Chapitre 18 - Ligne rouge (1/2)
L'air frais de la nuit me fit un bien fou après la touffeur du bar.
Je trottinais derrière Shawn, les yeux rivés sur les mèches de jais plus courtes qui ombraient sa nuque pâle. Ses doigts enserraient ma peau comme un étau, mais je ne songeais même pas à m'en défaire.
Il ne cachait pas son agacement tandis qu'il s'enfonçait dans une rue voisine, déserte, éclairée uniquement par la vitrine d'une boutique de sous-vêtements affriolants. Quand il décida que nous étions suffisamment loin à son goût, il me fit passer devant lui, si fort que je me pris le pied dans le goudron et dus me rattraper au coffre d'une voiture garée en créneau. Shawn ne s'en émut pas outre-mesure. De fait, il s'approcha de moi et me toisa. Ses yeux étaient une tempête hivernale qui risquait à tout moment de m'emporter.
— Non seulement tu fous ma soirée en l'air, vociféra-t-il, mais en plus, comme si ce n'était pas suffisant, tu juges bon de beugler à côté de démons que tu es le Leader. Tu es suicidaire ?
Je roulai exagérément des yeux et maugréai :
— En même temps, si tu avais été plus coopératif...
Mon manque total de remord le fit secouer la tête d'incrédulité. Il s'assura que personne ne nous avait suivis, puis prit une longue inspiration pour se calmer. Je pensai alors à la tête que devait faire Dina en se rendant compte que son rencard était parti. J'étouffai un petit rire, sous l'œil peu amène de Shawn.
— Je te déconseille de trop jouer avec moi, Alicia.
L'intonation plus basse qu'avait prise sa voix déclencha une alarme dans ma tête. Je m'empressai de répondre, levant mon index et mon majeur entre nous :
— Deux minutes. Deux minutes le temps que tu m'en dises plus, et je te laisse tranquille.
J'étais debout sur le trottoir, lui sur la chaussée, si bien que nos visages étaient presque à la même hauteur. Comme à son habitude, Shawn ne portait que du noir. Son teint d'albâtre n'en était que plus hypnotique. Il avait relâché mon poignet, mais je sentais toujours la force de sa prise, comme un tatouage sur ma peau. Ses yeux fouillèrent longuement les miens ; leur éclat d'acier eut sur moi le même effet qu'un aimant.
— Deux minutes, me dit-il enfin, pas plus.
— Promis.
Je me triturais le menton, réfléchissant à la question que je pouvais lui poser, quand son expression maussade m'interpella. Je remarquai son regard braqué sur la peluche toujours à moitié enfouie dans mon sac.
— C'est Truffy, l'informai-je en tapotant la petite tête du loup. Je ne sais pas si tu connais, c'est un personnage de...
— Tout le monde connaît ce stupide dessin animé, me coupa-t-il sèchement.
Je reculai devant la véhémence de sa réponse et émis un claquement de langue désapprobateur.
— Pas la peine de le prendre sur ce ton, grommelai-je.
— L'heure tourne, fut sa réponse laconique.
Je pinçai alors les lèvres. À la vérité, je ne savais pas trop quoi lui demander. Comme il l'avait soupçonné, je ne croyais toujours pas à ces balivernes. Néanmoins, la lueur assassine que j'avais aperçue dans le regard des démons l'instant d'avant m'avait donné quelques sueurs froides. Si Shawn pensait que c'était vrai, que j'étais bien ce trucmuche, il n'était sans doute pas le seul, et je commençais à me dire qu'il était plus prudent de se renseigner un peu. Au cas où.
— Hm, commençons par la base, proposai-je, incertaine. Qu'est-ce que le Lea... enfin, qu'est-ce que je suis censée faire ?
Je manquai tomber à la renverse quand Shawn répondit sur le ton de l'évidence :
— Je ne sais pas.
— Tu ne sais pas ? Comment ça, tu ne sais pas ? répétai-je, imitant son ton blasé. C'est la question la plus simple !
Je le mirai avec de grands yeux, attendant qu'il reprenne la parole, ce qu'il fit en esquissant une moue désabusée :
— Je te l'ai déjà dit : c'est une très vieille légende, qui a été déformée avec le temps. Il n'en subsiste plus grand-chose.
