Chapitre 12 - La Pointe-Claire
Assise à l'arrière de la voiture, je gardai les yeux obstinément tournés vers les grands arbres qui se suivaient en rang d'oignon le long de la route. La mâchoire serrée et les bras croisés sous la poitrine, je m'efforçais de me laisser happer par le spectacle de la nature luxuriante que nous traversions pour oublier le fait que j'étais coincée dans l'habitacle avec cette peste de Laurine, sans Sandy et Nika pour faire tampon entre nous deux. La journée promettait d'être longue.
Quelle poisse. Mes deux amies avaient été de service la veille, et leur nuit s'était terminée tard, si tard qu'elles dormaient encore lorsqu'à onze heures, le téléphone avait sonné pour réclamer l'intervention d'un groupe de Chasseuses à la Pointe-Claire, un petit massif montagneux qui se trouvait à une trentaine de kilomètres de GhostValley. À vol d'oiseau, bien sûr. Il fallait compter une petite heure de route pour arriver au pied du pic. Et Frédéric, toujours aussi sourd face à mes protestations, avait monté une équipe de choc : Laurine, Cathy, Chloé, Helena... et moi, cinquième roue du carrosse au sein de ce groupe habitué à travailler ensemble. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne me sentais pas à ma place. Aussi faisais-je tout pour me faire oublier.
Laurine conduisait comme un homme. Elle collait sans vergogne les voitures qui roulaient trop lentement devant elle, dépassait toujours d'au moins dix kilomètres/heure la vitesse autorisée et prenait un malin plaisir à négocier à toute allure les virages en épingle. À l'arrière, Helena, Chloé et moi étions secouées comme dans un panier à salade. Mais s'il n'y avait que cela... je devais en plus me farcir les pépiements incessants d'Helena, qui parlait pour cinq et ne discutait généralement que d'une chose : les mecs. Je priais depuis quinze minutes déjà pour que les petites routes ravinées et tortueuses de montagne ne lui donnent la nausée. Toutefois, les dieux semblaient bien décidés à ignorer mes supplications, et la Chasseuse poursuivait avec fougue son monologue, qu'elle agrémentait de gestes emportés, de sorte que je m'étais déjà pris trois fois la pointe de son coude dans le bras.
— Vous comprenez, avec Alexandre, je ne pouvais jamais faire de sorties entre filles, se lamentait Helena tout en jouant avec sa tresse de cheveux auburn. Dès que j'avais un soir de libre, il fallait que je le passe avec lui. Tout le temps ! Il m'étouffait, mais à un point... ! Alors que Nick, c'était tout l'inverse ! Quand, par miracle, Frédéric me libérait un samedi soir, lui avait déjà des plans avec ses copains et pas question de laisser tomber la « famille » pour qu'on passe la soirée ensemble. Il me rendait dingue. Alors, la dernière fois, je lui ai balancé ses quatre vérités, et ça m'a fait un bien fou. Bon vent ! Mais je commence à me demander si j'arriverai un jour à trouver un juste milieu. Vous savez, un gars qui....
Je pris une longue inspiration par le nez pour calmer mes nerfs mis à mal, mais le coup de klaxon que Laurine envoya à un autre conducteur qu'elle jugeait trop empoté réduisit tous mes efforts à néant. Dans cet habitacle étroit et bruyant, je me sentais comme une cocotte-minute surchauffée sur le point d'exploser. Il était temps que ce trajet interminable se termine.
J'eus l'impression de sortir d'un long séjour en prison quand nous arrivâmes enfin à destination. Laurine abandonna la route et gara le coupé de Jack dans l'un des nombreux emplacements disponibles du parking qui marquait le début d'une randonnée. Je bondis à l'extérieur comme un lion s'échapperait de sa cage et pris plusieurs goulées de ce bon air pur de la montagne. Lunettes de soleil vissées sur le nez, la fausse blonde verrouilla le bolide avec une moue boudeuse. Elle semblait quitter avec regret le confort du véhicule, ce qui me fit me demander comment elle avait obtenu de Jack qu'il le lui prête.
