Chapitre 18 - Ligne rouge (2/2)

Nous nous retournâmes d'un même mouvement vers l'intersection qui menait au Sangre. Sur le bitume, des ombres se dessinaient dans les halos projetés par les lampadaires. Trois silhouettes, anormalement grandes, qui progressaient par à-coups dans notre direction. Et à mesure qu'elles avançaient, leurs contours se déformaient, se tordaient à en faire peur, suscitant en moi la même angoisse que les spectres de mes cauchemars d'enfant.

Quelques secondes plus tard, les trois démons apparaissaient au bout de la rue. Aussitôt, je les reconnus : c'étaient ceux qui nous avaient scrutés d'un peu trop près et avaient incité Shawn à me faire sortir du pub. J'eus tout le loisir de les détailler tandis qu'ils s'approchaient à pas lents, l'écho de leurs pas se répercutant dans ma poitrine.

Ils me faisaient penser aux Dalton, ainsi rangés par ordre de taille. Le plus petit, taillé comme un buffle, marchait en tête. Sa peau aux reflets de charbon paraissait absorber la lumière alentour, et son regard écarlate ne quittait pas Shawn. L'expression de connivence qu'il s'efforçait d'afficher me fit d'ailleurs me demander s'il ne l'avait pas déjà rencontré.

Le deuxième aurait pu passer pour un humain, si ce n'était pour les courtes cornes qui ornaient son front sous son épaisse tignasse brune. Il grattait, tout en marchant, la large balafre mauve qui creusait sa joue émaciée.

Cependant, de tous, ce fut le dernier qui m'inspira le plus de crainte. Son corps squelettique était doté de membres démesurément grands, qui se mouvaient par saccades, à la façon d'un pantin désarticulé. Ses muscles secs apparaissaient en filigrane sous son épiderme translucide, et ses yeux injectés de sang m'emplirent d'une angoisse sourde.

Celui-là me dévisageait d'un regard mauvais. Il était le seul, d'ailleurs, à oser le faire.

J'eus du mal à déglutir.

Lorsqu'ils arrivèrent à notre hauteur, les démons prirent soin de garder une distance de sécurité. Mon premier réflexe, bien entendu, fut de glisser ma main droite dans ma veste pour me saisir de ma dague, sauf que Shawn interrompit mon geste, tendant son bras devant moi. Je le regardai sans comprendre, mais il m'ignora, toute son attention dirigée sur les trois créatures dont la venue n'était pas synonyme de visite de courtoisie.

Ce fut celui du milieu, le balafré, qui osa briser de sa voix rocailleuse le silence de mort qui régnait entre nos deux groupes.

— Mason, c'est ça ?

Shawn se contenta d'un bref hochement de tête.

— J'ai entendu parler de toi, poursuivit l'autre. Tu connais Yago, je crois ?

Il désigna de son menton pointu le plus petit des démons, qui sortit les mains de ses poches et me jeta enfin un coup d'œil. Je crus le voir frissonner. Probablement ma conversation précédente avec Shawn qui m'avait rendue parano.

Le jeune homme prit son temps pour observer le monstre. Lorsqu'il répondit, ce fut avec un calme inquiétant :

— Je crois qu'on a des relations en commun.

Je n'aurais su dire ce qu'il avait en tête. Son visage, indéchiffrable, était pareil à un masque. Il avait des allures de comédien sur une scène de théâtre tant il semblait jouer un rôle.

Yago s'enhardit à avancer d'un pas dans notre direction, un sourire faussement décontracté tordant ses lèvres couleur de suie.

— On s'est croisés une fois dans le bar d'Oscar, à NewHeaven. Je crois que tu collaborais avec lui à une époque ?

— Ça fait un bail, maintenant, dit Shawn, toujours immobile. Si je ne me trompe pas, Oscar s'est trouvé de nouveaux alliés depuis. Il joue dans la cour des grands...

Sa voix suintait l'ironie et le mépris. Qui que soit cet Oscar, Shawn ne le portait pas vraiment dans son cœur.

Le petit démon à la peau anthracite acquiesça aux paroles de Shawn en forçant un ricanement. C'était un nerveux, incapable de contrôler le tremblement frénétique qui secouait ses épaules.

Le démon aux allures de fantôme n'avait toujours pas pipé mot. Son regard sinistre de mort ne demandait qu'à m'envoyer en enfer. Une fine sueur froide recouvrit ma nuque, d'autant plus que ces bavardages de complaisance n'étaient pas là pour me rassurer. Ils rappelaient à Shawn qu'ils faisaient tous partie du même camp. Je ne doutais plus qu'ils étaient là pour moi, et ils espéraient à n'en pas douter que le jeune homme me « cède » sans faire d'histoires.

