Chapitre 24 - La lettre (1/2)

— Où est-ce que tu vas encore ?

Difficile d'ignorer la pointe d'impatience qui perçait dans la voix de ma mère. Allongée sur le canapé, elle lisait un roman dont elle dissimulait la couverture dans le plaid. Je n'étais pas dupe de son manège : je savais que c'était un roman à l'eau de rose et qu'elle était un peu gênée de lire. Je me retins de la taquiner.

Déjà en tenue de sport, avec un t-shirt on ne peut plus couvrant pour que mes parents ne découvrent pas les talents de tatoueur de Gregory, j'enfilai une doudoune légère sous son regard contrarié.

— Je vais courir un peu, prétendis-je. J'ai besoin de me dégourdir les jambes.

C'était l'heure de mon entraînement avec Shawn mais, bien entendu, je n'allais pas raconter à mes parents que je m'apprêtais à retrouver un mercenaire repenti pour qu'il m'enseigne comment me débarrasser efficacement de mes ennemis.

De fait, je me demandai ce qui les aurait le plus dérangés dans mon programme du jour : le fait que je me retrouve seule avec un garçon peu recommandable ou que j'apprenne à devenir une machine à tuer ? Cette question méritait réflexion.

— Mais tu passes ton temps à faire du sport ! s'écria mon père, qui passait par là.

Vêtu de sa panoplie de mécanicien du dimanche, jogging enduit de cambouis et baskets fatigués, il s'apprêtait à rejoindre son havre de paix, le garage. Je me permis donc de lui faire remarquer :

— Et toi, Papa, tu passes bien tout ton temps à retaper des voitures, et personne ne te le reproche.

Mon père adressa à ma mère une expression navrée qui semblait dire « Un point pour elle ». Il s'éclipsa sans demander son reste.

Je revins à ma mère, dont la contrariété s'était muée en déception. Je compris aussitôt où était le problème.

Me faisant aussi câline qu'un chiot plein d'amour, j'allai lui faire des papouilles sur la joue. Elle se ramollit malgré elle, feignant toujours de me bouder, un doigt au milieu de son livre pour ne pas perdre sa page.

— Promis, je ne serai pas longue. Donne-moi une bonne heure. Quand je reviens, on pourra regarder un film ensemble ?

La proposition finit de chasser sa mauvaise humeur, et elle m'adressa un sourire empli de tendresse.

— Je te laisserai choisir.

— Un film catastrophe ? Ça te changera de – je me tordis le cou pour déchiffrer le titre de son livre – « Un mystérieux patron ».

— Vilaine ! se scandalisa-t-elle dans un éclat de rire, cachant son précieux contre sa poitrine.

C'était mignon de voir que ma mère restait une midinette quelque part dans sa tête.

— À tout à l'heure ! chantonnai-je, lui envoyant un baiser de la main.

Je claquai la porte d'entrée derrière moi, un sourire dansant sur mes lèvres. Je voulais le croire : ce jour-là serait une bonne journée.

J'étais pile à l'heure pour mon rendez-vous avec Shawn. Quelle ne fut pas ma surprise de voir le petit attroupement silencieux massé devant la salle d'entraînement. Laurine, Helena et Cathy se fondaient dans l'ombre du couloir, discrètement penchées vers le hublot qui donnait sur l'intérieur de la pièce. Le pire dans cette scène, c'était qu'elles chuchotaient.

— Qu'est-ce que vous fabriquez ? leur lançai-je, abasourdie.

Chut ! m'intima Helena en plaquant un index sur ses lèvres.

Puis, avec des gestes saccadés, elle me fit signe de les rejoindre. Je m'exécutai sur la pointe des pieds. Je réalisai alors que je les avais dérangées en pleine séance d'espionnage – ou de matage, au choix. Dans la salle, Shawn était seul et, sans doute pour s'occuper en m'attendant, il enchaînait sans temps mort des tractions sur la barre fixée au mur. Même à travers son t-shirt, on pouvait deviner le mouvement de ses muscles dans son dos. Quant à ceux de ses bras...

— Vous pensez qu'il peut tenir longtemps comme ça ? murmura Cathy.

Elle avait posé cette question en toute innocence, sans aucune arrière-pensée. Le ton d'Helena, lui, laissait entendre qu'elle avait des arrière-pensées à foison.

— Je ne sais pas, mais une chose est sûre : je pourrais passer ma journée à le regarder.

Sans pouvoir le contrôler, je lui jetai un coup d'œil assassin qui, heureusement, resta invisible dans la pénombre du couloir.

— N'exagère pas, quand même, s'exaspéra Laurine, yeux levés au ciel. Il n'est pas mal, mais je n'en ferais pas des folies.

