Chapitre 19 : Aucun retour en arrière, désolé.
(Caballero, Lomepal & JeanJass - Les yeux fermés)
JJ à 00:19, c'est moi le vendredi soir avec mes frites.
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Quand je me regarde dans le miroir ce soir là, je n'ai qu'une certitude : je suis déjà prête pour Halloween, pas besoin de costume ou de maquillage de sorcière.
Tout l'anti-cerne du monde ne suffirait plus à camoufler ces grosses poches qui ont établi domicile sous mes yeux.
Je pense n'avoir dormi que deux petites heures cette nuit. Les cauchemars sont revenus et je n'ai pas arrêté de penser à ce diner. Ma mère et Danna sont surexcitées à l'idée de revoir Hakim. Mon père, par contre, n'en parle jamais.
Ce diner...
Hakim va débarquer d'une minute à l'autre et trois autres certitudes viennent s'ajouter à celle concernant mon apparence :
1) Cette histoire est complètement dingue.
2) Je suis complètement dingue.
3) Hakim est, lui aussi, complètement dingue. Après tout, il a accepté de me suivre dans ce plan débile alors qu'il n'a rien à gagner.
Je glisse, contre mes cernes, deux cuillères tout droit sorties du congélateur. C'est une vieille technique que j'ai pu découvrir dans un film, un jour, quand j'étais ado. Je ne sais pas si ça fonctionne mais je ne suis plus à ça près... Je dois tout essayer.
J'enfile, ensuite, un jean taille haute ainsi qu'un chemisier blanc laissant apparaitre un joli décolleté. A mes pieds, mes fidèles derbies noires vernies. Je passe un rapide coup de brosse dans ma longue tignasse et rejoins ma famille au rez-de-chaussée.
Danna court partout. Elle me salue lorsqu'elle place les assiettes autour de la table.
— Dis, Dan ?
Ma soeur relève sa tête et laisse son geste en suspend.
— Pourquoi une aussi grande table ?
J'ai mal à la tête rien que d'y penser.
— Parce qu'on sera 10. intervient ma mère en s'échappant de la cuisine.
Elle n'est pas encore passée par la case "salle de bain" et pourtant je la trouve déjà magnifique. Ses cheveux noirs mettent parfaitement en valeur son teint de porcelaine. Personne n'imagine, au premier regard, qu'elle est maman de deux filles à la peau bronzée, et ce, même en hiver.
— Ton père et moi, ta soeur et Salil, Hari et ses parents, ta cousine qui a insisté pour venir, ton petit ami et toi.
Petit ami ? Je me retiens de faire la grimace.
Je ne crois pas qu'il existe un paradis et un enfer à proprement parlé. Toutefois, je suis persuadée que s'il existe un mauvais endroit quelque part, c'est là-bas que je vais être envoyé après la mort.
Je jette un rapide coup d'oeil en cuisine. Il y a quelques jours, maman m'a demandée si Hakim avait des allergies ou s'il refusait de manger certains aliments. J'étais incapable de lui répondre et n'ayant pas son numéro de portable, j'ai bluffé en lui demandant de prévoir de la dinde. Tout le monde aime ça non ?
De toute façon, peu importe : elle ne m'a pas écoutée. il y en a pour tous les goûts : du porc, de la dinde, du saumon... En bref, maman n'a aucune notion des proportions.
Je sais qu'elle en fait des tonnes depuis que je suis de retour en France. C'est comme si elle avait peur que je reparte loin de chez elle. Pourtant, ce jour finira par arriver, après le procès.
Je soupire. Je rêve de pouvoir tout annuler et de prendre le premier avion pour Bombay...
Mais c'est trop tard.
Les invités commencent à faire leur apparition les uns après les autres. Hakim est le dernier à passer la porte. C'est étrange de le voir débarquer ici, dans la maison de mon enfance. Au fond de moi, je pensais qu'il allait changer d'avis et j'aurais dû, dans ce ce cas, inventer une excuse stupide auprès de mes parents. J'avais déjà réfléchi à quelques possibilités (de la classique gastro à l'urgence familiale), mais non, il est bien là, en chair et en os.
Le rappeur serre poliment la main de tout le monde puis, arrivé à ma hauteur, il a une seconde d'hésitation.
Evidemment, nous n'avions pas pensé à ce détail alors que tout le monde nous fixe désormais avec attention.
Le garçon finit par se pencher et dépose un rapide baiser sur mon front.
C'en est presque drôle, ça ne lui ressemble pas ce genre de geste d'affection. Il doit bouillir à l'intérieur, je vois son poing se serrer quand il se place à ma droite.