— Peux-tu au moins me dire de quel pays elle vient ?
— Pas de quel pays, me corrigea-t-il, de quel camp. C'est une légende que certaines espèces de démons se transmettent de génération en génération.
Je cillai en entendant le mot « démons ». Cette petite précision ne me plaisait pas du tout.
— Tu es en train de me dire que c'est un mythe démoniaque ? Est-ce que je dois en déduire que le Leader l'est également ? Parce que je peux te l'assurer, ajoutai-je avec emphase, je ne suis pas démoniaque pour un sou. Tout fonctionne normalement chez moi, et tout est à la bonne place.
Ma dernière remarque arracha à Shawn un éclat de rire, qui se répercuta contre les vitrines et les rideaux de fer des magasins fermés.
— Quelqu'un s'est déjà chargé de le vérifier ? s'enquit-il avec gouaille.
Je levai les yeux au ciel.
— Réponds à ma question, insistai-je sans même relever sa provocation.
— Non, finit-il par dire, plus sérieux. L'Élu n'est pas fondamentalement démoniaque.
— Je n'aime pas beaucoup ton utilisation du terme « fondamentalement ».
— Je ne fais que te dire ce que j'ai appris au fil du temps, se justifia-t-il.
Il ébouriffa ses cheveux, l'air de chercher ses mots.
— La nature de ton pouvoir dépendra de ce que tu en feras. On dit que l'Adalid sèmera le chaos sur son passage, mais au profit de qui, personne ne le sait. D'après la légende, tu peux être aussi bien maléfique que bénéfique. Sombre ou lumineuse. Mais une chose est sûre : le pouvoir qui t'habite est destructeur.
Un frisson parcourut mon échine. Je n'aurais su dire s'il était dû à ses paroles effrayantes ou à cette sorte de fascination qui les avait enrobées à mesure que Shawn m'avait dévoilé ce qu'il savait. Si j'étais toujours sceptique au sujet de cette histoire, lui me contemplait désormais avec la même déférence que s'il avait eu devant lui une divinité. Et cet énième changement d'attitude de sa part me prit au dépourvu.
Je n'avais pas l'habitude d'être dévisagée de la sorte. Ne pouvant soutenir le poids de son regard plus longtemps, je me raclai la gorge et me détournai de lui, tant pour reprendre mes esprits que pour vérifier que personne (pour ne pas dire Dina) ne venait à notre rencontre. Du coin de l'œil, je vis Shawn passer une main dans ses mèches, puis sur sa nuque. Quand je revins à lui, il avait retrouvé son flegme habituel, qui frisait l'indifférence.
— Destructeur, hein ? repris-je. Pas du tout dramatique, comme prophétie.
Mon ton pince-sans-rire ne l'amusa pas vraiment ; au contraire, il parut vexé.
— Tu ne devrais pas le prendre à la légère, grinça-t-il. Que l'Adalid se soit incarné n'est pas sans conséquence : ta venue symbolise la fin d'une ère. De notre ère.
Je réprimai un rire ahuri. Probablement pour cacher le fait que cette histoire commençait à me foutre les chocottes.
— La fin de notre ère, rien que ça ? Je suis désolée de te le dire, mais toute cette histoire me semble tirée par les cheveux. Et plus important encore, enchaînai-je avec humeur, tu pars du principe que je suis bien cet Adalid, mais comment peux-tu en être aussi sûr ?
Shawn m'observait sans bouger, les mains négligemment enfoncés dans les poches de son jean. Il ne me répondit pas tout de suite, laissa planer quelques secondes le silence tendu qui s'était imposé à nous avant de me lancer de but en blanc :
— Tu connais Winterberg ?
Winterberg. Petite ville pittoresque située au nord-est de GhostValley. Plus connue pour son théâtre bicentenaire et sa spécialité culinaire, un gâteau à la crème au beurre et aux fruits confits particulièrement indigeste.
En gros, rien à voir avec le sujet de notre discussion. Je me rembrunis devant ce que j'interprétai comme un manque de bonne volonté.
— J'ai du mal à voir le rapport avec notre conversation.