Ma mâchoire se contracta à m'en broyer les dents.

— T'es à GhostValley depuis longtemps ? reprit le balafré.

— Et elle, cracha enfin le plus grand, est-elle vraiment qui on pense ?

Il coupait court aux politesses, avec sa voix d'outre-tombe qui m'hérissa les poils des bras.

J'étais dans la panade. Trois démons hostiles dont j'ignorais les capacités, et Shawn. Je songeai un instant à les laisser en plan et transposer, mais ma fuite ne ferait que repousser l'inéluctable. Mon petit doigt me disait que, si je disparaissais ce soir-là, ces démons n'auraient de cesse de me chercher. C'était donc un combat intéressant qui s'annonçait.

À nouveau, je voulus sortir ma dague. À nouveau, Shawn m'en dissuada d'un geste. Pensait-il réellement réussir à négocier mon départ ?

J'écarquillai les yeux lorsqu'il alla jusqu'à se décaler de quelques pas pour se placer devant moi. Dans son ombre, son dos m'apparaissait tel un bouclier.

C'était étrange, d'être protégée par quelqu'un. J'avais oublié cette sensation de dépendance, de vulnérabilité. C'était d'autant plus étrange lorsque la personne qui vous protégeait n'était autre qu'un ennemi. Mais l'était-il encore vraiment ?

— C'est une Chasseuse, finit par dire Shawn avec lenteur, et elle allait partir.

— Tu nous prends pour des cons ? gronda le démon en retour.

Ses lèvres s'écartèrent sur deux rangées identiques de dents. Petites, acérées comme celles d'un requin.

— Elle n'ira nulle part, vociféra-t-il. Je l'ai entendue dans le bar. Est-ce qu'elle dit vrai ?

— Temor, voulut l'interrompre le démon à la cicatrice, détends-toi. Cette histoire est ridicule, et cette fille...

Ledit Temor repoussa violemment le bras que son acolyte avait posé sur son épaule et cria, sa voix sonnant comme un glas :

— Est-ce que cette fille est l'Adalid ?!

Mes yeux papillonnèrent d'un démon à l'autre. Si le balafré affichait l'air hagard de celui qui sent la situation lui échapper, les deux autres, eux, ne flanchaient pas.

Shawn avait raison. Ces démons voyaient en moi quelque chose, quelque chose d'effrayant, de dangereux. Ils m'avaient « reconnue ». Le pouvaient-ils tous ? Les créatures des ténèbres m'avaient-elles toujours regardée avec cette lueur dans le regard, ce mélange d'intérêt et de répulsion ? Comme si c'était moi le monstre, et pas elles ?

Le buste de Shawn se soulevait doucement sous sa respiration régulière. À croire qu'il ne ressentait aucune peur à être encerclé ainsi, alors que ma salive était devenue de l'acide.

— L'Adalid n'existe pas, dit-il d'un ton sans appel, et elle n'est qu'une Chasseuse.

Sa réponse arracha un reniflement de mépris à Temor.

— Oui, dit-il, c'est une Chasseuse. Et c'est bien là tout le problème.

Sa voix acérée avait fendu l'air telle la lame d'une guillotine. Il venait de me condamner à mort.

J'avais froid. J'avais peur aussi, jusqu'à ce qu'une montée d'adrénaline me traverse toute entière. Ces trois démons qui nous faisaient face dans cette rue sordide n'avaient pas l'intention de me laisser filer saine et sauve. Ils voulaient ma peau, et je compris que je n'avais pas le choix : j'allais devoir me battre. Je ne comptais pas les décevoir. Ils me cherchaient ? Ils allaient me trouver.

Shawn, dressé devant moi, me protégeait toujours de son corps. De là où je me trouvais, je n'apercevais que son profil droit. La lueur des réverbères se reflétait sur ses cheveux de jais. Il me sembla aussi solide qu'une montagne, et rien ne paraissait pouvoir l'ébranler. Je ne pus m'empêcher de songer : pouvais-je vraiment lui faire confiance ? Ou allait-il me jeter en pâture aux loups ?

Le démon aux yeux écarlates reprit la parole, rompant enfin le silence tendu qui s'était installé. Yago. À sa voix empreinte de respect, presque craintive, je me demandais ce qu'avait pu faire le jeune homme qui se tenait devant moi pour que les démons le traitent comme l'un des leurs.

— Tu sais qui elle est, et tu sais ce qu'on doit en faire.