Quelques vilaines pensées me traversèrent l'esprit, mais je secouai la tête pour les chasser. Je n'avais aucune envie de les imaginer faire quoi que ce soit ensemble.
À cette altitude, les températures étaient plus basses, et le petit vent frais qui souffla dans ma nuque me fit frissonner. Je remontai la fermeture éclair de mon blouson tout en jetant un coup d'œil alentour. Devant nous s'étendaient de vastes futaies de sapins et de feuillus, à travers lesquels le soleil filtrait en minces puits de lumière. Le chant des oiseaux se répercutait contre les parois déchiquetées de la haute montagne. De chaque côté du sentier principal se dressaient orties et fougères, et un tapis de ronces couvrait la terre par endroits. Je me fis la réflexion que s'écarter du chemin ne serait pas une mince affaire, mais nous risquions de ne pas avoir le choix si nous souhaitions trouver l'objet de notre mission.
Je me détachai du groupe et m'approchai du départ de la randonnée, intriguée par le ruban de police qui condamnait le passage. À côté du chemin, un panneau avait été planté dans la terre, qui disait :
ATTENTION DANGER
Suite au signalement de démons dans la zone,
les randonnées sont interdites jusqu'à nouvel ordre.
Pour une fois, les services publics avaient fait preuve d'efficacité.
Je me dirigeai ensuite vers une grande carte disposée sur un socle de pierre et qui invitait les randonneurs à repérer les points d'intérêt. Je me penchai sur le dessin bariolé, étudiant avec attention les différents chemins et songeant à l'endroit où pouvait se terrer le démon que nous devions débusquer. Quand Laurine me rejoignit pour décortiquer la carte à son tour, ce fut plus fort que moi : je me raidis tel un chat sur le point d'attaquer un autre matou. Mon insupportable collègue avait visiblement décidé de prendre les rênes de l'opération, car elle ouvrit les hostilités d'une voix aux accents autoritaires :
— Bon, le fermier a dit qu'il avait aperçu le saurio au fond de son pâturage d'été. Si on suit le sentier, on y sera dans une demi-heure de marche grand max.
Parmi les créatures sauvages que nous devions régulièrement abattre, le saurio n'était pas le plus commode, et de loin. J'étais prête à parier que ce monstre, qui pouvait mesurer près de deux mètres, peuplait les cauchemars de bien des enfants de l'Espéritie. Aussi visqueux qu'un crapaud, avec une peau noire comme le charbon, il sortait de son abri uniquement pour se nourrir, de préférence d'humains, dont il savourait la peau après les avoir égorgés. S'il ne trouvait pas de proie à son goût, il se rabattait avec plaisir sur d'autres mammifères, comme les sangliers ou les vaches pour les spécimens adultes. Avec son appétit vorace, ce démon semait la terreur partout où il allait, et chaque alerte donnée était prise très au sérieux. En résumé, nous avions touché le gros lot.
— Je ne suis pas sûre que ce soit très utile de retourner là où il a été vu, intervins-je, le regard toujours porté sur la carte.
Laurine remonta ses lunettes sur le sommet de son crâne. Au tressautement qui agita sa joue, je compris qu'elle appréciait assez peu que je donne mon avis. Néanmoins, je ne comptais pas marcher pendant deux heures rien pour ses yeux, qui étaient présentement chargés d'éclairs.
— Et on peut savoir pourquoi ? fit-elle, forçant un sourire mielleux sur ses lèvres fuchsia.
— Quand le fermier l'a vu, le saurio devait simplement chercher à manger. Je doute que son abri soit à côté du pâturage, c'est trop près des sentiers. Il faudrait plutôt chercher dans la forêt.
— Il a beaucoup plu ces derniers jours, rétorqua Laurine, dont le sourire factice s'était fané. Le fermier a vu le démon ce matin, on pourra à coup sûr le pister.
La Professionnelle chercha ensuite un appui après de nos collègues.
— Vous êtes d'accord, les filles ?
Les autres étaient restées en retrait, probablement à cause de l'électricité qui crépitait entre la blonde et moi. Si Helena et Chloé se contentèrent d'émettre un borborygme inidentifiable, Cathy m'adressa une mine qui me parut contrite. Je devais me faire des idées : comment l'ombre de mon ennemie aurait-elle pu nourrir de la compassion à mon égard ?
