Chapitre 11 - Utopie
Par-delà la cime des arbres, le ciel se parait de zébrures mauves et orangées à mesure que les rayons du soleil perçaient à l'horizon. Je les observais depuis mon lit, les yeux grands ouverts sur les douces couleurs pastelles de cette aube silencieuse. Bientôt, le chant timide d'un oiseau s'éleva près de ma fenêtre, et la nature parut s'éveiller à l'entente du pépiement mélodieux.
Je hissai ma couette sur mes épaules, la tête lourde de fatigue. Cette nuit-là, comme les précédentes, j'avais peu dormi, et mal, hantée par des images et des voix qui tournaient en boucle dans ma tête. Et à ma plus grand honte, c'était ma rencontre avec Shawn qui avait occupé l'imbroglio de mes pensées. Je revoyais son visage baigné par la clarté de la lune, son sourire orgueilleux sous ses pommettes saillantes et son air grave lorsqu'il m'avait parlé de cette vieille légende démoniaque.
Une prophétie obscure, annonciatrice de ruine et de destruction.
Comment pouvait-il croire à ces sornettes ? Et, surtout, pourquoi était-il persuadé que j'en étais la clé ? En d'autres circonstances, j'aurais trouvé cette histoire à mourir de rire, mais il avait semblé si sûr de lui qu'il m'était impossible de prendre la chose à la légère.
Frédéric et Jack le savaient-ils, que Shawn avait « abandonné » son âme ? L'idée même me faisait frémir. Était-ce pour cette raison que la situation était « compliquée » ? Nous, les Chasseuses, étions investies d'une seule et unique mission : celle de combattre les forces des ténèbres. Et si l'on respectait scrupuleusement cette règle, le cas de Shawn n'était pas de notre ressort, parce qu'il était humain. Était-ce là, le cœur du problème ?
Recroquevillée sous ma couette, je me mordis nerveusement le pouce.
Si l'intention de Shawn, en venant me retrouver l'autre soir, avait été de créer une relation de connivence entre nous, il n'était pas loin d'avoir réussi. Je n'avais rien dit de notre entrevue, ni à Nika, ni à Sandy, et encore moins à mon chef. Comment aurais-je pu leur expliquer que nous avions bavardé ensemble comme deux bons copains ? Enfin, des copains, pas exactement. La tension entre nous avait été difficile à ignorer. Il attendait quelque chose de moi et en savait beaucoup trop sur mon compte pour quelqu'un que personne ne voulait mentionner. C'est pourquoi j'avais pris une décision : je me devais de remédier à ce déséquilibre évident.
Je rabattis ma couverture et me levai avec détermination. J'allais faire quelque chose qui ne me ressemblait pas, et je n'espérais qu'une chose : ne pas me faire prendre la main dans le sac.
Ce jeudi étant férié, mon père dormait encore quand je descendis prendre mon petit-déjeuner. Je craignis de croiser ma mère à cette heure matinale de la journée, mais elle avait déjà filé pour ses visites à domicile. Exceptionnellement, j'étais d'astreinte pour les urgences de jour, et j'allais mettre cette occasion à profit pour fouiller (un peu) l'ordinateur de mon chef à la recherche d'informations. Je priais seulement pour ne rien découvrir de compromettant au sujet de Frédéric. Je ne tenais pas spécialement à le voir sous un autre jour...
J'étais en train de peaufiner les détails de mon plan machiavélique quand Chris entra dans la cuisine, un œil à moitié fermé et la joue droite arborant encore la marque de son oreiller. Il eut un mouvement de surprise quand il me découvrit attablée de si bon matin, déjà en train de déguster mes tartines grillées.
— Depuis quand tu te lèves tôt, toi ? lâcha-t-il.
Il avait parlé d'un ton de reproche, à croire que je dérangeais le rendez-vous matinal qu'il avait donné à la machine à café.
— Et toi, depuis quand tu as un cerveau ? marmonnai-je tout en léchant le beurre fondu qui avait coulé sur mes doigts.
Il eut un petit rire vantard avant de répliquer :
— Si j'étais toi, petite sœur, je ne m'aventurerais pas sur ce terrain-là.
