Chapitre 28 - Piégée
Vendredi.
Grâce aux leçons que Lyse m'avait données presque chaque jour, j'avais survécu aux interro de math et d'histoire. Restait l'épreuve ultime : le contrôle d'espagnol.
Devant l'insistance de mon amie, qui refusait d'accepter mon allergie aux langues, en particulier à celle de Cervantès, j'avais finalement accepté de réviser un peu la matière qu'enseignait l'incarnation du diable. Pendant l'heure du déjeuner, elle m'avait fait travailler vocabulaire et conjugaison cependant que je lézardais au soleil, allongée sur le banc que nous occupions à deux sans vergogne, les paupières fermées pour mieux absorber les rayons et sécréter une vitamine D hautement désirée. Il faisait depuis plusieurs jours une chaleur des plus étouffantes, qui laissait présager un nouvel été caniculaire.
Lyse, assise à côté de ma tête, vérifiait une dernière fois ses notes, un air satisfait peint sur son visage délicat. Elle étrennait ce jour une blouse blanche vaporeuse, à manches longues, ornée de fleurs au niveau des épaules. Ainsi vêtue, elle ressemblait à s'y méprendre à une Suédoise. Ma jolie amie avait juché sur son nez ses sempiternelles lunettes de soleil rétro, qui pivotèrent dans ma direction lorsqu'elle m'interpella d'une voix hésitante. J'ouvris un œil paresseux, mettant ma main en visière sur mon front pour masquer l'aveuglant soleil.
— Comme tu ne m'en as jamais reparlé, je n'osais pas trop aborder le sujet, mais...
Elle s'interrompit, tordit sa petite bouche en une mimique indécise, puis se lança :
— Est-ce que tu as revu ce Michael ? me demanda-t-elle finalement.
Malgré la touffeur ambiante, un frisson désagréable courut le long de ma peau.
Aïe, la question à laquelle je ne m'attendais pas. Je me relevai d'un mouvement si brusque que des petits points noirs grignotèrent ma vue. Je me raclai la gorge, mal à l'aise, ce qui poussa Lyse à ajouter à toute vitesse :
— Si tu ne veux pas en parler...
Effectivement, je préférais encore parler du contrôle d'espagnol, mais je me gardai de le lui dire.
J'avais beaucoup pensé à Michael au cours de cette dernière semaine. Je m'en voulais d'avoir tout gâché et, pourtant, je savais qu'il n'aurait pu en être autrement.
Lyse s'assit à califourchon pour me faire face, alors je fis de même. Elle releva ses lunettes pour les poser sur le haut de sa tête, et ses yeux, deux topazes, m'examinèrent avec inquiétude.
— Il ne t'a jamais rappelée ? tenta-t-elle de deviner.
Je grimaçai.
— Non, c'est juste que...
Que j'avais couru après un autre garçon. Que cet autre garçon était tout sauf fréquentable. Qu'il avait commis l'impardonnable avant de me faire une déclaration inconcevable. Que Michael l'avait su et m'avait plus ou moins plaquée. Et que, même s'il le regrettait, il ne pouvait pas reprendre contact avec moi car il vivait dans une autre dimension.
— Hum, je pense que je t'en parlerai demain avec le reste, finis-je par dire avec un sourire forcé.
— Oh, fit Lyse, sa bouche formant un rond. C'est si grave ?
— Tu n'as pas idée, marmonnai-je au moment même où la sonnerie retentissait.
Dans une chorégraphie bien huilée, tous les élèves qui discutaient, chahutaient, lisaient ou scrollaient sur leur téléphone dans la cour s'en allèrent vers le bâtiment d'un pas lourd. Le weekend nous tendait les bras, et tout le monde s'imaginait déjà loin des salles de classe.
Râlant, je ramassai mon sac à dos et fis voler mes cheveux derrière mes épaules.
L'heure de l'exécution a sonné, songeai-je avec une exagération mélodramatique qui était plutôt l'apanage de Lyse, en général.
Nous nous mîmes en route vers le troisième étage, celui des cours de langues et de philo. Prises dans le flux des élèves, nous restâmes étrangement silencieuses. Je pouvais entendre les rouages du cerveau de mon amie, qui tentait sans doute d'imaginer quel était ce secret que j'avais si bien gardé.
Sur le chemin, je croisai Chris avec sa bande de potes. En m'apercevant, mon frère me lança d'un petit ton narquois :
— Ah là là, encore un cours de chimie et je suis en weekend. La vie est dure, parfois.
Je grinçai des dents, envieuse : si lui terminait à 15 heures, j'avais encore une heure d'études puis un cours de français après l'espagnol. Quelle injustice.
— Ça tombe bien, rétorquai-je avec un sourire mielleux. C'est à toi de passer l'aspirateur cette semaine.
Je sentis plus que je ne vis Lyse qui remuait la tête, autant amusée qu'exaspérée par l'immaturité dont Chris et moi faisions preuve en présence l'un de l'autre.
