louise sentit son effroi redoubler devant sa mine inquiète.

- Louise ! Il faut absolument que tu viennes ! Louise, il est au plus mal ! Il va peut-être mourir ! Il demande instamment que tu viennes.

- De qui parlez-vous ? S'interposa Anne d'une voix ferme.

Les deux jeunes filles se jetèrent un regard contrit. Louise inspira fermement et déclara :

- De lui. De celui dont nous parlions à l'instant. De l'Inconnu.

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