Je sortis finalement ma dague. Il n'était pas question que je reste les bras croisés. S'il le fallait vraiment, je pouvais m'enfuir, mais je refusais de plier face à eux. Alors, sans plus d'hésitation, je contournai Shawn pour me placer à sa gauche. Son visage se tourna brièvement dans ma direction, mais je l'ignorai. Le menton relevé en une attitude défiante, je considérai mes trois opposants l'un après l'autre. Je voulais qu'ils sachent qu'ils ne me faisaient pas peur.

— Et qu'est-ce que vous devez faire de moi ? Me tuer ? Essayez pour voir, mais ne venez pas pleurer quand j'en aurai fini avec vous.

Yago et le démon à la balafre, dont j'ignorais toujours le nom, hésitèrent face à ma hargne, mais pas le dernier. Pas Temor, dont le corps maigre fut parcouru de tremblements fous. Et sans autre forme de procès, tel un chien enragé, le plus grand des démons se précipita vers moi.

Je me mis en garde, prête à le recevoir. Déjà, je pensais au coup que j'allais lui asséner à la gorge, pour lui couper le souffle, puis à ma dague que je lui enfoncerais dans la poitrine.

Mais je n'eus pas besoin de lever le petit doigt.

Sous mes yeux ébahis, Shawn se jeta sur le démon avant qu'il ne puisse m'atteindre. En une seconde, il avait entouré le cou diaphane de ses bras. Un mouvement brusque, suivi d'un douloureux craquement. Le visage du démon, dont les yeux exorbités étaient posés sur moi, s'affaissa subitement. 

Shawn jeta sans cérémonie le corps inerte, qui rebondit lourdement sur le bitume. Sa respiration s'était accélérée et, quand je redressai la tête, l'intensité de son regard me cloua sur place. Je sentis mon corps se liquéfier devant le bleu aux reflets d'argent.

Il l'avait tué pour moi.

L'instant d'après, Yago s'était jeté sur Shawn. Du coin de l'œil, je vis le dernier membre du trio prendre la fuite. Je fis quelques pas en avant, ma dague à la main, et lançai l'arme dans sa direction. Un sifflement perçant, puis le démon la reçut en pleine gorge. Il tituba, portant ses mains à son cou.

Je me détournai aussitôt de lui pour envoyer un coup de pied à Yago, dont Shawn venait de se dégager. La créature tenta de bloquer ma jambe, mais son équilibre était instable, si bien que Shawn n'eut aucun mal à la faire tomber d'un balayage brutal. Dès que notre dernier opposant se retrouva allongé contre le goudron, Shawn écrasa son pied sur sa gorge et lui brisa la nuque.

Le combat n'avait duré que quelques secondes. Les trois démons gisaient désormais, morts, dans la rue toujours déserte. Au loin retentissaient les voix des clients du Sangre en train de fumer une cigarette, mais mes oreilles bourdonnantes les discernaient comme à travers du coton.

Le souffle de Shawn, à peine haletant, glissait entre ses lèvres. Quelque chose dans son expression me fit garder le silence. La gorge nouée, je pivotai sur mes talons et allai récupérer ma dague. Arrivée devant le corps du démon, je m'accroupis à ses côtés.

Avec ses yeux noirs restés ouverts, il donnait l'impression que la mort l'avait fauché par surprise.

Dans le feu de l'action, je n'avais pas réfléchi et j'avais tiré, mais avais-je bien fait ? Je me rassurai en me disant que c'était lui, eux, qui avaient mis le feu aux poudres. Même s'il avait cherché à s'enfuir ensuite, il ne méritait sans doute pas la culpabilité poignante que je ressentis à cet instant.

Je sortis ma dague de sa nuque et l'essuyai contre son jean. C'était la première fois que je me battais sans mes coéquipières, et j'en éprouvais une tristesse douce-amère. Qui plus est, j'avais combattu aux côtés de notre ennemi, et je ne pouvais que constater que lui et moi formions une bonne équipe.

Toujours accroupie, je pris mon téléphone dans mon sac et envoyai une alerte à l'équipe de nettoyage du Conseil. C'était elle qui se chargeait du ramassage des corps, s'il en restait, pendant nos missions ; comme nous étions en plein centre, elle ne mettrait pas longtemps à arriver sur les lieux. Je savais que cette formalité me permettait surtout de retarder l'affrontement. Une tension presque palpable alourdissait l'atmosphère. Je finis par prendre mon courage à deux mains et me redressai.