— Bon, c'est décidé, claironna Laurine en braquant de nouveau son regard noir sur moi. Ce sera le pâturage.
Et elle replaça ses lunettes sur son ridicule nez en trompette avant de s'élancer à grands pas sur le sentier. Furieuse, les ongles enfoncés dans les paumes, je laissai passer les autres filles et attendis qu'elles aient pris de l'avance avant de fermer la marche.
Près de quarante minutes plus tard, je grommelais encore des noms d'oiseau dans ma barbe. Mon humeur maussade ne m'aidait pas à faire fi des élancements douloureux qui parcouraient mes cuisses à chacune de mes enjambées. Il fallait dire que Laurine nous avait imposé un rythme d'ascension soutenu qui nous faisait souffler comme des bœufs, mais personne n'osait ouvrir la bouche pour se plaindre. De temps à autre, la Chasseuse se dévissait la tête pour me jeter un regard narquois. À chaque fois, ma magie me démangeait furieusement les doigts.
Ce jour-là, même la nature était contre moi. Ma colère était telle que chaque racine au sol devenait un piège redoutable pour mon esprit dissipé. En traversant une zone particulièrement embourbée, j'avais glissé sur une pierre et fini ma course dans la gadoue, si bien que ma basket était désormais recouverte d'une épaisse couche de terre nauséabonde. J'avais également failli tomber à la renverse quand un arbre avait décidé de m'attaquer en agrippant mes cheveux d'une branche très vindicative. Cette excursion était un cauchemar sans nom, et même la beauté des paysages de montagne ne parvenait à apaiser la rancœur qui me rongeait de l'intérieur.
Au bout d'une heure d'efforts intenses sans que le pâturage n'apparaisse enfin à notre vue, quelques protestations fatiguées commencèrent à s'élever du groupe. La mutinerie guettait la cheffe auto-proclamée.
Une demi-heure de marche grand max... mon cul, songeai-je avec hargne.
— Tu crois qu'on est encore loin ? demanda Cathy à Laurine.
L'adolescente s'était arrêtée en travers du chemin. Elle s'essuya le front d'un revers de main, la respiration hachée. La randonnée, plus raide que prévu, avait donné à son visage poupin des rougeurs dignes d'une tomate bien mûre. Chloé et Helena étaient également en nage mais, le dos bien droit, elles s'efforçaient de ne rien montrer. Quant à moi, je profitai de cette pause bien méritée pour sortir ma bouteille d'eau de mon sac à dos. Je bus à en perdre haleine. Au-dessus de nos têtes, les feuilles frétillaient comme des petits poissons, agitées par les bourrasques qui fouettaient nos faces exténuées.
— Mais oui, on a fait le plus gros du chemin, s'impatienta Laurine.
Sans nous attendre, elle traversa un petit pont en bois aménagé pour franchir une rivière bouillonnante. L'eau qui s'écoulait à gros flots refroidissait l'air ambiant, et cette fraîcheur était la bienvenue. Toutefois, alors que j'observais les pierres couvertes de mousse verte et creusées par le passage constant de l'eau, je compris que nous faisions fausse route.
J'alpaguai mes camarades, qui s'étaient déjà remises en route, les épaules basses :
— Attendez ! Les saurios établissent leur tanière près des cours d'eau. Si on suit la rivière, on a de bonnes chances de le trouver. On pourrait se séparer en deux groupes et...
— Holà ! On se calme, m'interrompit Laurine en se retournant.
Même de loin, je voyais que ses sourcils étaient haussés en une expression dédaigneuse.
— On ne m'avait pas dit que les Éclaireurs avaient fait une aussi brillante recrue, ironisa-t-elle.
— Pas besoin d'être Éclaireur pour le savoir, grinçai-je. N'importe quelle débutante le sait.
Faisant mine de réfléchir, ma collègue revint sur ses pas. Un peu mal à l'aise, les autres s'écartèrent pour la laisser passer. Elles devaient se douter de ce qui allait suivre.
