Chapitre 10 - L'homme de la situation (3/3)

Vingt-huit.

Un de moins que ce matin.

C'était bel et bien un compte à rebours, froid et mécanique, qui le marquait comme du bétail.

Shawn n'avait pas surpris mon regard, et je l'entendais, comme à travers de la ouate, nous expliquer que c'était Frédéric qui l'avait fait revenir à cette heure si tardive, pour régler un dernier point. Je voyais ses lèvres sensuelles se mouvoir, ses cheveux encore humides ombrager son front, ses yeux clairs lutter contre le sommeil, et je me retenais de me jeter sur lui.

Je luttais, de toutes mes forces, pour ne pas le supplier de répondre aux questions qui me brûlaient les entrailles comme des braises.

Qu'as-tu promis pour me sauver ? Quel sort funeste t'attend si tu ne remplis pas ta part de cet odieux marché ?

Muette, aussi raide qu'une planche de bois, je mis du temps à me rendre compte du silence qui s'était installé. Shawn et Michael, ces deux garçons qui occupaient une place à part dans ma vie, me contemplaient dans l'attente d'une réponse. Décidément, jamais je n'allais m'habituer à leur surprenante entente que rien n'avait laissé présager.

Je balbutiai, m'humectant nerveusement les lèvres :

— Pardon, j'étais ailleurs.

Ce fut Shawn qui me répondit de sa voix distante :

— Je te demandais si tu allais bien.

Sa sollicitude, bien que manifestée de cette façon si lointaine, fit s'envoler l'espace d'un instant mes inquiétudes à son égard. J'opinai de la tête, pesant le pour et le contre quant à lui avouer ce qui m'avait poussée à tabasser ainsi quelqu'un. Finalement, je confessai tout bas :

— La bête a été plus forte que ma volonté, encore une fois.

Ils s'immobilisèrent. Michael, je le voyais, cherchait les mots pour me réconforter ; Shawn, plus pragmatique, songeait déjà à l'avenir :

— Gregory va devoir camoufler ton aura au plus vite si on ne veut pas éveiller les soupçons.

— Qu'est-ce que c'est que cette histoire, encore ?

L'intéressé, craie en l'air, avait jugé bon de se retourner cette fois-ci, sentant venir l'entourloupe.

— Il faudrait que tu masques l'aura d'Alicia, lui demanda Shawn d'un ton qui tenait plus du commandement que de la faveur. C'est d'autant plus urgent maintenant que Calyo est entrée en contact avec elle. Si elle lance des sbires d'Araña sur ses traces...

— Attends un peu, l'interrompit le sorcier, dévalant au pas de course les quelques marches du perron pour venir à notre rencontre. Si j'ai bien compris, tu me demandes de dissimuler l'aura d'un pouvoir démoniaque ancestral, que je ne perçois même pas, au demeurant ?

Les lèvres de Shawn s'ourlèrent en un sourire narquois.

— Quel est le problème, Greg ? le piqua-t-il de cette voix rendue traînante par l'épuisement. Tout le monde s'accorde à dire que tu es le sorcier le plus doué de ta génération. Un petit sortilège de dissimulation ne devrait pas te faire peur, si ?

Gregory glissa un regard en biais vers Sandy, qui avait suivi de loin la conversation et le considérait de ses yeux océan, bras croisés sur la poitrine en une attitude réservée. Shawn avait touché la corde sensible de son ami : son ego, démesuré comme les chutes du Niagara, de surcroît devant l'objet de son attention.

L'effet ne tarda pas à venir : le sorcier bomba son torse fin et fit rouler brièvement sa nuque, prêt à en découdre.

— Tu sais à quel point j'aime les défis, plastronna-t-il. Donne-moi une nuit, et Alicia redeviendra une banale Chasseuse sans intérêt.

— Hé ! me vexai-je. Le respect, ça va dans les deux sens.

— Et j'attends encore que tes marques de déférence, me rabroua le sorcier avec un claquement de langue. Demain soir, je règle le problème.

— Demain soir, je ne suis pas disponible, leur annonçai-je, le visage encore incendié par l'offense.

— Oh, et qu'est-ce qui retient Mademoiselle ?

