Chapitre 23

La voiture s'élance à une vitesse folle dans le paysage de neige. Je tourne la tête vers le petit garçon et le Particulier inconscient, leurs corps sont secoués et le petit me regarde avec des yeux effrayés, mais je ne peux en aucun cas le rassurer, étant moi même terrifiée.
Bordel, mais qu'est-ce que j'ai fait ?
Mon coeur bat tellement vite que j'ai l'impression qu'il va exploser, j'ai peur. Je ne sais pas ce qu'il va se passer après, je ne sais pas ce qu'on va pouvoir faire, la seule chose que je veux c'est ramener ce garçon à son frère, soigner l'inconnu torturé par les miens, et surtout qu'on s'en sorte tous vivant. Je regarde le rétroviseur avec appréhension. Ils nous suivent, et j'aperçois plusieurs voitures. Je regarde Thomas, légèrement paniquée alors que lui semble si calme, complètement concentré dans sa conduite. C'est de la folie, on va sûrement tous se faire tuer, et ça sera ma faute. J'ai de nouveau la nausée. Mais en voyant l'état des Particuliers, la façon dont ils ont été traités, ça me rend bien trop malade, et je ne pouvais pas ignorer cette horreur.
Un sanglot me sort de mes pensées, je me tourne vers l'arrière et découvre le petit garçon en pleurs.

_ Dis moi comment tu t'appelles, lui soufflé-je doucement.

Le petit relève la tête vers moi, ses yeux rougis par les larmes, il étouffe un sanglot pour me répondre d'une voix brisée :

_ Gabriel.

_ Écoute Gabriel, je te promets que je vais te sortir de là, et tu vas pouvoir rejoindre ton frère, d'accord ? lui souris-je doucement pour le rassurer. Mais en attendant, il faut que tu restes courageux. Tu te rends compte de ce que tu peux faire avec le feu ? Ce n'est pas toi qui devrais avoir peur, c'est eux.

Gabriel sourit finalement et renifle. Je regarde de nouveau la route alors que Thomas accélère. Les voitures sont loin derrière nous. Nous arrivons rapidement en forêt et Thomas arrête le véhicule, nous devons continuer à pieds. Je souffle doucement, j'aide Gabriel à descendre alors que mon ami prend l'homme inconscient sur ses épaules.

_ Et maintenant ? m'interroge Thomas en me regardant.

_ Je sais où vous devez allez, c'est plus loin dans la forêt, vous y serez en sécurité, indiqué-je en attrapant la main de Gabriel.

_ Et toi ?

Je lève les yeux vers lui. Je ne peux pas les suivre. On va se faire prendre, je le sais, et si j'ai fait ça, ce n'est pas pour qu'ils se retrouvent enfermés. Je suis déterminée à les sortir de là, au péril de ma vie. C'est complètement fou, mais je ne peux pas rester là sans rien faire pendant que mon peuple massacre le leur. Mes parents ne seraient pas pour ça, ils n'auraient pas laissé passer ça, ils auraient fait quelque chose. Alors oui je n'ai pas beaucoup d'influence, et cela ne va probablement pas changer les choses, mais au moins, j'aurai sauvé trois d'entre eux, j'aurais agi. " Quand tu as l'occasion de faire quelque chose de bien tu te dois le faire. " disait souvent mon père. Et il avait raison, comment peut-on vivre après avoir assisté à quelque chose d'horrible sans avoir eu le courage de réagir ? Je m'en voudrais toute ma vie.
Je me baisse vers Gabriel et lui souris doucement.

_ Tu te rappelles de l'endroit où tu étais avec ton frère ? Tu pourrais retrouver le chemin ?

Les garçons hoche positivement la tête. Je me relève et regarde Thomas.

_ Tu le suis, il sait où il va. Je vais détourner l'attention des soldats.

_ Adelia... C'est trop dangereux, ne fais pas ça, supplie Thomas.

_ On peut pas les laisser, Gabriel est trop petit et cet homme va mourir s'il ne se fait pas soigner, dis-je en désignant l'homme sur ces épaules. Et toi... Ils vont te tuer... Ne t'inquiète pas pour moi, je saurai me débrouiller, je viendrai vous retrouver.

_ Ad-, commence Thomas.

_ Partez maintenant, le coupé-je durement, Allez, courez !

Il soupire et finit par attraper Gabriel.

_ Je vais venir te chercher, me fait-il d'un ton grave.

