Chapitre 3
— Je n'aime pas les personnes qui sont capable de tourner le dos aussi facilement.
Voilà ce que Keith a murmuré comme un rappel avant d'accepter de passer le palier de ma porte.
Nous venions de faire l'amour dans la voiture.
Keith est quelqu'un d'honnête. De fiable. Malheureusement, j'essayais encore de m'en convaincre. Quand tu as un passé avec des zones d'ombres comme les nôtres, comment faire confiance aveuglément ? Comment contrôler mes crises de nerf et la jalousie maladive ? Il n'y a aucune recette miracle.
Je suis effrayée à l'idée de tout foutre en l'air avec mes suspicions. C'est tellement malsain.
Je termine les ravioles que je sers dans une assiette creuse. Keith a pris une douche, puis a voulu m'aider à cuisiner, mais je l'ai poussé à aller s'allonger sur le lit.
J'ai mis la télé en route pour combler le silence et m'empêcher de regarder vers lui qui me scrutait. Quelques minutes plus tard, il s'est endormi comme un bébé.
La nuit blanche de la veille avait eu raison de lui.
Je me sens fatiguée également, triste même. Comment fermer les paupières alors que Keith est chez moi ? Va-t-il de nouveau rester toute la nuit ? Et demain ? Après demain ? Est-ce ma scène plus tôt va être source de questionnement pour lui ? Qui voudrait d'une fille aussi virulente, si peu sûre d'elle ? Je ne sais même pas ce qui l'attire tant chez moi, tout est confus.
Et ça me fait bizarre de voir un homme à la maison, c'est tout. Occuper mon espace, vouloir y rester plus que quelques heures. J'avoue que c'est à la fois agréable et déconcertant. Fascinant. Je n'arrive pas à détacher mon regard de sa silhouette allongée en travers du matelas.
J'ai beau attendre qu'il se réveille, il est déjà 1 heure du matin. Je ne sais pas à quelle heure il doit se rendre au travail demain, mais il ne peut pas dormir le ventre vide.
Ma mère prêtait une attention particulière à ce que je mange bien. Cuisinière de formation, elle me préparait de bons petits plats variés et équilibrés. J'ai appris la bonne cuisine française grâce à elle. Je pense à elle constamment. Elle me manque terriblement même si les années passent.
Je me demande si elle serait fière de la femme que je suis devenue. Elle me reprocherait sûrement ma solitude, mon manque de tolérance et de confiance en moi. Surtout en ce qui concerne les relations humaines. Je ne parle pas de mes relations amoureuses...
C'est la première depuis que maman est morte il y a cinq ans. Peut-on vraiment parler de relation ? Keith et moi sommes ensemble que depuis 48h et nous avons eu une dispute. J'ai déjà pleuré aussi.
Est-ce que ça va trop vite ? Devrait-on ralentir ? À quelle vitesse se lasse-t-on de ce genre de relation aux apparences toxiques ? Est-ce que l'amour, le sain le vrai, est seulement possible pour les personnes comme moi ?
Je prends l'assiette avec moi et une fourchette dans le tiroir à couverts, puis je m'approche du lit.
Je m'assoie sur le bord du matelas.
L'homme endormi sur mes draps est d'une beauté sans pareille. Il a une peau nette. Son teint est clair malgré le manque de sommeil. Ses cheveux bruns bouclés sont légèrement dorées aux pointes à cause du soleil. Il a retroussé ses manches. J'aime les muscles ciselés de ses bras ainsi que les veines qui serpentent sa peau. La montre qu'il porte au poignet doit valoir le prix de cet appartement.
Keith pourrait être mannequin pour marques de luxe, voilà pourquoi tout ce qu'il porte lui va si bien. Alors que sur moi, tout paraît contrefait. Voilà peut-être pourquoi je n'arrive pas à y croire. Je ne suis qu'une danseuse qui se bat chaque jour pour mériter sa place. Alors que les journalistes raffolent de ce réalisateur, de son actualité et de sa vie privée. Arrête Cassiopée, ce genre de pensées te brûlent l'âme.
— Keith ?
— Hum, grommelle-t-il dans son sommeil.
Je souris, puis prends la fourchette de ma main droite, pique dans l'assiette et présente une raviole devant sa bouche fermée. Sa langue passe sur sa lèvre.
Ses jolies lèvres qui plus tôt me dévoraient.
— Huuuum...
— Mange.
