Chapitre 17 - Écart de conduite
Tu as perdu la tête ? Fais demi-tour, tout de suite ! s'égosilla ma conscience.
Elle s'agitait dans ma tête comme un insecte pris dans un bocal. Elle me suppliait de ne pas commettre cette erreur monumentale, de ne pas jouer avec le feu parce que j'allais assurément me brûler les ailes.
Sauf que c'était plus fort que moi, j'avais envie de le voir.
Je savais que c'était stupide. Je me le répétais en boucle, mais cela ne m'empêchait pas de me hâter sur le chemin forestier, le souffle haché tant par l'effort que par l'appréhension qui m'oppressait les poumons.
Pour être honnête, je ne savais même pas ce que je cherchais en agissant ainsi. Je suivais juste cette pulsion irrésistible, ce besoin de me confronter à lui et de poursuivre ce jeu du chat et de la souris qu'il avait commencé le jour où il était venu me trouver dans cette chapelle. J'aurais dû l'éviter comme la peste ; or, je courais au-devant de lui.
Ma promesse ne tenait plus... à mes risques et périls.
Mon sang battait furieusement à mes tempes quand je déboulai dans les rues fourmillantes du cœur de la ville. J'avais beau céder à cette folie passagère, je n'oubliais pas que mes collègues y maintenaient l'ordre, comme chaque soir. Alors, je rasai les murs, ombre mouvante qui se fondait entre les silhouettes et se confondait avec elles. Ignorée de tous, je scrutais néanmoins chaque garçon que je croisais dans l'espoir de reconnaître ses traits, sa façon de se tenir, à l'arrogance toute masculine. Un peu comme si le monde entier lui appartenait et que rien n'avait d'importance.
Sans succès.
Mon instinct me poussait à m'enfoncer davantage dans les entrailles de la ville, au risque de me perdre dans un dédale de ruelles sordides, là où il était si facile de faire une mauvaise rencontre. Mon intuition était ma plus grande alliée dans le feu de l'action, et elle savait où il s'était dirigé. Un gars comme lui n'avait que faire des pubs remplis d'étudiants ; il devait chercher une compagnie d'un tout autre genre, que seul le monde des ténèbres pouvait lui offrir.
Je filai donc vers les quais, direction le quartier mixte, de l'autre côté de la rive.
Un rire presque ironique m'échappa.
Je détestais les quartiers mixtes. Peut-être parce qu'il était difficile de ne pas se laisser abuser par les faux-semblants. Qui se cachait derrière les visages faussement détendus ? Un simple humain, ou un démon ? Quelqu'un de bien intentionné, ou un judas, un fourbe qui n'hésiterait pas à planter sa dague dans votre dos ?
Pour moi, les humains et sorciers qui fréquentaient ces lieux étaient soit des paumés, soit des gens peu recommandables. Et l'impression de me jeter dans la fosse aux lions, alors que les Chasseuses n'étaient jamais accueillies à bras ouverts dans ces endroits, ne me quittait pas à mesure que j'approchais du but.
Je longeais la succession de terrasses qui débordaient sur le quai, savourant l'air rafraichi par l'eau dormante, et zigzaguais entre les clients debout qui se grillaient une cigarette quand une silhouette, devant moi, me fit ralentir.
Un couple d'amoureux, qui évoluait si étroitement collé qu'on les distinguait à peine l'un de l'autre. Toutefois, le jeune homme avait quelque chose de familier qui retint mon attention. Je me rapprochai discrètement, presque sans respirer. Il tourna le visage, observa d'un œil distrait une guirlande lumineuse qui guignait les passants. Mon cœur rata un battement.
C'était lui.
Quand je le vis devant moi, avec cette fille sous le bras, je me figeai, ahurie. Un instant, les silhouettes et les éclats de voix perdirent de leur substance, et j'eus l'impression de flotter au-dessus du sol. Je me ressaisis vite, cependant, lorsque le couple fut happé par une vague humaine et faillit disparaître de ma vue. Mes jambes bougèrent d'elles-mêmes, et je les suivis, accélérant le pas de peur de les perdre.
