Chapitre 32 - Le Roi des neiges (1/2)
Pendant une poignée de secondes, personne n'articula le moindre mot. Éclata ensuite la plus totale des stupéfactions.
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? piailla Helena en avançant pour se mettre à ma hauteur.
La Professionnelle papillonna frénétiquement des paupières comme si elle aussi espérait se réveiller d'un très mauvais cauchemar.
L'invraisemblable manteau étincelant n'épargnait aucun mètre carré, et pas même les murs, où serpentaient des plaques de givre telles des toiles de cristaux. Je considérai avec méfiance les stalactites translucides dévorant le plafond telles les dents d'un gigantesque monstre de glace. Quant au grand escalier, je n'en apercevais même plus les marches, disparues sous une épaisse couche de poudreuse.
— Alicia ? m'appela Lyse avec un calme détonant au milieu de la panique générale. Tu parles depuis tout à l'heure d'un sorcier, mais tout porte à croire qu'Elsa d'Arendelle a simplement piqué une nouvelle crise de nerfs.
Lyse fut alors le centre de mire de quelques regards perplexes : bien entendu, personne à part moi n'avait saisi le trait d'humour. Je n'eus cependant pas besoin de venir à son secours : le caractère hautement saugrenu de la situation détourna bien vite les autres de mon amie et de ses références douteuses.
— C'est juste une illusion, c'est juste une illusion ! pépia Chloé avec un mouvement de tête affolé.
Sauf que le large nuage de vapeur qui s'échappa de ses lèvres eut tôt fait de la détromper, ainsi que Laurine, qui la rabroua vertement :
— Si c'était vraiment une illusion, on ne serait pas en train de se geler les miches, je te signale.
À contrecœur, je dus reconnaître qu'elle avait raison. Passée notre surprise, nous ne pûmes que constater les faits : la température avait dégringolé pour s'abaisser à un niveau digne d'un très mauvais hiver. Aux picotements qui agitèrent mes narines, je tablais sur moins cinq degrés. D'ailleurs, sous la violence du froid, nos dents se mirent à s'entrechoquer de concert.
Je me ratatinai sur moi-même, maigre tentative pour me protéger de cette ambiance hivernale contre laquelle nos vêtements d'été ne valaient rien. Si les Chasseuses pouvaient compter sur leur veste en cuir, Lyse, dans mon débardeur, entreprit de se frotter vigoureusement les bras, ses cheveux ramenés autour de son cou en une écharpe blonde improvisée. Michael le remarqua également : l'Éclaireur se pressa d'enlever son blouson pour le lui proposer, restant en simple t-shirt. Il était temps d'agir.
Il était temps d'agir.
— Donnez-moi vos mains, vite ! leur lançai-je, ma bouche déjà engourdie par le froid.
Raide comme un automate, je m'approchai de mes camarades, le froid irradiant sous la semelle de mes baskets. Helena était la plus proche, alors je commençai par elle.
Je tâchai de calmer les tremblements qui agitaient mes membres pour entrer en symbiose avec ma magie. Les doigts que je tendis vers elle rayonnaient d'un bel éclat rubis.
— Plamya.
Un petit feu naquit dans le creux de ses mains déjà bleuies. Les flammes dodelinaient paresseusement, en lévitation au-dessus de sa peau. Helena sursauta, puis ses traits se détendirent alors qu'elle savourait le bonheur de retrouver un peu de chaleur. Yeux fermés, un sourire béat aux lèvres, la Chasseuse ne put contenir un soupir de plénitude, où je pus discerner toute sa reconnaissance.
— Tu nous sauves la vie, m'assura-t-elle alors.
Je m'empressai de faire de même avec les autres.
Lyse, emmitouflée dans la veste de Michael, m'offrit ses mains avec une impatience teintée d'excitation. Pour elle, je fis surgir des flammes chantantes, qui s'élevèrent haut devant sa pâle figure et embrasèrent ses cheveux. Elle exposa ses joues au feu ardent et gloussa de contentement.