— C'est le réveillon de Noël chez moi.

À ma gauche, Shawn suréleva un sourcil dubitatif. Je ne doutais pas qu'il se remémorait, avec toujours autant de scepticisme, le petit Père Noël obèse qui paradait sur le meuble de la télévision.

— C'est une fête de famille importante dans mon pays. Je ne peux pas la manquer, précisai-je en m'efforçant de ne pas lui faire cas.

— Soit, convint Gregory. Dans deux jours, alors. Le vingt-cinq. Dans l'intervalle, tiens-toi à carreaux au cas où...

Une bruyante pétarade éclata dans la nuit comme un feu d'artifice. Bientôt, une petite voiture dévala l'allée à toute vitesse, projetant une pluie de graviers dans son sillage. Je reconnus le véhicule avant d'en apercevoir la conductrice.

Vicky coupa le moteur et s'extirpa de son siège en un saut agile. La sorcière avait noué ses cheveux en une fine tresse flamboyante, et ses lèvres relevées en un sourire malicieux n'étaient pas sans rappeler les babines d'une chatte s'apprêtant à se jeter sur une innocente souris.

Soudain, la ressemblance entre la sœur et le frère fut frappante.

— C'est pas trop tôt ! lui lança Gregory, la rejoignant à grandes enjambées. Tu as tout rassemblé ?

— Évidemment, rétorqua-t-elle, roulant des yeux.

La jeune femme saisit la mallette posée sur le siège passager cependant que Gregory, dont je découvrais désormais le côté légèrement control freak, la bombardait de questions :

— Tu avais de l'huile de jasmin consacrée, alors ?

— À ton avis ?

— Et tu as pensé à l'encens de santal ? L'encensoir, tu l'as bien choisi en acier ?

— Mais oui...

— Et les bougies ? Tu en as bien...

— Greg ! se lassa sa sœur, excédée par cet interrogatoire zélé. Je tiens un magasin, tu te souviens ? Les listes de courses, ça me connait.

Figé, la bouche encore ouverte de tout ce qu'il aurait voulu ajouter, Gregory soupesa les options qui s'offraient à lui : pousser le perfectionnisme jusqu'au bout, au risque de se mettre sa sœur à dos, ou lui faire confiance.

Il opta pour la deuxième solution, ses traits se fondant en une expression proche de l'attendrissement.

— C'est vrai. Et j'espère que tes stocks sont pleins, parce qu'on va avoir besoin d'amulettes de protection contre la psyché. Petite tête ! brailla-t-il ensuite.

Je mis plusieurs secondes à comprendre qu'il s'adressait à moi.

— Quoi ? m'exaspérai-je.

Je retins le « encore » qui aurait sonné bien trop adolescente ingrate.

— Vous êtes combien dans cette maison ?

— Euh...

Je trouvai le regard de Michael, qui laissa fuser la réponse sans même y réfléchir :

— Seize, avec les Éclaireurs.

— Merci, l'intello, marmonna Gregory à contrecœur. En aventurine, ce serait possible ? revint-il à sa sœur, qui réfléchissait, son index tapotant ses lèvres.

— L'aventurine est effectivement la pierre la plus efficace contre les attaques psychiques, concéda-t-elle. Il en faut seize... sous forme de bracelets, ça irait ?

— Parfait. On s'y met demain. À deux, ce sera vite fait.

À ma droite, Sandy et Charlotte se consultèrent du regard, sourcils arqués. Je n'avais pas besoin d'être dans leurs têtes pour savoir quelles pensées les traversaient. Gregory prenait les choses en main, et pas qu'à moitié.

— Maintenant que ce point est réglé, on va passer aux choses sérieuses, se motiva le sorcier, la mine réjouie. Tu viens, microbe ?

Retenant une réplique bien sentie, je songeai à tous les gentils petits surnoms dont j'aurais bien aimé baptiser le sorcier, moi aussi.

À la place, je me montrai docile et suivis ses consignes lorsqu'il me tendit l'huile consacrée, dont je m'enduisis soigneusement les mains et les tempes, sentant l'énergie irradier dans ma peau, chaude comme un rayon de soleil.

