Chapitre 41 : J'sais plus après quel rêve je cours ni quel cauchemar je fuis.

(Gringe - Le mal est fait)

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Je n'ose pas me retourner. Je continue de fixer l'horizon comme si cela pouvait suffire à le faire disparaitre : 

Casse-toi Hakim. 

Déjà, qu'est-ce qu'il fait là  ? Il a pas une nana à câliner  ? 

Je me casserai quand tu reviendras par ici. 

Je soupire et prends une nouvelle gorgée de Martini avant de faire tout le contraire de ce qu'il me demande... Je continue d'avancer : 

Je sais nager, c'est bon. 

Je l'entends pester entre ses dents. Puis, il rajoute d'une voix plus ferme : 

 Ramène ton uc ou tu vas finir par te noyer comme une schlague

Je suis trop bien ici. Ma robe est trempée, mes cheveux aussi. S'il savait comme je m'en moque. Dans l'eau, je me sens apaisée et si je peux rester le plus loin possible de lui, je le ferai. 

Alors, j'avance une nouvelle fois. 

Tu fais chier. s'exclame-t-il. 

Puis, je n'entends plus rien. Je pense, durant un court instant,  qu'il est parti... Mais je réalise assez vite que c'est parce qu'il a enlevé ses chaussures et qu'il vient d'entrer, toujours habillé lui-aussi, dans l'eau pour me rattraper.

Je n'ai pas le temps de fuir d'avantage. Hakim a de grandes jambes alors il arrive en un temps record à me rejoindre et là où je dois déjà patauger, lui, a toujours pieds. 

L'une de ses mains se referme autour de mon poignet. J'essaie de me défaire de son emprise sans lâcher la bouteille au milieu de cette mer qui n'a rien demandé à personne. 

Mais il est plus fort que moi alors je finis par me retrouver collée contre son torse, les poignets toujours emprisonnées de ses mains. 

Lâche-moi. je murmure. 

Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas s'il m'a entendu.  C'est comme si j'avais perdu ma langue. 

Hakim est frigorifié. Je vois les poils de ses bras se hérisser. Il n'a pas bu suffisamment d'alcool pour supporter cette eau qui doit être aux alentours des 12°. 

 Pourtant, il ne bouge pas. 

Lo' a voulu te déshabiller entièrement que t'es partie en courant ? 

Je ne m'attendais pas à ce genre de question, surtout que sa poigne se referme soudainement. 

Pas du tout. Je voulais pas coucher avec lui. Et ne me demande pas pourquoi, je ne te répondrai pas. 

Je me sens soudainement vidée, je n'ai plus d'énergie, comme si la mer m'avait tout pris à  la seconde où Hakim est entré dans l'eau à son tour. 

T'as quand même fui. Pourquoi ?  

Je hausse les épaules, à croire que c'est devenu mon geste favori depuis que je les connais. 

Pour Medhi, je m'en veux vraiment tu sais. 

Son corps se crispe.  Une chose est sûre, remettre le sujet sur le tapis n'est pas la meilleure des décisions. Cependant,  je ne vois pas d'autres alternatives. C'est peut-être ma seule chance de discuter avec lui, tant que l'alcool me donne encore le courage d'aller jusqu'au bout de mes pensées  : 

C'était ton intimité, j'aurais dû demander la permission et... 

Non c'est pas ça. 

Hakim m'interrompt d'une voix autoritaire. Il se racle la gorge avant de continuer : 

Tu sais,  depuis deux, il y a pas un jour où je ne suis pas sur mes gardes. Medhi avait des putains de complices à l'extérieur et je sais qu'il a toujours l'intention de faire du mal à mon reuf. 

Et on connait tous son point de faible... 

A tout moment, quelqu'un peut débarquer et s'en prendre à Lana. Id' s'en rend pas compte et ça me rend malade. 

Parce qu'Idriss ne voit pas le mal partout. 

Alors maintenant, Medhi pense que t'es avec moi. Il me déteste aussi. Et j'ai pas le temps de te surveiller en plus. 

Tout à coup, c'est comme si l'alcool avait complètement disparu de mon organisme. Je ne me suis jamais sentie aussi lucide, comme si connaitre une part de ses pensées me faisait redescendre de plusieurs étages et ce, en vol plané. 

Je relève, enfin, la tête vers le rappeur. Son regard noir me jauge. Je peux toujours y  lire de la colère mais elle ne met pas directement adressée. 

T'as pas besoin de me surveiller, réponds-je, J'en fais de la chaire à pâtée moi de tes dealers. J'ai du en soigner pas mal aux urgences et je les ai toujours ramené à l'ordre quand ils voulaient foutre le bordel. 

Un micro-sourire apparait à la naissance de ses lèvres.  Hakim est si proche que son souffle glacé s'abat sur mes joues. Mes yeux s'arrêtent, un peu trop longuement, sur ses lèvres qui sont maintenant  bleutées à cause de la température. 

Le rappeur doit s'en rendre compte car il s'exclame subitement : 

Je crois qu'on devrait sortir de là...Ou on va crever de froid. 