Je terminai par Laurine. Je m'efforçai de faire bonne figure, pour la cohésion du groupe, mais c'était sans compter sur l'autoritarisme qui suintait par tous les pores de sa personne lorsqu'elle exposa ses mains devant elle. D'un geste nonchalant, et en mâchonnant le mot de magie comme un vieux chewing-gum sans goût, je lui créai un tout petit feu. Sa clarté poussive donnait à penser qu'il était prêt à s'éteindre au moindre coup de vent.
Il ne fallait pas pousser mémé dans les orties.
Maintenant que nous avions paré au plus urgent, il était temps de s'évader de cette prison de glace. Néanmoins, l'expression préoccupée de Michael m'arrêta dans mon élan. Les flammes dans sa main avivaient les reflets ocre de ses iris.
⸺ Alicia, tu as ressenti la présence du sorcier tout à l'heure ? voulut-il vérifier auprès de moi.
⸺ Oui, confirmai-je. Il était tout près.
L'Éclaireur échangea un regard avec Sandy.
⸺ Alors, ce sort est là pour nous ralentir, supputa la Première Chasseuse.
Michael vint appuyer sa conclusion d'un hochement de tête.
⸺ Soit on les talonnait et compromettait leurs plans, soit ils ne s'attendaient pas à des renforts, supposa l'adolescent.
L'enlèvement de Chris s'était-il joué à quelques secondes près ? Cette idée me rendait malade.
⸺ Qu'est-ce que tu sens, maintenant ? m'interrogea Michael.
En dépit de cet empressement que j'avais à retrouver mon frère, je pris le temps de passer l'environnement à la loupe. De petites vaguelettes de magie s'écoulèrent sur ma peau, et c'était comme si j'étais immergée dans une piscine de givre. Se rappela à moi la sensation dérangeante que j'avais éprouvée dans la boutique de Léonard, et je compris tout de suite de quoi il retournait.
— On est sur son territoire.
Une bulle hermétique, dans laquelle la magie de mon opposant prenait automatiquement l'ascendant sur la mienne.
— Sous surveillance, donc, compléta Michael, songeur.
— Est-ce que ça signifie que le lycée tout entier est piégé dans les glaces ? s'alarma Lyse.
L'Éclaireur lui désigna du menton la porte coupe-feu derrière nous. Elle nous apparaissait comme à travers une vitre déformante, le chambranle ondulant sous l'effet des ondes. De l'autre côté, le couloir se démarquait par sa parfaite normalité.
— C'est nous qu'il souhaitait piéger dans cet espace de son cru. Nous avons droit à un traitement de faveur, tenta de plaisanter Michael.
Cependant, son sourire s'effaça bien vite au profit d'une réflexion non dénuée d'inquiétude.
⸺ Tu peux nous sortir de là ? reprit l'Éclaireur à mon intention. En transposant ?
⸺ Qui ne tente rien n'a rien, fis-je valoir, et je leur fis signe d'approcher.
Un cercle de flammèches se forma autour de moi et, quand je fus certaine que tous me touchaient, je déployai ma magie. Et rencontrai aussitôt une résistance.
Une de taille. Des mains de géant paraissaient s'être matérialisées pour contenir ma magie et la faire rentrer de force dans mon corps. Je cessai de respirer, me mordis la lèvre et poussai, poussai pour que les étincelles jaillissent et remportent cette lutte, mais la douleur aigüe m'assomma. Je chancelai, et Michael, qui avait anticipé mon vertige, me soutint par la taille.
⸺ Je n'y arrive pas, déglutis-je, à bout de souffle.
⸺ Ne t'inquiète pas, on va se débrouiller autrement, me rassura-t-il.
Il m'aida à me redresser ; derrière ses lunettes, ses yeux verts trahissaient sa préoccupation.
— Si maîtriser la glace est à la portée de beaucoup de sorciers, créer un territoire d'une telle ampleur est une vraie démonstration de force. Je ne connais qu'un seul individu capable d'une telle prouesse.