Helena revint à ce moment avec son chargement : quinze kilos de sel blanc, dont un énorme sac de dix, que nous devions répandre en un cercle ininterrompu autour du manoir. La responsabilité de la tâche me revint ; après tout, j'étais la plus robuste de nous trois.

— Mais, le sel ne va pas stériliser la terre ? intervint Michael, que titillait sa conscience écologique.

Gregory le mira d'un air blasé, consentant à répondre du bout des lèvres :

— Les sorciers sont intimement connectés à la nature. Ils ne feraient rien pour lui nuire. N'oublie jamais ça.

L'Éclaireur dut se contenter de cette vague réponse, Gregory étant déjà passé à autre chose.

Après quelques dernières minutes employées à terminer l'impressionnant pentagramme qui marquait désormais l'entrée du manoir, Gregory nous regroupa, nous les trois sorciers, pour démarrer officiellement le rituel.

Mes collègues se tenaient un peu à l'écart, ouvertement attentifs au processus.

Shawn, lui, s'était isolé. Dos à nous, une cigarette rougeoyante pendue entre ses lèvres, il contemplait les nuages sombres qui gravitaient bas dans le ciel. Une silhouette solitaire, à moitié dévorée par les ténèbres de la nuit, que je devinais encore en proie aux cauchemars qui venaient de le tourmenter.

— Alors, voici comment nous allons procéder.

La voix autoritaire de Gregory me rappela à l'ordre. Malgré la contrariété que j'éprouvais à être ainsi menée à la baguette, je me concentrai, désireuse de prouver au sorcier que les efforts qu'il allait déployer pour m'entraîner en valaient la peine.

Notre organisation se déroula ainsi : Gregory, en tête, répandait l'encens de sauge au gré du balancement de l'encensoir tout en psalmodiant les phrases rituelles qui priaient Radegast, dieu du foyer, de protéger le manoir ; je venais ensuite, pour déverser la traînée de sel symbolisant la bulle protectrice qui contiendrait le bâtiment ; enfin, Vicky fermait la marche, allumant du bout du doigt une myriade de bougies disposées dans l'herbe, dont les flammes alimentées de magie pliaient sous la brise sans jamais s'éteindre.

À mesure que nous avancions, je sentais l'énergie autour du manoir se modifier, prendre de la consistance, comme si l'air était devenu eau, une eau maternelle, un bain amniotique faisant barrière contre les agressions extérieures. Et une fois le cercle clos, le vent se chargea de vibrations électriques, qui me filèrent une chair de poule telle que les cheveux sur ma nuque se dressèrent.

Je la sentais. La magie était partout, amplifiée par nos trois voix qui, désormais, reprenaient en chœur le chant mystique débité par Gregory.

Elle était en nous, aussi, sève enivrante qui m'étourdissait les sens et gommait les frontières entre nous trois, entre nos ondes qui pulsaient en une symphonie intime et grisante. Il n'y avait plus ni de « eux », ni de « moi » ; nous n'étions plus qu'un tout.

Porté par notre folle énergie, le sel s'éleva du sol, lentement, en millions de grains luminescents pareils aux étoiles peuplant une galaxie. De mes yeux émerveillés, je le vis recouvrir le manoir tel une cloche de verre protégeant un précieux trésor. Et pendant plusieurs secondes, ce dôme d'un argent incandescent palpita, gourmand de nos trois magies enchevêtrées, qu'il aspirait goulûment comme les plus exquis des mets jusqu'à disparaître, rassasié, dans un éclat aveuglant de lumière.

Le souffle heurté, je me tenais sur mes jambes vacillantes, alanguie par un délicieux sentiment de plénitude que jamais je n'avais ressenti en pratiquant la magie. Gregory, qui devinait mon état proche de l'abandon, me gratifia d'une œillade amusée, mais je ne me vexai pas : lui-même avait dans le regard une étincelle qui témoignait de sa douce euphorie.

D'ailleurs, sa voix ne contenait aucune moquerie lorsqu'il me dit, avec un sourire en coin :

— Pas si mal, microbe.

Je rouspétai dans ma barbe, alors que ce maigre compliment me rendait déjà rose de fierté. Venant de Gregory, c'était déjà inestimable.