— Hm, peut-être... mais non, trancha Laurine avec un rictus. On a déjà un plan, validé à la quasi-unanimité. Je pense qu'on va s'y tenir.
Sur ce, elle pivota sur ses talons, et les autres repartirent également. Médusée, je suivis pendant quelques secondes sa tête blonde qui évoluait gaiement au milieu du sentier. Elle me connaissait vraiment mal si elle pensait que j'allais abandonner, de surcroît face à elle. Je leur emboitai donc le pas.
— On va perdre du temps pour rien, insistai-je. Ça fait déjà une heure qu'on marche, et je suis certaine qu'on n'a même pas fait la moitié du chemin ! On pourrait remonter la rivière et...
Il ne fallut que quelques secondes à Laurine pour être de nouveau face à moi, et à la couleur rose que prenaient ses hautes pommettes, je compris que sa patience, comme la mienne, était épuisée.
— Sans vouloir te froisser, Alicia, reprit-elle – et elle martela chaque syllabe de mon prénom – tu ne sais pas de quoi tu parles. Tu vois, pour une fois, je voulais être gentille. Je ne voulais pas te contredire, pour que tu ne te rendes compte de ta bêtise, mais tant pis pour toi : les saurios dorment dans des lacs, et ils n'en ont strictement rien à cirer, de tes rivières. Tu piges ?
Sa réponse, qui avait cinglé dans le silence paisible du sous-bois, eut sur moi le même effet qu'un coup de fouet. Laurine me dominait du haut des dix centimètres qu'elle avait de plus que moi, et ses yeux noirs me contemplaient avec une haine dont je ne comprenais pas la cause. Je regardai alors mes autres collègues car, naïvement, j'espérais encore que l'une d'elles interviendrait en ma faveur, mais je devais me rendre à l'évidence : j'étais seule. Et ce constat me fit trembler de rage.
— Oui, je pige, rétorquai-je avec lenteur. Je pige qu'en plus d'être superficielle, tu es incompétente. Les saurios ne peuvent pas dormir dans des lacs, Laurine, puisque ce ne sont pas des amphibiens. Tu dois confondre avec les sapos. Charmantes créatures aussi, un peu comme toi, ajoutai-je à voix basse.
Laurine redressa les épaules, puis mit ses poings sur ses hanches. Quand elle pencha la tête et que ses yeux se firent sournois, je sus qu'elle allait encore répandre son fiel.
— Dommage pour toi, Alicia, mais je n'ai aucune leçon à recevoir d'une étrangère.
Ses narines frémissaient sous sa respiration rapide, et elle avait craché l'insulte avec un mépris non voilé. Je la dévisageai, contemplai le ressentiment qui déformait ses traits, et je secouai la tête, dégoûtée.
— Et moi, je n'ai aucun ordre à recevoir d'une raciste. Débrouillez-vous sans moi.
Et sans une parole de plus, je me détournai d'elle et pris le petit chemin parsemé de broussailles qui bordait le cours d'eau agité. Dans mon dos, un brouhaha enfla, confus, embarrassé, mais pour calmer l'inquiétude soudaine du groupe, Laurine ne trouva rien de mieux que de me provoquer une dernière fois :
— Vous verrez, elle fera moins la maligne quand elle tombera dans un ravin.
Pour seule réponse, je brandis mon majeur dans sa direction, sans même la regarder, puis poursuivis ma route.
Frédéric allait se mettre dans une sacrée colère quand il apprendrait l'incident... mais je m'en moquai, car c'est le cœur plus léger que j'évoluai dans cette nature qui me parut soudain plus verte et plus belle. J'inspirai avec plaisir le parfum de la terre réchauffée par les quelques rayons que le soleil parvenait à darder sur l'ail des ours et les fleurs de printemps qui poussaient en abondance au bord de l'eau. La rivière serpentait dans le lointain tel un ruban ondoyant, et son murmure paisible m'aurait presque fait oublier qu'un démon rôdait dans les parages.
Je devais rester sur mes gardes, mais un rire m'échappa quand je constatai que je préférais la potentielle compagnie d'un saurio affamé à cette mégère de Laurine.