Il s'abîma dans la contemplation de la scène immaculée, qui aurait pu être magnifique en d'autres circonstances.
— Gregory la Main blanche, annonça-t-il gravement. Je suis presque sûr que nous avons affaire à lui
— Aïe, laissa échapper Chloé, retroussant son nez délicat. Dès qu'ils ont un petit surnom dans le monde des ténèbres, c'est mauvais signe.
Le regard franc de Michael vrilla le mien lorsqu'il précisa :
— Il fait partie de l'Ordre de Támara.
L'Ordre de Támara. Il ne me fallut pas longtemps pour me souvenir de la seule fois où l'on m'avait parlé de cet ordre de sorciers.
Je revis Jack me montrer la page d'un livre sur laquelle s'étalait une illustration plus vraie que nature de l'amulette de protection de Shawn. Une des spécialités de ce cercle de mages.
Une coïncidence, me serinai-je en sentant la panique m'assaillir. Juste une coïncidence.
⸺ « Ça te dirait un peu de sport », nous rappela Helena d'une voix songeuse. Ils avaient prévu de nous attirer dans le gymnase, c'est bien ça ? Si on ne peut pas transposer, il ne nous reste plus qu'à traverser les Plaines glacées de l'Est, grommela-t-elle avec dédain en regardant l'atrium immaculé.
⸺ Les quoi ? intervint Lyse.
⸺ Les Plaines glacées de l'Est, lui répétai-je. C'est un vaste territoire, quasiment inhabité, qui se situe au niveau de la Sibérie. Et tu as raison, repris-je en m'adressant à Helena. Ils parlaient sûrement du gymnase, qui...
Ma voix mourut dans ma gorge.
Le gymnase.
Des images glaçantes déferlèrent dans ma mémoire. Je fermai les yeux, flanchai sous la violence du choc. Les souvenirs du cauchemar que j'avais fait, des jours auparavant, défilèrent devant mes paupières closes. Je me rappelai avec une implacable acuité les mains de Shawn, qui m'avaient écrasé le menton tandis que, du ciel, des cadavres tombaient par dizaines.
Non, tentai-je encore de me convaincre. C'est impossible, impossible.
Ce n'était plus du sang qui s'écoulait dans mes veines, mais le poison insidieux de la peur. À l'air glacé qui nous étreignait s'ajouta un froid morbide, qui me grignota les membres. Au prix d'un effort surhumain, je parvins à regarder Michael. Le jeune Éclaireur me considérait avec une profonde inquiétude, inconscient du fait que c'était lui qui courait peut-être un grave danger.
Ce n'est pas une coïncidence.
Je me sentais sur le point de perdre la tête. Je ne sus d'ailleurs comment je parvins à m'arracher à cette apathie qui rendait mon corps aussi lourd que du plomb.
⸺ Qui... est dehors. C'est un bâtiment à part, articulai-je d'une voix blanche.
⸺ Eh bien, allons-y ! scanda Helena. Haut les cœurs...
⸺ ... et nous en ressortirons vain-queurs ! cria Chloé en retour.
Et les deux Chasseuses se tapèrent dans la main, riant ensemble de cette référence inconnue qui arracha une grimace perplexe à Lyse.
Moi, je ne riais pas. Une lame de rasoir s'était nichée dans ma gorge et m'empêchait de parler. Michael avait-il perçu la terreur sourde qui me donnait le tournis ? Peut-être car, alors que les filles nous précédaient dans la périlleuse descente des escaliers, l'Éclaireur s'approcha de moi dans mon dos et me chuchota dans l'oreille :
⸺ Qu'est-ce que tu ne me dis pas ?
Je virevoltai vers lui. Il avait parlé si bas que j'étais la seule à l'avoir entendu. Ses yeux sondèrent les miens à la recherche d'un indice, et ils ne comptaient pas abandonner. Je remarquai alors que la flamme que j'avais créée pour lui tout à l'heure s'était évanouie quand il m'avait rattrapée. D'un tour de main, j'en fis naître une nouvelle. Le feu dansa entre nous, réchauffa nos joues transies.