J'avisai Shawn, qui n'avait pas amorcé le moindre mouvement. Je grimaçai un sourire, dans un effort pitoyable pour cacher mon trouble, mais c'était inutile. Il ne faisait plus attention à moi. Son regard, absent, s'accrochait désespérément au cadavre à ses pieds. La dureté qui imprégnait ses traits le rendait presque méconnaissable. Il était loin, le jeune homme au charme ravageur qui m'avait tenue contre lui quelques minutes auparavant. Dans cet air devenu plomb, j'osais à peine respirer.

Je rangeai ma dague à l'intérieur de ma veste et m'approchai de lui à pas de souris. Je m'éclaircis la gorge et me résolus à parler en premier, d'un ton que je voulus léger :

— Merci. De m'avoir aidée. Sans toi, je n'aurais jamais fait le poids.

Je me recoiffai d'un geste nerveux, tentant de coincer mes mèches châtaines derrière mes oreilles. Si je me sentais oppressée par le malaise qui planait dans l'air, le poids du monde semblait reposer sur les épaules courbées de Shawn.

Il ne me répondit pas. Ne me regarda même pas. Il faisait la sourde oreille alors que je ne demandais pas grand-chose : un simple geste, une parole réconfortante. Une preuve que, s'il m'avait défendue, ce n'était pas anodin : il l'avait fait parce qu'il ressentait quelque chose.

Ma main s'éleva, hésitante, entre nous. J'avançai les doigts vers lui comme je l'aurais fait face à un animal sauvage. Néanmoins, quand je voulus les poser sur son bras, Shawn se saisit brutalement de mon poignet et le serra fort, si fort qu'il me coupa la circulation. Dans ses yeux, un orage se levait, violent, menaçant.

— Ne remercie pas comme si on était alliés, siffla-t-il. Je ne l'ai pas fait pour toi.

La haine qui assombrissait sa voix, la faisait vibrer, fut un véritable coup de poignard.

Il s'était redressé, et la faible lumière de la rue dessinait des poches sombres sous ses yeux. Comme le soir où il avait tué Wright.

Mes dents s'enfoncèrent dans ma lippe Je me dégageai vivement de sa prise, mon regard furibond braqué sur lui.

— Et pour qui d'autre l'as-tu fait alors, hein ? Pour toi, peut-être ?

— Ne t'engage pas sur cette voie, Alicia.

Il avait beau avoir prononcé cet avertissement d'une voix sourde, je n'en eus cure.

— Quoi, tu ne veux pas le reconnaître ? fis-je avec un rire sans joie, un brin provocateur. Tu veux que je te dise ? Moi, j'étais sûre que tu le ferais.

Je ne vis pas les signes avant-coureurs. Les deux poings serrés, aux jointures blanchies, que formaient ses mains. La veine gonflée de sang qui s'était mise à battre sur sa tempe. Ses lèvres exsangues qui n'étaient plus qu'une ligne furieuse sur son visage aux traits si fins.

Je ne vis rien de tout cela et, comme il gardait ce silence effroyable, je me sentis en droit de continuer. Je voulais provoquer une réaction, n'importe laquelle. Il venait de me défendre, c'était une preuve. Une preuve qu'il n'était pas trop tard. Et il le reconnaîtrait, qu'il le veuille ou non.

Lui voulait que je rejoigne son monde de ténèbres ? Au contraire, c'était moi qui allais l'aider à retrouver celui qu'il avait été.

— Tu fais comme si tu te foutais de tout, tu joues avec moi, tu me menaces même, mais tu n'as jamais essayé de me tuer, assénai-je. Pas une seule fois.

— Tais-toi, chuchota-t-il.

— Pourquoi refuses-tu voir l'évidence ? m'emportai-je alors. Pourquoi le nies-tu ? Tu auras beau te mêler aux démons et faire comme si tu étais l'un des leurs, c'est faux ! Quand bien même tu t'es débarrassé de ton âme, ça ne change pas qui tu es au fond de toi. Quoi que tu fasses, quoi que tu dises, tu es et tu seras toujours un humain !

L'éclat de ma voix s'éloigna dans un écho sentencieux.

Je ne sus comment je le compris. Peut-être était-ce à ses yeux, qui s'obscurcirent jusqu'à paraître des puits sans fond, des abymes dans lesquels je tombai en chute libre. Ou peut-être était-ce à sa bouche, qui se crispa en une expression d'ire ardente. Je ne sus comment, mais je le compris : j'avais franchi une ligne rouge. J'étais allée trop loin.

À ce même instant, je sus aussi que rien ne serait jamais plus pareil.

Shawn m'empoigna par la veste et me poussa vers l'arrière si brutalement que j'en perdis l'équilibre. La seconde d'après, mon dos était écrasé contre la portière de la voiture garée sur la chaussée. La poignée s'encastra douloureusement dans ma peau, mais ce n'était rien comparé aux doigts d'acier qui emprisonnèrent mon cou.