Je hoche la tête et lui fais comprendre qu'il lui faut partir vite. Ils quittent finalement mon champ de vision. J'efface rapidement leurs premières traces. Mes mains tremblent, alors je serre les poings tandis que j'aperçois les voitures arriver, comme je m'y attendais.

Garde ton sang froid.

J'attends d'être sûre qu'ils m'aient vue, avant de me mettre à courir dans la direction opposée de celle prise par Thomas et les Particuliers. Je pousse sur mes jambes à toute vitesse, n'écoutant que ce que mon cerveau me dicte. Alors que je m'enfonce dans la forêt, j'entends les voiture freiner brutalement, puis vois des soldats en sortir en trombe.

_ Rattrapez là !

J'accélère le rythme, je pourrais presque entendre mon coeur qui bat violemment. J'ai la respiration saccadée, et j'entends les voix des soldats se rapprocher. J'ai peur, je n'arrête pas d'avoir peur. Et c'est elle qui me pousse à courir encore plus vite. Ma course est compliquée, la densité des arbres ne rend pas les choses faciles. Et la neige me ralentit considérablement. Ils vont finir par m'attraper, je le sais. Je continue de courir pourtant, malgré le fait que la situation soit désespérée. Je repousse toutes les limites de mon corps, pour avancer toujours plus vite. Mes jambes me font mal, ma respiration est de plus en plus bruyante, je slalome entre les arbres. Il faudrait un miracle pour que je sorte de là. Je les entends, ils sont de plus en plus près. Je vois un fossé à quelques mètres, alors j'accélère et pousse sur mes jambes afin de sauter le plus loin possible. Au même moment, une détonation retenti, et une douleur aiguë se propage dans toute ma jambe. Je tombe au sol de l'autre côté. La respiration saccadée, tous les muscles de mon corps me font un mal de chien, et mon coeur bat si vite qu'il m'assomme d'adrénaline. Mais je n'arrive pas à bouger. Ils m'ont paralysée.

Les soldats s'approchent, ils sont autour de moi . Allongée sur le ventre, je ne peux pas les voir, mais rapidement l'un d'entre eux me retourne. Mr. Williams me regarde, un air affreusement glacial sur le visage. Il ne dit rien, pourquoi ? Je vais mourir. Ils vont m'interroger, me torturer, et ensuite me tuer.

_ Amenez-la, lâche-t-il alors froidement.

Une aiguille se plante dans mon cou, et je perds connaissance une seconde plus tard.

***

J'ouvre difficilement les yeux en sentant au même moment que la douleur ressurgit dans mon corps. J'ai la tête qui tourne, et ces violents vertiges me donnent un mal de tête insupportable. L'effort que j'ai fait pour essayer d'échapper au Cort rend mes jambes douloureuses. Mes poignets me font mal, mes bras me font mal. Je relève difficilement la tête, et découvre alors que mes mains sont attachées par des chaînes à une poutre épaisse. Je suis à genoux, et la pièce où je suis ressemble à endroit abandonné, sombre et complètement délabré. Tout ça n'a rien de rassurant. Où est-ce que je suis ? Mon corps se met à trembler, je suis en simple débardeur et la température de cette pièce doit être équivalente à celle de l'extérieur. Mais le froid n'est rien comparé à la peur qui m'accompagne. Je suis vraiment, vraiment dans la merde. J'espère au moins que Thomas et les deux Particuliers vont bien, je l'espère vraiment.
La porte face à moi s'ouvre, et je sens mon cœur bondir dans ma poitrine. Je garde la tête baissée et les yeux rivés au sol, sans rien dire. Reste forte.

_ Vous savez que la trahison est une des pires fautes qu'on puisse commettre ? fait la voix que je reconnais comme celle de M. Williams.

Je ne dis rien. Je ne dois pas lui montrer un quelconque signe de faiblesse.
Inspire, expire.

_ Mais peut-être que si tu nous dis où sont les Particuliers et ton ami, je serai plus clément.

_ Vous devriez me tuer maintenant, parce que je ne dirai rien, dis-je froidement en levant les yeux vers lui.

