Chapitre 11 : Long hiver
Éternel et sans fin,
Mais des jours biens meilleurs,
Se profilent enfin.
L'hiver émigre ailleurs.
- Où étiez-vous ? Louise ! Si vous poursuivez à vous jouer de moi de la sorte, vous n'aurez plus aucune liberté ! Et ce sera de votre faute ! Répondez-moi ! Où étiez-vous ?
Louise était effrayée par le ton employé par sa mère. Il ne lui était pas venu à l'esprit qu'un retard pouvait provoquer une telle fureur. Elle se tassait lamentablement, en entendant que le courroux maternel passât.
Les yeux de sa mère se firent plus doux. La jeune fille soupira. La colère semblait passée. Las, elle sentit monter en elle un éternuement...
- A... Aaa.... Atchoum !
Immédiatement, Anne retrouva quelques arguments pour reprendre sa fille :
- Et vous êtes malade en plus ! C'est que je tiens à vous ! Montrez-moi votre fièvre... Dieu du ciel ! Vous êtes brûlante. Interdiction de sortir jusqu'à contre-ordre. Est-ce clair ?
- Oui mais...
- Ttt ! Ne répliquez pas !
Louise acquiesça tristement. De nouveau enfermée ! Elle avait soif de liberté...
"Que puis-je faire ? Je n'ai le cœur à rien. Tout m'ennuie."
Sa mère vit briller au fond de ses prunelles l'éclat d'une larme. Elle pinça ses lèvres et ajouta :
- J'ai de quoi vous occuper. Nous allons repriser nos vieilles robes et nous les porterons à la famille Ducrot.
La jeune fille sentit son cœur s'affoler. Rendre visite à cette famille? C'était risquer de déjouer la supercherie qu'elle menait depuis quelques mois en dissimulant ses journées chez le blessé par des visites chez cette famille. Désespérée, elle s'écria :
- Je pensais que j'avais interdiction de sortir !
Anne sursauta. Elle l'observa calmement et reconnut :
- C'est vrai. J'irai donc seule.
Pire encore ! Sa mère, sans elle, c'était à coup sûr bien plus inquiétant. La jeune fille ne serait pas là pour éviter le sujet. Que faire ? Il s'agissait de l'en dissuader. Et pour cela, elle devait de nouveau mentir. Son cas était grave : voilà deux mois qu'elle dissimulait ses escapades pour ce faux prétexte de visite chez les Ducrot. Un mensonge de moins ou de plus... Qu'est-ce que cela changerait ?
- Êtes-vous certaine qu'elles aient réellement besoin de ces robes ? Nous leur en avions porté déjà plusieurs qui nous étaient désuètes.
- Je vous propose une occupation. Juste ciel ! Pourquoi refusez-vous ?
- Je ne refuse point. Mais je m'interroge sur l'utilité de cette tâche. Ne serait-il pas mieux de simplement coudre une nouvelle nappe d'autel pour l'église ? Le curé en manque cruellement.
- Excellente idée, Louise ! Nous ferons donc les deux ! Que de belles journées en perspective !
La jeune fille ouvrit de grands yeux. Sa toux la reprit brusquement. L'incrédulité qui marquait ses traits en cet instant amusait sa mère. Celle-ci en effet avait très vite remarqué le curieux jeu de sa fille et, intérieurement, elle se demandait ce qu'elle lui cachait. Mais en la voyant si troublée, elle se sentit légèrement coupable. Elle s'approcha tendrement et lui colla un épais bisous sur sa joue.
***
La mort dans l'âme, Louise se rangea donc aux arguments de sa mère. Elle attendit que Marie-Lys, une fois de plus surprise par l'absence de son amie, vienne la voir pour lui expliquer sa punition. La jeune fille lui dit alors de ne pas s'inquiéter : elle poursuivrait seule les soins de l'Inconnu et sans doute guérirait-il vite.