Je lui tirai aussitôt la langue, à défaut de pouvoir lui envoyer une salve d'eau dans la tête. Malheureusement, Chris n'avait pas tort : sa moyenne était très largement supérieure à la mienne, bien qu'il soit déjà en terminale. Je me réconfortais en songeant qu'un bulletin de notes n'était rien comparé à la fierté de sauver des gens au quotidien, mais cette pensée réconfortante s'estompa vite alors que mon frère continuait de ricaner comme une hyène.
La cuisine résonna bientôt de nos chamailleries enfantines, qui eurent tôt fait de réveiller notre père. Devant le regard assassin qu'il nous lança en s'asseyant à table, je ne demandai pas mon reste et filai à l'étage. À dix heures, j'étais fin prête. Après avoir glissé mon attirail de Chasseuse dans mon sac à dos, je prétextai une journée shopping/pizza avec quelques filles de ma classe et laissai mon père faire mumuse avec ses joujoux dans son garage, avec pour seule compagnie la voix criarde de Johnny.
La plupart des habitants de la Moon House dormaient encore quand je me glissai dans la bâtisse. À force de les combattre, les Chasseuses adoptaient presque le rythme de vie nocturne des créatures des ténèbres.
Après la lumière aveuglante de l'extérieur, mes yeux mirent un certain temps à s'habituer à la pénombre de l'entrée. Personne n'avait encore allumé les appliques ou le lustre, de sorte que je remarquai aussitôt le rai incandescent qui brillait sous la porte du salon. J'entendis avec surprise des voix s'échapper de l'unique poste de télévision de la maison, et c'est avec curiosité que je passai la tête par l'entrebâillure.
Mes yeux accrochèrent immédiatement la silhouette de Michael, installé sur le canapé en cuir qui faisait face à l'écran. Il était seul et paraissait complètement absorbé par l'émission politique qu'il regardait, une tasse de café à la main. Sa simple vue me remplit de bonheur, et le souvenir des fées et de leur éclat rubis me revint en tête, comme une douce promesse.
Je me pressai d'entrer et refermai la porte derrière moi pour nous assurer un peu d'intimité. Quand l'Éclaireur m'aperçut, il bondit sur ses pieds et passa une main dans ses cheveux, qu'il n'avait pas encore coiffés. Je retins un petit rire, attendrie.
— Je ne m'attendais pas à te voir à cette heure-ci, souffla-t-il.
— Je ne te dérange pas ?
Je priai pour qu'il dise non : j'avais l'impression de ne pas l'avoir vu depuis une éternité, et il m'avait drôlement manqué. Mais le sourire malicieux qui éclaira son visage apaisa toutes mes craintes.
— Tu ne me déranges jamais, m'assura-t-il, et ses yeux verts pétillèrent comme des bulles de champagne.
Aux anges, je m'assis sur les coussins noirs déformés, et Michael reprit sa place après s'être éclairci la gorge. Il portait un t-shirt blanc, qui dévoilait ses bras un peu halés et finement musclés. Il sentait le savon, et je compris à ses mèches encore humides qu'il sortait de la douche. Je n'avais qu'une envie, me blottir contre lui et sentir ses mains autour de ma taille, et au regard en coin qu'il me lança, je me demandai si des pensées similaires ne lui traversaient également pas l'esprit.
Prenant une longue inspiration, je me concentrai sur l'écran et tâchai de calmer la danse effrénée qu'avait entamée mon petit cœur. À première vue, l'émission mettait en scène un débat entre deux spécialistes de politique aux vues opposées. Je plissai le nez : déjà que je suivais peu l'actualité en France, alors que dire de celle de l'Espéritie. Michael dut remarquer mon air perdu car il pencha la tête vers moi et m'expliqua :
— Ils parlent du nouveau Président et des réformes qu'il veut mettre en place.
Des arômes de café se mélangeaient aux notes acidulés de son parfum, et je luttai contre l'envie de poser ma tête sur son épaule. Il ne m'aurait sans doute pas repoussée, mais j'avais un peu peur qu'on nous surprenne dans une position ambigüe.
— Hm, celui qui a été élu le mois dernier ? fis-je, incertaine.
— François Ribaucourt, oui, confirma-t-il.
Je notai que l'homme politique avait un nom d'origine française. C'était le cas de la plupart des familles bourgeoises de l'Espéritie, comme celle de Laurine, dont le père était apparemment un grand avocat. Ces familles de notables brillaient généralement par leurs idées conservatrices, surtout pour ce qui touchait au surnaturel.
— C'est un ancien Éclaireur, ajouta Michael. Une connaissance de Frédéric, d'ailleurs.
