36. « Ni enchantement à rompre, ni amour rédempteur. »
Je franchis la porte aux alentours de vingt heures, le corps épuisé et l'esprit alourdi. La journée m'avait lessivé, et je n'avais qu'une envie : ne plus penser à rien.
Mais ce silence constant ici m'angoissait chaque fois un peu plus, pour une raison qui m'échappe. L'air de dire, que le calme ne demeurait jamais très longtemps auprès moi. L'air de dire que le fait que Thémis m'ais sorti des plans de vie de père ne voulait en aucun cas dire que la tempête cesserait de s'abattre.
Peut-être que je psychotais?
Peut-être qu'un jour cette maison immense et impeccablement ordonnée me semblera plus familière. Peut être qu'un jour, je m'y ferais. De toute manière je n'avais pas d'autre choix que de m'y faire. Thémis avait décidé d'en faire mon toit, et moi, j'avais consenti, faute d'alternative.
Une fois encore, je me laissai tomber sur le lit, espérant échapper au tumulte de mes incessantes pensées. Tycia m'avait demandé de l'aide pour sa campagne électorale, pour l'université. Elle avait besoin de mes conseils, de mon soutien. Alors, j'avais écouté.
Mais alors qu'elle répétait son discours, une vague de souvenirs m'avait submergée : ces journées simples où tout semblait parfait. Ces souvenirs, que j'avais si longtemps relégués à l'arrière-plan de ma mémoire, refirent surface sans prévenir. Des années d'école insouciantes. Ces jours où le plus gros de mes soucis était d'arriver à l'heure en classe après avoir passé la nuit à m'amuser avec... Lara.
Un soupir m'échappa, un soupir chargé de nostalgie et de douleur lorsque son nom me traverse l'esprit. Comment les choses avaient-elles pu m'échapper à ce point ? En si peu de temps ?
Je secouai la tête, refusant de me laisser envahir par ces souvenirs inutiles. Le passé n'avait plus sa place ici. Je me redressai, incapable de rester immobile. L'air ici devenant étouffant. J'avais besoin de bouger, de chasser tout cela. De tout oublier.
Les couloirs déserts s'étiraient devant moi, sombres et silencieux, comme les veines d'un corps vidé de toute vie. Chaque pas résonnait comme un rappel brutal que je n'appartenais pas à cet endroit. Les murs sur ma gauche, parés de tableaux glacés, semblaient me suivre du regard.
Ils observaient, jugeaient, attendaient.
Tout était impeccablement placé, d'une manière presque trop parfaite, froide même. Il y avait quelque chose d'inhérent à cet endroit. Son odeur, son atmosphère. Son aura. Quelque chose d'intrinsèquement oppressant. Thémis vivait ici seul, dans ce grand domaine. Outre les passages en coup de vent de Dario ou la présence discrète de Nonna en journée, il n'y avait aucune âme. Le mot « vivre » est inapproprié. Thémis dort ici, voilà tout. Il semblait rarement profiter de l'espace qui l'entourait, sauf pour... Enfin bref, je suis convaincue qu'en deux mois, j'ai passé plus de temps à errer ici que lui.
Une certaine référence à La Belle et la Bête résonnait en moi. Cette jeune femme, captive dans un immense domaine, entourée de mystères et de non-dits, seule avec un être à la fois fascinant et terrifiant. La comparaison me fit frissonner. Mais à la différence de Belle, je n'étais pas ici par choix. Et surtout, je n'avais aucune intention de m'attacher à la Bête.
Le domaine avait cette beauté froide, presque irréelle, où chaque pièce semblait conçue pour impressionner, pour intimider. Comme si chaque recoin murmurait : Tu n'es pas la bienvenue ici. Thémis, tel un fantôme, apparaissait et disparaissait, insaisissable, laissant derrière lui une aura de mystère. À bien des égards, il était comme la Bête, cloîtré dans son propre monde, replié sur ses secrets.
Mais ce n'était pas un conte de fées. Il n'y avait ni enchantement à rompre, ni amour rédempteur. Ici, les secrets étaient sombres, les intentions opaques. Et moi, je n'étais pas une princesse en quête de rédemption, mais une femme en quête de réponses.
Je longeai les couloirs, le cœur serré. Chaque pas résonnait dans cette immensité, un écho creux dans cet espace vide. Mes doigts effleuraient les murs, comme pour m'ancrer dans la réalité, pour me rappeler que ce lieu, aussi imposant soit-il, n'avait rien de magique. Il n'y avait ici qu'un homme, tourmenté par ses propres ténèbres, et moi, piégée par la nécessité de comprendre ce j'ai bien à voir avec tout cela.