Mon frère fit mine de réfléchir, feignant la concentration.
— Je pense que je vais plutôt tenir compagnie à ma PS4.
Et il me fit un petit salut militaire goguenard avant de rejoindre ses copains d'un pas vif. Je marmonnai un « pitié » lorsque Chris bomba le torse devant deux filles de terminale qui l'apostrophèrent en minaudant.
— Cette jeunesse est en perdition, commenta Lyse, pince-sans-rire. Jouer à la console par une si belle après-midi ? De mon temps, une telle chose ne serait jamais arrivée.
Je pouffai, puis glissai mon bras sous le sien et l'entraînai vers le dernier étage.
Mme Aguilera nous attendait de pied ferme devant la porte de sa classe. À notre arrivée, elle nous gratifia d'un « Hola, buenos días » prononcé avec une impatience fébrile, et je jurai que son regard brillant de sadisme s'attarda plus que nécessaire sur ma figure déconfite. J'aurais préféré affronter cent fois le saurio en combat singulier plutôt que de me trouver enfermée dans cette salle aux allures de pénitencier. Nous avions déjà le maton, ne manquait plus que les barreaux aux fenêtres.
J'entraînai d'office Lyse au fond de la salle, et elle me suivit en pestant (en bonne élève, elle détestait cette place). Je sortis ma trousse, le sang battant à mes oreilles. À quelle sauce allions-nous être mangés ? Je n'étais pas pressée de le découvrir.
Lorsque tous les élèves furent assis, prêts à subir la séance de torture, Mme Aguilera alla d'un pas presque sautillant à son bureau, ses cheveux bouffant comiquement autour de sa tête. Je n'avais jamais remarqué à quel point elle ressemblait à un grand champignon. Vénéneux, évidemment.
Un coup d'œil à mes camarades m'informa sur l'état d'esprit de chacun. Il y avait ceux qui, comme Lyse, voyaient ce test comme une simple formalité. Marie en faisait partie, et elle m'adressa un rictus dédaigneux auquel je fus tentée de répondre par un geste grossier. Et il y avait ceux qui, comme moi, donnaient l'impression d'avoir un cornichon coincé quelque part.
Vivement la sonnerie de libération.
— La fin de l'année approche à grands pas, lança Mme Aguilera à la cantonade.
Le malin plaisir qu'elle prenait à nous faire subir ce contrôle transparaissait dans son accent plus fort qu'à l'accoutumée. J'étais prête à invoquer les divinités maléfiques pour ne plus jamais avoir cette femme comme prof à l'avenir.
— C'est pourquoi, reprit-elle, j'ai décidé de ne pas faire un contrôle seulement sur la dernière leçon, mais sur tout ce que nous avons vu depuis le début de l'année.
Cette déclaration explosive fut suivie d'un concert de protestations, à commencer par les miennes. Les élèves les plus téméraires allèrent jusqu'à crier à l'injustice. Lyse me dédia un regard où je lus toute sa peine : elle qui avait tellement espéré m'aider à m'en sortir...
Je me laissai aller sur ma chaise, désabusée, et ne pipai mot lorsque l'enseignante me donna l'énoncé du test.
— Courage, me souffla Lyse. Je suis sûre que tu vas y arriver.
— L'espoir fait vivre, soupirai-je en débouchant mon stylo bille.
Et un silence d'église s'installa dans la salle, seulement troublé par le grattement du papier.
Je notai soigneusement mon nom en haut de la page, de ma plus belle écriture, pour gagner du temps avant de constater l'étendue du carnage à venir.
Premier exercice : vocabulaire. Je parvins à boucher quelques trous, grâce à ma séance de révision expresse avec Lyse, qui m'avait fait répéter dix fois aburrirse, preocuparse por ou encore arreglárselas para. Malheureusement, le reste allait consister en une succession de devinettes de ma part et, en parcourant le contrôle, je vis que la cerise sur le gâteau consistait en une rédaction de quinze lignes sur les habitudes alimentaires en Espagne et en France.
Une catastrophe.
Je posai mon menton dans le creux de ma main gauche et me préparai mentalement à la vilaine note que je devrais annoncer à mes parents, en comptant sur leur compréhension.
On entendait les mouches voler et se cogner contre les vitres, qui laissaient filtrer une lumière crue. Il faisait si chaud et pesant que je me sentais comme une pomme de terre dans une cocotte-minute. Je percevais le stress des autres élèves, et seuls quelques-uns noircissaient leurs pages sans s'arrêter : Marie, Lyse et Quentin. Les autres, dont moi, suaient à grosses gouttes sous le regard satisfait de Mme Aguilera, qui se permettait le luxe de lire un roman à l'eau de rose en nous surveillant du coin de l'œil.
Au bout de vingt minutes, quelques chuchotements étouffés attirèrent mon attention. À ma gauche, également dans le fond de la salle, Maxime et Stéphane conversaient d'une voix quasi inaudible et sans remuer les lèvres. De vrais ventriloques. Sous leur bureau, les deux ado tenaient d'une main leur téléphone portable. Je ne pouvais les blâmer – seule la présence de Lyse m'empêchait de faire de même – mais je m'étonnai du manque de discrétion des deux tricheurs. Quitte à resquiller, autant le faire bien.