L'avoir trouvé si facilement dans le chahut caractéristique d'un vendredi soir relevait du miracle, mais le soulagement qui m'avait si soudainement emplie fut de courte durée.
Shawn serrait la jeune femme contre lui d'une main possessive, qui se baladait sur les courbes voluptueuses à peine couvertes par une mini-jupe et une brassière noires. Je tiquai.
Comme je restais à une distance raisonnable d'eux, je n'entendais pas une bribe de leur conversation. À un moment, ils croisèrent un autre couple, affairé à se rouler des pelles passionnées tout en déambulant sur le goudron. Shawn et sa compagne l'évitèrent, le regardèrent fixement passer, et l'éclat vorace que je lus dans leurs yeux me rappela deux hyènes avisant leur futur repas. Quand je discernai les veines noires qui se dessinèrent en filigrane sous la peau de la jeune femme, dont les yeux trahissaient la soif de cruauté et de sang, je compris que c'était un vampire.
Ma bouche devint brusquement sèche.
La rencontre pouvait prendre une bien dangereuse tournure si je m'entêtais.
Ce que tu peux être naïve. Imprudente. Et écervelée, pour couronner le tout.
J'avais beau me traiter de tous les noms, mes pas se calquaient automatiquement sur les leurs. Les filer ainsi était absurde, mais c'était trop tard pour reculer. Je n'imaginais pas repartir bredouille, avec ce regret au ventre : celui d'ignorer ce qui aurait pu se passer.
Sans surprise, ils prirent l'un des ponts qui enjambaient le fleuve, le plus à l'écart des bars prisés par les étudiants. J'attendis qu'ils atteignent l'autre rive avant de le franchir à mon tour, de plus en plus nerveuse. J'espérais qu'ils ne s'enfonceraient pas jusque dans la zone tacitement réservée aux créatures des ténèbres. L'endroit que même les Chasseuses ne pouvaient contrôler, juste surveiller de loin, impuissantes. Si c'était le cas, je serais forcée de m'arrêter : les suivre reviendrait à signer mon arrêt de mort et à me passer moi-même la corde autour du cou.
De l'autre côté du cours d'eau, l'ambiance n'était plus la même, la faune non plus. L'air s'était fait lourd, soudain chargé d'une électricité que l'on retrouvait jusque dans les regards. Les réverbères étant plus rares dans cette partie de la ville, l'obscurité régnait en maître et brouillait les identités.
Désormais, tous mes sens étaient en alerte. Sur mon passage, beaucoup de têtes se tournaient, provoquant mon désarroi et mon incompréhension. Curiosité ou animosité emplissaient les coups d'œil plus ou moins furtifs, plus ou moins discrets, qu'on me lançait. La manière que certains avaient de me jauger de la tête aux pieds me mettait profondément mal à l'aise, et la magie que je captais par ailleurs en rafale me donna bientôt la sensation d'étouffer. Ce fut presque avec soulagement que je vis l'objet de ma quête entrer dans un bar.
Je ne le connaissais que de nom : le Sangre caliente. Mixte, fréquenté tant par des créatures occultes que par des humains aux mœurs étranges ou aux affaires louches. De loin, j'aperçus l'armoire à glace qui gardait l'entrée laisser passer Shawn et la vampiresse. Deux détails se rappelèrent alors à moi : petit un, j'étais une Chasseuse sans ses camarades, alors mieux valait que personne ne s'en rende compte si je ne voulais pas m'attirer des ennuis ; petit deux, j'avais seulement seize ans, et le pire était que j'en paraissais même quinze à côté des filles à la sensualité presque animale qui peuplaient le quartier.
Je dansai d'un pied sur l'autre, ne sachant que faire.
Rentrer chez toi, peut-être ? vociféra ma conscience.