— Est-ce que tu connais Winterberg ? dit-il à nouveau, son pied tapotant contre le trottoir devant lui.
Je compris à son expression inflexible qu'il attendait vraiment une réponse. Je soupirai de façon appuyée et finis par dire de mauvaise grâce :
— Oui. J'ai participé à une mission là-bas, une fois. La Moon House du coin avait besoin d'une sorcière. C'était il y a...
— Deux ans, non ? devina-t-il.
Je m'interrompis, bouche entrouverte. Comment le savait-il ?
— Oui, admis-je, un peu hésitante. C'était il y a deux ans.
— Il y a deux ans, moi aussi j'étais à Winterberg, m'informa-t-il. Un soir, j'étais dans ce pub, le Viperina. Je cherchais un boulot, de quoi me faire de l'argent facilement, et je ne connais rien de mieux que les bars pour choper de bons tuyaux. Mais cette nuit-là était calme, sans intérêt. Je m'apprêtais à plier bagage quand un démon s'est précipité à l'intérieur. Sans un regard pour personne, il est allé s'asseoir au comptoir. Il était dans un tel état d'agitation qu'il peinait à garder une apparence humaine. Je me suis dit que sa panique cachait peut-être une bonne affaire, alors je lui ai payé un verre. Puis, deux. Puis, trois. Au bout du quatrième, il a enfin lâché le morceau et m'a avoué quel était l'objet de sa terreur : il était convaincu d'avoir aperçu l'Adalid.
À ces mots, mes mains devinrent brusquement moites, ma bouche terriblement pâteuse.
— Il l'avait aperçu près d'un magasin tenu par un mage un peu vrillé, qui se faisait appeler le Mangeur d'âme. Il y avait un sacré raffut devant l'échoppe, alors le démon est allé jeter un œil. Il m'a dit qu'il avait senti l'Adalid avant de le voir. « Une fille, tout juste sortie de l'enfance ». C'est ce qu'il m'a dit, et il n'a pas oublié de préciser que c'était une Chasseuse de la Nuit.
— Ça ne prouve rien, répliquai-je.
Je m'ébrouai discrètement pour chasser l'engourdissement qui tétanisait mes muscles. Oui, je me souvenais de ce charlatan. Le Mangeur d'âme... Un nom bien pompeux pour un pauvre type. Il arnaquait ses clients en plaçant des sorts d'illusions sur des babioles qu'il revendait une fortune. J'étais effectivement là, le soir où les Chasseuses de Winterberg l'avaient interpellé pour mettre fin à ses agissements. Mais...
— C'est peut-être une simple coïncidence. Je n'étais pas la seule Chasseuse présente. Il a pu confondre avec une autre, nous étions au moins six.
— Il n'y a pas de coïncidence, me contredit Shawn. Je suis resté dans cette ville quelque temps, dans l'espoir de tomber sur la Chasseuse dont il m'avait parlé. Je ne l'ai jamais retrouvée. Et tu oublies un détail...
Je fis de mon mieux pour ignorer le froid qui pénétrait peu à peu mes membres et l'incitai à poursuivre d'un signe de tête.
— Il t'a sentie, reprit-il.
— Il a senti quoi, mon odeur ? demandai-je, la bouche tordue en une expression de dégoût.
Shawn rit tout bas, secouant doucement la tête.
— Non. Il a senti tes ondes.
À ces mots, je ne retins pas le soupir de soulagement qui franchit mes lèvres.
— Bien sûr que j'émets des ondes, dis-je, mon sourire revenu. Je suis une sorcière, et tous les mages...
— Pas si vite, m'interrompit Shawn en levant la main entre nous.
Il avança d'un pas. Il était désormais suffisamment près de moi pour que je perçoive les notes de son parfum qui flottaient dans l'air. Il enchaîna, inconscient du trouble grandissant qu'il suscitait en moi :
— Tu oublies une chose : vous, les mages, émettez bien des ondes, mais vous êtes également les seuls capables de les capter. Or, celui qui t'a sentie était un démon.
Il baissa un instant les yeux, et la concentration fit apparaître un pli sur son front. Je ne dis rien, attendant qu'il poursuive, suspendue à ses lèvres.