Sans ouvrir les paupières, il entrouvre la bouche et j'en profite pour lui fourrer une fourchette dans le bec.
Je le vois mastiquer lentement. Il fronce les sourcils, puis sourit.
— C'est délicieux, bon sang...
Ça me fait sourire avec son expression et son juron qui dénotent.
Enfin, ses prunelles écorces apparaissent.
— Tu cuisines extrêmement bien, remarque-t-il.
Il se met assis et m'examine intensément de son regard encore un peu ensommeillé. Je ne sais pas si je peux supporter qu'il me regarde comme ça. Déjà à l'époque, j'avais l'impression qu'il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert.
Je repique une raviole et le ramène devant sa bouche qu'il ouvre sans se faire prier.
Il me fixe pendant que je lui donne à manger comme un bébé. Il a l'air d'aimer ça, complètement hypnotisé. Mais soudain, il stoppe mon geste et me prend le couvert de la main.
Notre contact m'électrise.
Je comprends qu'il désire que je mange également. J'accepte les deux parts qu'il me propose sans protester même si son regard me remue.
Alors que les dents de la fourchette glisse entre mes lèvres, ses iris deviennent pétillants, voraces.
— Je t'aime, je te jure, m'avoue-t-il dans un souffle qui me démunie.
Mes joues rougissent subitement. L'ambiance est à la fois pleine de tension et de sensualité. N'importe quelle femme peut tomber amoureuse de lui en cet instant. Moi, je suis en train de succomber, littéralement.
Non, je suis éperdument folle de lui, de tout ce qu'il est.
Ma gorge se noue.
Oui, la sœur de Laurine disait que coucher avec quelqu'un révélait les sentiments. Les miens se sont multipliées depuis notre toute première fois et semblent devenus ingérables.
Je dois me reprendre. Être transie d'amour me file une peur bleue.
— T'emballe pas, je ne vais pas faire ça tous les jours, envoyé-je d'un ton que je veux détaché.
— Ne sois pas sur la défensive.
Il sait si bien m'analyser.
— Je ne le suis pas.
Il se mord la lèvre et sourit.
— Alors tu es une briseuse de rêve.
Il a brisé le mien un jour et je crois qu'il essaie d'en recoller chaque morceau. « Mon rêve américain, c'est toi, Keith » lui avais-je soufflé une nuit, avant de disparaître. Rien a changé. Si c'était le cas, je ne rougirais pas comme ça.
Je n'ose plus le regarder dans les yeux. Il est trop prêt. À trop confiance en lui. Alors que je suis apeurée de faire encore un faux pas. De penser ce qu'il ne faut pas.
Dans une relation saine, il ne devrait pas y avoir de malaise...
Je refuse une autre fourchette en secouant le menton.
— J'ai déjà mangé.
— Tu as mangé quoi ?
— Des œufs et des fruits.
Je les ai mangé en cuisinant pour toi.
— Donc, tout ça n'est rien que pour moi ?
Je n'arrive pas à répondre. Si je m'écoutais je ferai bien plus pour toi, bien trop.
— Tu fais un régime ? s'enquiert-il.
Je tourne la tête sur le côté. Rare sont les danseuses étoile qui n'en font pas ? Il suffit de me regarder pour deviner que je ne dois pas y échapper.
— Tu sais très bien...
— Non, je ne sais pas.
Doucement, il récupère l'assiette de mes mains et la pose sur la table de chevet.
— Je n'aime pas manger alors que tu te contente de regarder.
— Il va falloir t'y habituer.
Un sourire entendu gravie ses lèvres. J'avale ma salive, prenant la mesure de mes propres mots. S'y habituer... à lui, à cette vie ?
— La prochaine fois, je cuisinerai pour toi, me dit-il tout bas. Tu auras intérêt d'honorer le repas.
— Je ne peux pas tout manger.
— Je ferai attention.
Il est si attentionné. Un autre n'en aurait fait qu'à sa tête. Pas lui. Il n'est pas comme ça. Il respecte mes décisions, mes choix. Même ceux qui l'ont éloigné de moi.
— Protéines, glucides, lipides, fibres ?
Je hoche le menton. Bien sûr, qu'il sait ce qui est bon pour moi. Violetta devait également avoir une alimentation équilibrée, même si j'imagine qu'elle perd du poids plus facilement.
