Chapitre 16 : Tu vas voir, après tu vas, tu vas kiffer la musique.

(Alpha Wann - Une lumière dans le noir)

Hey, petite précision avant de commencer, le festival dont je vais parler est, bien évidemment, inventé. Toutefois, je m'inspire d'un super Festi qui se déroule chaque année à Namur "Les solidarités". Voilà, bonne lecture. 🍻

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A peine ai-je mis un pied en dehors du Tour bus que déjà différents groupes se créent et s'éparpillent sur le site du festival.

Antoine, qui discute quelques instants avec Moh, rejoint le blondinet qui m'a fait tirer sur son joint et un brun plutôt mignon au regard espiègle.

Ils partent tous les trois précipitamment lorsque que les membres du S-Crew, accompagnés par Doums, checkent ce qui semblent être les organisateurs de l'événement.

Quant à Deen et sa troupe, ils foncent directement vers les stands de bouffe mis à disposition des artistes et de leurs invités.

Lana, enfin, m'emmène vers la partie réservée au grand public. Le festival n'a pas encore ouvert ses portes, pourtant, de nombreuses personnes sont déjà occupées à courir dans toutes les directions alors que des dizaines de chapiteaux se dressent le long des chemins menants aux différentes scènes.

En y regardant de plus près, on peut lire, sur chacun d'entre eux, le nom d'une association ou d'une entreprise, que cela soit une compagnie aérienne ou d'assurance.

- Les artistes viennent y faire des concerts, et, entre chaque prestation, les gens peuvent faire des dons, participer à des activités... dans le but d'aider les personnes dans le besoin que cela soit pour les sans-abris, les migrants ou les élèves qui éprouvent des difficultés scolaires par exemples... m'explique Lana.

Sur ces mots, elle s'arrête brusquement devant un chapiteau qui ne demande qu'à être investi :

- Je suis désolée mais je vais faire, moi-même, de la pub pour notre centre.

C'est vrai qu'elle m'en avait parlée de son petit groupe de profs : trois maitresses d'école travaillant pour les enfants démunis que l'on a tendance à laisser tomber, entre autre, à cause de leur origine sociale ou religieuse. En bref, ceux qui ne rentrent pas dans les normes établies par la France.

Moi, j'ai pas à me plaindre, je n'ai jamais souffert de ma double nationalité. Mes parents n'ayant jamais eu le moindre soucis financier, je crois que ça a aussi joué. Puis, j'ai jamais été très pratiquante, je laisse ça à mon père et à ses superstitions... Donc mon côté étranger, ne s'est jamais ressenti.

J'aide, non sans me plaindre intérieurement, Lana et ses collègues lors de l'installation du matériel alors que les festivaliers commencent à affluer.

Deux heures plus tard, elle prend (enfin) sa pause le temps d'avaler un cornet de pâtes bolognaise. Ce serait mentir de dire que je ne me suis pas jetée sur ce plat. Après tout, je n'ai rien dans le ventre...A l'exception de ces quelques Leffe Ruby que j'ai pu ingurgiter sous les conseils d'un brasseur enjoué...

Mais la petite blonde, elle, est à sa deuxième bouchée de pâtes quand elle recule, d'un geste presque écoeuré, ce qu'on lui a servi.

- Il y a un problème ? dis-je en jetant rapide coup d'oeil autour de nous.

Lana hausse les épaules :

- Je ne sais pas, mais, ça me dégoute. Enfin bref...

Elle balaye son plat d'un geste de la main signifiant que le sujet est clos.

Je dois dire que je suis d'accord. Il y a des choses bien plus intéressantes à aborder que les goûts alimentaires de Lana.

- J'ai réfléchi à ton histoire, commence-t-elle, et je pense qu'on devrait, d'abord, penser à interroger les parents des autres membres de ton groupe, leur copain/copine ... N'importe qui qui pourrait nous donner des informations. Puis, il faudrait, également, parler à ceux qui ont survécu... comme toi.

Elle a hésité à finir sa phrase. Pourtant, je sais qu'elle a raison. Je propose même un nouveau " témoin" :

- Mon ex patron aussi... S'il avait des soucis avec Jass.

Lana est d'accord avec moi. Elle balance sa tête de bas en haut pour me le faire comprendre.

- On va commencer par Martin. Tu sais, je trouve sa réaction bizarre, péter un câble sur toi parce que tu as osé défendre les deux frères...