— Je te parle d'ondes, mais c'est plus compliqué. Je ne sais pas comment te le décrire. C'est comme une aura. Une aura sauvage, un rayonnement qui met tout ton corps à vif.
— Tu délires, chuchotai-je.
Mais quand je fis mine de reculer, il saisit ma main droite au vol et la plaqua contre son torse, à l'emplacement de son cœur. Même à travers le tissu, je pouvais sentir la peau tendu sur son pectoral. Je relevai des yeux perdus vers lui ; il se contenta de raffermir sa prise. C'est là que je les remarquai.
Les battements désordonnés de son cœur. La cadence bien trop rapide. Le muscle qui se débattait avec violence, désireux de s'échapper de sa prison d'os et de chair.
— Moi aussi, je les sens, souffla-t-il.
Un bourdonnement emplissait mes oreilles, de sorte que je l'entendis à peine. Mon esprit s'était transformé en un champ de bataille où s'entrechoquaient mes pensées dans un tintement de métal.
Je remuai les lèvres sans réussir à parler. J'avais commencé cette discussion avec l'insouciance propre aux jeux, et elle se retournait contre moi.
Muette de stupeur, je ne sentais plus qu'une chose : le palpitant qui cognait furieusement sous ma paume. Je constatai alors avec effarement que j'étais sur le point d'y croire. Un rien suffirait pour que je bascule dans sa folie.
— C'est là, l'ironie de la chose, poursuivit Shawn. Le destin a voulu que tu t'incarnes dans la peau d'une Chasseuse, mais seuls les damnés, ou ceux dont l'âme est morte, peuvent te voir pour ce que tu es.
— C'est impossible, parvins-je à articuler d'une voix blanche.
— Comment crois-tu que je t'ai reconnue, le soir où je suis venu régler son compte à Wright ?
Mes doigts se crispèrent sur son t-shirt. Mon majeur rencontra alors l'amulette qu'il portait toujours, le protégeant de mes sorts. C'était sans doute à cause d'elle que mon pouvoir électrisait mon corps au point de me rendre pantelante.
— Est-ce que... est-ce que ça fait mal ? demandai-je.
Les coins de sa bouche esquissèrent un sourire mi-charmeur mi-suffisant.
— Oh que oui, mais rien que je ne puisse supporter.
— Et tu dis que toutes les créatures des ténèbres le sentent ?
— Toutes, sans exception. Quand bien même elles ignorent qui tu es, elles sentent que tu représentes un danger. Que tu es différente, unique.
— J-je ne le contrôle pas, balbutiai-je, abasourdie. Je ne le sens même pas !
— Tu ne possèdes pas ce pouvoir. C'est lui qui te possède.
Je coulai un regard en direction du Sangre, dont la musique étouffée ronflait dans le silence nocturne.
Les deux minutes s'étaient écoulées depuis longtemps. Pourtant, Shawn se tenait toujours devant moi, les yeux un peu plissés alors qu'il dévorait mes traits, à l'affut du moindre changement dans mes expressions.
— Et toi, alors ? lui lançai-je à brule-pourpoint, dans un effort désespéré pour reprendre le contrôle de la situation. Pourquoi est-ce que je t'intéresse autant ?
Il m'offrit une moue énigmatique.
— L'Adalid représente le pouvoir. Un pouvoir à corrompre.
— Tu veux me convertir à ta cause ? fis-je, sceptique.
— Tu te laisserais convaincre ?
Sa réponse avait fusé, et elle me fit pouffer de la même manière que s'il m'avait sorti la plaisanterie de l'année. Toutefois, mon hilarité me quitta à la vitesse d'un cheval lancé au galop quand il ajouta :
— Si tu es ici, c'est bien que les ténèbres possèdent certains attraits à tes yeux, non ?
J'hoquetai presque devant cette aberration, contre laquelle je m'empressai de m'insurger :
— Jamais je ne trahirai mon camp.
— La trahison peut revêtir bien des formes.
À cet instant, toutes mes pensées convergèrent vers Michael. Son visage se superposa à celui de Shawn, et la culpabilité me transperça de part en part. Elle se fit plus vive, plus insidieuse, quand je me rendis compte que ma main était toujours plaquée contre le torse du jeune homme.