Je remarquai alors la façon dont Vicky, à ma droite, considéra pensivement son frère. Dans ses yeux s'attardait une mélancolie rêveuse mais, avant que je ne puisse en déterminer la cause, elle m'avait tapoté l'épaule avec affection et s'était esquivée pour ramasser les bougies désormais éteintes.

M'ébrouant pour dissiper les reliquats du rituel, je repris conscience de mon environnement et surtout de nos spectateurs discrets, dont mes camarades revenues du centre-ville étaient venues grossir les rangs.

Laurine détonait dans le groupe, avec sa longue chevelure blond platine, qui défiait la noirceur de la nuit, et ses yeux sombres, qui recelaient une défiance me rappelant les pires moments de notre relation. Je la connaissais suffisamment pour comprendre l'origine de son mécontentement.

Gregory, Shawn, Shawn, Gregory... elle ne savait plus où donner la tête : lequel des deux méritait le plus d'être la cible de son animosité ?

En désespoir de cause, elle dut décider que l'un ne valait décidément pas mieux que l'autre puisqu'elle lança à la cantonade :

— Alors comme ça, on pactise avec la racaille maintenant ?

Si je ne craignais pas la réaction de Shawn, qui accorda à peine un regard à la provocatrice, j'appréhendai la réponse de Gregory, on ne peut plus imprévisible et lunatique.

Loin de se laisser avoir, pourtant, le sorcier forma de sa main un cornet autour de son oreille, une feinte incompréhension peinte sur ses traits :

— Tu n'aurais pas entendu quelque chose, microbe ? m'apostropha-t-il d'une voix mielleuse. Serait-ce... la voix mesquine de la jalousie ?

— Moi, jalouse d'un voyou dans ton genre ? lâcha Laurine dans un éclat de rire tout aussi hypocrite. Rassure-toi comme tu peux, mais il y a des gens qui ont encore de l'honneur et des principes, figure-toi. Et pas seulement un goût inconsidéré pour l'argent sale.

Gregory se contenta de porter la main à son cœur, simulant une profonde vexation, car il avait compris qu'il pouvait compter sur quelqu'un pour le défendre : Sandy, qui s'était précipitée auprès de Laurine pour calmer ses ardeurs belliqueuses.

— Arrête, la pria-t-elle, doigts comprimant son épaule. Il est venu pour nous aider.

— Tu es naïve à ce point ? la tança Laurine. Tu sais ce qu'on dit : rien n'est gratuit dans le monde des ténèbres. Crois-moi, ce n'est pas pour tes beaux yeux qu'il le fait.

— Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas pour ses beaux yeux à elle que je le ferais, me glissa Gregory, plus qu'amusé.

Sandy risqua un regard vers le mage, qui inclina légèrement le buste vers elle, figure dévouée du parfait gentleman. Nouveau fard de la part de la Première Chasseuse, peu habituée à une telle cour ouverte.

— C'est bien parti, non ? me demanda Gregory tout bas, cependant que Laurine scandait que non, s'il nous aidait, c'était par intérêt et nous allions en payer le prix fort.

— Tu prends toujours tes désirs pour la réalité ? lui opposai-je, ahurie, alors que Sandy demandait à Laurine de faire confiance aux autres, pour une fois.

Ces dialogues parallèles prirent fin avec l'arrivée de Frédéric, sorti dans la nuit en simple costume bien que la température dût avoisiner les cinq degrés. Le dos droit, la mine gentiment sévère, il débarqua au milieu de la bagarre avec l'attitude du maître d'école prêt à couper court aux disputes de ses élèves dans la cour de récré.

— Frédéric, c'est une blague ? l'interpela Laurine, qui fusillait toujours Gregory de ses yeux noirs d'orage.

— Laurine, commença Frédéric avec son ton de boss, compréhensif mais ferme. Je ne suis pas sans t'apprendre que nous ne sommes pas en mesure de refuser une main tendue, quand bien même elle nous viendrait d'alliés...

Il regarda Gregory, levant un sourcil qui creusa des lignes incertaines dans son front.

— Imprévus, termina-t-il, affichant un rictus dont on ne savait s'il s'agissait d'un sourire et d'une grimace.