Martin ? Il n'est pas assez courageux pour se mettre en danger. Toutefois, il est vrai que, lui aussi, s'est écarté de notre lieu de rendez-vous quelques secondes avant que la bombe n'explose. Malgré tout, il n'a aucune connaissance technique en la matière.

- Je suis d'accord. C'est un choix judicieux.

Ce sera une première personne à écarter rapidement au moins.

- Bien...., Lana se redresse et me tend son propre cornet, Tu m'excuseras mais je retourne travailler. Tu peux aller te promener un petit peu si tu veux, t'es pas obligée de rester près de moi.

Ca veut dire quoi ça ? Elle pense que je suis dépendante de sa présence ? Qu'elle est chef de mes actions ?

- Je suis pas un toutou que tu peux emmener balader Lana, puis en me redressant à mon tour, on se retrouve ce soir.

Elle se mord la lèvre, son teint subitement blafard :

- Je suis désolée Kami, je voulais pas dire ça comme ça.

Mais je ne lui réponds pas. Je m'élance dans les allées et ignore tous les représentants qui tentent d'attirer mon attention.

Désolée "Amnesty internationale", je m'en moque de vos badges à la con.

"Oxfam", t'as perdu toute crédibilité... Alors laisse-moi passer.

Il m'arrive même de pousser le jeune employé de "AirFrance" qui souhaite juste me faire participer à un concours débile.

C'est alors que mon coeur cesse de battre durant un court instant :

- Oh, Kamilah. Comment tu vas ma belle ?

Bonnie, la maman de Sky, son portrait craché, les percings en moins me fait face.

Ses cheveux bruns tombent en cascade sur ses épaules et ses joues sont plus rouges que d'habitude. Son nez crochu et ses yeux en amandes sont semblables à ceux de mon amie : un mélange de bleu et de gris.

- Bonnie... Je vais bien et vous ? Que faites-vous ici ?

Ma voix est fausse. Je ne sais pas si elle s'est rendue compte que je n'étais pas du tout sereine en prononçant ses mots.

Parce que j'ai juste envie de lui dire à quel point je suis désolée d'avoir survécu.... Contrairement à sa fille.

- On est en France pour un bout de temps...., soupire-t-elle avec un très léger accent anglais, Le procès débute bientôt.

Le procès. Sa fille, morte. Moi, vivante. Jassim, une réputation trainée dans la boue.

Je suis maintenant paralysée, incapable de lui répondre.

Oh Bonnie, je ferais n'importe quoi, encore aujourd'hui, pour prendre la place de votre fille. Cette nana pleine de vie qui prenait tout à la rigolade.

Me voyant muette comme une tombe, Bonnie continue :

- Tu es magnifique ma chérie. Ce tailleur est parfait pour toi.

Comment fait-elle pour être aussi gentille avec moi ? Je ne le mérite pas.

- Merci Madame.

- J'ai pensé à toi il y a quelques jours.

Bonnie fouille dans son sac à main "Desigual" aux multiples couleurs avant d'en sortir un carnet que je ne reconnais que trop bien.

- Dites-moi que je rêve...

Le carnet de Sky, l'endroit où elle indiquait tous ses défis débiles et inintéressants.

Je croises les bras alors que ma vue se brouille.

Putain Kam, deux ans et c'est seulement maintenant que je pleure ? T'es vraiment une mauviette.

Qu'est-ce qu'il me prend ces derniers jours ?

- Oui... Et il y a une page que vous aviez complétée toutes les deux.

La maman de Sky arrache la feuille qu'elle me tend :

- Tiens, prends-la. Ca peut faire remonter quelques souvenirs.

Je ricane en reconnaissant le titre pailleté et les autocollants venant décorés ces pages raturées.

- Nos voeux étaient surtout débiles, le genre à se réaliser seulement durant nos voyages à l'étranger, loin de la populace habituelle.

Le regard de Bonnie est tendre mais son sourire disparait lorsqu'elle ajoute :

- Mais ça lui tenait à coeur tu sais, ces bêtises. Ecoute Kamilah, je dois te laisser. Ca m'a fait plaisir de te voir.

La femme me sert dans ses bras, mon coeur se serre et j'ai l'impression d'étouffer. Elle me salue quand elle prend la direction d'un traiteur japonais.

Je continue à marcher ne réalisant plus ce qui se passe autour de moi. Je laisse mes pas me guider, la feuille de papier toujours chiffonnée entre mes doigts.