Je ne lui prêtai guère d'attention : j'avais repéré une voiture garée un peu à l'écart, et je m'en approchai rapidement. Le reflet que me renvoya la vitre était fantomatique mais, même ainsi, ma jeunesse sautait aux yeux. Avec des gestes empressés, je détachai mes tresses, laissant libre cours à ma chevelure ondulée qui cascada sur mes épaules. Ensuite, mon rouge à lèvres. Je le sortis de mon sac et, pendant que je rectifiais mon maquillage, je tentais intérieurement de me convaincre que je ne faisais ça que pour pénétrer dans ce maudit bar.
Rien de plus.
Prenant une inspiration un peu saccadée, je contemplai mon image, si blafarde et trouble qu'elle semblait me parvenir de l'au-delà. J'eus néanmoins un petit raclement de gorge satisfait : je venais de prendre au moins deux années.
Après m'être assurée que personne ne faisait attention à moi, je sortis rapidement ma dague de mon sac pour la glisser dans mon perfecto. Je pris mon temps pour la fixer à la petite bande de tissu cousue de mes mains à l'intérieur. J'avisai ensuite Truffy, dont la petite tête dépassait toujours de mon sac comme un clou mal enfoncé dans un mur. Avec une pointe de culpabilité, j'essayai de le rentrer entièrement dans ma pochette, en vain. Le petit loup capricieux refusait de disparaître. Et c'est sur la pensée que le louveteau serait spectateur et juge de mon écart de conduite que je repartis d'un pas que je voulus déterminé.
Je ne sus comment le colosse de l'entrée me laissa passer. Il me fixa de longues secondes, les deux mains étroitement jointes devant ses cuisses musclées, et finit par s'écarter avec lenteur. Ravalant ma timidité et muselant ma raison, je relevai le menton et entrai dans l'établissement.
La musique, aussitôt, m'agressa les oreilles.
Je fus assaillie par des guitares déchaînées et des gémissements plaintifs. Assourdissante, la basse trouvait un écho presque douloureux au fond de ma poitrine.
Mon instinct de combattante m'intima de me familiariser avec les lieux, au cas où les choses se gâteraient. D'abord, le bar, qui s'étirait presque d'un mur à l'autre de la salle. À l'extrémité gauche, un passage, qui devait mener aux réserves ou aux cuisines. Généralement, il y avait une porte de service à l'arrière, pour sortir les poubelles. Une possibilité de sortie. À l'extrémité droite, juste à côté de moi, d'étroits escaliers métalliques en colimaçon qui semblaient mener à une seconde salle à l'étage. Combien de clients, d'ennemis potentiels, s'y trouvaient-ils ?
Je regardai prestement autour de moi. Le rez-de-chaussée était bondé, l'air, saturé, chargé d'effluves d'alcool et d'odeurs de corps, forts au point de me faire tourner la tête. Les fenêtres, aux vitres opacifiées pour plus d'intimité, dominaient de larges banquettes noires où s'abandonnaient des corps alanguis. Des néons verts éclaboussaient l'assemblée de leur éclairage angoissant et me compliquaient la tâche : difficile de différencier les humains des autres.
La nuit, tous les chats sont gris, songeai-je avec amertume. L'adage n'avait jamais été aussi juste.
Je m'aventurais dans un océan peuplé de requins, redoutant une attaque sans pouvoir l'anticiper.
Si démons il y avait, ils avaient tous une apparence humaine. Lesquels étaient dangereux ? Lesquels inoffensifs ? Autant de questions sans réponse. Ne me restait plus qu'à bien jouer cette partie pour éviter un game over aux lettres de sang.
Certains clients me suivaient de leur regard fixe. Je m'efforçais de garder mon calme et de les ignorer. Seule une personne comptait, et je venais de la repérer au comptoir, assise sur un tabouret.
Le trajet jusqu'au couple parut durer une éternité tant je craignais et brûlais de me retrouver devant eux. Devant lui.
Shawn me tournait le dos, occupé à déguster un alcool ambré, pris dans une conversation qu'il tenait à voix basse avec la vampiresse qui lui faisait face. Alors, quand j'arrivai à sa hauteur, j'attendis debout près de lui sans oser l'interrompre.
