I
Elle s'était réveillée calme. Silencieuse. Indifférente. Comme si on l'avait en une nuit débarrassé de toutes ses habitudes. Pas un bruit . Aucun klaxonnement ininterrompu. Le trafic semblait grevé. Et pourtant la veille, cette même ville bouillonnait sous un atmosphère festif. Le grand bal annuel au Louco Night Club. Celui qu'il ne fallait pas rater. Tabou Combo pour clôturer les festivités du quinze Août. Cet événement incontournable où Petit -Goave célèbre en pompe la patronne sainte, Notre Dame du Perpétuel Secours . Le ciel n'avait présagé rien de mal. Il s'était dégagé, empourpré dans d'épais nuages blancs. Le soleil brillait à son zénith. Un beau temps ! Les rues de la ville, nettoyées pour l'occasion, grouillaient de gens. Des natifs. Des revenants. Des visiteurs. Une vraie fourmilière !
Tante Rosine, toujours subjuguée par cet affolement, avait même prédit que les commerçants auront une belle vente. Les bords de mer aménagés en bar et restaurant servaient des poissons grillées , lambis boucanés et fritures. Tout semblait aller pour le mieux! Il y avait enfin une lueur d'espoir pour la rentrée des classes prévue pour le mois de Septembre prochain. Mais le malheur n'était jamais bien loin. Elle guettait. Elle nous avait surpris. Tous!
Ce matin du dix huit Août, je faisais la grasse matinée. Je me paressais au lit. À rêvasser sur mon avenir. Dessiner mes perspectives. Des études de droit ou un cursus en littérature. Le choix qui me rendrait vite indépendante. Décider pour soi est un vrai dilemme. Comment prendre la bonne décision pour soi au détriment de quelqu'un d'autre ? La vérité aussi égoïste soit-elle , c'est qu'il faut peut-être penser à son propre bien-être. Le reste, il viendra. Comme d'habitude, je m'étais connectée directement à Facebook. Je défilais mes actualités. Et soudain, un « Post » m'avait interpellé. Tire, bal la kraze, moun mouri. Au début, j'avais cru à une énorme blague. Cela n'arrivait jamais! Mais les commentaires que j'avais pris le soin de lire étaient angoissants. Le bal avait mal tourné. J'étais sidérée. Ma mère incrédule. Mon grand-père, mine de rien, tirait sur sa pipe.
Convaincue, je tremblais d'inquiétude. Mes amies. Lui. Est ce qu'ils vont bien? J'avais atrocement mal. Anxieuse, je pouvais percevoir le tambourinement de mon coeur. Il martelait dans ma poitrine. Aimer quelqu'un et le perdre, c'est une douleur pour laquelle je n'étais pas encore prête. Se sentir vide comme une coquille. Culpabiliser de ne pas avoir profité assez. Se rappeler de tout. Vivre définitivement qu'avec des brides de souvenirs . Savoir qu'au final , rien ne sera comme avant. Non, je n'étais pas prête !
Comme une bête en cage, j'avais arpenté toutes les pièces de la maison. De la chambre à coucher à la cuisine. Je faisais les cent pas. Parfois, je me dandinais. Je n'arrivais pas être calme. Je tentais de joindre Judith et Lorie. Rien. Je tombais à chaque fois sur leur boite de messagerie vocale. Je m'énervais.L'attente avait duré plus de deux heures. J'étais décidée à sortir pour savoir ce qui s'était passé réellement mais ma mère s'opposait catégoriquement . Peur qu'il y ait des représailles. Je fulminais de l'intérieur. Impuissante, je l'étais.
Vers les onze heures, mon téléphone s'était mis à vibrer. Lorie m'appelait enfin. J'étais quelque peu soulagée. Je lui bombardais de questions.
_Les autres aussi vont bien. Ne t'en fais pas! Mais fallait me voir Lys , j'ai l'impression que tous mes organes s'engloutissaient. Que mes intestins se retournaient à l'intérieur de moi. J'ai fait pipi sur moi. Stupéfaction , petite.
_ Je peux enfin respirer. J'ai eu une de ces peurs,tu ne peux imaginer. Mais dis moi, tu l'as vu?
_ Je savais qu'on arriverait à cette question là, dit -elle sous le ton de la plaisanterie. Nous l'avions vu ,Gina et moi aux environs de la Hatte. Il dansait avec une fille, Regina je crois. Tu sais comme il a les reins mous ,m pa bezwen di w plus.
_ Après la débandade ,tu l'as vu? J'aurais aimé savoir s'il va bien.
- Claire l'a vu ,ce matin même. Ceci dit,il va bien Lys. Léo n'a rien.
- Ouff! Je vais pouvoir manger maintenant .
Le lendemain,le drame était à la une des journaux , des médias locales et nationales. On en parlait même à l'échelle internationale. Cela avait duré la semaine entière.Petit-Goave,le bal tourné en drame. Manman Marie mécontente. Des titres qui savaient susciter de la curiosité. Le conseil de la mairie donnait des conférences de presse par ci ,par là , le député se justifiait. Nul ne semblait savoir ce qui s'était réellement passé. À la radio, j'entendais des mères et pères de familles, qui se lamentaient. Ma fille n'est pas rentrée. J'ai retrouvé les chaussures de mon fils. Aidez moi ,je vous prie. Ma mère soupirait à chaque fois. Jamais la fête du Notre Dame du perpétuel Secours dit fête _MANMAN MARIE_ ne s'était terminée ainsi.Sous une vague de plaintes,de complaintes. Sous une note d'incompréhension.
En un rien de temps,des organisations s'étaient formées. Le bloc de l'opposition. Des accusations giclaient à tort et à travers. Justice,à bas la corruption... Les requêtes s'avéraient diverses.
Entre temps, j'avais hâte de retourner à l'école. Je me souviens avoir compter les jours. Au fur et à mesure, que les protestataires gagnaient les rues autant que la tension rendait la rentrée des classes perplexe. Combustion de pneus, gaz lacrymogènes... J'avais l'impression de revivre la période où lavalas et Convergence s'opposaient. 2004.J'étais petite à l'époque mais je me souviens de beaucoup de détails. La première fois que j'avais vu les casques bleus. Un après midi où je jouais sur la petite galerie au pied de ma mère. Elle s'était empressée de me traîner à l'intérieur avant de verrouiller la porte. Je ne comprenais pas grand chose. Ce matin du quatre Février, le déchoukaj*. La ville puait la fumée. L'anxiété et la peur se lisaient entre les plis du front des grands, ils avaient peur. Je me rappelle également de la première fois où j'avais été sujet au gaz lacrymogènes. C'était presqu'à cette époque. J'avais quatre ou cinq ans. J'étais à l'école et l'air nous avait soufflé avant de nous étourdir un peu.
Mon grand père,m'a raconté,quand je suis devenue plus grande que c'était l'époque de terreur, cette année deux mille quatres. De nombreux individus armés illégalement,se réfugiaient sur les hauteurs boisées qui dominent la ville comme Fort Liberté,Béatrice pour semer frayeur. Bandits.
Après tous ces vécus ,j'avais une peur enfouie que nous voilà dix ans plus tard ,que l'épisode se répète. Terreur,troubles sociales.
Je retenais mon soufle. Ils le retenaient.
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