Louise s'était résolue à repriser avec sa mère les quelques robes désuètes. Si l'exercice l'ennuyait ferme, ce n'était cependant pas le cas des discussions qu'elle tenait avec sa mère. Elles avaient toujours été plus ou moins complices. Elles possédaient toutes deux le même goût prononcé pour la mode et les rubans ; elles étaient du même caractère hautain et désinvolte ; enfin, face à Gaston de Saint Udaut, parfois très dur et très violent, une sorte d'entente les avait liées contre lui.
Aujourd'hui, la conversation tournait une fois de plus autour de Paris. En effet, elles avaient entendu dire que tous les ordres monastiques avaient été supprimés. Les deux femmes ne s'en inquiétait pas outre-mesure. En effet, seuls les ordres contemplatifs étaient réellement touchés par ce décret et la famille Saint Udaut n'en connaissaient aucun.
Mais le père de Louise avait tout de même laissé exploser une colère phénoménale : « C'est inadmissible ! Avait-il tonné. Notre Sainte Religion ne peut laissé passer de tels affronts ! La Révolution veut-elle donc tout chassé et faire table rase ? Mais je m'y refuse ! »
Encore effrayées par ses tremblements, la mère et la fille ne cessait de jeter de rapides coups d'œil aux portes pour s'assurer qu'il ne viendrait pas les déranger. Et de plus, elles venaient d'apprendre qu'en ce 26 février 1790, l'Assemblée avait décidé de renommer toutes les régions de France et de les diviser en département :
- Nous n'appartenons plus seulement au Quercy désormais. Ma fille, il faudra vous y habituer. Imaginez que nous vivons maintenant dans le Lot.
- Le Lot ? C'est le nom de notre... département ? Et pourquoi donc avoir choisi ce nom de rivière ? C'est par ailleurs si loin de chez nous... Je ne sais même plus exactement où est situé cette rivière !
- Voyons Louise ! Elle passe par Cahors ! Et cette ville est d'ailleurs notre nouvelle préfecture !
- Vrai ? Je ne m'y habituerais jamais ! Mais je ne comprend décidément rien à rien ! Pourquoi l'État change-t-il tant de choses en France ?
- Je vous laisse y réfléchir, ma Louisette...
Devant sa mine soucieuse, elle précisa :
- N'oubliez pas que la Révolution est contre tout ce qui rappelle l'Ancien Régime !
- Vous voulez dire... L'interrompit sa fille. Vous voulez dire que tout sera bouleversé ?
- Peut-être...
Sa mère prit un air mystérieux et ajouta avec un sourire complice :
- On raconte qu'ils veulent même changer nos système de mesure. Toute cette histoire ira très loin, vous pouvez vous en assurer. Ce qui m'inquiète... Ce serait bien plutôt les autres monarchies d'Europe ! Elles voient d'un très mauvais œil tout ce qu'il se passe en France !
De badinage à badinage, la discussion dériva sur les grandes familles du Quercy. Elles se murmurèrent les derniers ragots et rirent sous cape comme deux jeunes écolières. Voilà bien longtemps qu'elles n'avaient partagé telle connivence !
Dans l'ombre de la porte, Gaston de Saint Udaut les écoutait rire. Il sentait son cœur lourd, si lourd qu'il craignait de s'effondrer à terre. Sa solitude lui pesait en ce jour. Oui. Seul ! Il avait cru en son fils Thierry ! Il s'était imaginé toute une complicité masculine. Il avait aimé tendrement sa femme et s'était donné tout entier pour elle le jour de son mariage, fier d'être lié à une femme d'une si grande beauté. Et sa fille l'avait toujours fait rire. Alors pourquoi n'était-il pas aimé ? Il se montrait maladroit pour recueillir du respect, de l'amitié ou, peut-être, de l'amour... Cependant, il ne recevait que regards craintifs, cris désespérés et fuites. Oh ! Ces fuites qui lui brisaient le cœur !