Ce fut la fille qui, après avoir bu une gorgée de sa boisson à la robe carmin, m'accorda en premier son attention. Ou plutôt, elle plissa les yeux lorsqu'elle comprit qui j'étais venue voir. Maintenant que je la voyais de près, sa beauté surnaturelle me sautait aux yeux. Sa jupe courte s'évasait sur des jambes interminables, qui rendraient verte de jalousie n'importe quelle top-modèle. Quant à sa poitrine, ronde, qui se bombait à chacune de ses respirations, elle me renvoyait au rang de planche à repasser.
Une superbe créature, comme diraient certains. Tout ce que je n'étais pas.
Mon jean slim et mon top semblaient bien sages à côté de toute cette peau dénudée, qui semblait réclamer des caresses. Je me mordis la lèvre, brusquement mal à l'aise. C'était une mauvaise idée, d'être là. La réalisation de ce fait me frappa avec la force d'un uppercut. Je n'avais rien à faire dans cet endroit, où l'on servait du sang comme s'il s'agissait d'un bon vin, où des humains ne demandaient qu'à être séduits par des créatures des ténèbres et où une vampiresse me prenait pour sa rivale en amour.
Je voulus crier à la méprise et m'enfuir en courant, mais c'était trop tard : la fille longea le bras de Shawn de sa main aux ongles manucurés, qu'elle descendit ensuite jusqu'à sa cuisse. Quand elle pressa longuement le jean près de son entrejambe, je compris le message : ils étaient intimes. Elle se pencha alors à son oreille et murmura quelque chose contre sa peau. Shawn, toujours dos à moi, redressa un peu vivement les épaules. Avec lenteur, il pivota sur son tabouret. Un courant électrique me parcourut quand ses yeux, de ce bleu-gris presque translucide, se rivèrent aux miens.
Pas l'ombre d'un sourire sur son visage. Pas de moue moqueuse alors qu'il me lorgna ouvertement, sans se cacher, s'attardant sur mes lèvres maquillées et la naissance de mes seins. Mon premier réflexe fut de plaquer mes bras sur ma poitrine, mais je me retins de justesse. Cependant, l'amorce de mouvement ne lui avait pas échappé : ses lèvres esquissèrent un demi-sourire presque satisfait.
— Tiens, tiens. Voilà une Chasseuse bien loin de sa maison, claironna-t-il de sa voix grave, chaude, qui fit courir des frissons le long de ma peau. Tu es venue te jeter dans la gueule du loup ?
Décidément, il n'en ratait pas une.
Je remarquai le tressaillement de la vampiresse à l'entente du mot « Chasseuse » : lorsqu'elle m'observa de nouveau, ses pupilles s'étaient étrécies en un fin losange. Je n'étais plus simplement une concurrente venue lui voler son jules, j'étais aussi son ennemie naturelle. Le feu de la haine se mit à danser dans ses iris rubis.
Je tâchai de l'ignorer pour reporter mon attention sur Shawn, qui but une gorgée de sa boisson sans me quitter des yeux.
— Je... t'ai croisé, prétendis-je.
Jamais je ne lui aurais avoué que j'avais parcouru tout ce chemin dans l'espoir de le voir. Je n'aurais pas pu expliquer ce coup de tête insensé.
Sauf que la gêne qui me faisait battre frénétiquement des paupières ne lui échappa pas, et son sourire s'élargit.
— Tu m'as suivi, plutôt, non ? rectifia-t-il.
La blonde derrière lui laissa échapper un gloussement, et mes joues me picotèrent, transpercées par des milliers de petites aiguilles invisibles.
— Désolé, enchaîna-il, mais je ne vais pas pouvoir m'occuper de toi ce soir. Comme tu peux le constater, j'ai les mains un peu prises...
À peine avait-il terminé sa phrase que la vampiresse s'était déjà collée à son dos, écartant d'une main jalouse les mèches noires qui retombaient sur le front du jeune homme. Ses yeux de chat irradiaient en flammes dans la pénombre.