Je balance ma tête de bas en haut, attendant quelques secondes avant qu'il me lâche pour de bon.  J'ai l'impression de m'éloigner au ralenti, comme si je voulais profiter une dernière fois de ce moment hors du temps. 

Lorsque nos pieds viennent s'abattre sur le sable, je me rends compte qu'on a l'air vraiment stupide comme ça, avec nos vêtements trempés et notre teint étrangement livide.

Heureusement, nos vêtements de rechange nous attendent bien au chaud à l'intérieur. 

Je prends la direction de la maison, le petit groupe est toujours installé sur le perron. Louis les a rejoint. Je vais devoir m'excuser, il doit me prendre pour une malade mentale. 

Mais avant que je puisse avancer suffisamment près pour qu'ils me reconnaissent, Hakim me fait signe de le suivre : 

On va passer par la cour, derrière. 

Je le suis sans un mot, je ne savais même pas qu'il y avait une autre entrée. 

Hakim ouvre la porte et vérifie une dernière fois que personne n'est dans la cuisine. Il me fait signe d'entrer à sa suite et nous nous précipitons vers les escaliers menants à l'étage. 

Heureusement pour nous, Deen et Eff sont en plein freestyle. Tout le monde les regarde et le volume est suffisamment important pour masquer le bruit des marches. 

Une fois dans la chambre où nos affaires ont été déposées, Hakim ne se laisse pas prier pour enlever son t-shirt. 

Il s'essuie rapidement le haut du corps avec une serviette. Puis, alors que j'allais lui laisser une part d'intimité, il se saisit de son sweat, celui qui était dans la voiture ce matin. 

Dans la précipitation du geste, la gourmette tombe sur le sol. 

C'est quoi ce bordel ? 

Je me dirige, sans un mot, vers la porte. Hakim me rejoint et vient s'appuyer contre cette dernière pour que je ne puisse pas sortir. 

Je voyais pas l'intérêt de la garder... Je souffle. 

Pourquoi ? 

J'en sais rien. Je suis déjà incapable de fournir une explication logique à mon propre subconscient... Alors, comment saurais-je lui répondre ? 

La seule chose qui me vient à l'esprit, c'est une question : 

— Dis-moi, tu l'aimes vraiment Roxanne ? 

J'ai besoin de connaitre la réponse. 

Ouais. Enfin, je crois. Je sais pas. 

J'ai froid, tout mon corps tremble désormais. 

Alors, c'est pas à moi que tu dois la donner. 

Il ne bouge pas et ne dit rien. C'est un supplice d'être ici. 

Hakim... J'aimerais me changer s'il te plait, je me transforme en glaçon. 

Le rappeur prononce quelques mots en arabe, plus pour lui-même que pour moi avant de quitter la pièce, un training sec et sa gourmette sous le bras. 

Putain, quelle merde. 

****

Nous y voilà. 

Le décompte de la nouvelle année, Lana en chef d'orchestre, Idriss qui la tient par la taille. 

Tout le monde lève son verre bien haut, un imposant sourire se dessine le visage de chaque invité. 

Dix, neuf, huit....

Pendant tout ce temps, je n'ouvre pas la bouche. Je fixe, du coin de l'oeil, Hakim et Roxanne. Elle le tient par le bras. 

Sept, six, cinq... 

J'ai toujours été une meuf compliquée. Je ne me suis jamais attachée à personne suffisamment longtemps que pour vouloir sortir avec qui que ce soit. 

Avec Jassim, c'était ambigu. Mais c'est ce que je préférais. Je pouvais être proche de lui en privé et plus distante quand nous étions en groupe. 

Pourtant, aujourd'hui, pour la première fois, je me rends compte que ça ne me dérangerait pas que ce soit moi qu'on embrasse à minuit, devant une bande de potes. 

Et ça me gonfle ! Parce que je n'étais pas là pour ça moi. J'étais juste là pour résoudre un putain de problème. 

Quatre, trois, deux... 

Quelqu'un me prend la main. Je lève la tête vers Antoine. Il a compris ce que j'étais en train de faire.  

Un... 

Bonne année ! s'écrie en coeur les différents invités. 

Je me jette dans les bras du blondinet. Ma tête contre son buste, je peux toujours les observer. 

Hakim me regarde lui-aussi. 

Roxanne s'approche pour l'embrasser. Il se laisse faire mais garde les yeux ouverts dans ma direction. 

C'est alors que  Deen, Ken, Théo... Toute la joyeuse petite bande se jette à leur tour sur nous. Je perds le contact visuel et  me contente de souhaiter une bonne année à chacun, sans vraiment écouter ce qu'ils ont à me dire en retour. 

Dès que je le peux, je m'éloigne de cette foule, de ces cries de joie et de cette musique à la con de Patrick Sebastien qu'a choisie Eff pour débuter cette nouvelle année. 

Par la vitre du salon, j'admire le feu d'artifice qui prend place dans le ciel. 

Ouais, moi j'étais juste là pour résoudre un putain de problème.

Et au  final, j'en ai bien plus maintenant. 

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