Chapitre 14 - Le droit chemin (1/2)
Ma tasse fleurie posée près de ma trousse s'était refroidie. Les effluves de bergamote n'embaumaient plus l'air depuis longtemps. La tête ailleurs, j'avais oublié de boire mon thé, et de faire mes devoirs aussi. Mon livre de géographie était ouvert depuis une heure sur la même carte de l'Afrique, mais je n'avais encore répondu à aucune des questions du prof, et il était déjà dix-sept heures.
J'avisai la pendule de la cuisine, accrochée au-dessus du frigo, qui égrenait les secondes dans un tic-tac sentencieux. Je n'entendais que ce battement régulier, inéluctable, dans le calme de la maison. Poussant un soupir, je me frottai longuement les yeux avant de poser mon coude sur la table et d'enfouir mon menton dans le creux de ma main.
J'avais beau fournir tous les efforts du monde, la concentration me fuyait. Ce soir-là, j'avais enfin, enfin, mon rendez-vous avec Michael. Je l'avais attendu toute la semaine. Ou plutôt, ces quinze derniers mois, depuis qu'il avait mis le pied pour la première fois dans notre Moon House. J'aurais dû ne penser qu'à ça, qu'à lui, qui m'observait comme si j'étais la seule fille de la maison. Comme si j'étais plus jolie que la pimpante Chloé, qu'il avait même éconduite avant de chercher à me séduire.
Oui, j'aurais dû être impatiente, aux anges, incapable de tenir en place à l'idée qu'il puisse m'embrasser à la faveur de la nuit. Et je l'étais, impatiente. Mais quand j'avais éteint ma lampe de chevet la veille au soir et que j'avais plongé sous la couette, ce n'était pas son visage qui m'avait poursuivi jusqu'à ce que je m'endorme. C'étaient des yeux de la couleur d'un lac en hiver qui étaient apparus derrière mes paupières closes. Et alors que je cherchais désespérément le sommeil, c'était la voix rauque de Shawn qui avait résonné à mes oreilles.
C'est toi qui viendras me chercher pour en savoir plus.
La culpabilité me serrait la gorge.
Il l'avait dit comme une évidence, mais je me rassurai en me disant que jamais je ne tomberais dans ce piège. Jamais je ne chercherais à revoir ce mercenaire, qui ne s'embarrassait d'aucun principe et ne respectait visiblement rien, à part l'argent, à la rigueur. Un assassin, voilà ce qu'il était, et s'il devait recroiser notre route un jour, ce serait sans doute pour le pire.
Je savais tout ça, je ne me mettais pas d'œillères, alors pourquoi n'étais-je pas capable de penser à autre chose qu'à lui ?
Je portai mon index gauche à ma bouche et rongeai mon ongle déjà bien entamé à cause des sentiments contradictoires qui me tenaillaient depuis la veille. Mais quand mon ongle s'égara sur ma lippe, la sensation de ses doigts sur mes lèvres se rappela à moi. Un simple contact, mais il avait mis le feu à ma peau.
Je secouai vivement la tête pour sortir ce souvenir de ma tête.
Tu t'aventures sur un terrain dangereux, ma vieille, me morigéna ma conscience. N'y songe même pas.
Non, je ne devais pas y songer. Il n'avait pas d'âme, alors aucun espoir d'aucune sorte n'était permis. C'était aussi simple que ça.
Je me mis à gribouiller des nuages dans la marge de mon cahier, songeuse.
Était-ce réellement aussi simple ? Je l'avais déjà rencontré par trois fois, et j'étais toujours en vie. J'avais ressenti son amertume quand il m'avait parlé de Wright. Sa colère sourde, face à ce qu'il considérait comme des injustices. Son amusement, sincère, quand j'avais mentionné mon misérable salaire. J'avais toujours pensé que ne pas avoir d'âme signifiait ne pas avoir d'émotions, mais si c'était le cas, alors pourquoi s'amusait-il de moi et me provoquait-il au lieu d'être simplement indifférent ?
Je rayai d'un geste sec les quelques formes cotonneuses tracées à la hâte.
Je divaguais, et c'était dangereux. Je devais impérativement arrêter de me cacher si je voulais que ces rencontres malvenues cessent pour de bon. Il fallait que j'en parle à quelqu'un. Et de toute urgence. Quelqu'un qui serait compréhensif et ne me jugerait pas sans autre forme de procès.
Et je savais déjà à qui m'adresser.
Le bruit de la poignée de la porte d'entrée me tira de mes réflexions. Des éclats de voix égayèrent bientôt l'ambiance quelque peu morose dans laquelle j'étais plongée. Une fois n'était pas coutume, ma mère rentrait tôt du travail, et mon père était sorti de son atelier pour l'accueillir. Lui n'avait eu aucun scrupule à fermer boutique ce vendredi pour s'octroyer un long weekend de quatre jours.
Je les aperçus bientôt, mes parents, qui se faisaient des papouilles dans l'entrée. Quand j'émis un grognement de dégoût exagérément fort pour signaler ma présence, les deux adultes sursautèrent tels deux voleurs pris en flagrant délit.
— Encore là ? marmonna mon père, un peu mécontent d'avoir été interrompu.
Je roulai des yeux.
— Bah oui, fis-je. Où voudrais-tu que je sois ?