Ce passage était plus raide, et je dus à plusieurs reprises avancer accroupie pour ne pas tomber tête la première en bas de la pente, comme me l'avait si gentiment souhaité Laurine. Les sens à l'affût, je laissais mes yeux papillonner de droite à gauche, à la recherche d'indices révélant la présence d'un saurio. Des restes de mue, par exemple, ou des ossements d'un précédent repas. Dans mon souvenir, ces démons dormaient le jour, dans des bauges ou des grottes humides. Il fallait simplement que je le repère avant que lui ne m'entende arriver.
Après une vingtaine de minutes de marche, et alors que je commençais à m'impatienter, un détail de l'autre côté de la rivière attira mon attention : une grosse masse sombre, qui gisait sur une large pierre plate. Je me figeai. À cette distance, je n'en distinguais que les contours, mais je me doutais un peu de la nature de ce que j'avais sous les yeux. Je décidai de traverser pour en avoir le cœur net.
J'essayai de me mettre en équilibre sur les cailloux qui dépassaient de l'eau, mais celle-ci parvint tout de même à s'infiltrer dans mes chaussures, et je poussai un petit cri surpris quand elle me glaça les orteils. D'un bond, je finis de rejoindre l'autre rive et avalai en courant les derniers mètres qui me séparaient... d'une carcasse. Mais pas n'importe laquelle : une carcasse de cerf. Et il n'avait plus un centimètre de peau sur lui.
La vision de ce cadavre écorché vif, autour duquel voletaient une dizaine de grosses mouches, me souleva le cœur. Des marques de morsure ornaient la chair rougeâtre à divers endroits, preuve que d'autres animaux s'en étaient donné à cœur joie une fois le démon rassasié. La puanteur qui alourdissait l'air m'aurait fait rendre mon petit-déjeuner si je n'avais pas rapidement mis un bras devant mon nez pour me protéger des relents de putréfaction.
Un des bois du cervidé s'était brisé au cours de la lutte, et je fis de mon mieux pour ne pas penser à Bambi alors que les yeux grands ouverts du cerf paraissaient me supplier de lui venir en aide. Je devais voir le point positif de ce spectacle macabre : j'étais sur la bonne voie.
Et quand j'aperçus à quelques dizaines de mètres un trou noir qui perçait la paroi de la montagne, je songeai que j'avais même probablement remporté la partie.
Je passai mon pouce sur mes lèvres, réfléchissant à la possibilité de prévenir mes camarades, puis finis par sortir ma dague. Seule je l'avais trouvé, seule je vaincrais.
Ou mourrais dans d'atroces souffrances, au choix.
Si les lobos n'avaient déjà pas été une partie de plaisir, le saurio était le boss final qui vous faisait jeter votre manette de rage. Sauf que nous n'étions pas dans un jeu vidéo et que je n'avais qu'une vie au compteur, que je voulais perdre le plus tard possible.
— Allez, Alicia, m'encourageai-je dans un chuchotement. Tu peux le faire.
Je m'approchai à pas de loups, respirant à peine de peur d'être repérée. Quelques troncs d'arbre solitaires encadraient l'entrée de la grotte, de la forme d'une citrouille. Je ne savais si c'était à cause du stress qui engourdissait mes membres, mais il faisait plus frais, et mes doigts qui serraient le manche de ma dague étaient gelés.
Chaque feuille qui crissait sous mes semelles, chaque branche qui remuait sur mon passage paraissait déchirer le silence. Lorsque j'arrivai devant la cavité, je levai ma dague, prête à frapper, mais seules les ténèbres m'accueillirent. L'humidité qui imprégnait l'intérieur de la caverne s'accrocha à ma peau déjà collante. Je relâchai mon souffle, que j'avais inconsciemment retenu. J'avisai ensuite l'épais tapis de branchages qui recouvrait une partie du sol.
C'était bien là, la tanière du monstre.
Je m'accroupis près de sa couche et la touchai du bout des doigts. Elle était encore chaude. Le monstre n'était donc pas loin... mais où ?