Que faire lorsqu'on était grand timide sous des dehors brutaux ? Comment agir lorsqu'on s'était fait détester par tout son entourage ? Certes, il était craint et respecté. Mais dans son cœur vieillissant, il recherchait aujourd'hui un peu de charité et ne brassait que du vide. Il ressentait cruellement ce manque mais ne savait pas par où recommencer pour retrouver ce... cet...
- Comment cela s'appelle déjà ? J'ai le mot sur le bout de la langue ! Nom de Dieu ! Ce mot ! Ah ! Amour... Cet amour. Comment le retrouver dans le regard de ma femme et dans celui de ma fille ? Et par où commencer ? Que dois-je faire en bref ? Je crois...
Il s'arrêta un instant, pensif, et reprit avec, dans le ton, une nuance soucieuse :
- Je crois qu'il est trop tard désormais et qu'il vaut mieux que j'abandonne cette quête inutile et bien trop complexe de... l'amour.
Si complexe que le mot même d'amour lui écorchait la bouche. Il grogna et se décida à revenir dans son bureau poursuivre son travail. Mais devait-il se résoudre à finir seul ?
- J'espère avoir le courage d'affronter cette solitude. Et si je me perdais en chemin ? Si je me sentais si abandonné au point de...
D'un geste colérique, il chassa la pensée qui lui était venu en tête et gronda :
- Foutaise que tout cela ! Je serais fort, non ?
***
Quelques jours passèrent encore... Marie-Lys venait tous les jours apporter des nouvelles du blessé à son amie. Régulièrement, il faisait des rechutes. En effet, les maigres soins prodigués ne parvenaient qu'à le maintenir en vie et lorsqu'il semblait redevenir bien portant une nouvelle tempête de neige le rendait de nouveau aussi faible qu'un nouveau-né. Un jour, Marie-Lys, toute excitée, s'écria qu'elle avait retrouvé le beau cheval de l'Inconnu. Il errait dans le champs voisin, sans doute de retour d'une fuite longe et dure. Mais pour la jeune fille tout devenait extrêmement compliqué. Elle avait plusieurs fois imploré le blessé de vendre l'animal mais n'avait jamais réussi à obtenir la moindre approbation de sa part. Alors, elle partageait son temps entre les soins pour l'Inconnu, qu'en son âme honnête elle ne pouvait décidément pas abandonner, et ceux pour le cheval, dont elle avait réellement pitié.
Au château de Saint Udaut, la couture avançait vite et déjà une magnifique nappe d'autel avait été cousue et donnée au père Yves. Anne avait prévu d'apporter les robes chez les Ducrot le lendemain. Effrayée par cette décision, Louise avait décidé de changer de tactique. Elle cherchait désormais à obtenir l'autorisation d'accompagner sa mère. Las, c'était œuvre complexe. Accompagnée de son sourire le plus angélique et les yeux constamment doux, elle ne cessait de complimenter Anne et cela paraissait vaincre sa résistance.
Louise se montrait soumise, douce et attentionnée. Jamais elle n'avait autant pris sur elle-même. Mais si cette visite ne l'enthousiasmait guère, elle ne pouvait pas se permettre de la manquer. Sa liberté était bien trop mise en jeu. Alors elle sussurrait, elle était empressée, elle écoutait attentivement. Ce qu'elle n'avait jamais fait. Mais elle parvint à venir à bout des arguments de sa mère et obtint le précieux oui qui lui permettrait de l'accompagner.
Dès lors, elle ne s'inquiéta plus que de ce qu'il se passerait là-bas. Tant de mensonges éhontés accumulés mettraient certainement en fureur sa mère. Elle devait, autant qu'il était possible, atténuer les futures représailles. Tout un plan se développa alors dans son esprit...
- D'abord : dévier la conversation sur l'actualité, le temps, les nouvelles du pays. Puis : accaparer l'attention des autres et ne laisser à personne d'autre que moi la parole ! Enfin et surtout : empêcher ma mère de parler !
Elle ne le savait pas encore, mais tout ce plan était d'avance inutile.
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