III

Manifestation nocturne... De toutes les démarches,c'était la plus invraisemblable.

On dit souvent que nous sommes un peuple fou. Un peuple tête en l'air. Nous sommes ,je dirais , inventifs. Nous avons l'imagination trop débordante. Ce n'est pas un mal,cela ne l'a jamais été. Les plus belles innovations ne viennent elles pas d'un esprit vif ? Nous savons jouer,tourner en notre avantage. Nous savons que nous pouvons gagner.

Ce soir là,je n'avais pas sommeil. Je n'y  arrivais pas. Après m'être tournée en boule sur le lit,j'avais pris mon téléphone et fait un détour sur Facebook. Ces temps ci, les informations tombaient à chaque minute. À chaque fois que je me connectais,il y avait toujours quelque chose de nouveau.

Aujourd'hui encore, je n'ai regretté d'avoir cliqué sur ces photos. Vêtus de blancs ,bougies à la main ...marche Pacifique. Je ne pouvais pas y croire. Incroyable,ça l'était. Il n'y a que les petits -goaviens pour avoir de telles idées,avait déclaré ma mère une fois que je les lui ai montrées.

_Regarde Man!

_Moun tigwav fou wi! ( Ils sont fous!)

Dans la littérature Grecque, on avait fait la connaissance de Diogène. Celui-ci avait dit-Je cherche un homme-. Certains pourraient dire qu'il aurait pu en trouver s'il avait bien cherché.Minitieusement. Sauf qu'ils ne savent  pas ,sans expertise ,les critères pour être homme selon Diogène. Je ne savais où m'entrainait cette philosophie ni quel rapport il y avait entre elle et la situation actuelle. J'y pensais tout simplement.

Le lendemain, la journée s'était  déroulée tranquillement. Ils étaient sans doute épuisés, avait soufflé Titine. Un répit. Les cours reprenaient normalement ,pour une fois , depuis la rentrée des classes. J'avais eu vent en questionnant,mon parrain,qui était toujours aux nouvelles , que des négociations étaient sur table. J'espérais que les choses reprennent leur cours habituel.

Lys,il m'a lâché. Carl.

Je n'étais pas surprise que Carl ait lâché Lorie. Je n'avais pas trop compris leur relation. Carl ,froid comme un bloc de glace. Lorie ,tendre comme une baume. Bien qu'il est vrai que les contraires s'attirent, ces deux là étaient trop opposés pour s'entendre. Déjà mal en point que je l'étais,j'essayais de consoler mon amie. L'amitié c'est sacré. Je lui avais raconté des trucs drôles pour l'amuser. Je voulais lui changer les idées.

_ Ça te dirait, Dimanche, que nous allions  prendre une glace, Paola,toi ,moi ?

_ Tu es sérieuse? Ta maman voudra?

_Je la convaincrais. Du moment que je ne rentre pas ivre ni à vingt heures, ça lui conviendra.

_ Cool! Lys.

La semaine s'était  écoulée calmement. Dimanche était arrivée en un clin d'oeil. Je passais prendre Paola ,ensuite nous passions ensemble  récupérer Lorie. À nous trois,Promenade. Léo , n'avait pas tardé à être le sujet de nos conversations.

_ Lys est amoureuse! M'avait charrié Paola.

_ Depuis deux ans maintenant,avait répliqué Lorie.

Paola et Lorie croyaient en ces contes de fées comme quoi l'amour est ceci,l'amour est cela .  Elles imaginaient même une fin heureuse pour Léo et moi. Doutes. Moi,je n'imaginais rien nous concernant. Je nous voyais quelques fois Comme Casimodo et Esmeralda,sauf que dans ce cas ;ce serait moi le bossu de notre dame. La grenouille et le Prince , peut être. J'aimais o ,oui . Un amour destructeur , indestructible.

_ Et si on allait le voir? Avait proposé Lorie.

_ T'es folle!

Je n'oserais pas me présenter chez lui et demander à le voir poliment.  Je n'avais pas encore le F de Femme pour faire un truc pareil. Non et non. 

Nous avons fait la folle,ce soir là. Rires,blagues,plaisanteries. J'étais de bonne humeur,contente que Lorie soit souriante.

On n'a pas tous le même moral. Les peines de coeurs ne se surmontent pas tous de la même façon. Dépression. Beaucoup l'ont frôlé. Je me réjouissais du fait que mon amie le prenne assez bien.

Oh mais vous êtes ...

J'aurais parié que Léo m'avait vu venir. Et qu'il m' a expressément bousculé. Tout lui.  Moi ,je ne l'avais pas vu. Je lui aurais sauté au cou mais je m'étais contentée de lui retenir la main.