Il ignora la blonde qui, pestant aussi fort que les vents de l'ouragan Katrina, s'en alla dans le manoir sans dire au revoir à personne. Cathy et Chloé, qui avaient suivi la scène sans se manifester, se grattèrent l'une la tempe, l'autre la nuque, parfaites représentations de l'embarras.

— Vous avez pu faire ce que vous souhaitiez ? s'enquit finalement Frédéric auprès du sorcier.

— Oui, chef.

Gregory souriait de toutes ses dents, à croire que rien ne lui faisait plus plaisir que d'être à l'origine de tant de bisbilles. Ce type était le diable en personne.

— Parfait, soupira Frédéric, qui accueillait comme il se devait cette première vraie bonne nouvelle.

Il tapota alors dans ses mains pour réclamer l'attention générale. C'était tout à fait inutile, il était déjà le centre de mire de toutes les Chasseuses présentes.

— Vous savez ce qu'on dit : à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, clama-t-il, nous considérant les unes après les autres d'un œil vif, décidé. Nous ne pouvons plus compter sur l'appui du Conseil au risque de compromettre la sécurité d'Alicia et, dans le même temps, nos ennemis se rapprochent. Lentement. Inexorablement. Nous n'avons pas le choix : nous devons leur tenir tête et, pour cela, nous devons faire flèche de tout bois.

Je notai la façon dont Charlotte prit une longue inspiration, pressentant dans ce discours teinté d'urgence qu'elle allait devoir mettre sa fierté dans sa poche et son mouchoir par-dessus. Et elle ne serait pas la seule.

— À partir du demain, les Expérimentés et les Pro s'entraîneront avec Mason une heure par jour, par groupe de trois.

Quoi ? protesta furieusement Charlotte. Il n'en est pas...

— Je vous laisse décider des trios, l'interrompit Frédéric, la faisant taire d'un geste, mais c'est le seul point sur lequel vous aurez voix au chapitre.

Rares étaient les fois où Frédéric usait de son autorité pour nous contraindre à faire ce qu'il attendait de nous. Mes collègues n'en furent que plus rétives, renâclant comme des chevaux indociles, d'autant plus que cet ordre allait à l'encontre de ce qu'elles ressentaient au plus profond de leur chair.

Ne pas pardonner. Ne pas oublier.

— Je comprends votre réticence, reprit-il, percevant leur désarroi, et croyez-moi, j'aurais aimé vous proposer une autre solution. J'aurais aimé vous offrir le même traitement qu'aux Chasseuses de la capitale, qui ont la chance de se mesurer à des combattantes d'élite pour progresser. Hélas, nous sommes une maison sans importance, déconsidérée par mes pairs, mais je refuse que ce handicap soit un frein pour vous. Je veux que vous soyez aussi aguerries qu'elles, sinon plus. Je veux le meilleur pour vous, le meilleur adversaire auquel vous heurter, face auquel vous pourrez perdre pour mieux vaincre ensuite. Et aujourd'hui, le meilleur que j'ai à vous offrir, c'est lui.

C'était une drôle de louange, à laquelle Shawn se déroba, son corps tout entier tourné vers le lointain, car en filigrane elle rappelait les affrontements du passé.

Ne pas pardonner. Ne pas oublier.

Charlotte serra les dents, tentant de taire sa colère et la révolte qui lui tordaient le ventre. Elle hocha la tête, marquant son accord, sa reddition, mais je savais à qui elle pensait lorsqu'elle regagna le manoir d'une démarche saccadée pour s'y enfermer.

Chloé, Helena et Cathy firent de même. Elles firent signe que oui, pour le bien de la maison, pour mon bien à moi, elles mettraient les rancœurs de côté pour se centrer sur notre objectif commun : devenir plus fortes pour, le moment venu, tenir tête soit à Araña, soit au Conseil.

Elles s'éclipsèrent ensuite, mais je ne doutais pas que leur nuit se poursuivrait, dans l'intimité de leurs chambres, où elles pourraient laisser libre cours à leurs sentiments ambivalents.