Hari scrute Hakim de la tête aux pieds. Ses yeux s'arrêtent plus longtemps sur les "Nike" du rappeur. Vu la façon qu'il a de tripoté sa chemise, j'en conclus qu'il se sent supérieur à Hakim.
Quel connard. Je sais que le rappeur peut avoir des goûts vraiment douteux en matière de vêtement... Mais aujourd'hui, il a fait l'effort de mettre un jean et un t-shirt blanc sans son stupide logo. Je ne lui en demandais pas tant.
D'ailleurs, Danna et maman ne le lâchent pas d'une semelle. Les deux femmes parlent énormément pour ne rien dire. Hakim, lui, se contente de hocher la tête.
La soirée semble se dérouler sans encombre mais ma petite cousine finit par décider qu'il est temps de passer à l'interrogatoire.
Durant le repas, alors qu'Hakim lui tend le plat de riz, elle rougit et s'exprime d'une voix haut-perchée :
— T'es bien le Mekra qui chante avec Nekfeu ?
Tout le monde cesse de parler et regarde le garçon sans comprendre.
— Ouais. se contente-t-il de répondre.
Le visage de Caroline s'illumine alors qu'elle se tourne vers maman et s'exclame :
— Tata, c'est génial ! Le petit-ami de Kami, c'est un rappeur trop cool !
Le reste de ma famille n'y connait pas grand chose en rap. A part Danna qui lance un regard noir dans ma direction. C'est vrai, elle kiffait Nekfeu à une époque. Si elle savait qu'il était passé à la librairie l'autre jour...
— Oh j'imagine..., finit par conclure ma mère, vous vous êtes rencontrés lors d'un concert ?
— Euh...
Comme des teubés, on n'a rien préparé.
— Non. Grâce à une amie en commun.
C'est plus au moins la vérité. Pour moi, il y a eu l'inconnu du bar puis Hakim, le pote de Lana.
— Rien de très original. siffle mon père entre deux bouchées.
— Pita, tu as rencontré maman à l'université.
Danna me balance un coup de pied sous la table. Quant à mon père, il relève ses lunettes sur sa tête et me dévisage sans un mot.
Hari décide alors qu'il est l'heure, pour lui, de prendre le relais :
— C'est quoi ton nom de scène déjà ? J'irai faire un tour sur youtube. Ca doit pas être facile tous les jours de gagner sa vie quand on est simplement rappeur.
Il s'exprime avec tellement de condescendance que je meurs d'envie de lui en foutre une en pleine tronche.
Hakim, lui, ne laisse rien transparaitre. Il lui répond d'une voix toujours aussi neutre :
— Tu peux rechercher le "S-Crew". Et je me porte plutôt bien. Notre dernier album est disque de platine.
Maman est impressionnée, Danna sourit et moi je lève un sourcil en direction de Hari. Je n'étais pas au courant de cette information mais je suis heureuse qu'il lui ait balancé ça en pleine poire.
Cependant, les hommes n'en ont pas encore fini avec lui.
— Dis-moi Hakim, t'es de quelle origine ?
Génial papa, et les règles de savoir vivre, tu connais ?
— Je viens d'Algérie, je suis kabyle.
— Alors pourquoi la France ?
C'est à mon tour de lui faire un coup de pied. Il est mal placé pour faire des commentaires sur la migration.
Hakim hausse les épaules et se contente de répondre brièvement à la réponse :
— C'était le choix de ma mif.
—Mif ?
— La famille. je réponds à sa place.
Mon père dépose ses couverts et croise les bras.
— Je ne parle pas le langage de cité.
Je m'apprête à ouvrir la bouche mais Danna est plus rapide.
—J'écoutais l'album "Feu" à l'époque. Tu es donc sur la chanson "Question d'honneur" ?
— Ouais.
Salil pose sa main sur le ventre arrondi de ma soeur quand il ajoute :
— Elle déchire cette chanson.
— Je sais.
Au moins, il n'y a pas de fausse modestie avec lui.
Mon père, qui n'a toujours pas fini de manger son plat, ne laisse aucune chance à d'autres personnes de s'exprimer. Il relance aussi vite la conversation :
— Et vous parlez de quoi dans vos chansons ? De drogue et de voiture de luxe ?
Je ne sais pas comment Hakim fait pour rester aussi calme. Ses doigts se tordent dans tous les sens mais sa voix ne laisse toujours rien transparaitre :
— Ouais et je parle aussi des flics, des meufs et de l'oseille. C'est si facile de faire une chanson de rap, vous devriez essayer. Je serais ravi de vous écouter et de vous donner mon avis.