Je me redressai sur le canapé, surprise.
— Frédéric ? Notre Frédéric connaît le nouveau président ?
Pile à ce moment-là, des images d'un discours donné par le président en question défilèrent à l'écran. L'homme avait la petite soixantaine, des cheveux d'un gris soutenu et un grand nez busqué. Il avait un visage volontaire, adouci toutefois par les rides d'expression qui dessinaient l'ombre d'un sourire autour de son regard et de sa bouche. Il s'exprimait d'ailleurs avec une aménité peu habituelle pour un homme politique de son envergure.
— Oui, il le connaît, et plutôt bien, acquiesça Michael. Sans doute parce que les deux étaient à contre-courant des opinions majoritairement répandues chez les Éclaireurs.
— C'est-à-dire ? fis-je, sourcils froncés.
— Eh bien, Frédéric a longtemps plaidé en faveur d'un processus de réconciliation, et Ribaucourt également.
— Tu veux dire... une réconciliation entre les humains et le monde des ténèbres ? m'étonnai-je.
Michael hocha la tête. Il récupéra sa tasse fumante et but une gorgée de café avant de reprendre, les yeux rivés sur l'écran :
— Quand il travaillait à NewHeaven, Frédéric défendait l'idée que poursuivre la lutte indéfiniment n'était pas viable. Il pensait qu'il serait plus sage, à long terme, de trouver une solution de coexistence pacifique.
— Avec les démons et les vampires ? m'étranglai-je presque. C'est impossible, non ?
— Qui sait ? Personne n'a jamais cherché à enterrer la hache de guerre, fit valoir Michael avec un haussement d'épaules. Quoi qu'il en soit, Ribaucourt était du même avis, mais il ne fait pas bon être progressiste lorsque l'on travaille au plus près du Conseil des Maîtres Éclaireurs. Frédéric a finalement été muté à GhostValley, une ville sans importance, et Ribaucourt a été poussé vers la sortie. C'est sans doute pour cette raison qu'il s'est lancé en politique.
Je gardai le silence le temps de digérer ce que je venais d'apprendre, notamment au sujet de mon chef. Je n'aurais jamais imaginé que Frédéric puisse nourrir des espoirs de paix. À dire vrai, il restait toujours discret sur ses opinions. Pour ma part, j'ignorais si je partageais son avis : les créatures que j'affrontais au quotidien ne me donnaient pas l'impression de vouloir négocier une trêve, et je ne pouvais m'empêcher de penser que, si on leur en laissait l'occasion, elles tenteraient de reprendre le dessus sur les humains.
— Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? demandai-je à Michael.
Il esquissa une moue désabusée et finit par dire avec un geste d'impuissance :
— Je pense... que ce n'est pas dans l'intérêt du Conseil de conclure une quelconque paix, mais que l'élection de Ribaucourt à la présidence risque d'avoir le même effet qu'un coup de pied dans une fourmilière. C'est un sacré pied de nez qu'il leur fait, mais c'est peut-être une bonne chose. En tout cas, sa première réforme concerne les sorciers : il veut enfin mettre un terme à la discrimination dont ils sont victimes.
En disant cela, il avait tourné la tête vers moi. La tendresse qui habitait ses prunelles me fit devenir rouge pivoine... et je tressaillis quand ses doigts effleurèrent ma pommette.
— Et ça, je ne peux que l'approuver, chuchota-t-il.
Je rivai mes yeux aux siens, et l'expression que j'y lus fit chavirer mon cœur. Il leva alors son index entre nous et ajouta à voix basse :
— Tu avais un cil sur la joue.
Et il disait vrai : ledit cil reposait sur la pulpe de son doigt. Je ris, gênée de l'effet que cette caresse avait eu sur moi. Je fis passer ma chevelure d'un côté de ma tête et baissai le regard vers nos mains, qui reposaient entre nous deux sur le canapé défraîchi.
— Tu es toujours partante, pour demain ?
Lentement, ses doigts vinrent caresser le dessus de ma main, et ce simple toucher me donna des frissons que je ne cherchai même pas à cacher.
— Bien sûr.
Il me décocha alors un sourire charmeur, puis prit plus franchement mes mains dans les siennes. Mon pouls s'affola quand il porta la droite à sa bouche pour déposer un baiser fugace sur les jointures de mes doigts.