⸺ Je crois que je sais qui est derrière tout ça, murmurai-je dans un filet de voix.
Les mots cheminèrent jusqu'à son cerveau, dont les mécaniques tournaient à cent à l'heure. Ses mâchoires se durcirent, et je sus qu'il avait compris lui aussi. Compris la cible qu'il pouvait devenir si ce que je soupçonnais était vrai. Compris pourquoi je ne désirais plus soudain que me recroqueviller sur moi-même, terrassée par la peur.
⸺ Je dois y aller seule, décrétai-je, saisie d'un sentiment d'urgence qui me monta à la tête.
⸺ N'y pense même pas, contra-t-il. Tu ne ferais qu'entrer dans leur jeu.
Son sang-froid me fit vriller, et je criai dans un chuchotis :
⸺ Tu ne comprends pas que tu es en danger ? Laurine avait raison, à l'hôpital : je n'ai pas pu protéger Wright, ni Nika, et je ne veux pas, non, je refuse que tu deviennes mon nouvel échec.
Un sanglot avait déformé le dernier mot. La vision de son cadavre mutilé, que j'avais vu en songe, surgit avec force et me fila la nausée.
⸺ Je ne m'en relèverai pas, soufflai-je, glacée jusqu'à l'os.
⸺ Ça n'arrivera pas, m'assura-t-il avec calme, à croire que ce n'était pas sa vie qui était en jeu. Et tu sais pourquoi ça n'arrivera pas ?
Son regard se durcit, se chargea d'une lueur de défi qui fit battre mon cœur plus vite.
⸺ Parce qu'ensemble, on est plus forts. À nous tous, on pourra les vaincre. Le complexe du héros n'a jamais sauvé personne, et tu le sais.
Je me mordis la lippe. Oui, il avait raison, mais étais-je prête à lui céder ? À prendre ce risque insensé ? Je n'eus pas le choix : bientôt, les autres nous rappelèrent à l'ordre.
⸺ Vous venez ou vous vous transformez en cônes glacés ? nous cria Helena de sa voix de fausset.
⸺ On arrive ! me devança Michael.
Et il me désigna la voie à suivre de son bras.
⸺ Après toi.
Le cœur au bord des lèvres, je finis par m'incliner et le précédai dans les escaliers
La descente des escaliers de mon lycée n'avait jamais été aussi périlleuse. En équilibre sur les marches enneigées et verglacées à leur base, nous avancions d'une démarche balourde de pingouins, penchés vers l'arrière de peur d'une chute vertigineuse dont il aurait été difficile de se sortir indemnes. S'agripper à la rambarde était exclu : la morsure du froid aurait causé une brûlure pareille à celle de braises.
Il nous fallait donc progresser à une allure désespérément lente. Je n'étais pas dupe : les feux de fortune que j'avais allumés suffisaient à peine à ne pas mourir de froid. À chaque pas, c'était une loterie. Parfois, la neige était si compacte que nous tenions par miracle à sa surface tels des funambules. D'autres fois, elle s'enfonçait sous nos pieds, noyait nos chevilles dans son humidité frigorifique, et c'étaient des gémissements de détresse qui nous échappaient. Elle avait même fini par infiltrer mes baskets et engourdir mes pieds au point de les réduire à deux blocs de glace.
— Gregory la Main blanche ou pas, je hais ce sorcier de pacotille ! brailla Helena, à bout, en atteignant enfin le rez-de-chaussée. Si jamais on le retrouve, c'est moi qui m'occuperai de lui faire regretter son petit tour de passe-passe.
— Parce que tu crois sincèrement que... commençait déjà Laurine.
Une énorme masse blanche tomba brusquement du ciel. La Chasseuse cria de surprise et s'effondra, poupée désarticulée, sous le poids de l'énorme serpent couleur de neige qui s'entortillait déjà autour d'elle.