— Et puis, je ne pense pas que Dina soit du genre à partager, pas vrai ? conclut-il avec un coup d'œil complice adressé à la créature.
Sa suffisance me coupa la chique, et mon humiliation n'en fut que plus cuisante lorsque la vampiresse renchérit :
— Encore moins avec une mioche qui se promène avec son doudou.
Elle plissa son nez délicat en jetant un regard critique à la peluche, dont le museau pointait vers eux. Shawn également baissa la tête vers le louveteau, et il fronça les sourcils. Une grimace presque imperceptible tordit ses lèvres.
— Ça tombe bien, rétorquai-je, les dents serrées. Les cadavres ambulants n'ont jamais été ma tasse de thé.
Si Shawn, de surprise, peina à retenir un éclat de rire, Dina me dédia un regard si venimeux que je pressentis qu'elle m'avait maudite sur plusieurs générations. Pour reprendre contenance, elle porta son verre à ses lèvres. Lorsqu'elle le reposa, sa bouche était devenue écarlate.
— Je te conseille de ne pas trop faire ta maligne, repartit-elle avec un sourire hypocrite qui n'avait rien à envier à celui de Laurine. Beaucoup ici ne verraient pas ta présence d'un très bon œil. D'ailleurs, ajouta-t-elle à Shawn en aparté, depuis quand tu fricotes avec des Chasseuses, toi ?
Le reproche était perceptible dans sa voix.
Shawn pencha la tête sur le côté, songeur, tout me vrillant d'un regard dénué de toute émotion. Un regard vide qu'il n'avait jamais eu auparavant avec moi et qui me rappela la morsure de la glace lors des plus froides nuits d'hiver.
— On va dire qu'elle est l'exception qui confirme la règle.
La blonde eut un reniflement de mépris ; ma dague me démangea les doigts.
— C'est trop d'honneur que tu me fais, ironisai-je.
Shawn eut un haussement d'épaules désinvolte.
—Quoi qu'il en soit, la demoiselle n'a pas tort, fit-il en désignant sa compagne d'un signe de tête. Tu devrais rentrer à ta Moon House, Alicia. Ce n'est pas ton monde. Tu n'as rien à faire ici.
Son ton était glacial, cassant, et j'accusai péniblement le coup.
— Mais c'est toi qui...
Shawn sourcilla, et ma voix mourut dans ma gorge. Une boule douloureuse se forma ensuite dans mon ventre, gonfla au point de m'empêcher de respirer, lorsqu'il se détourna sans plus de cérémonie.
— Je crois que tu lui as brisé le cœur, entendis-je par-dessus la musique déchaînée.
Mes ongles s'enfoncèrent dans mes paumes quand j'avisai le sourire goguenard que Dina me fit, et j'eus envie disparaître sous terre lorsque Shawn se pencha vers elle et lui glissa quelque chose dans le creux de l'oreille tout en passant lentement sa main sous sa jupe.
La honte me cloua au sol.
Pourquoi ? Pourquoi se comportait-il ainsi, comme le dernier des abrutis ? Je ne comprenais pas son changement d'attitude. Était-ce parce qu'il avait un public et qu'il devait sauvegarder les apparences ? Ou avais-je simplement mal interprété son sourire ? Car c'était là, la seule explication plausible à sa cruelle indifférence, qui me blessait bien plus que je ne l'aurais imaginé. Le soin qu'il mettait à faire comme si je faisais partie du décor faisait bouillonner mon sang tant j'avais la sensation d'être une parfaite idiote.
Ce fut un sursaut d'amour-propre qui me poussa à réagir. Et quand bien même les « amoureux » faisaient déjà comme si j'étais de l'histoire ancienne, j'articulai d'une voix forte, quasi péremptoire, la première chose à laquelle je pensai :
— Je suis là parce que je veux en savoir plus.
