chapitre 1. Peu avant la tempête



Cela fait un peu plus d'une année que ma province d'origine est devenue mon pays. Après la sécession, bon nombre de choses y ont changé, sauf le quotidien de ma famille. Mon père se veut toujours de l'époque coloniale comme il y a peu. Oui, parce que la sécession de ma province n'a eu lieu que quelques jours après l'indépendance de mon pays. C'était la belle époque selon lui, pas étonnant quand on fait partie des colons. Ma mère, elle, est une Katangaise typique.


Nous somme le treize septembre, date encrée dans mon esprit. C'est l'anniversaire de ma mère. Contrairement aux autres fois, ce matin était particulièrement tendu. Mes parents ce sont littéralement déchirés, je ne les avait encore jamais vu comme ça. C'était violent et mon père semble le plus meurtri. Il est assez sensible, mais surtout très amoureux de ma mère.


Il est treize heures, la journée est belle et la douce chaleur du soleil réchauffe mes épaules nues. Je me rends à pied à l'entreprise où travaille mon père et  pour lui faire plaisir, j'ai mis la petite robe jaune qu'il m'a offerte il y a quelques jours. En temps normal, je préfère les culottes et les pantalons. Mais mon père dit que ce n'est pas un accoutrement digne de sa «princesse». Alors il sature ma garde robe de jupes, de blouses et de robes.


Mais mon père n'est pas le seul que je vais voir, il y a aussi Hervé, l'amour de ma vie, mon premier amour. Il est orphelin et vit avec son oncle, sa tante et son cousin Djibril. Il fait des études de droit et travaille comme journalier pour l'entreprise minière que codirige mon père.


J'arrive enfin. Je viens m'assurer que mon père va bien et aussi pour la énième fois essayer de le convaincre  de m'aider à obtenir un stage dans l'entreprise. Je m'intéresse beaucoup au secteur minier. Je croise les doigts, cette fois sera peut-être la bonne.


J'arrive à la réception. Je salue Mireille, la réceptionniste. Elle me répond avec le sourire. Je l'aime bien celle la, elle ne perd jamais son sourire. Elle m'annonce et deux minutes plus tard, je peux monter.


Je toque et entre dans le bureau. Mon père est au téléphone. J'avance vers lui toute souriante. Il raccroche et se lève pour me prendre dans ses bras. Je me blottis contre lui, je suis minuscule face à lui. Il dépose un baiser sur ma tempe droite.



—Ça va ma princesse ?

—Oui je vais bien papa. Mais pas toi on dirait. Je vous ai entendu vous disputer ce matin maman et toi.
Je voulais voir comment tu allais, dis-je en m'asseyant sur le fauteuil à côté.

—Je vais bien ma chérie ne t'en fais pas, dit-il un brin de tristesse sur son visage. Quelque chose me dit qu'il y a une autre raison à ta venue. Je crois savoir laquelle et tu connais ma réponse, fit-il d'un air taquin.
Et je tiens à souligner que le fait que tu portes cette magnifique robe ne changera pas mon avis.

—Papa... s'il te plaît. On est au vingtième siècle, en 1961 qui plus est, et les femmes peuvent travailler dans plusieurs domaines tu sais !

—Oui mais ma reine et ma princesse n'ont nullement besoin de travailler. Je surviendrai à tous vos besoins.

—Ce n'est pas juste papa.

—La vie n'est pas toujours juste Malaïka tu devrais le savoir.


Je boude dans mon fauteuil et il tente de m'arracher un sourire en changeant de sujet.


—Par contre Hervé travaille bien. Le staff des directeurs a décidé de le mettre à l'essai pendant trois mois et si tout vas bien il aura un contrat permanent.

—Tu es sérieux ? dis-je tout heureuse.

—Oui, Je m'assure qu'il s'applique bien. Je tiens à ce que la relève soit bonne. Je ne vais pas confier ma princesse à n'importe qui.

—Tu sais pour nous ? m'étonné-je.

—Depuis un bon moment.

—Papa ! dis-je gênée.

—C'est un garçon bien et responsable. Je commence à l'apprécier. Mais pas un mot à ta mère tu sais comment elle est.

—Oui savoir que je vois quelqu'un la rendrai hystérique.


Ma mère a toujours été très protectrice avec moi. Un peu trop même. Si ça ne dépendait que d'elle, je ne sortirai jamais de la maison. C'est comme si elle craignait quelque chose, quelque chose d'évidant pour elle. Heureusement que mon père est là, grâce à lui, j'ai à peu près une vie normale. Mais après la violente dispute qu'ils ont eu ce matin, j'ai bien peur que les choses ne changent.


—En parlant de ta mère tiens, donne lui cette lettre de ma part.

—Pourquoi tu n'appelle pas à la maison pour parler avec elle ?