Si on avait pu tuer d'un regard, je serais morte. Ses yeux sont emplis d'une froideur et d'une haine aussi effrayantes que déroutantes. Je frissonne. Mr. Williams chuchote quelque chose dans l'oreille du soldat qui l'accompagne, et il me tourne le dos avant de sortir de la pièce. Seule ma respiration saccadée malgré moi se fait entendre dans la pièce. Je crois les yeux noirs du soldat qui affiche un léger sourire sadique. Il s'approche lentement de moi, si lentement... c'est une torture mentale. On se regarde quelques secondes dans un silence lourd. Puis, sans que je puisse bouger, il me gifle. Ma tête part sur le côté et je souffle avec difficulté, essayant d'oublier la douleur. Lorsque je relève la tête, il ricane.

_ Mademoiselle à de l'audace, raille-t-il. Tu sais que si tu parles, je n'aurai pas à faire ça. (il se dirige vers une table de la pièce) J'ai pour ordre de te faire parler, et ce par n'importe quel moyen.

Il passe derrière moi et je le sens attraper mes cheveux pour tirer ma tête en arrière. Ma poitrine se soulève et se baisse rapidement et douloureusement. Son visage s'approche du mien, et son autre main glisse lentement le long de mon corps. Ça me dégoûte, la seule chose que je veux c'est qu'il arrête ça.

_ Et je suis quelqu'un de très patient, chuchote t-il alors à mon oreille.

Je veux qu'il s'éloigne. J'avale difficilement ma salive et avec le peu de courage qu'il me reste, je lui donne un violent coup de tête. Il crie, surpris. Il gémit de douleur en jurant.

_ Tu l'auras voulu.

Il me tape dans les côtes avec son pied avant de se diriger de nouveau vers la table. Il attrape un fouet, et je serre les paupières en soufflant. Il ne faut pas que je craque, je ne dois pas laisser ma peur l'emporter. Mais mon corps tremble de lui même. Je n'ai jamais été confrontée à une telle situation, malgré tout ce qu'on m'a appris. Notre entraînement ne nous prépare pas à ça.

_ Ça aurait pu se passer tellement mieux, dit le soldat en se plaçant dernière moi.

Je ne réponds pas, les yeux fermés. Qu'est-ce que je peux faire maintenant ? Au moins je suis sûre qu'ils n'ont pas retrouvé Thomas et les Particuliers. Soudain, j'entends le fouet fendre l'air, et le sens frapper mon dos avec vitesse. La douleur est horrible, comme si on m'arrachait la peau. Je ne pense pas avoir déjà connu une douleur aussi fulgurante. Je me mords violemment la lèvre inférieure pour empêcher un cri de douleur de sortir de ma bouche. En revanche les larmes remplissent déjà mes yeux.
Il frappe une deuxième fois, et cette fois je ne parviens pas à réprimer un gémissement déchiré avant qu'un sanglot ne s'échappe de mes lèvres. Je n'y arrive pas. Je suis si faible...

Il frappe encore, et encore, jusqu'à ce que je ne sente presque plus mon dos. Mes joues sont à présent ravagées par les larmes, et ma gorge si nouée que j'ai l'impression d'étouffer. Tout mon corps est vidé de son énergie petit à petit. J'entends le soldat soupirer.

_ Tu vas parler ! Hurle t-il.

_ Vas te faire foutre, soufflé-je avec le peu d'énergie qu'il me reste.

Il jure, et j'entends les os de ses doigts craquer alors que je sens sa colère accroître. Je ferme les yeux me préparant à recevoir un autre coup qui me sera sûrement fatal au bout d'un moment, mais la porte s'ouvre brutalement, et je relève difficilement la tête, surprise. Lorsque mes yeux rencontrent ceux de la personne qui se tient à l'entrée de la pièce, mon cœur rate un battement et le soulagement qui me prend me fait presque vaciller tant il est important. Je ne vais peut-être pas mourir, finalement. Caleb. Il est là, ses yeux vairons brillant plus que jamais et m'observant avec douceur et douleur. Il serre les poings et je vois sa mâchoire se contracter lentement, puis il lève les yeux vers le soldat derrière moi qui a probablement toujours le fouet en main. Son regard vire au noir, et je sens la terre se mettre à trembler progressivement autour de moi. Mes chaînes sont sur le point de se brisées, et la table valse d'elle même dans la pièce alors que je m'effondre sol. Je gémis de douleur, mes chaînes ont lâché. Je lève les yeux et vois Caleb qui fixe toujours le soldat derrière moi. Les murs tremblent, absolument tout se brise autour de nous, c'est comme si tout allait exploser. C'est Caleb qui fait ça. Son pouvoir est tout aussi incroyable que terrifiant. Je laisse tomber ma tête, n'ayant plus la force de la tenir. Le front contre le sol froid, j'entends un hurlement dans mon dos.
Puis soudain tout s'arrête. C'est le silence complet.