L'effet fut instantané : Shawn s'interrompit dans ses caresses. Peu à peu, il fit volte-face. Une étincelle d'intérêt habitait son regard. Le poisson avait mordu à l'hameçon.
— Tu veux en savoir plus, répéta-t-il, méfiant. Sur quoi ? Les magouilles de tes supérieurs ?
Cette fois-ci, Dina s'esclaffa franchement. Je la traitai mentalement de bécasse, mais gardai un masque impassible.
— Non. Tu sais très bien de quoi je parle, répliquai-je du tac-au-tac.
De cette légende stupide et grossière, dont j'étais pour lui la personnification tant attendue. Ridicule, mais, en entendant ma réponse, Shawn aspira une courte goulée d'air. Je retins le sourire victorieux qui voulut se frayer un chemin sur mes lèvres.
C'était faux, bien sûr. Un beau petit mensonge qui, je le savais, me permettrait de capter son attention. Peut-être suffisamment longtemps pour chasser l'impression d'avoir été menée en bateau.
Shawn m'observait fixement, sans doute pour évaluer si je disais vrai. La blonde, se trouvant probablement délaissée, commença à s'impatienter.
— Qu'est-ce qu'elle raconte ? lâcha-t-elle avec agacement. De quoi parle-t-elle, Shawn ?
— Ce ne sont pas tes affaires, rétorquai-je sans daigner lui accorder un regard.
— Reparle-moi encore sur ce ton et tu...
Mais Shawn la fit taire d'un geste sec de la main. La bouche de Dina s'entrouvrit sous le coup de la colère. Elle croisa fermement les bras sur sa poitrine généreuse, et son mécontentement croissant fut rendu visible par les stries noires qui grignotèrent peu à peu son joli minois.
— Ce n'est ni l'endroit, ni le moment, finit-il par me dire.
— Il n'y aura jamais de bon moment pour parler de cette histoire.
— Je peux te retrouver, proposa-t-il, et je crus percevoir une note d'empressement dans sa voix. Demain, si tu veux.
Mais je fis non de la tête, pas prête à lâcher un pouce de terrain.
— C'est maintenant ou jamais, insistai-je.
Je vis l'hésitation dans ses prunelles, dans son froncement de sourcils. Pour une fois, c'était moi qui avais réussi le tour de force de le déstabiliser. J'en aurais ronronné de plaisir.
Il entrouvrit la bouche, indécis, mais Dina fut plus rapide.
— Shawn, intervint-elle d'un ton qui ne souffrait pas de réplique. Débarrasse-toi d'elle. Tout de suite.
Son visage n'avait presque plus rien d'humain : la rage faisait flamboyer ses yeux, et deux longues canines dépassaient de ses lèvres rougies par le sang. Je savais reconnaître un vampire sur le point d'attaquer, et le peu de lucidité qui lui restait était comme un élastique trop tendu. Il allait lâcher d'une seconde à l'autre.
Le jeune homme la contempla par-dessus son épaule, avant que son regard orageux ne se pose à nouveau sur moi. Autour de nous, la soirée battait son plein, et des clients au corps moite se collaient régulièrement à nous pour réclamer des boissons au bar. Pourtant, c'était comme si nous étions seuls, enfermés dans une bulle où plus rien d'autre ne comptait. Une bulle que la vampiresse souhaitait faire éclater au plus vite.
— Si tu ne le fais pas, gronda-t-elle, d'une voix si basse que je l'entendis à peine par-dessus la musique, c'est moi qui la saigne.
— Ou plutôt moi qui te réduis en poussière, sifflai-je.
— La ferme !
Elle bondit sur ses pieds, mais je fus plus rapide : je chopai le verre de Shawn et lui envoyai l'alcool en pleine tête. Une véritable douche froide, qui déclencha sa folie meurtrière. Le visage trempé, Dina émit un grognement sourd alors que ses veines dansaient un ballet furieux sur sa peau cireuse. Je me mis en garde, prête à me battre. J'allais en faire de la charpie. Le monstre banda ses muscles. S'apprêta à se jeter sur moi. Et fut brusquement bloqué dans son élan.