Un jour, il m'a dit qu'il était attiré par les danseuses. Je ne sais pas s'il les idéalise, que ce qui l'attire est ce côté fragile et pure. Je ne suis pas une ballerine comme les autres. J'ai un passé trop lourd pour simuler l'innocence.
Sauf quand je danse. Même s'il m'est de plus en plus difficile de freiner mon corps qui ne demande qu'à s'exprimer et sortir du cadre stricte de la chorégraphie.
— À quoi tu penses ?
Je lève le regard sur Keith. Il n'y a que lui qui cherche à creuser sans ce soucier de ce qu'il pourrait trouver. Il a une proportion à assumer les situations quelles qu'elles soient.
— La danse.
— Je suis déçu.
— Je ne peux pas toujours penser à toi, ris-je nerveusement.
Il fronce les sourcils et demande très sérieusement :
— Tu penses à moi parfois ?
Nous nous fixons et je dois prendre une grande inspiration pour soutenir son regard.
— C'est quoi cette question, fais-je en dissimulant ma gêne.
— Tu as pensé à moi, Cassiopée ? Ces dernières mois ?
Plus direct, tu meurs.
Je n'aime pas vraiment l'honnêteté. C'est quelque chose qui m'a toujours foutu les jetons. Mentir me semblait plus facile. Ainsi, j'évitais de m'exposer. Contourner les émotions trop fortes. Celles qui pouvaient me submerger. Me mettre en danger.
J'ai pensé à lui chaque jour comme une maladie incurable, un soleil qui ne se lève jamais. Comment peut-il en douter ?
— Cassiopée ?
Sa main vient glisser contre ma joue. Je relève les yeux.
— Rassure-moi. Tu n'es pas venu me retrouver à cette soirée sans penser à partager ta vie avec moi.
Je n'ai jamais pensé à vraiment vivre à deux. Cela ne m'a même jamais effleuré l'esprit.
Lorsque le petite ami de Laurine m'a annoncé qu'il était invité à la première de Keith, encourager par mes amis, j'ai foncé sans penser à l'avenir. Pour être franche, je ne pensais pas vivre tout ce qui se passe là. Je n'avais pas envisagé la suite, car les chances qu'il soit toujours intéressé par moi étaient si minces. Je peine encore à y croire. Ce que je vis avec lui en cet instant me déstabilise. C'est une première pour moi.
Il se redresse sur le lit, me dévisage très sérieusement.
— Comment envisages-tu notre relation ?
— Il est 1 heure du matin, Keith.
— Je sais. Dis-moi juste ce qu'il te passe par la tête.
Etre spontanée ? Impossible. Je perds le souffle alors que ça a l'air d'être évident de côté.
— Je ne sais pas vraiment.
Sa main rencontre la mienne.
— Tu flippes, c'est ça ?
Le point fort de Keith c'est le dialogue. Il n'a pas le temps pour contourner les chemins. C'est un fonceur. Ça me fait peur car je suis tous le contraire. Les non-dits, c'est ma spécialité.
Je devais sauter le pas pour ne rien regretter car j'étais rongé de remords. Alors pourquoi tout me parait insurmontable. Je secoue la tête alors que j'ai peur que tout ce qu'on essaie de construire disparaisse. Que je n'arrive pas à bâtir cette relation qui me tient tellement à cœur qu'elle me paralyse.
— Si tu ne me parles pas. Si tu ne me fais pas confiance, notre relation est vouée à l'échec.
L'entendre évoquer cette possibilité me perturbe profondément. Me fait mal. Est-ce que je tiens entre les mains la réussite de notre couple ?
— Mais ce n'est sûrement pas ce que je veux, me rassure-t-il presque aussitôt. Tu es tellement importante que je ne pourrais pas te laisser partir comme ça. Ce soir, tu m'en as fait baver et si tu avais quitté la voiture sans te retourner, je ne suis pas sûr d'avoir eu la force de quitter le trottoir devant chez toi. Si tu ne sais pas encore quel type de relation tu veux avec moi, je vais te dire ce que moi j'attends de nous.
J'avale ma salive alors qu'il me tire légèrement vers lui, approche son visage, jusqu'à souffler contre mon oreille :
— Je veux vivre ma vie à tes côtés car je n'ai jamais cessé d'y penser toutes ces années. Je suis littéralement fou amoureux de toi. Depuis que je t'ai vu transpirante, faisant tes assouplissements dans cette salle de cours la toute première fois.