—Sois gentille chérie donne la lui. Ne pose pas de question.

—D'accord papa, dis-je en prenant la lettre.

—Je dois me remettre au travail. On se voit ce soir.

—D'accord papa.


Il me prend dans ses bras et dépose un baiser sur ma tempe gauche pour l'équilibre, a-t-il l'habitude de dire. Il me prend toujours pour une petite fille, et je crois bien que ça ne changera jamais.


—Je t'aime princesse.

—Je t'aime aussi papa, dis-je avant de quitter son bureau.


Je met la lettre dans la poche de ma robe et me dirige vers la zone de criblage. Hervé travaille comme cribleur ici à l'entreprise depuis un an déjà. Je trouve que ce travail a aiguisé sa perception et son sens de l'observation. Je me dirrige tout sourire vers cette espace bruyant. Mon coeur bat la chamade à l'idée de le revoir. On s'est vu hier soir mais il me manque déjà.


J'arrive très vite et ses collègues se mettent à siffler quand ils me voient. Ce qui attire son attention. Il relève la tête et quand il me voit, un sourire se dessine sur ses lèvres. Il fait signe à un de ses collègue de le remplacer pendant qu'il avance vers moi.


Il a un tee-shirt en tissu épais, sous une salopette rigide, un casque, des gans épais et des chaussures de sécurité. En réponse aux sifflement de ses collègues, il me prend dans ses bras, en faisant bien attention de ne pas me salir et dépose un chaste baiser sur mes lèvres.


Ce qui les fait siffler encore plus. Il me souffle doucement à l'oreille de le suivre.
Il me prend par la main et m'emmène dehors. On marche côte à côte, main dans la main. Ses yeux sur moi et son contact me font toujours autant frémir que la première fois que je l'ai vu dans cette rue.


—Tu es magnifique dans cette robe. Ça te change un peu de tous ces pantalons.

—Tu ne les aime pas ?

—Oh si si beaucoup. Surtout celui que tu as mis hier soir.


On s'arrête un moment, loin des regards indiscrets et il m'embrasse passionnément. Ce n'est pas permis en milieu de travail et avec mon père dans les parages, il vaut mieux prendre des précautions. Il me regarde dans les yeux et sourit.

—Tu m'as manqué, je lui dis.

—Toi aussi, répond-il.

—Mon père sait pour nous.

—Quoi ? Depuis quand ?

—Depuis un moment déjà, mais ne t'en fais pas il n'est pas contre.

—Tu en est sûre ?

—Absolument.

—Je l'espère en tout cas, fit-il avec un brin d'inquiétude en se caressant la nuque. Ce soir, je passe te prendre j'ai quelque chose à te montrer, dit-il en me prenant dans ses bras.

—Ah oui et c'est quoi ? dis-je en le resserrant contre moi.

—C'est une surprise et je suis sûr qu'elle va te plaire.

—Allez ! Dis-moi ce que c'est ! Allez !

—Non, non non ce soir.

—C'est trop long jusqu'au soir.

—Un peu de patience miss Jacobs. Ce n'est que dans quelques heures.
Je dois y retourner. Je t'aime Mala, dit-il avant de prendre mon visage en coupe avant de m'embrasser tendrement.

—Je vous aime aussi Monsieur Kapend.

On entend crier son nom depuis l'intérieur. Il soupire et me serre contre lui avant de courir vers son lieu de travail.

—A ce soir Mala, me crie-t-il en s'éloignant.

Je reste là, un sourire sur les lèvres, le regardant disparaître dans cet imposant bâtiment avant de me mettre en route pour la maison, comme j'étais venue.

Je l'aime tellement et je me considère très chanceuse de l'avoir rencontré. Il est tendre et attentionné, et le fait qu'il se batte pour s'en sortir, me fait l'admirer encore plus. La vie n'a jamais été facile pour lui, ce n'est pas comme moi qui suis une fille à papa qui a toujours ce qu'elle veut.
Je traverse la grande avenue et prend une rue non loin. La ville est d'un calme inhabituel. Les rues sont désertes. C'est étrange ces rues sont souvent animées.

Un frisson me traverse. Je me sens tout à coup en danger, et j'accélère mes pas. Quand soudain, j'entends une détonation. Le bruit est tellement fort qu'il me bouche partiellement les oreilles. Par reflexe, je m'accroupie les mains sur la tête. Je vois ensuite des hommes armés, civiles et militaires. Ils arrivent de nulle part.
Il y a des cris, des gens affolés qui courent dans toutes les directions. Que se passe-t-il ? Ces hommes armés, cette débandade, est-ce un attentat ? une guerre ? De nombreuses questions fusent dans ma tête, mais je n'ai pas le temps d'y répondre. Il faut courir.


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