Ce dernier suivit mon regard, considérant à son tour nos mains presque enlacées. Toutefois, au lieu de me relâcher enfin, ses doigts caressèrent de façon hésitante ma peau fine. Avec lenteur, précaution, comme s'il sentait que je risquais à tout moment de lui échapper.
Ma respiration eut un accroc.
Je savais que mes joues étaient écarlates. Elles me brûlaient atrocement, en proie à un incendie qui me ravageait de l'intérieur. Je ne fus donc pas surprise quand Shawn susurra :
— Tu es vraiment venue pour en savoir plus, ou tu avais autre chose en tête ?
— Ne prends pas tes désirs pour la réalité, m'offusquai-je.
Ma réponse aurait sans doute été plus crédible si j'avais eu la force de m'éloigner. Sauf que mes jambes, devenues du coton, restaient ancrées dans le goudron. Elles refusaient de coopérer avec ma conscience, dont la voix presque inaudible m'ordonnait d'arrêter ce cirque avant d'atteindre le point de non-retour.
— Ce gars que j'ai vu dans la voiture, c'est ton petit-ami ?
Nous y voilà, pensai-je.
La question, cruel rappel de ma duplicité, me provoqua un pincement au cœur.
— En quoi ça t'intéresse ?
— Je me demandais juste si c'était lui. Tu sais, la fameuse passion prédite par les fées, dit-il en détachant avec soin chaque syllabe, les prunelles railleuses.
— Et Dina, alors ?
J'avais brandi entre nous le prénom de la vampiresse comme un épouvantail, pour détourner son attention du sujet trop délicat qu'était Michael.
— Quoi Dina ? fit-il avec le flegme de celui qui n'a rien à cacher.
— C'est ta petite-amie, non ?
Le rire rauque, narquois, qui lui échappa n'aurait sans doute pas plu à la principale concernée.
— J'aime prendre du bon temps, c'est tout.
— Et tu la laisses te mordre ?
La question impertinente, prononcée avec désapprobation, m'avait échappé. Cette fois-ci, Shawn haussa les sourcils de stupeur. Je me mordis la langue, maudissant ma curiosité mal placée.
Je savais que certains vampires et leur compagnon humain s'adonnaient à cette pratique pendant l'acte. On disait même qu'alors, la morsure n'était pas douloureuse, bien au contraire. Sauf que ça ne me regardait absolument pas et qu'il valait mieux ne pas poser ce genre de questions orientées à quelqu'un comme Shawn, dont les yeux étaient désormais emplis d'une malice tout sauf innocente.
— Voilà un bel exemple de question indiscrète, jubila-t-il. Je doute que la réponse te plaise.
— Oublie ça, dis-je précipitamment.
Je voulus m'écarter de lui, mais ce fut sans compter sur le goût prononcé du jeune homme pour la provocation. Je m'étais attendue à bien des choses venant de sa part, mais pas à ce que ses mains saisissent mes épaules pour me forcer à reculer. Et il ne s'arrêta pas avant que mon dos ne percute le mur et que son corps, lui, ne percute le mien.
Je fus soudain submergée par sa chaleur, son odeur, à tel point que je sentis à peine la rugosité de l'enduit qui agrippait mes cheveux. Mes mains se plaquèrent à la hâte contre son torse pour le maintenir un tant soit peu à distance, mais mon ventre se tordait déjà d'impatience à l'idée de ce qui pouvait suivre.
Par crainte, ou peut-être par honte, je gardai mon visage baissé, le regard obstinément fixé sur sa gorge. Sa pomme d'Adam remua quand il reprit la parole :
— Si tu veux tout savoir, je ne laisse qu'une seule vampiresse me mordre, et ce n'est sûrement pas Dina.
Cette révélation n'apaisa en rien ma curiosité, bien au contraire : elle l'attisa comme le vent anime les flammes et me laissa un goût amer dans la bouche. Je ressentis le picotement familier de la jalousie, cependant, je n'eus pas le temps d'y réfléchir davantage. La main gauche de Shawn traça un sillon ardent sur ma peau quand elle glissa dans mon cou pour saisir ma nuque à la base de mes cheveux. Il me força à relever la tête vers lui, et j'obtempérai. Erreur. Je me perdis aussitôt dans ses iris, profonds comme une mer cendrée.