Il se redresse pour me regarder au fond des yeux. Son regard est pétillant. Ce regard... Je le ressens comme une décharge électrique. Je lui donne une tape sur le torse.
— Arrête de délirer.
Je me lève, mais il attrape doucement mon bras, me forçant à me rasseoir.
— Non, écoute-moi. C'est vrai, insiste-t-il.
— Tu voulais rendre jalouse ta meilleure amie ! lui rappelé-je. Donc ne dis pas de connerie, juste pour me faire plaisir.
Un silence tombe comme une chape de plomb. Impardonnable. Mais il semble le gérer parfaitement alors qu'il me scrute, avec attention. Je sens mes défenses vaciller.
— C'est ce que je pensais vouloir. Ce que je me suis persuadé de vouloir. Mais j'ai eu un coup de cœur pour toi.
Il inspire. Sa voix devient plus basse.
— Je n'arrivais pas à te quitter des yeux, même si j'essayais. C'est vrai, au début, je ne comprenais pas mes sentiments. J'ai mis du temps à mettre de l'ordre dans mes pensées, à démêler ce que je ressentais vraiment. Mais aujourd'hui, je sais. Et c'est la vérité.
Sa révélation me cloue sur place.
— Je ne te crois pas.
Il m'attire contre lui. Ses bras se resserrent autour de mon corps.
— Je luttais, constamment.
Je le déteste. Je m'écarte et tourne la tête sur le côté.
— Ne parlons plus de ça.
— On devrait. Je voulais qu'on oublie le passé pour se concentrer sur l'avenir. Je me suis trompé. Nous devons crever l'abcès.
— Commence par arrêter de me mentir.
— Sur quoi ?
— Tes sentiments, à cette époque.
— Est-ce que je t'ai un jour repoussé ?
Il cherche mon regard, m'encourage en me prenant les deux mains.
— Au contraire. Souviens-toi. Je voulais que tu viennes vers moi. J'ai toujours eu l'impression que tu pouvais disparaître du jour au lendemain si j'entamais le pas de trop... Je ne voulais pas être un rêve, mais ta réalité. Je suis tombé amoureux de toi. J'ai eu envie de toi comme personne. Je n'avais jamais ressenti un tel sentiment. Aussi fort et dévastateur. Quand tu me laissais te toucher, c'est à peine si je pouvais respirer. Nous deux, c'est passionnel, voilà pourquoi c'est si difficile de se comprendre, car on tient l'un à l'autre comme des dingues et on a peur.
C'est donc voué à l'échec.
La passion est connue pour s'éteindre et j'ai peur, oui, que la présence de Keith soit ma cocaïne, que je ne puisse plus m'en passer. J'ai peur qu'il veuille en savoir plus sur mon passé que ce que je ne lui ai déjà avoué, et pire que tout, j'ai peur que mes incertitudes me rattrape.
— Un jour, j'espère faire partie des personnes que tu laisses entrer dans ta vie et que cette passion s'efface pour quelque chose de si solide qu'il nous sera impossible de nous séparer. Même quand on sera à bout de force. Je veux qu'on se face confiance. Je veux prendre soin de toi et rattraper le temps perdu. En tout cas, j'aimerais être assez important à tes yeux pour que me quitter ne te soit pas si facile.
— Ne dis pas ça, murmuré-je gênée.
Parler de rupture me fait mal.
— Quoi ? Qu'il est facile pour toi de me quitter ?
— Oui, dis-je dans un souffle.
C'est faux, ça ne sera jamais facile de le voir partir.
— C'est ce que je pense. Lorsque j'ai franchi le seuil de chez toi hier soir, j'ai pris une décision. Et décider d'être avec toi ne signifie pas rien pour moi.
Ça me rappelle sa demande de mariage. J'aurais aimé en parler même si je sais pertinemment que c'était sous le coup de l'impulsion. Mon esprit doit en faire le deuil. Keith ne s'engagerait pas sans réfléchir. Je doute qu'il était préparé à me voir débarquer à la réception. Je l'ai surpris et l'euphorie a fait le reste.
Je lui tends le verre d'eau, espérant détourner la conversation.
— Bois et retombe dans les bras de Morphée.
Il repousse doucement le verre pour capturer mon regard.
— Je pensais plutôt te prendre dans les miens.
Ses doigts viennent s'infiltrer dans mes cheveux. Ma respiration devient plus lourde, mon cœur semble peser une tonne, comme toujours avec lui.