Une ombre m'engloutit alors dans sa noirceur, et je pris une brusque inspiration. J'eus à peine le temps de faire une roulade avant que des griffes ne lacèrent l'air.
Une montée d'adrénaline me secoua quand je vis la bête. C'était un adulte, il n'y avait pas de doute. Même recroquevillé, comme si ses longues pattes dotées de puissantes griffes étaient trop lourdes, le saurio me dépassait d'une bonne tête. Il avait un corps massif, recouvert d'épaisses écailles luisantes. Ses yeux jaunes à fentes se posèrent sur moi, puis sa large bouche de crapaud s'étira sur des crocs acérés. Un drôle de sourire tordu qui m'assécha la bouche. Quand la bête s'élança vers moi, je tendis la main :
— Pozhar !
Un feu ardent s'abattit sur la bête, qui disparut à ma vue. Elle poussa un rugissement tonitruant, de douleur ou de rage, et mon corps fut durement secoué quand je levai ma main gauche pour doubler la puissance de mon sort. Un ballet de flammes crépitantes illumina l'intérieur de la grotte, qui se remplit de fumée.
Un raclement couvrit alors le bruit des flammes. Et le monstre bondit hors du feu comme un clown sort de sa boîte.
Dans un sursaut, je me jetai sur le côté au moment même où sa patte se dirigeait vers ma gorge. Je me relevai d'une démarche claudicante, essoufflée par toute cette magie que j'avais si vite dépensée. J'avais fait la leçon à Laurine, mais j'avais oublié le plus important : la peau du saurio, aussi dure que le cuir. Je n'eus pas le temps d'y réfléchir : la bête courait déjà vers moi. Je me mis en garde et priai pour ne pas me rater.
Le saurio leva sa patte démesurée. Je me penchai en arrière, et ses griffes effleurèrent ma mâchoire. Au deuxième assaut, je sautai sur la droite. Vite, je changeai ma dague de main. Le démon n'eut que le temps de se redresser avant que je ne lui plante la lame dans l'œil.
Le cri éraillé que poussa la bête fit s'envoler les oiseaux perchés dans les arbres environnants. J'enfonçai mon arme jusqu'à la garde et grimaçai quand un filet de sang vert s'écoula entre mes doigts. Mais quand je voulus la retirer, le démon s'ébroua une dernière fois. Je sursautai quand ses griffes déchirèrent la manche de ma veste. Et quand elles tranchèrent la peau tendre de mon bras, je lâchai un gémissement de douleur.
Je me reculai vite. Si vite, à vrai dire, que mon pied se coinça entre deux rochers et que je basculai en arrière dans une exclamation étouffée... qui se mua en cri quand la bête titubante s'effondra finalement sur moi.
Essoufflée, je risquai un coup d'œil vers la face de reptile du démon. Un glapissement écœuré m'échappa quand son sang verdâtre et malodorant me glissa sur la joue. Son œil embroché, dans lequel ma dague était toujours plantée, se trouvait juste au-dessus de ma tête. Il fallait que je m'extirpe de là, et fissa.
Sauf que le corps sans vie de saurio devait peser dans les deux cents kilos, et je peinais à glisser mes mains sous son ventre visqueux pour le repousser.
Un, deux... et trois.
J'entrepris de le pousser quand, miracle, le macchabée fut soulevé aussi facilement qu'une poupée de chiffon. Je respirai de soulagement quand ma cage thoracique fut libérée du poids du démon. Mais quand je levai les yeux vers la personne qui venait de me porter secours, ma bouche s'arrondit de surprise. Je restai interdite quelques secondes avant de souffler d'une voix étranglée :
— Toi !
***
Coucou 🤩
Déjà le chapitre 12! J'espère qu'il vous a plu 🤗
Alors, des pronostics pour la suite des événements ? Hihihi
Bon, j'ai été assez occupée ces derniers temps alors je n'ai malheureusement plus qu'un chapitre d'avance (madre mia! 😱). Je vais essayer de rattraper mon retard pour éviter une pause dans la publication.
En tout cas, merci à vous de m'avoir lue! Je vous dis à la semaine prochaine pour la suite 😘😘
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