— Au fond de toi, tu le sais, pas vrai ? me dit-il.
— Quoi ?
Ma voix n'était plus qu'un chuchotement presque inaudible. J'osais à peine bouger dans cette prison dont j'étais la captive un peu trop consentante.
— Que tu n'es pas comme les autres Chasseuses, répondit-il dans un murmure. Qu'un feu brûle en toi, et qu'un type comme lui ne sera jamais à la hauteur.
Le timbre de sa voix était voilé, enroué. J'aurais voulu protester, lui dire qu'il ne connaissait pas Michael, son intelligence, sa douceur, mais ma volonté m'avait désertée.
Shawn me regardait avec une faim que je n'avais pas l'habitude de voir dans le regard des garçons. La lumière du magasin de lingerie, d'un rouge profond, parait son visage d'un éclat lascif. À croire qu'elle prenait un malin plaisir à caresser l'arête droite de son nez, ses pommettes saillantes et ses lèvres sensuelles.
Pour moi, il était d'une beauté à couper le souffle.
Il me tenait toujours de sa poigne exigeante, qui n'offrait aucune échappatoire et qui semblait me dire : regarde, si l'envie m'en prend, tu m'appartiens.
Et le pire dans tout ça, c'était que je le désirais.
Je clignai péniblement des yeux, et mes doigts, qui serraient les pans de son blouson pour l'éloigner de moi, se mirent à trembler.
Je ne pouvais plus me voiler la face. Shawn m'attirait, dangereusement, trop pour mon propre bien. Alors qu'il me bloquait toujours de son corps, que je sentais ses bras m'enlacer dans cette étreinte enivrante et que nos souffles se mélangeaient, toutes velléités de résistance me quittaient inéluctablement. Jusqu'à ce que mes mains, au lieu de le repousser encore, l'attirent doucement vers moi.
— Alors dis-moi, conclus-je dans un souffle, qui serait à la hauteur, d'après toi ?
Ma propre audace m'effraya, encore plus lorsque je vis la surprise traverser son visage.
Alors, je fermai étroitement les yeux et attendis. Haletante, fébrile, j'attendis qu'il fasse ce premier pas que j'étais trop lâche pour faire.
J'attendis, encore, encore...
Sauf que la chaleur tant désirée ne vint jamais effleurer ma bouche. À la place, la nuit m'enveloppa dans son froid manteau quand Shawn s'écarta vivement de moi.
Je soulevai mes paupières, désemparée. Il avait reculé de plusieurs pas, et je le contemplai, paumée, emplie d'une déception incrédule et d'une honte amère, celle de m'être laissée aller ainsi pour me faire rejeter.
Je remarquai alors que le sang paraissait avoir déserté son visage et qu'une lueur, que je n'avais jamais vue auparavant, brillait dans son regard.
La peur.
Comme si la terre s'était ouverte sous ses pieds et qu'elle s'apprêtait à le dévorer tout cru.
J'ouvris la bouche pour parler, pour combler ce silence intenable, mais il me devança :
— Tu ne devrais pas faire confiance à un type comme moi. Tu risquerais de le regretter.
Je me crispai devant la menace à peine voilée.
— Je t'ai appris ce que je savais, reprit-il durement. Maintenant, tu me laisses tranquille et tu t'en vas avant que...
Il se tut quand des bruits de pas retentirent dans la rue adjacente à la nôtre.
***
Coucou les filles! 🤩
Je vous poste le chapitre en quatrième vitesse. J'aurais bien aimé le relire une dernière fois pour repérer les coquilles, alors, si vous avez repéré quelque chose, n'hésitez pas à me le signaler! (je l'ai beaucoup remanié)
Que pensez-vous de cette scène un peu hot? 😏 Même si son dénouement laisse présager quelques complications 😳
La deuxième partie du chapitre (plus long que prévu 😅) sera postée samedi prochain. Pensez à la petite 🌟 si votre lecture vous a plu.
Bisous 😍😘
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