Ceux qui restaient se rassemblèrent sous le porche. La fatigue, soudain, nous accabla, après cette trop longue journée qui n'avait épargné aucun d'entre nous. Mon chef pivota vers moi. Inconsciemment, je me dressai, droite comme un soldat.

— Je te l'ai dit tout à l'heure, commença-t-il sans se départir de ce même air grave qui l'avait habité toute la soirée. Je veux que tu mettes à profit tes deux semaines de repos pour rattraper le retard que tu as pris sur les autres. Je souhaite donc que tu participes dans la mesure du possible aux entraînements de groupe, mais pas seulement : Mason a accepté de t'entraîner en tête à tête.

Je relevai vivement la tête vers Shawn, qui ne se détourna pas de Frédéric cependant que mon chef précisait :

— Une heure par jour, à compter de demain.

— Elle ne peut pas demain, lui glissa à l'oreille Michael. C'est la veille de Noël.

Frédéric mit un certain temps à se souvenir qu'effectivement, chaque année à cette même période, je demandais deux jours de repos pour cette fête de famille.

— À partir du vingt-six, alors, décida-t-il.

— Et demain soir, on s'occupe de ce petit problème d'aura, me lança Gregory, avec une telle frivolité qu'on aurait pu croire qu'il s'agissait d'une bagatelle.

— Reste encore l'œil de Calyo, rappela Sandy à l'intention de Frédéric. Certes, elle ne peut plus nous retrouver, mais rien ne l'empêche d'envoyer quelqu'un à sa place...

— Ne dit-on pas que la nuit porte conseil ? soupira Frédéric. Nous verrons bien sur quel chemin nous enverra Stribog.

Stribog, divinité du vent que les Espéritiens associaient également au destin. Ce détail, qui trahissait le côté parfois superstitieux de Frédéric, me fit sourire.

— Nous y réfléchirons de notre côté également, déclara Shawn, qui réprima à grand-peine un bâillement.

— Oh, Calyo t'a bien esquinté, railla Gregory sans pouvoir pleinement masquer son inquiétude. Tu rentres avec nous, pas question que tu conduises dans cet état.

— Tu es sûr de ne pas vouloir loger ici ? demanda Frédéric à Shawn.

Avec surprise, je constatai qu'une journée avait suffi à mon chef pour passer du vouvoiement au tutoiement ; leur entretien de cette après-midi avait porté ses fruits, c'était indéniable, et je n'en étais que plus curieuse. Ce progrès, en tout cas, me redonnait un peu foi en l'avenir.

— Non, refusa Shawn avec l'ombre d'un sourire. Je pense que c'est préférable pour tout le monde. J'ai déjà des pistes pour un pied-à-terre dans le quartier mixte.

Je luttai contre la pointe de déception qui me piqua le cœur. C'était effectivement pour le mieux. Si en plus de leur imposer des entraînements avec lui, Frédéric obligeait les filles à cohabiter avec Shawn, une mutinerie était à craindre.

— Eh bien, conclut mon chef, avec un regard pour chacun d'entre nous. Tâchez de prendre un peu de repos : vous n'en aurez pas beaucoup l'occasion ces prochains jours.

***

Suite et fin du chapitre 10, enfin!

Ce que j'aime lorsque je fais intervenir Gregory et Vicky, c'est qu'ils me permettent de mettre la magie rituelle à l'honneur 😁 alors qu'Alicia pratique principalement une magie offensive et élémentaire (sauf pour le rituel du tome 1).

Les produits utilisés ne sont pas laissés au hasard, j'ai consulté deux livres pour voir quels étaient les pierres, plantes et encens associés à la protection: Witch Please, de Jack Parker, et le Traité des usages et savoirs de sorcière, fait par un collectif de "sorcières". J'avoue, j'aime bien bouquiner ce genre d'ouvrages, ça m'amuse beaucoup 😂 (et j'ai peut-être testé un ou deux trucs aussi 😅🙈 ne me jugez pas 🤣).

Bref, je ferme cette petite parenthèse magique!

J'ai commencé le prochain chapitre mais il est loin d'être fini. Je verrai si je peux le poster la semaine prochaine. Je vous préviendrai si ce n'est pas le cas.

Bon weekend et bonnes vacances ❤️☀️ bisous 😘


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