Je surpris le regard que Marius jeta alors à mes affaires scolaires, et je me grattai le bout du nez, un peu embêtée, quand il s'exclama :
— Mais... tu n'as pas avancé d'un pouce !
Ma mère remarqua alors la tasse de thé froide, que je n'avais pas touchée. De jolies pattes d'oie bordèrent ses yeux brillants quand elle chantonna :
— Quelqu'un a la tête dans les nuaaages.
Mes parents échangèrent un coup d'œil complice. À leur tête goguenarde de pré-adolescents attardés, je compris tout de suite ce qu'ils s'imaginaient.
— Pas du tout, grommelai-je.
Je fermai sèchement mon livre. Je voulais vite débarrasser le plancher avant qu'ils ne se mettent en tête de me poser des questions indiscrètes, mais c'était trop tard : quand mes parents étaient lancés, même un rouleau compresseur n'aurait pu les arrêter.
— Je me demande bien ce qui pourrait détourner notre fille si consciencieuse de ses devoirs ?
La question de mon père était purement rhétorique. Il passa une main dans sa tignasse châtaine, ébouriffant encore plus ses mèches indomptées, avant que son expression ne se fasse aussi sérieuse que celle d'un neurochirurgien. Je le contemplai avec agacement, d'autant plus que je n'avais rien d'une élève consciencieuse et qu'il le savait pertinemment.
— Rien du tout, m'énervai-je.
Mais je mettais un peu trop d'empressement à me défendre pour quelqu'un qui n'avait rien à cacher. Et à les entendre rire sous cape, mes parents le pensaient également. Je faisais le mur trois fois par semaine sans qu'ils s'en rendent compte, mais il suffisait que je pense deux minutes à un garçon pour qu'ils le sentent avec la précision d'un cochon truffier. C'était à en perdre son latin.
Je pris mes cahiers et ma trousse dans mes bras et leur annonçai d'une voix sans appel :
— Je vais dîner chez Lyse.
— Tiens donc, dit ma mère en affichant une mine faussement étonnée. Elle vient dormir demain pourtant.
Carole fit voler ses cheveux blonds derrière son dos, et des notes de son parfum Chanel emplirent la cuisine. Son regard noisette, pareil au mien, était braqué sur moi.
— On a prévu de regarder Koh Lanta, affirmai-je avec un aplomb qui m'étonna moi-même.
Je sentis tout de même mon sourcil droit tressauter, mais je doutais que mes parents y voient là le signe que je mentais (or, c'était bien le cas).
— Tu détestes Koh Lanta, soutint tout de même mon père.
Il se laissa aller contre le comptoir de la cuisine et mit les mains dans les poches de son horrible jogging bleu.
— Ne t'inquiète pas, Lyse a prévu des bonbons, on va passer une excellente soirée.
— Vous passez vraiment tout votre temps ensemble, en ce moment, observa finement ma mère.
Le petit sourire entendu qui ornait ses lèvres ne laissait pas de place au doute : elle était convaincue que je leur mentais dans le seul but de retrouver un garçon. Et le pire, c'était qu'elle avait raison ! Leur soudaine perspicacité me dérouta, mais si je parvenais à garder mon calme face à un saurio mal léché, je ne risquais pas de le perdre devant eux.
— Si vous trouvez que je passe trop de temps avec ma meilleure amie et que vous ne voulez pas que je la voie, repris-je en relevant mon menton avec indignation, dites-le-moi clairement, au lieu de tourner autour du pot.
Ma déclaration d'adolescente outrée les fit aussitôt lever les mains en un geste d'apaisement. Pour enfoncer le clou, je continuai de les toiser avec une moue boudeuse jusqu'à ce que mon père ne s'approche pour m'enfermer dans une étreinte vigoureuse. Je plissai le nez quand ce dernier fut enfoui de force dans son t-shirt, qui sentait un mélange de sueur et de cambouis.
— Ah, quel caractère, ma fille ! Tout de suite les grands mots.
Sans prévenir, il me souleva du sol et entreprit de me secouer comme un prunier. J'eus beau tenter de me retenir, je finis par éclater de rire. Ce fut seulement lorsqu'il jugea mon hilarité satisfaisante que mon père me libéra de l'étau de ses bras. Je pus enfin reprendre mon souffle.
— Bon, conclus-je en recoiffant un peu mes cheveux, je vais me préparer alors.
— Mais oui, sourit ma mère. File te faire belle.
L'œillade qu'elle adressa à mon père dans un gloussement ne m'échappa pas, mais je jugeai plus sage de disparaître de leur vue avant qu'ils ne changent d'avis.
***
Coucou!
Oui, je sais... c'est un peu court 😅 J'ai pris du retard car j'ai dû terminer en vitesse mon mémoire et préparer ma soutenance, qui a lieu lundi. Bref, j'avais assez peu de temps pour écrire et, pour couronner le tout, je pars en vacances en juillet.
À ce sujet, une fois en vacances, je ne pourrai pas trop avancer, alors je voulais vous demander: le chapitre 15 fera quelque 6000 mots (je l'ai bientôt fini). Est-ce que vous préférez:
- une publication du chapitre en quatre parties de 1200/1500 mots, comme ça, pas d'interruption?
- que je vous le poste en deux parties à mon retour de vacances (fin juillet) ?
Voilà pour le blabla 😇 La suite du chapitre 14 samedi prochain 🤩
Bisous 😘😍
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