Cathy et moi, les plus proches, sautâmes sur la bête. Je plaquai sa tête démesurée contre ma poitrine au moment même où il chercha à enfoncer ses crocs dans la poitrine de la Professionnelle. Je gémis de dégoût au contact de ses écailles rugueuses et de sa langue longiligne qui effleura mon menton.
En représailles, le reptile raffermit sa prise sur sa proie sans défense. Laurine cracha tout l'air de ses poumons. Je pouvais presque entendre les côtes craquer à cause la pression exercée par le corps froid et nerveux sur son buste. Bientôt, elle se mit à suffoquer, bouche entrouverte.
Cathy se précipita alors à notre secours. Elle dégaina sa dague, dont le métal reflétait la neige alentour, mais Michael la stoppa net :
— Ne fais pas ça !
La lame s'immobilisa à quelques millimètres à peine du monstre. Celui-ci n'attendit pas pour resserrer encore son étreinte mortelle. Je peinais à le contrôler ; le serpent s'ébrouait de plus en plus, et mes doigts dérapaient sur sa peau visqueuse.
— C'est un ofidio, reprit Michael d'une voix rendue saccadée par l'urgence. Si tu transperces son abdomen, des milliers de petits serpents en sortiront. Il faut lui trancher la tête.
Il n'eut pas besoin de me le dire deux fois. J'eus du mal à saisir mon couteau dissimulé dans ma manche mais, une fois que je l'eus bien en main, je ne tergiversai pas. D'un mouvement ample du bras, je décapitai le monstre.
Un liquide malodorant, semblable à du pétrole, s'écoula en jets du corps vibrant du démon, m'aspergeant le cou et la poitrine. Je tins bon, et ne relâchai mon étau sur l'ofidio que lorsqu'il cessa entièrement de bouger. Je lâchai alors une expiration fébrile, ahurie, avant de me laisser aller dans la neige.
Le petit groupe mit un certain temps à se remettre de ses émotions, et c'est un petit couinement plaintif qui me fit rouvrir les yeux :
— Ma blouse...
Je pinçai les lèvres et constatai les dégâts. La tête tranchée du serpent tenait en équilibre entre mes seins. Me fixant de ses yeux jaunes accusateurs, il continuait de déverser son sang noir sur moi en une sorte de vengeance post-mortem.
Je m'apprêtai à m'excuser mais des secousses désordonnées m'interrompirent. C'était Laurine, qui se démenait pour se défaire de la torsade d'écailles épousant toujours étroitement son buste. Des marques rouges se dessinaient déjà sur la peau fine de son cou. Je voulus lui donner un coup de main, mais la fausse blonde me repoussa si violemment que j'en tombai à la renverse.
— Je n'ai pas besoin de ton aide ! vociféra-t-elle.
Sa queue de cheval s'était défaite, et des mèches folles volaient au-dessus de sa tête à la façon des serpents d'une gorgone. Une trace de sang noir barrait son visage telle une peinture de guerre.
— Je viens de te sauver la vie, lui fis-je remarquer entre mes dents serrées.
— Je viens de te sauver la vie, répéta-t-elle avec une ironie féroce en se libérant enfin du cadavre. Dans tes rêves, Alicia. Je ne t'ai rien demandé. Et même si j'étais sur le point de mourir, crois-moi, je préfèrerais crever que te demander ton aide.
Et pour bien enfoncer le clou, elle se débarrassa de la bête morte sur moi puis pivota sur ses talons pour aller se nettoyer dans la neige.
Le jean trempé, la peau imprégnée de cette hémoglobine collante, je demeurai muette de sidération, avant de me redresser d'un sursaut, animée par une colère irrépressible.
Laurine était accroupie et passait de la neige sur son visage pour effacer les traces de sa mésaventure. Saisissant son bras, je la relevai de force. Des éclats de neige parsemaient sa figure déformée par la colère.