Mon père ne sait plus quoi dire. Un gigantesque sourire se dessine sur mon visage quand je réalise que mon faux petit-ami est en train de gagner le duel lancé par mon père.
Hakim = 1 / Monsieur Singh = 0.
Une fois le repas terminé, je prends la direction de la cuisine quand Pita me retient par le bras.
— Kamilah, ce garçon... Enfin...
Je lève les yeux au ciel :
— Est bien plus intéressant que Hari.
— Non, pas du tout. Mais je suis prêt à l'accepter.
Et quelle est la condition à cette bénédiction ?
— Seulement si tu acceptes de venir travailler à temps-plein pour moi, à la librairie.
C'est hors de question et il le sait.
Ce métier ne pourra jamais me combler comme a pu le faire celui que je pratiquais quotidiennement à l'hôpital.
Et puis, travailler pour mon père, je prendrais ça comme un échec cuisant.
—Pita, tu sais que ce n'est pas possible.
— Pourquoi Kamilah ? J'en ai marre de tes excuses. Tu joues la victime mais la vérité c'est que tu n'es juste pas assez mature pour prendre les responsabilités liées à ta famille ! Tu me fais honte.
Ces derniers mots, je les ai déjà entendus à de nombreuses reprises.
Pourtant, ils arrivent toujours à me mettre dans une rage folle.
Je dépose les assiettes et repasse par le salon sans un mot. Je monte les escaliers et me précipite jusqu'à ma chambre d'adolescente.
— Fais chier.
Je m'apprête à allumer un joint quand quelqu'un débarque et me l' arrache des mains.
— Ton père te prend pour de la merde et il continuera tant que tu réagiras, tant qu'il verra qu'il a du pouvoir sur toi !
J'essaye de récupérer ce qui m'appartient des mains d'Hakim mais il est bien trop grand.
— Puis arrête de l'appeler Pita. J'ai la dalle après.
Sa main libre vient appuyer contre mon épaule pour que je ne puisse pas l'approcher.
—Calme-toi bordel. Et c'est quoi cette chambre d'ado ?
Oui, il y a toujours des posters de boys band sur les murs.
— Un, mêle-toi de tes affaires. Deux, Pita c'est papa en hindi. Et trois, je vais pas m'emmerder avec de la déco ou une recherche d'appart alors que je retourne en Inde juste après le procès. Maintenant, rends-moi ça.
Voyant que je me mets à trembler, Hakim abdique.
—Tu devrais arrêter cette merde.
Je m'installe à califourchon sur mon oreiller alors que le garçon s'installe dans le petit fauteuil à côté du lit.
— Je suis beaucoup trop énervée, j'en ai besoin.
Un rire vient se perdre au fond de sa gorge.
— T'es qu'une lâche.
Comment ose-t-il me juger alors qu'il a fumé devant moi le soir de notre rencontre ?
Le garçon détaille toujours avec dégoût la pièce dans laquelle il se trouve lorsque je tire ma première taffe.
— C'est quoi cette merde ? dit-il en pointant du doigt une grenouillère dinosaure.
En voyant sa grimace et en repensant à ce vêtement si particulier je me mets à rire.
— Je mettais ça quand j'avais 16 ans, c'est pour dormir.
Le silence prend désormais place dans la pièce, je ne sais pas combien de temps ça dure, dix minutes, une demi heure peut-être ?
En tout cas, au bout d'un long moment, je murmure alors que je suis couchée sur le dos :
— Tu peux rentrer chez toi tu sais.
— J'attends que tes vieux soient endormis.
La colère passée et les effets du joint pesant sur mon organisme, je m'étonne quand je continue dans ma lancée :
— C'est sympa d'être venu. Tu me diras ce que je dois faire pour t'être redevable.
Je déteste qu'on me rende service gratuitement. Après, j'ai l'impression de toujours devoir quelque chose à l'autre.
— Je le fais uniquement pour faire chier ton père. C'est un connard.
Je devrais défendre ma famille mais je n'y arrive pas.
J'écrase violemment mon mégot avant de tourner ma tête vers la porte que je fixe sans grand intérêt.
Puis, je ne sais pas trop ce qui se passe mais je dois certainement m'endormir.
Parce que le lendemain matin, je suis réveillée par le bruit d'une sonnerie de téléphone.
Un rapide coup d'oeil vers mon réveil me fait prendre conscience qu'il est déjà 9h... Et que c'est la première fois, depuis deux mois, que je n'ai pas fait d'insomnie.
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Hey, je voulais m'excuser pour le retard, mais, weekend très chargé et, surtout, je n'étais pas très satisfaite de ce chapitre (pour pas changer).
J'espère qu'il vous aura plu (malgré tout).
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