Sur ma gauche des baies vitrées se dressaient, l'extérieur attira mon attention. Le ciel, teinté de rose par le coucher du soleil, contrastait avec la froideur intérieure de la maison. La lumière douce du soir évoquait des moments plus simples. Mais mon attention fut bientôt captée par la piscine extérieure. Je n'avais jamais ressenti le désir de m'y baigner, malgré la chaleur du soleil. L'endroit semblait trop parfait, comme un décor de film. Ou peut-être d'une série, quelque chose à la You, où tout est en apparence idyllique mais dissimule des secrets sombres et sanglants. Devrais-je craindre cette perfection ?
Alors que je contemplais la piscine, les bras croisés sur la poitrine, une étrange sensation me traversa. Un frisson. Mes yeux divaguèrent de nouveau dans ce couloir. Cette porte attire mon attention. La même porte que j'avais remarquée quelques jours plus tôt. Toujours fermée, toujours inaccessible. Elle se tenait là, discrète mais imposante, au bout du couloir. Depuis des jours, elle hantait mes pensées. Quelque chose de différent me poussait cette fois-ci à avancer. Une curiosité brûlante, mêlée d'une angoisse sourde. Cette porte m'appelait.
« Que caches-tu, cher Falconetti ? »
murmurai-je en me détournant du tableau.
Mon cœur battait la chamade. Tout ici regorgeait de secrets, tout comme son propriétaire. Mais à la différence de la Belle, je ne voulais pas apprivoiser la Bête. Je voulais la confronter, la forcer à dévoiler ses vérités.
J'avançais grandement en sa direction, mais rapidement je m'arrêtais un instant. Une hésitation étrange m'envahit, me paralysant un instant. Devrais-je vraiment entrer ? Et si j'envahissais son intimité ? Et si entrer dans cette pièce reviendrait à dépasser LA limite ?
Tandis que je me contentais de l'observer, les bras croisés sur la poitrine, une étrange sensation me traversa l'échine. M'infligeant une contraction des sourcils. Je ne devais plus reculer.
Après tout, ma vie, mon intimité, ma tranquillité d'esprit, mon quotidien il me les a volées sans même me demander mon avis. L'ironie de la chose me fit presque sourire.
Je pris une grande inspiration, me dirigeant vers cette porte interdite. Mon esprit en ébullition, oscillant entre la peur et la détermination. Si Thémis était la Bête de cette histoire, alors je devais être celle qui brisera le sortilège, non pas par amour, mais par la force de la vérité.
Désormais face à elle, des frissons m'envahirent. Ce n'était pas simplement la fraîcheur du manoir. Un étrange mélange de chaleur et de froid m'envahit à l'instant où j'élevais la main vers la poignée. Quelque chose d'inexplicable. Une sensation qui se transforme rapidement en un sentiment de danger. Thémis cachait quelque chose ici, et je n'avais plus le luxe de reculer. Je déglutis, hésitante. Mes doigts légèrement tremblant. J'ai pris une grande inspiration mais alors que je me préparais à franchir cette limite interdite, mon téléphone vibra.
Un écho de la réalité. Ugo. Sa voix juvénile et innocente me rappela à l'ordre, me ramenant, ne serait-ce qu'un instant, à ce qui comptait vraiment. Je lâchais un soupir.
— Ugo ?
— Gem', est-ce que tu vas bien ? me demande le jeune brun.
Je souris faiblement en entendant sa voix. Un bref moment de répit dans ce chaos.
La douceur de son parfum, la bonté de ses câlins réconfortants et ses douces paroles m'assurant de ne jamais prêter attention à celle de mère. C'est ce qui me manquait actuellement. D'un côté j'étais là grande soeur mais le réconfort, lui savait me le donner.
— Ne t'inquiète pas. Tout s'arrangera très vite. Ne dis simplement pas aux parents que tu m'as eu ou que tu as des nouvelles de moi, appelle moi simplement lorsque tu es isolé.
Il était jeune, encore innocent face à tout ce qui se passait. Je devais tout faire pour l'en préserver.
— Mais maman pleure beaucoup. Elle refuse de se reposer.
Mère par ci, mère par là. Elle trouve toujours le moyen d'avoir son quart d'heure d'attention. La clé ? C'est de l'ignorer.
Ça a le don de la rendre folle mais ainsi, on a un semblant de paix.
— Je ne sais pas pourquoi elle pleure, mais ce n'est certainement pas à cause de moi.
Certainement pour ses fleurs saccagé, pour sa réception partie en fusillade, pour son images totalement saccagée ou alors parce que Monsieur Turan menace de leur faire la peau pour cette humiliation ? Mais certainement pas pour moi, sa fille supposément kidnapper.
— Je suis en sécurité ne t'inquiète pas—
— Papa dit qu'il a lancé les recherches et qu'il fera la peau à cet homme. Maman dit que c'est de sa faute avec son nom incalculable d'ennemi.
Ils ont tous deux un besoin insensé de tout ramener à leur petite personne. Thémis n'est pas un ennemi de père. Ils ne se connaissent pas. S'il a fait ça, c'est pour moi.
— Ne te préoccupe plus de ce qu'ils peuvent dire, toi tu sais que je vais bien. Veille à garder le silence.