— Dix-neuf heures devant ta voiture ? proposai-je. Autant éviter que Frédéric nous voie partir ensemble.
Ma brusque inquiétude le fit s'esclaffer et, même derrière les verres de ses lunettes, je pus observer l'éclat malicieux qui alluma ses yeux verts.
— Tu sais, je ne pense pas qu'il désapprouverait à ce point, dit-il, me couvant presque du regard.
— On ne sait jamais, insistai-je avec aplomb. J'ai trop peur de le décevoir encore.
Cette dernière phrase m'avait échappé, et je maudis ma langue bien pendue qui me faisait dire tout et n'importe quoi. Le visage de Michael se fit plus sérieux quand il me répondit :
— Tu ne l'as pas déçu, crois-moi.
J'acquiesçai sans rien dire, songeant que l'intrusion que je planifiais dans le bureau de mon chef risquait de les faire changer d'avis si j'étais découverte. D'ailleurs, il fallait que je mette vite mon plan à exécution, avant qu'une mission imprévue ne me tombe dessus et ne m'oblige à y renoncer.
— Tu sais où il est, d'ailleurs ? demandai-je d'une voix que j'espérais parfaitement neutre. J'ai une question à lui poser.
Michael s'étira cependant qu'il réfléchissait, et son t-shirt se releva, dévoilant le bas de son ventre. J'obligeai mes yeux à ne pas dévier dans cette direction. J'aurais eu trop honte qu'il surprenne un regard un peu trop appréciateur.
— Il me semble qu'il est sorti faire une course. Si c'est le cas, il ne devrait plus tarder à rentrer.
L'occasion était trop belle. Je devais agir, et vite.
Je maîtrisai les muscles de mon visage pour éviter que l'adolescent ne se rende compte de mon empressement à partir lorsque je lui dis :
— Il sera sans doute revenu le temps que j'enfile ma tenue de travail.
Je me relevai avec une lenteur toute calculée, mais le sourire que je lui adressai, lui, était sincère.
— À tout à l'heure, peut-être ? lui lançai-je.
— Avec plaisir, dit-il en retour.
Il glissa un bras derrière sa tête pour s'appuyer négligemment dessus, et je le trouvai si beau que je dus me faire violence pour m'éloigner.
Le premier étage était désert. Soit toutes mes collègues dormaient encore, soit elles avaient décidé d'organiser une partie géante de roi du silence, car aucun son ne s'échappait des portes résolument closes. Je n'allais pas me plaindre : personne ne me vit quand je me dirigeai d'un pas décidé vers le bureau de mon chef. Je toquai pour la forme, mais mes coups restèrent sans réponse. Parfait. Vérifiant encore fois que personne n'était derrière moi, je me glissai comme une ombre dans le bureau de Frédéric.
Je décidai de laisser la porte légèrement entrebâillée. Mon chef serait de cette manière plus enclin à croire à mes bobards que s'il me trouvait enfermée dans son bureau comme une voleuse. Et je pouvais en outre mieux surveiller les bruits en provenance du corridor.
À pas vifs, j'allai m'installer dans son fauteuil et allumai son ordinateur, prenant garde à ne rien déplacer. Il fallut au modèle préhistorique de PC de très longues secondes pour se mettre en marche, et je fis impatiemment claquer mes ongles sur le bureau. Enfin, l'écran d'accueil s'afficha, et le premier obstacle apparut.
Le mot de passe.
J'avais été suffisamment bête pour ne pas y penser.
La bouche ouverte, prête à gober des mouches, je gardai les mains immobiles au-dessus du clavier et me mis à réfléchir au possible code de mon boss. Lorsque absolument aucune idée ne me vint, je m'aperçus que j'ignorais tout de Frédéric, et ce constat m'attrista autant qu'il me donna envie de crier de frustration.
Sa date de naissance ? Le 5 mars. Ou peut-être le 7 ? En tout cas, il était né en 1965... ou était-ce en 1968. Quel âge avait-il, en fait ?
Je me retins de me taper la tête contre la table.
Comment s'appelait sa mère ? Ou son père ? Avait-il eu un chat, un chien, un poisson rouge, un perroquet ? Une maîtresse, bon sang, n'importe quoi ?!
À la vive colère que je ressentis s'ajouta la culpabilité de ne m'être jamais vraiment intéressée à la vie de mon chef. Tant pis. Les remords attendraient, je devais passer au plan B.