_ S'il vous plaît... ne me tuez pas, supplie le soldat dans mon dos.

_ T'aurais dû y penser avant de la toucher, lui répond Caleb d'une voix emplie de haine.

J'entends des gémissements de douleur, le son des coups assénés. Je me redresse difficilement et serre les dents en sentant la douleur irradier mon dos. Assise sur le sol, je tourne la tête pour voir Caleb s'acharner de toutes ses forces sur le soldat du Cort. Ces gestes sont d'une brutalité et d'une haine effrayante. Il donne l'impression d'être devenu fou.

_ Caleb..., l'appelé-je faiblement.

Il n'entend rien, aveuglé par la rage. Il continue de le frapper, et je vois à présent le sang du visage défiguré du soldat éclabousser le sol. Il est en train de le tuer.

_ Caleb ! crié-je plus fort alors que des larmes coulent le long de mes joues.

Il s'immobilise alors, et tourne la tête vers moi. Puis, il jette le soldat maintenant inconscient dans un cri de haine. Il s'approche rapidement de moi, à genoux face à moi. Il passe ses mains sur mes joues, essuyant mes larmes brûlantes au passage, et je laisse mes yeux se plonger dans les siens. Je suis tellement heureuse de le revoir. Son regard sur moi semble si douloureux, si triste, empli d'une culpabilité particulière. Il pose ses lèvres sur mon front, et je ferme les yeux en laissant d'autres larmes dévaler mes joues alors un sanglot s'échappe de mes lèvres. J'ai eu tellement peur, j'ai réellement pensé que j'allais mourir, que je ne verrai plus mes frères, ni mes amis, que je ne le reverrai plus lui. Ce que je viens de vivre, cette torture, mon peuple l'afflige aux Particuliers, et vivre cette infime partie de leur calvaire quotidien ne fait qu'accroître ma honte et mon dégoût. Je suis humaine et soldat du Cort, indirectement j'ai participé, j'ai accepté. Comment j'ai pu ? Comment ils peuvent ? Pourquoi ? Je suis épuisée, physiquement et mentalement, je n'en peux plus.

_ C'est fini Adelia, souffle Caleb d'un ton rassurant. Ils ne te feront plus rien, je te le promets, je ne laisserai plus personne te faire du mal.

Un autre sanglot s'échappe de mes lèvres, alors que je prends encore conscience de toute l'atrocité du monde dans lequel je vis. On lui a fait ça à lui aussi, ces cicatrices, dans son dos, elles viennent de là, de tout ça, de cette atrocité. Il ne mérite pas ça, personne ne le mérite. Je suis faible, si faible. Je laisse ma tête tomber lourdement contre l'épaule de Caleb, à bout de forces. Il passe sa main sur l'arrière de ma tête et embrasse une nouvelle fois mon front en caressant mes cheveux. Il tente de me réconforter comme il peut, et je sanglote en silence. Je me sens en sécurité, avec lui. Son autre main se pose dans mon dos, et je siffle de douleur. Ça brûle, tout mon dos me fait mal, horriblement mal. Alors, je suis surprise lorsque je sens une étrange chaleur se dégager de la main du Particulier lorsqu'elle se pose sur le haut de mon dos, et s'y répand lentement, me soulageant petit à petit. Caleb se sépare finalement doucement de moi et retire sa veste pour me la mettre. Je me blottis dans celle-ci, et apprécie l'odeur rassurante qui s'en dégage.

_ Tu as besoin de soins, souffle-t-il, la mâchoire serrée.

Je hoche la tête d'un mouvement à peine perceptible, mon corps semblant à cet instant dénué de tout muscle. Je suis si épuisée... Caleb passe un bras derrière mes genoux, puis le deuxième dans mon dos en faisant attention à ne pas me faire mal. J'enroule mes bras autour de son cou, sentant la fatigue m'emporter petit à petit. Mes yeux se ferment d'eux même, et je n'ai plus la force de lutter. J'aimerais tellement que les choses soient plus simple, je voudrais que mes parents soient là, je voudrais être avec mes frères, je regrette l'époque où tout était plus simple, à un point qui me déchire le cœur.

_ Tu restes avec moi, Adelia, me fait précipitamment Caleb, alarmé.

Mais je n'écoute déjà plus.

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