— Et te faire du bien.
Nous faisons l'amour, doucement, précipitamment, puis tendrement, et follement. Rien n'est linéaire avec Keith tout est comme sur des montagnes russes. C'est magique, palpitant, l'adrénaline et ensuite, cette impression étrange : ce bonheur, presque imposteur...
Alors qu'il repose contre le mur, un coussin dans le dos, ses doigts effleurent doucement mon dos nu. Ma joue est posée sur son torse qui se soulève et s'abaisse tranquillement. Ma vision encore floue du plaisir qu'il m'a donné, je me sens dans un autre espace temps.
— Il pleut encore demain, pense à prendre un parapluie, dit-il alors qu'il zappe de chaîne en chaîne sur ma télévision.
— Il est tard, tu ne veux pas dormir ?
— Si.
Mais il ne bouche pas, ni éteint l'écran.
— Je viens te chercher à la sortie de ta représentation ? me demande-t-il.
Je comprends que cette question lui brulait les lèvres.
— Non, c'est bon. Je préfère que tu ne viennes pas, de toute façon.
— Pourquoi ?
— Comme ça.
Il me fait relever le menton pour pouvoir saisir mon regard.
— Cette fois, je ne serai pas en retard, promet-il.
— Ce n'est pas ça. Je préfère éviter les ragots. Beaucoup de filles connaissent Violetta.
C'est la vérité. Je préfère être honnête. Mais je sais qu'il finira par remarquer que peu de gens m'apprécient. Je n'ai aucune envie qu'il s'en rende compte trop vite et de devoir en discuter avec lui. Oui, je redoute le moment où il voudra en parler, où il sera sûr que je peux arranger les choses. Parce que pour Keith tout est réparable. Même les relations humaines désastreuses.
— Ok, dit-il simplement.
Ok. Encore ce mot : Ok... Ça me replonge des années en arrière et les mauvaises sensations. Des Ok qui m'exaspéraient, ses Ok quand il m'en voulait, les Ok qui signifiait que le message était compris et qu'il n'insisterait pas. Ils résonnaient souvent comme un couperet, une barrière entre nous.
— Qu'est-ce qu'il y a dans ta tête ? Dis-le moi, souffle-t-il tout bas.
Il s'allonge un peu plus près de moi, dépose un baiser au creux de mon cou, et cale son coude contre le matelas pour me surplomber légèrement. La lumière de la rue se reflète dans le patio, projetant une douce lueur sur les murs de mon appartement et son visage aux angles si masculins.
— Rien.
Même s'il est dubitatif, il ne fait rien paraître.
— Ton contrat se termine quand ? me demande-t-il.
— Dans deux ans.
— Deux ans... répète-il pensif.
— Et toi ?
— J'ai à peine terminé mon dernier film que je me suis engagé sur un autre. J'ai le casting, les producteurs et tout le conseil artistique. Nous devons commencer à tourner dans moins d'un mois.
Il marque une pause avant d'ajouter :
— Je savais que tu étais dans la région, mais je ne pensais pas te retrouver même si j'en rêvais. J'aurais voulu me consacrer à toi. Prendre le temps de nous retrouver. Je vais être satellisé loin d'ici.
Je l'écoute en silence. Keith a raison d'en parler. Nous avons besoin de cette discussion, de l'après, même si elle me plonge dans un flou terrifiant. Je préfère ne pas m'angoisser à l'avance.
— Combien de temps durera le tournage ?
— Minimum six mois, sauf imprévus.
Six mois. Un laps de temps qui me semble à la fois une éternité et un battement de cil dans notre histoire.
— Donc, tu ne tournes pas à Los Angeles cette année ?
On va devoir se séparer un temps.
— Une partie se passe en studio. J'ai loué des locaux. L'histoire se déroule à New York et la plage Rockaway.
La plage Rockaway ? Nous l'avions traversé ensemble une fois et nous étions arrêtés devant une baraque de sauveteur...
Son téléphone se met à sonner.
— Je dois répondre, dit-il en se levant. Mon équipe doit voyager avec le matériel jusqu'à New York. Ils prennent l'avion dans quatre heures.
Il enfile son caleçon, attrape son téléphone dans la poche de sa veste, et décroche sans hésiter. Je l'observe, fascinée malgré moi. Il ne fait rien pour cacher sa conversation, mais chaque fois que j'entends New York, je ne peux m'empêcher de frissonner.