Je crus qu'Helena s'étoufferait sous son indignation.

— Pas mal ? éructa-t-elle dans un chuchotis outré. Tu plaisantes ? Quelle mauvaise foi !

— Pas mal, oui, si tu aimes les gueules d'ange bien policées, insista cependant Laurine, sans doute pour le plaisir de la rendre chèvre. Personnellement, je préfère les physiques avec plus de caractère.

Clairement, si Laurine persistait, Helena finirait par faire une crise d'apoplexie. La blonde pivota brièvement la tête vers moi ; je jurerais qu'elle m'avait adressé un clin d'œil. Probablement une hallucination due à l'obscurité.

— Tu délires, ma vieille, ronchonna Helena.

On aurait pu croire que Laurine venait d'insulter sa mère.

— Tu sais quoi ? reprit-elle, menton relevé avec dignité. Tant mieux. Tu ne sais pas ce que tu perds. Moi, les mecs du nord, j'en fais mon quatre heures.

— Qu'est-ce que ça fait qu'il soit du nord ? l'interrogeai-je, sceptique.

L'accent du jeune homme l'avait visiblement trahi sur sa provenance, même si Zwallen ne correspondait pas non plus à l'extrémité septentrionale du pays.

En avisant l'air félin et coquin d'Helena, je regrettai de ne pas pouvoir ravaler ma question.

— Tu ne sais pas ce qu'on dit des gars du nord ? Ils sont froids à l'extérieur et chaud bouillant à l'intérieur. Ce gars, reprit-elle en plaçant Shawn dans la ligne de mire de son regard brillant de convoitise, je suis prête à parier que c'est un très bon coup.

Alors que Laurine marmonnait un « Pitié » désabusé, la seule pensée qui me traversa l'esprit fut qu'Helena irait très bien avec Gregory.

— Mais... il n'est pas trop petit pour toi ? fit songeusement Cathy, toujours avec cette honnête curiosité.

Le goût d'Helena pour les géants était connu de tous.

— Il doit faire quoi, un mètre quatre-vingts, quatre-vingt-cinq ?

Elle se frotta le menton, avant d'annoncer, magnanime :

— Pour lui, je fais une exception.

Un rugissement de désespoir se formait dans ma gorge, que je n'eus pas l'occasion d'expulser. De l'autre côté de la porte, Shawn s'était laissé retomber sur ses pieds. Nous attendîmes la suite des événements avec force attention, même si je m'en voulais un peu de l'observer à son insu.

Enfin, à son insu, peut-être pas.

Le jeune homme frotta sa nuque. Il me fallut une seconde de trop pour interpréter ce geste pour ce qu'il était : de l'embarras. Déjà, il faisait volte-face vers la porte, regard comme braqué sur nous à travers le mur. J'eus la désagréable impression qu'il percevait notre présence, puis compris que c'était le cas lorsqu'il cria, suffisamment fort pour que nous l'entendions depuis notre cachette :

— Ça va durer encore longtemps, ce cirque ? Ça commence à devenir gênant !

Nous demeurâmes paralysées, quatre biches prisonnières des phares d'une voiture. Ce fut Helena qui, dans un glapissement, donna le signal du départ :

— Grillées !

Et nous nous carapatâmes à toute allure dans le couloir, pareilles à des voleuses poursuivies par un gendarme, sauf que nous riions comme des idiotes. Décidément, c'était bien plus drôle d'avoir un garçon dans la Moon House qui n'était pas un Éclaireur.

Arrivée dans le hall, je me sentis tout de même un peu bête. C'était moi que Shawn attendait. Ainsi, les filles pouvaient bien se permettre de se réfugier dans le salon en affectant une mine innocente. Moi, j'allais devoir redescendre dans quelques minutes et prétendre que je n'avais pas fait partie des curieuses qu'il venait de chasser.

Par chance, un alibi se présenta à moi sous la forme de Sandy, qui poussa à ce même instant la porte du manoir. Elle justifierait le retard que j'allais m'octroyer pour échapper à tout soupçon. J'avisai mon amie... et ma mâchoire se décrocha.

— Waouh, articulai-je, décontenancée. Tu es... superbe.

Clairement, Sandy ne s'était pas attendue à me voir là si tôt. Elle hésita sur le seuil, et ce laps de temps me suffit pour comprendre qu'il y avait anguille sous roche. Elle se décida ensuite à entrer, les joues rosies de gêne, tentant en vain de dissimuler la robe couleur lilas qu'elle portait sous son long manteau bleu marine. La coupe sirène épousait ses hanches à la perfection.

— Merci, répliqua-t-elle, les lèvres crispées en un sourire embarrassé. C'est une robe que j'ai empruntée à Laurine.