Guettant toujours d'éventuels bruits de pas m'annonçant l'arrivée de quelqu'un, j'entrepris de fouiller les tiroirs à la recherche d'un indice... mais j'y renonçai quand un magma de babioles inutiles en déborda aussitôt. Comment pouvait-il être aussi désordonné à son âge ?
Je ravalai le grognement rageur qui manqua de franchir la barrière de mes lèvres et refermai le tiroir. J'avais entendu parler de sorciers qui parvenaient à influencer les appareils électroniques. Si ce don m'apparaissait auparavant comme franchement inutile, j'aurais brusquement donné cher pour être capable de séduire ce dinosaure d'ordinateur et le convaincre de me livrer ses secrets.
En désespoir de cause, je finis par soulever le tapis de souris à la recherche d'un papier où mon chef noterait ses mots de passe pour ne pas les égarer, comme le faisait ma mère. Rien. Toutefois, quand je retournai le clavier, une petite étiquette avait été scotchée, qui lisait :
MdP : PC2153
Nul doute que les informaticiens qui s'étaient occupés de l'installation des ordinateurs avaient fourni ce code, mais je doutais que Frédéric ne l'ait pas changé après toutes ces années. Je l'entrai tout de même, pour faire bonne mesure, et j'en restai coite quand l'écran me souhaita la bienvenue. Le manque de prudence de mon supérieur ne cesserait jamais de m'étonner. J'aurais dû m'y attendre : il suffisait d'un coup d'œil à son casier de documents classés secrets, ouvert à longueur d'année, pour comprendre qu'il n'était pas très à cheval sur les règles de confidentialité. De quoi me donner bonne conscience alors que je m'empressais d'ouvrir la base de données des Éclaireurs.
L'interface était simple, épurée, facile à utiliser par des Éclaireurs de plus de soixante ans qui savaient à peine faire des copier-coller. Je mis le curseur dans la barre de recherche et, après un temps de réflexion pour me souvenir de son nom de famille, commençai à écrire.
Shawn Mason
J'appuyai sur la touche entrée, et mon cœur rata un battement quand une photo de lui surgit soudainement à l'écran. C'était à n'en pas douter une vieille photo d'identité, car l'adolescent qui me vrillait de ses yeux clairs n'avait pas quinze ans. Pourtant, son visage était empreint d'une gravité qui n'avait rien d'enfantin et que seuls affichaient ceux qui n'avaient pas été épargnés par la vie. Toujours aux aguets, je m'assurai que Frédéric n'arrivait pas avant de regarder les informations disponibles au sujet du jeune homme. Néanmoins, je déchantai vite : beaucoup de cases étaient vides.
Nom de famille : MASON
Prénom : Shawn
Sexe : Masculin
Date de naissance : 31/10/19**
Lieu de naissance : s/o
Nationalité : Espéritien
Qualification de l'infraction : Intimidation, vol, participation à des activités de crime organisé, agression, meurtre
Aperçu pour la dernière fois : s/o
Récompense : s/o
Information(s) complémentaire(s) : s/o
Le mot « meurtre » attira mon regard de la même manière que s'il avait clignoté à l'écran. Non pas que ce soit une surprise : Shawn avait abattu Wright avec l'indifférence de celui qui n'ôtait pas la vie pour la première fois. Et puis, s'il n'avait pas d'âme, j'en déduisais qu'il n'avait pas non plus de scrupules. Toutefois, le voir écrit noir sur blanc donna à ma salive un goût d'acide.
Ainsi, il figurait bel et bien dans les dossiers du Conseil, mais je constatai avec stupéfaction qu'il n'était pas recherché. Sa tête n'était même pas mise à prix, alors qu'il n'avait rien à envier aux démons considérés comme de dangereux criminels. Pourquoi ?
Aucun détail n'était malheureusement fourni quant à ses méfaits. Je calculai qu'il avait vingt ans : à quel âge s'était-il tourné vers le monde des ténèbres pour avoir déjà un parcours... si bien rempli ? Cette notice m'apportait autant de réponses qu'elle ne soulevait de questions. Au moins, désormais, je savais à qui j'avais affaire.
— Ah, Frédéric, je voulais vous demander...