Sky était incroyable et audacieuse, je l'étais presque autant. Alors on se donnait des défis idiots que seules nous étions en mesure d'accepter. Martin étant trop fière, John casanier et Mérédith coincée du cul. Jassim, lui, nous suivait mais partait généralement avant la fin.

La musique semble, soudainement, plus forte. Je relève la tête et m'aperçoit que je suis prêt des barrières de la scène consacrée aux concerts de rap. Le blondinet de ce matin est sur scène, un gigantesque sourire se dessinant sur son visage.

"C'est partout la même merde
Du Nord au Sud, c'est les mêmes 'blèmes, ouh"

C'est alors que j'aperçois Antoine sur le côté de la scène, concentré et souriant. Quand il me remarque à son tour au milieu de la foule, ses sourcils se froncent. Il se décale et fait signe aux agents de sécurité de me laisser passer.

Je passe la barrière sous le regard ahurit de plusieurs adolescentes. Le garçon, en grand gentleman, me file sa chaise et en demande une nouvelle aux coordinateurs de l'événement.

- Ca va pas ? me questionne-t-il, les mains liées.

Ses yeux perçants me scrutent, on dirait un daron.

- Si. Pourquoi ?

- On dirait que tu vas pleurer.

Je passe machinalement une main sous mes yeux et lui offre mon plus beau sourire :

- Non, tout va bien. C'est lui ton Math ?

Autant changer de sujet... Et vite.

- Ouais. Il gère à donf, je suis trop content. T'es pas avec Lana ?

Je ne suis pas son toutou bordel. Pourquoi devrais-je être toujours coller à ses baskets ?

-J'ai perdu le gnome dans un trou.

Antoine rit en baissant la tête.

- Merci pour tout à l'heure. Je suis tellement ouf avec l'album.

Je l'avais remarqué.

- Merci à toi.

- Pourquoi ?

Parce que j'ai pu me changer les idées, parce que j'étais en manque d'un silence reposant.

- J'en sais rien.

Au même moment, quelqu'un bondit derrière Antoine et passe une main dans ce qui lui reste de cheveux sur la tête.

Je me retourne énervée et reconnait la crinière du petit ami de Lana.

Tiens donc, quand c'est pas elle, c'est lui qui vient me faire chier.

- T'as mis ma copine dans ta poche ?

Ok, il s'est bien rattrapé.

- Je la laisse travailler. J'ai d'autres plans.

Comme quoi ? Passer du temps avec leur pote ? Les regarder se pavaner devant des minettes en chaleur ?

Un sifflement retentit derrière nous :

- Oula Flav', t'as une touche ? Il s'est passé quoi dans le bus tout à l'heure ? s'exprime le nouveau venu tel Speedy Gonzales en pleine course poursuite.

Antoine ne répond pas à Théo et je lui en suis très reconnaissante. Après tout, ce ne sont pas ses affaires.

Ken et Hakim nous rejoignent quelques minutes plus tard. Le deuxième faisant, pour ne pas changer, comme si je n'existais pas.

Math remercie son public avant de quitter la scène. C'est au tour du S-Crew de prendre le contrôle de la foule en délire.

Je les écoute attentivement, découvrant, par la même occasion, leur répertoire musical.

Ce serait hypocrite de ma part si je disais que je n'appréciais pas le spectacle. Ils sont, objectivement, de très bons rappeurs.

Mais tout à coup, après une vingtaine musique, Hakim lâche un nouveau couplet et une phrase se répercute au fond de ma poitrine :

"Mes vrais potes c'est avec qui j'me tape des barres de rire
Sinon j'ai pas l'sourire, fais belek à qui tu parles petit"

Mes amis : Joh, Sky, Martin, Mérédith et mon Jass.

Les seules personnes avec qui je pouvais sourire honnêtement.

Et depuis deux ans, je n'ai plus rien.

Je ne veux plus.

Personne ne pourra jamais les remplacer.

Ma véritable famille.

- Kami, tu pleures ?

J'entends à peine Antoine, mon coeur bat trop vite, les larmes coulent abondamment.

Ils me manquent tellement. Je ne mérite pas d'être là, sans eux.

Maudit soit Hakim et son couplet à la con.

Ma vue se brouille quand j'éclate en sanglot.

Flav' m'attire contre lui alors que je suis prise d'une violente crise de nerf.

Le bout de papier toujours calé dans le creux de ma main.

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