— Pour aller chez ta mère ?

N'effarouche pas la bête, me tançai-je en pensée.

— Oui, il y avait... un anniversaire, répondit-elle.

Je n'avais pas le droit de cuisiner Sandy, je m'en rendais bien compte. Malgré cela, mes yeux l'étudièrent sous toutes les coutures sans que je puisse l'en empêcher. Avec son absence de maquillage et ses cheveux ondulés qui dévalaient librement ses épaules, elle semblait davantage rentrer de soirée plutôt que d'un anniversaire qui se serait étrangement terminé à quinze heures de l'après-midi. Soit elle me mentait, soit les amis de sa mère offraient une bien mauvaise compagnie.

— Bref, s'empressa-t-elle de changer de sujet. Regarde ce que j'ai trouvé.

Mon imagination s'était tant enflammée que je mis un moment à voir qu'elle me tendait quelque chose. Une enveloppe de vélin, blanche et élégante, sur laquelle un seul mot était inscrit d'une écriture calligraphique.

Monica

— Elle était glissée dans la porte d'entrée, m'apprit Sandy. Aucune fille de la maison ne s'appelle Monica, alors j'ai d'abord cru à une erreur. Puis je me suis souvenue que c'était le prénom de ta sœur. Je me suis dit qu'elle t'était peut-être destinée ?

Tout dans cette lettre, de son papier soyeux au parfum d'encens qu'elle dégageait, témoignait du goût de son expéditeur pour le raffinement. Pourtant, la simple vue du prénom de ma sœur, écrit noir sur blanc sur cette enveloppe, avait noué mon estomac.

Avec des doigts mal assurés, je la décachetai et dépliai délicatement le papier ivoire qu'elle contenait. Mes yeux parcoururent la missive avec empressement.

Très chère Monica,

J'espère que cette lettre vous trouvera en grande forme.

Il y a quelques mois de cela, vous vous êtes adressée à moi

dans l'espoir de trouver une solution à un problème délicat.

J'aime à penser que le grimoire que j'ai confié à vos bons soins

aura été à la hauteur de vos attentes.

À moi de me tourner vers vous pour rechercher votre assistance.

Je compte sur votre visite ce jour, à votre convenance.

Amicalement,

Léonard

Tant de mois s'étaient écoulés depuis cette nuit fatidique de mai que je m'étais persuadée que le jour de rendre des comptes ne viendrait jamais. Je m'étais trompée. Mon passé venait de me rattraper, et le moment était venu d'honorer ma part du marché.

Je levai un regard embêté vers Sandy, dont les pupilles frémissantes révélaient l'inquiétude exponentielle. Je lui donnai la lettre, qu'elle lut à son tour, visage impénétrable. Une question muette passa dans son regard, auquel je répondis d'un signe de tête penaud.

Oui, le grimoire mentionné était bien celui qui m'avait permis de sauver l'âme de Shawn.

— J'irai ce soir, lui dis-je. Quand mes parents seront couchés.

Je ne voulais pas décevoir ma mère qui, je le savais, m'attendait avec impatience. Je m'étais promis de préserver ma famille, et tant pis pour ma tranquillité d'esprit. Les réponses attendront.

— Passe me prendre avant, répliqua-t-elle. Je rejoindrai les filles après.

Son ton sans appel disait tout ce qu'elle s'abstenait de formuler à voix haute. Son angoisse à l'idée de me savoir seule dans le centre-ville. Ma visite chez Victoria qui avait abouti à mon kidnapping. Les sbires d'Araña qui attendaient dans l'ombre.

— N'en parle pas à Shawn, lui intimai-je dans un murmure. Je ne veux pas qu'il apprenne l'existence de cette dette.

Elle acquiesça lentement, avec quelque réticence. Un regard d'avertissement de ma part, et elle promit dans un soupir :

— Très bien. Je te le promets, sous réserve que ta vie ne soit pas en danger.

— Ça suffira pour le moment.

Je récupérai la lettre et la contemplai longuement, roulant mes lèvres l'une contre l'autre.

— Il n'y a plus qu'à espérer qu'il n'ait pas besoin de moi pour enterrer un cadavre.

***

Coucou! J'espère que vous allez bien 🥰

Un chapitre un peu court, mais qui contient deux éléments importants :

❗️Qu’a fait Sandy dans cette magnifique robe? 😱😂

❗️Que va vouloir Léonard? 😱😅

Pour cette deuxième question, réponse la semaine prochaine 😎 et pour Sandy... ma foi, elle aime entretenir le mystère 🙈

Merci de votre lecture 😁 N’oubliez pas la petite 🌟 avant de partir !

Bisous et bon week-end ! ❤️😘

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