— Tu ne veux pas de mon aide ? lui assenai-je avec acrimonie. Très bien. Ça commence dès maintenant. Bonne chance pour ne pas crever de froid.
Laurine se dégagea et me fusilla de son regard sombre où rien ne venait distinguer pupille et iris.
— Un jeu d'enfant, sourit-elle en retour.
Et elle reprit son débarbouillage avec des gestes heurtés. Épaules voûtées, malheureuse comme les pierres, je la fusillai du regard et me demandai encore pourquoi, pourquoi elle me haïssait à ce point.
Je ravalai ce sentiment d'impuissance, cette frustration qui me donnaient envie de tout casser et me détournai à mon tour. Je me réfugiai derrière mes cheveux détachés pour que les autres ne voient à quel point cette histoire me touchait et, m'agenouillant, j'entrepris de nettoyer consciencieusement ma lame. Je gardai les yeux rivés devant moi quand on s'accroupit à mes côtés.
— Tu lui as vraiment sauvé la vie, me chuchota Michael.
Mes narines dilatées laissaient échapper un souffle bruyant qui n'était pas sans rappeler le sifflement d'une théière. J'aurais voulu être calme. J'aurais voulu que ses méchancetés glissent sur moi comme l'eau sur le plumage d'un canard, mais c'était inévitable, épidermique. Personne ne savait me rendre folle comme Laurine.
Sans doute parce que, depuis toujours, j'aurais voulu qu'il en soit autrement.
La neige ankylosait mes doigts, mais je la frottai contre ma mâchoire, mon cou, fis tout pour effacer les traces de cette mésaventure. Un liquide grisâtre, glacé, s'écoulait le long de mes poignets, me filait la chair de poule. Bientôt, un autre frisson hérissa ma peau, qui avait une tout autre origine : d'une main hésitante, Michael avait écarté ma chevelure, ce rideau châtain qui me soustrayait à son examen attentif. Son index joua avec mon oreille, et je le confrontai.
— Les crocs des ofidios contiennent un venin qui gèle les organes de leur victime en quelques secondes, m'apprit-il tout bas.
De sa main droite, il soutenait toujours le feu que j'avais créé pour lui. Il le plaça entre nous, et je m'émerveillai du chatoiement des flammes que reflétaient ses yeux.
— S'il avait mordu Laurine à la poitrine, son cœur aurait presque immédiatement cessé de battre.
— Ça me fait une belle jambe, grommelai-je, et je m'essuyai maladroitement le visage.
— Ce que j'essaie de te dire, insista-t-il, c'est que tu peux être fière de toi.
Lyse s'était éloignée en toute discrétion, désireuse de nous laisser un peu d'intimité. Je fixais mes mains, que le froid de la neige avait zébrées de pourpre.
— J'ai peur qu'il t'arrive quelque chose.
Les mots étaient sortis tous seuls. Au regard angoissé que je lui lançai, il comprit tout de suite à quoi je me référais. Ou plutôt à qui.
— Ça n'arrivera pas, rétorqua-t-il avec fermeté.
— Tu n'en sais rien ! contrai-je, me frottant furieusement les yeux. Tu n'aurais jamais dû venir, c'était de la folie.
— J'ai pourtant l'impression d'avoir été un peu utile, jusque-là, s'esclaffa-t-il.
— Bien sûr que tu l'as été, lui concédai-je avec un mince sourire. Sans toi, nous servirions de bûche glacée à une montagne de serpents venimeux. C'est juste que...
Tout mon corps se tendit alors que ma mémoire rejouait cette nuit fatidique où ma vie avait basculé dans l'horreur.
⸺ Je ne veux plus jamais revivre ce qu'il s'est passé cette nuit-là, confiai-je d'une voix où perçait toute mon angoisse
⸺ J'ai confiance en toi.
Il l'avait dit simplement, avec un haussement d'épaules nonchalant, à croire que ce n'était pas sa survie qui était en jeu. Puis, il se releva et m'offrit sa main. Après un instant d'hésitation, je m'en saisis. Malgré le froid à pierre fendre qu'il faisait, sa paume contre la mienne était brûlante, grâce à ma magie.