En un instant, Shawn s'était placé entre nous. Incrédule, je fixai son dos tandis qu'il tentait de calmer sa maîtresse, levant les mains en un geste d'apaisement. Au bout de longues négociations, elle me dédia un dernier feulement animal, assorti d'une promesse de mort prochaine, puis fila vers les toilettes. Shawn poussa un soupir, yeux levés vers le plafond, avant de se retourner vers moi. Ses sourcils n'étaient plus qu'une ligne sévère, preuve de son irritation.
— Tu es décidée à me gâcher ma soirée, c'est ça ?
— Parce que, toi, tu t'es déjà demandé si tes petites révélations allaient me gâcher les miennes ? m'énervai-je.
Il me regarda sans ciller, et j'en déduisis la réponse : il s'en souciait comme d'une guigne. J'avais tendance à oublier ce détail loin d'être insignifiant : sans âme, il ne risquait pas de s'en faire pour moi. J'avais à ses yeux la même valeur que les clients qui nous zieutaient encore, dans l'attente impatiente d'une nouvelle scène.
Pourtant, je refusais d'y croire. Je sentais, au fond de moi, que quelque part en lui subsistait un reste d'humanité qui ne demandait qu'à s'exprimer. Même si Nika était persuadée du contraire. Elle ne le connaissait pas. Si les monstres de cette stupide maison de l'horreur ressentaient des émotions quasi humaines, lui aussi le pouvait, j'en étais certaine.
Je me rapprochai de lui, et ma magie s'emballa soudain, déferlant en vagues de mon cœur jusqu'au bout de mes orteils.
— Je ne partirai pas tant que tu ne m'auras pas accordé de ton temps, l'avertis-je.
Il me dévisagea à travers ses longs cils noirs, une expression indéchiffrable sur le visage.
— Certes, fit-il, reste que je trouve ça surprenant. Hier encore, tu clamais que tu ne me croirais jamais, et aujourd'hui...
— Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, soutins-je avec toute la conviction que je pouvais.
— J'ai plutôt l'impression que c'est moi que tu prends pour un imbécile, contra-t-il.
Il secoua la tête, exaspéré, et fit mine de se rasseoir.
— Je n'ai pas de temps pour ça. Va-t'en maintenant, tu nous déranges.
Mais je lui saisis le bras et m'écriai, à bout de nerfs :
— Pas avant que tu ne m'aies dit en quoi je suis le LEADER !
J'avais haussé le ton sans vraiment le vouloir, et ses yeux devinrent ronds comme des soucoupes. À mon grand étonnement, il se mit à regarder tout autour de nous. Comme s'il craignait que quelqu'un ait pu m'entendre scander ce truc débile. Ses yeux incisifs s'attardèrent alors sur trois types, attablés non loin de nous, qui nous dévisageaient en silence. Je croisai le regard de l'un d'eux, le plus grand... et ce que j'y lus fit naître une étincelle de peur dans mon ventre.
— Merde.
Shawn avait marmonné le juron dans sa barbe. Je sursautai quand sa main vint trouver mon poignet. Avant que je n'aie pu comprendre quoi que ce soit, il m'avait entraînée de force vers la sortie.
***
Hello! 😁
J'espère que vos vacances se passent toujours bien (malgré cette météo de m*** 😤)!
Est-ce que ce chapitre vous a plu? 🤭
Pour vous dire la vérité, lui et le suivant ne devait faire qu'un, mais mes perso se sont emballés et ont décidé de passer plus de temps ensemble 😝 (et j'avoue me découvrir une passion pour les dialogues).
Enfin bon, je me suis dit: Michael a eu droit à deux chapitres, ce n'est que justice que Shawn en ait deux également 😎
Je n'ai pas terminé d'écrire le chapitre 18, mais j'espère quand même réussir à le poster samedi prochain (j'ai la foi!)
En attendant, je vous souhaite une bien bonne semaine 🤗 Bisous 😘😍
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