Il était rassuré, mais il y avait toujours cette petite inquiétude qui flottait dans sa voix. Ce n'était pas facile de le laisser dans l'ignorance.
— D'accord. J'avais juste besoin d'entendre le son de ta voix. Papa approche, je dois te laisser.
— Je t'aime, Ugo.
— Moi aussi.
L'appel se coupa soudainement, et je restai un instant là, tenant mon téléphone dans ma main. Il fallait que j'assure, pour lui, que tout allait bien, même si au fond, je ne savais pas du tout ce qui m'attendait.
Je repris ma respiration, et dans un élan d'audace, j'abaissai la poignée. Elle céda sans résistance.
L'air qui s'échappa de la pièce était lourd, stagnant, comme si le temps lui-même s'était arrêté. Une odeur âcre flottait, celle des souvenirs moisis et des secrets trop longtemps cachés. Mes yeux s'accrochèrent immédiatement à un tableau. Et j'ai bien cru que mon cœur allait s'arrêter d'une seconde à l'autre. Mais j'ai d'abord penser halluciner. Ce n'était pas qu'un simple tableau. C'était une collection de moments capturés, un enchevêtrement de souvenirs qu'il n'avait pas le droit de m'imposer ou encore de posséder. Des fragments de mon passé, arrachés à mon insu.
Moi. Mon père. Moi encore. Ma famille. Chaque image me poignarde, ranimant des blessures que je pensais cicatrisées. Comment Thémis avait-il obtenu ces photos ? Pourquoi ?
Chaque cliché semblait avoir été pris à un moment où je ne l'avais pas remarqué, un instant où j'étais vulnérable, où encore lorsque j'étais encore un enfant.
La colère monta, brûlante, incontrôlable. Ces souvenirs n'étaient pas simplement des souvenirs. C'était une trahison, une violation de mon intimité. Je me sentais piégée, exposée. Mon histoire dérobée et moi manipulée. Les larmes commencèrent à couler, mes mains tremblaient, mes ongles s'enfonçant dans ma peau. C'était comme si je pouvais encore ressentir la chaleur de chaque souvenir, chaque image.
Un flash. La voix de Lara résonna dans mon esprit. « Détrompe-toi ! Tu ne le connais pas si bien que ça. Ni lui, ni ses motivations. »
La colère montait en moi à l'idée qu'elle puisse avoir raison malgré toute cette douleur qu'elle m'avait déjà causé. En fait, je n'avais pas fini d'être déçu. Enfin, je me ressaisis. Je pris une grande inspiration, mes yeux fixés sur la porte. Avec une énergie nouvelle, je m'éloignai du tableau, des photos, de tout ce qu'il y avait dans cette pièce. D'un pas précipité, je quittai la pièce, refermant la porte derrière moi avec une violence sourde, comme pour faire disparaître à jamais ce que je venais de découvrir.
Peut-être étais-ce une blague ?
Et là, je tombai face à face avec Nonna. Elle se tenait là, surprise, mais ce n'était pas l'étonnement qui marquait son visage. Non, c'était autre chose, quelque chose qui ressemblait à de la culpabilité, de la honte.
Pourquoi ce regard ? Pourquoi cette gêne soudaine dans son attitude ? Est-ce qu'elle savait ? Pourquoi est-ce que je me demande si elle au moins ne me décevrait pas ?
Elle aussi, sa quiétude ne doit être qu'un leurre. Son calme qu'un voile. Rien ici n'était paisible. Tout n'était que façade. Et fallait que je me face à cette idée.
— Hija mia... Sa voix douce, presque suppliquante, me fit frémir.
Je reculai brusquement, une vague de froid me traversa. Je la regardai, ses bras, sa tendresse, tout ça m'écoeurait, m'étouffait.
De la manipulation. C'est ce qu'elle fait.
— Ne me touchez pas. Ma voix tremblait, brisée, en même temps que mes jambes flageolaient sous le poids de l'horreur que je venais de découvrir.
Je ne connaissais pas ces gens. Des étrangers, comme des fantômes qui, ayant pris possession de mes souvenirs, se foutent librement de moi. Ils me connaissaient bien plus que je ne l'aurais imaginé. Et ça, c'est ce qui m'était encore plus insupportable.
Lara avait raison, je n'étais qu'une ignorante. Une ignorante me laissant bercer par l'idée que tout autour de moi était aussi insouciant, innocent.
Elle avait raison. J'avais ignoré ses avertissements une fois, mais je ne le ferai plus. Je découvrirai la vérité, et je le ferai payer. J'ai raté l'occasion une fois de me méfier. Ça n'arrivera pas une seconde fois. Je vais découvrir ce qu'il me veut. Le confronter. Le faire souffrir de toutes les manières possibles, qu'il s'en souvienne après sa mort.
Thémis Falconetti, peu importe qui tu es. Tu es un homme mort !
~
À très vite !
With love Ana. ✨
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