⸺ Poursuivons, nous enjoignit Michael quand je fus debout à mon tour.
Bon gré, mal gré, nous parvînmes jusqu'à la haute porte à deux battants du bâtiment. D'un accord tacite, ce fut moi qui tentai de l'ouvrir d'une main gantée de flammes. Même ainsi, le givre s'attaqua à ma peau. La porte remua sur ses gonds mais refusa de s'ouvrir.
⸺ C-ce n'est p-pas possible, gémit Lyse, que le froid faisait bégayer.
⸺ Tu vas t'ouvrir, bordel de...
Helena envoya dans la vitre un coup de pied magistral, mais si elle étouffa un juron de douleur dans la manche de son blouson, aucune fissure ne vint percer la couche de glace qui condamnait la sortie.
⸺ Ils veulent vraiment nous faire mourir de froid ? songea Sandy à voix basse.
⸺ Et s-si on essayait l-la caf-fétéria ? proposa Lyse. Elle donne sur la c-cour aussi.
⸺ Bonne idée, acquiesçai-je. Ne traînons pas.
Nous nous dirigeâmes au pas de course vers le couloir interminable qui reliait le hall à la cantine, devenu un étroit boyau obscur. Naïvement, j'espérais que la cantine avait été épargnée par le sort du mage. Que nenni. À l'instar de l'atrium, elle avait disparu sous une couverture blanche aux reflets d'eau. Une brume cristalline épaississait l'air, et les contours du décor se diluaient sous ce voile nacré. Des congères massives parsemaient la grande salle, vestiges des tables et chaises qui avaient accueilli les élèves à peine deux heures auparavant. La vague de froid avait figé et fissuré la grande horloge qui veillait chaque jour sur les joyeuses tablées. Je me demandai distraitement si le verre garderait cette cicatrice de ce jour funeste.
J'expirai longuement, et un nuage opaque s'éleva devant mon visage. Un éclair de lumière attira notre attention à l'autre bout de la salle.
— La porte ! s'écria Lyse.
Elle nous apparaissait comme un lointain miracle, seul élément de la vaste pièce demeuré intact. La lueur du jour, qui filtrait par la fenêtre, resplendissait dans cette grotte opaline. Je ne m'y attardai pas, cependant : les ondes du sorcier emplissaient l'endroit et se faisaient plus piquantes au fil des secondes.
— Vous entendez ça ? nous demanda Sandy.
Concentrée sur la magie de notre adversaire, j'avais négligé le reste, à commencer par mon ouïe. Mes oreilles perçurent alors un son des plus étranges, à mi-chemin entre le souffle du vent et un carillon argentin, qui résonnait comme un glas.
Le renflement aérien prit de l'ampleur, une tempête qui se rapprochait mais dont nous ne sentions pas encore la bise mordante. C'est alors que Chloé s'étrangla sur un hoquet. Tous, nous nous retournâmes vers elle, suivîmes des yeux son index qui pointait la porte que nous venions de franchir.
***
Coucou!
J'espère que vous allez bien 🤗 Pour ma part, je m'apprête à décoller de chez moi pour aller manger une pizza, alors j'avoue, la journée commence très bien 🤩
Bon, vous devez vous demander où se trouve la mini bonne nouvelle que je vous avais promise la semaine dernière... Eh bien, elle arrivera dans la prochaine partie 😅
En fait, ce chapitre est bien plus long que prévu (presque 10 000 mots!!!), de sorte que je vais finalement le diviser en trois parties. La bonne nouvelle, c'est que j'ai presque terminé de le rédiger. En plus, ça me laissera aussi un peu de temps pour la suite, que j'attends d'écrire depuis des mois et dont je veux vraiment être satisfaite 😇
Je vous souhaite de passer un bon weekend et vous dis à la semaine prochaine! Bisous 😍😘
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