La voix qui se réverbéra dans le couloir me fit bondir sur mon siège. Vite, je fermai la fenêtre du logiciel et priai pour que l'ordinateur n'enregistre pas automatiquement ma recherche. J'eus à peine le temps de contourner le bureau, de me laisser choir dans un des fauteuils voltaire réservés aux invités et de faire mine de m'abîmer dans la contemplation de mes ongles avant que Frédéric n'entre dans la pièce. Je levai innocemment la tête à son entrée et réprimai le rire qui faillit m'échapper quand il sursauta en posant une main sur son cœur.
— Mer... Alicia, tu m'as fait une de ces frayeurs !
— Désolée, m'excusai-je, affichant une moue contrite.
— Qu'est-ce que tu fais dans mon bureau ?
Ses sourcils qui se froncèrent au point de ne plus former qu'une seule ligne sévère ne me dit rien qui vaille.
— Je voulais vous poser une question, et elle risque de ne pas vous plaire.
Mon chef entra pleinement dans la pièce, refermant la porte derrière lui sans pouvoir contenir un soupir désabusé.
— Je suis tout ouïe. Toi aussi, tu souhaites me faire part de quelque grief ? Tes collègues cuisinent trop souvent du fromage ? Ou c'est plutôt l'odeur du poisson qui t'incommode, toi ?
— Euh... ni l'un, ni l'autre.
N'ayant pas vraiment fait attention à la voix qui avait apostrophé mon chef, je ne saurais jamais laquelle des combattantes avait été à l'origine de cette drôle de réclamation.
— Est-ce que...
J'eus un instant d'hésitation : je devais effectivement lui demander une faveur, mais une autre interrogation me venait malgré moi sur le bout de la langue. Je décidai de commencer par le plus sage :
— Est-ce que je peux avoir mon samedi soir ?
Je joignis à ma demande un sourire un peu penaud que j'espérais irrésistible.
Frédéric parut aussitôt soulagé : cette faveur était parfaitement dans ses cordes. Il s'autorisa même un petit rire qui me rappela vaguement le Père Noël avant de me dire avec bonhomie :
— Mais bien sûr ! Je comprends que tu aies besoin de te changer les idées après...
Il s'interrompit, conscient qu'il était en passe de raviver de douloureux souvenirs. Il se dépêcha de conclure plus sobrement :
— Bref, c'est d'accord.
— Super !
Je me confondis alors en remerciements, qu'il balaya d'un geste nonchalant de la main, visiblement heureux de pouvoir faire plaisir à si peu de frais. Empoignant mon sac à dos que j'avais abandonné par terre, je me relevai et me dirigeai vers la porte. Je pesai longuement le pour et le contre mais, arrivée sur le seuil, je n'y tins plus. Je pivotai sur mes talons et repartis, un peu hésitante :
— Il y a autre chose...
Les traits de Frédéric s'affaissèrent, et il me considéra avec un peu d'appréhension. Je pouvais presque l'entendre penser : « Ces jeunes vont finir par me rendre fou ».
— Oui ?
J'ouvris la bouche, mille pensées me traversant l'esprit. Comment le formuler ? « Avez-vous entendu parler du Leader ? Enfin, askip, les démons l'appelleraient Adalid... mais vous le savez peut-être ? » Mon supérieur me demanderait sûrement d'où je sortais cette information, et qu'aurais-je pu lui répondre ? Une conversation entendue au détour d'une rue ? Un démon un peu bavard pendant une mission ? Une petite souris qui passait par là ?
Les épaules basses, je me ravisai : je n'avais pas le cœur à me lancer dans un mensonge farfelu pour ne pas lui avouer que c'était Shawn qui me l'avait dit.
— Rien, ce n'est pas si important.
Et je m'éclipsai avec un sourire. Je m'étais juré de ne jamais croire à une histoire pareille, et je ne comptais pas revenir là-dessus. Chercher à en savoir plus reviendrait à jouer le jeu de mon ennemi, et j'étais bien décidée à ne pas lui faire ce plaisir.
***
Hello! 🤓
Et un chapitre de plus, un!✌🏼
Alors, pour la petite histoire, je suis allée m'inspirer des notices rouges d'Interpol pour rédiger celle de Shawn. Si, dans la fiction, j'ai trouvé ça amusant à faire, les vraies notices rouges sont plutôt glaçantes 😅
Les deux prochains chapitres font à peu près cette longueur, mais je préfère ne pas les diviser pour ne pas trop couper le rythme. Je vous dis donc à la semaine prochaine pour le chapitre 12 🤩
Merci de m'avoir lue! Bisous 😘😘
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