Je me rappelle l'avoir trouvé différent,ce soir là. Il me serrait fermement la main comme pour ne pas que je m'en aille. Il était très tactile,bisous sur bisous . Il souriait tout le temps. On s'amusait vivement. Paola et Lorie me lançaient des regards complices. Nous voir ensemble les plaisaient.

Lys est bisophobe,caressophobe,sexophobe.

Il n'y avait que Léo pour sortir des conneries pareilles,avais- je dit tout haut. Le roi des idiots et des pervers.
Je faisais mine de bouder de sa petite plaisanterie. Caprices.

Sa main chaude réchauffait la mienne. J'étais bien. La pluie, il pleuvinait. Je ne me préoccupais  pas  des gouttes froides qui commençaient à mouiller mon T-shirt mais de ses lèvres qui se posaient sur les miennes. Un baiser.  Un mélange de tendresse,de rage ...comme s'il voulait que nous fassions un. Il ne m'avait jamais  embrassé comme tel auparavant. Les passants réfugiés sous les galeries nous avaient regardé d'un air ahuri,je suppose. Timoun pa respekte granmoun anko. Je n'avais que faire des jugements. À ce moment là,lui seul existait. Ma limite. J'avais ce pressentiment que quelque chose avait changé ou qu'il voulait me faire un aveu. J'attendais et une phrase avait effectivement tout changé.

Je pars après demain.

Partir pour ne plus revenir ? Choc.
Sauf des exclamations avaient pu franchir mes lèvres, ohw!waow!

J'avais déjà imaginé milles fois ce jour là. Milles fois tourné le scénario dans ma tête. Et jamais autant,je n'étais atteinte ,désolée.  Ne le savais je pas?Oui. Il fallait qu'il parte. Trouver sa voie. Écrire son histoire.
Tout ça,je le savais . Mais comment vivre avec cette angoisse ,cette peur de ne plus faire partie de sa vie?De n'être qu'une page oubliée?

_Tu ne dis rien?

_ Je suis contente pour toi,Léo.

Il n'avait rien ajouté. Sage décision. Il y a de ces moments où le silence est le meilleur remède. Nous n'étions pas de ces personnes qui se disent Au revoir. En dessus de tout ça. Les orgueilleux.
Avant de rentrer à la maison,je lui avais volé un baiser. Un dernier avant l'éternité,lui avais- je dit. Il avait souri.

Un temps pour chaque chose. Une évidence . Ce moment où l'on croit avoir croisé la mort,l'avoir fui à grandes enjambées. Un moment pareil.J'avais failli  laisser ma peau, à l'école. Peut être que j'exagère un peu mais je me rappelle très bien. Des petites cannettes de gaz lacrymogènes,sur l'étendue de la cour. Les cris des petites de la préscolaire. Leurs têtes effrayées. Les filles d'à peu près seize ou dix sept ans, étalées par terre. Inconscientes. J'avais envie d'hurler, pitié! Arrêtez. Sauvez -nous.
Rien . Il n'y avait personne qui pouvait nous sauver. Sauf l'eau. La vie. Quand j'en avais reçu un saut sur la tête,je m'étais senti revenir. Revenir de loin. Beaucoup suffoquaient. Souffle court. J'étais impuissante. Je m'accrochais davantage au mât du drapeau. J'attendais. Dieu ,une intervention. Dessalines,peut -être. Imaginer tient souvent en vie.

_ Mademoiselle,que s'est-il passé ?

J'avais envie de lui foutre mon poing à la figure, de lui faire un doigt d'honneur,d'envoyer son microphone valser loin. Très loin de moi. Journaliste con.  Ne voyait il pas que nous avons été bombardés de gaz lacrymogènes?N'était ce pas clair?

_ Anmwey!

C'était la seule réponse convenable que j'avais pu trouvé à sa question. Stupéfaction.Incompréhension.

Plus tard, dans la soirée, j'avais entendu le bilan de cette journée critique à la radio. Plusieurs élèves se retrouvent actuellement en soin à l'hôpital. Le collège des soeurs de la Sagesse,liquéfié de gaz lacrymogènes. Liquéfié, non! On a failli mourir.
Les images qui défilaient à la télévision,ce soir là, me montaient le sang à la tête. On voyait Sarafina,grimper le petit mur de la cour arrière. Elle aurait pu se blesser.Mais que faire? Elle ne voulait pas mourir sans se débattre.

Ils avaient filmé,ça. Et nul ne nous avait aidé.

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