Des images me reviennent comme un boomerang dans ma tête.
Lorsqu'il raccroche et revient à mes côté, je lui pose la question :
— Tu as toujours ton appartement là-bas ?
Il ne dévie pas le regard.
— Oui. Ça fait un bail que je n'y ait pas remis les pieds.
Il est séparé de Violetta depuis cinq mois. Il fêtait leurs fiançailles lorsque j'ai foutu la zizanie dans leur couple en me rendant à la cérémonie.
Je n'ose pas demander si elle habite toujours là-bas. Je me retiens de prononcer son nom. Ce matin de juillet, elle était venue pleurer devant mon travail, m'assurant qu'ils n'étaient plus ensemble. Je ne sais pas vraiment où en est leur relation. Se voient-ils toujours ? Partagent-ils encore des choses, des sentiments ?
Je me mords la langue pour m'empêcher de poser des questions. Il est tard. Nous sommes crevés. Ce n'est pas le moment de sortir les vieux dossiers.
Keith me fixe. Je me demande s'il est en train de m'analyser.
— Pour la première fois de ma carrière, j'ai envie de faire un break pour rester ici, avec toi.
Je le contemple, presque incrédule.
— Ne dis pas n'importe quoi. Tu commences à quelle heure demain ?
— Tôt.
Je lui pique la télécommande des mains et éteins la télévision.
— Tu es fatigué alors dors. Ne te plains pas si tu es crevé demain.
Son sourire s'élargit, mais une lueur malicieuse traverse son regard.
— Quand tu es aussi pragmatique, ça me donne envie de recommencer...
— T'es dingue.
Je lève les yeux au ciel, mais avant que je ne puisse répliquer, il se penche et capture ma bouche dans un baiser brûlant, plein d'urgence. Ses lèvres possèdent les miennes, et je me perds dans sa fièvre. Je bascule en arrière jusqu'à ce que mes omoplates rencontrent le matelas. Je plaque les doigts sur son torse. Le rythme frénétique de son cœur juste là, sous ma paume. La main chaude de Keith glisse sous mon genou et me rapproche davantage de lui. Il ne cesse ses baisers quand il chuchote entre deux souffles :
— J'ai tellement envie de toi. Tout le temps. Ça me fait peur...
Moi aussi, Keith. Et cette pensée, aussi dévorante qu'elle soit, m'effraie tout autant. Comment vais-je faire quand tu seras à New York ? Quand toutes les questions me boufferont la tête.
Mes mains tremblantes trouvent leur chemin entre nous. J'abaisse maladroitement son caleçon. Il m'aide. La chaleur de sa peau nue contre la mienne est presque trop intense. Mes seins pressés contre ses pectoraux déclenchent un désir étouffant. Nos lèvres se rencontrent et c'est le bien être absolu. Ses doigts suivent la courbe de ma hanche, gravent leur chemin jusqu'à mon visage.
— Tu es si douce, souffle-t-il.
Je retiens ma respiration lorsque son bassin se pose sur le mien, son sexe tendu effleurant ma peau sensible avec une douceur qui me torture. Son nom s'échappe de mes lèvres :
— Keith...
Il s'arrête un instant, ses yeux plongent dans les miens.
— As-tu seulement idée de ce que tu représentes pour moi ? murmure-t-il, les sourcils froncés.
Je caresse la légère barbe qui encadre sa bouche, mon regard ancré dans le sien. Timidement, je lui souris.
— Je t'aime, glisse-t-il avant de reprendre possession de mes lèvres.
Tomber trop vite, profondément amoureux. Quand tout autour disparaît et que le monde se réduit simplement à la chaleur des bras de l'être que l'on aime, au poids rassurant de son corps contre le sien, à l'unisson de nos souffles... Tu me passionnes, Keith. Je t'aime trop et ça me fait terrorise.
***
Voici un petit chapitre en plus. Un autre est déjà prêt à être posté. J'en ai écrit d'autres que je dois encore peaufiner. Je les posterai bientôt. J'espère que vous aimez les retrouver. Moi, ils me manquent. Leur fragilité, leur force...
J'aimerais que leur histoire soit rééditée. Je suis en discussion avec ma maison d'éditions. J'aimerais ajouter ces nouveaux chapitres. Qu'en pensez-vous ?
Je vous embrasse fort et vous souhaite une belle fin d'année.
Tessa
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