— ... pas pourquoi ça ne marche pas.
Je fronçai les sourcils, considérant un instant leur air désemparé. Visiblement, Internet leur faisait faux bond au pire moment.
Je me replongeai dans ma copie à moitié remplie, résignée.
Soudain, un grésillement.
Intriguée, je relevai la tête et parcourus des yeux la salle. Tout me parut normal, jusqu'à ce qu'un drôle d'éclat n'attire mon attention. À ma droite, sur le mur, un étrange dessin brillait d'une lumière argentée.
Un dessin qui n'était pas là quelques secondes auparavant.
Qu'est-ce que...
Mon cœur se mit à battre à tout rompre contre ma cage thoracique. Interdite, j'observai la rune magique, dont la lueur se faisait de plus en plus vive. À part moi, personne d'autre ne semblait la remarquer, pas même Lyse, qui poursuivait sa rédaction, insouciante.
C'est impossible, voulus-je me convaincre. Impossible.
Pour me rassurer, j'effleurai la marque du bout de l'index... et tressaillis en sentant un violent courant électrique me remonter le long du bras. J'étouffai une plainte, tandis que des ondes de magie se réverbéraient dans tout mon corps.
Telle une toile d'araignée fluorescente, les runes se multiplièrent à l'infini sur le mur, sous mes yeux arrondis de stupeur. Le souffle coupé, je n'eus pas le temps de réagir : sans préambule, l'alarme à incendie se déclencha, assourdissante.
Toute la classe sursauta comme un seul homme. Malgré le bruit tonitruant qui nous perçait les oreilles, les élèves se jetèrent des regards réjouis, ravis à l'idée d'évacuer le lycée et d'échapper à ce contrôle interminable.
Ceci n'est pas un exercice. Veuillez évacuer le bâtiment dans le calme.
À l'entente de la voix robotique, un brouhaha enfla comme une vague, que Mme Aguilera tenta de calmer en se dressant tel un ressort, mains levées devant elle. Elle luttait pour ne pas dévoiler outre-mesure sa frustration.
— ¡Chicos, un poco de silencio, por favor! Laissez tous vos affaires ici, et si je découvre quelqu'un en train de tricher, zéro pour toute la classe ! hurla-t-elle pour couvrir le bruit.
Je fus la seule à rester assise tant j'étais tétanisée. Les runes avaient disparu, mais je voyais encore leur couleur argentée vibrer devant mes yeux, comme si elles s'étaient gravées sur ma pupille.
— Tu viens ? me lança Lyse.
— Donne-moi une seconde, lui dis-je d'une voix étranglée.
Sous son regard perplexe, j'apposai ma main droite contre le mur. Aussitôt, de milliers de petites aiguilles s'enfoncèrent dans ma paume. Cette fois-ci, je ne réussis pas à contenir le cri de douleur qui m'échappa. Ni la peur qui inonda mes veines comme un poison.
— Qu'est-ce que tu as ? m'interrogea mon amie, inquiète.
J'ignorai sa question pour contempler l'attroupement qui se créait devant la porte de la salle. Notre prof essayait de l'ouvrir avec sa carte magnétique, en vain. Et à mesure que les secondes s'écoulaient, et que l'alarme menaçante continuait de vriller nos tympans, une clameur nerveuse montait dans la pièce, qui paraissait soudain bien étriquée. Peu à peu, la joie disparaissait au profit d'une angoisse qui fit s'agiter le groupe en tous sens comme une ruche pleine d'abeilles.
— Ça ne marche pas ! Ça ne marche pas ! s'exclamait Mme Aguilera en apposant sa petite carte sur le boitier. ¡Mierda!
Aucune lumière, aucun bip libérateur.
Ceci n'est pas un exercice. Veuillez évacuer le bâtiment dans le calme.
Dans un accès de panique, Stéphane lui arracha la carte des mains et tenta sa chance à son tour, mais c'était inutile. Un champ électromagnétique avait été créé, qui détraquait les ondes et isolait le bâtiment du reste du monde. Il n'y avait pas d'erreur, pas de doute.
Mon lycée était attaqué... et j'étais seule pour le défendre.
***
Coucou 😁
J'espère que vous allez bien et que vous avez tous survécu à vos différents examens ❤️ (pour ceux qui en avaient). Bonnes vacances d'ailleurs ! (J'ai un peu de mal à y croire 😭)
Un chapitre un peu plus court que d'habitude, mais pour une fois, j'avais envie de vous laisser sur votre faim 😈 (non non, ce n'est pas que la suite n'est pas encore écrite 😅).
Ça sent le roussi pour notre héroïne en tout cas... 😱 des théories?
Je vous retrouve la semaine prochaine pour un peu d'action 💪🏼
Bisous 😍😘
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