Je hoquetai, mes mains agrippant la sienne dans une tentative pour le faire lâcher prise, mais c'était peine perdu. Je plongeai mes yeux terrifiés dans les siens, pour me heurter à un mur de glace.

— C'est ce que tu crois, hein ?

C'était une rage folle qui ne disait pas son nom. Le ton de Shawn restait étrangement mesuré, mais c'était aussi terrible que de l'entendre hurler.

— Je vais te dire une bonne chose, Alicia : j'en ai rien à foutre de toi. Tu crois que quelque chose te protège de moi ? Que je n'oserai pas lever la main sur toi ? Détrompe-toi. Des Chasseuses, je m'en suis déjà fait, et je n'aurai aucun scrupule à recommencer. Alors, mets-toi bien ça dans le crâne : tu n'es rien pour moi. Rien !

Et comme pour appuyer ses dires, il m'enfonça un peu plus dans la tôle, qui hurla son grincement mortifère, et ses doigts étrécirent leur poigne.

Plus une seule particule d'air ne parvenait jusqu'à mes poumons. Je suffoquai, douloureusement, à la manière d'un poisson hors de l'eau qui se débat en vain.

Je ne peux plus respirer.

Ce ne fut que lorsque des points rouges obstruèrent ma vue qu'il me relâcha, aussi brusquement qu'il m'avait saisie. Je m'écroulai sur le bitume, les genoux tremblants et prise d'une quinte de toux irrépressible qui me lacéra la gorge.

C'est alors qu'un tintement aérien se fit entendre. À travers le voile sombre qui recouvrait mes yeux, j'aperçus mon collier par terre. Le pendentif de quartz, tourné vers moi, paraissait me guigner avec inquiétude.

Les menaces que Shawn avait proférées avec toute la haine dont il semblait capable me martelaient encore comme des milliers de poings. Mes mains sur ma gorge qu'il avait broyée, la respiration râlante, je priais désormais pour qu'il me laisse la vie sauve. Comment avions-nous pu en arriver là ?

Shawn me surplombait toujours, et ses mains le long de son corps s'ouvraient et se fermaient par intermittence. À croire qu'elles hésitaient à finir le travail qu'elles avaient commencé. Elles n'en firent rien. À la place, le jeune homme se pencha vivement pour récupérer mon bijou qui jonchait le goudron. Je voulus l'en empêcher, mais mes cordes vocales me faisaient trop mal, et l'éclat effrayant de ses prunelles me dissuada d'esquisser un seul geste.

Shawn mira le bijou avec une froideur presque méthodique avant de l'enfermer dans son poing. Là, il baissa finalement la tête vers moi. Toute trace de vie, d'émotion, avait fui son visage au point que sous ses traits d'ange apparaissait pour la première fois le monstre qu'il pouvait être.

— Et je te le prouverai, lâcha-t-il soudain.

Cette phrase flotta entre nous, emplie d'une promesse que je ne parvenais à saisir. Ses dernières paroles me traversèrent alors l'esprit, avec la violence d'un coup de tonnerre.

Tu n'es rien pour moi. Rien !

Le froid du bitume, sur lequel j'étais toujours avachie, me gagnait peu à peu, mais la morsure du regard de Shawn était autrement plus glaciale. Je restai pétrifiée jusqu'à ce qu'enfin, il se recule et se détourne de moi. Lorsque ses pas ne résonnaient plus qu'en bruits assourdis et que sa silhouette affûtée avait disparu de mon champ de vision, je m'autorisai enfin à respirer.

Je baissai la tête vers mon sac, qui reposait sur le sol. La tête de la peluche avait atterri sur un mégot de cigarette, et je m'empressai de récupérer le louveteau, essuyant de ma manche la poussière qui s'était accrochée à son pelage.

Un sentiment étouffant de tristesse, de regret, m'accabla quand je croisai les yeux d'ambre du jouet.

J'aurais tout donné pour revenir en arrière.

***

....

Vous êtes encore là? 😱

Bon, j'espère que vous ne me détestez pas trop pour cette fin de chapitre 😅
Je pense qu'une seule personne se réjouira un peu de la tournure des événements (n'est-ce pas Michelle_BPen? 😂)

Vous aurez reconnu la scène du prologue 💁🏻‍♀️ Vous vous doutiez peut-être un peu qu'elle arrivait?

J'espère que ce chapitre vous aura quand même plu (ou fait réagir en tout cas 🤭). N'oubliez pas la petite 🌟 avant de passer à l'annonce.

Bisooous 😍❤️

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