Les voix
You been so understanding, you been so good
And I'm puttin' you through more than one ever should
And I'm hating myself 'cause you don't want to
Admit that it hurts you »
Ghostin — Ariana Grande
Sur la route, l'esprit embrumé par les derniers événements, j'essayais d'oublier mon abjection.
L'échange muet qui m'avait lié à Will avant qu'il ne parte, la souffrance que celui-ci avait dû ressentir sans broncher, tout cela me rongeait... Il s'était oublié, ne pensant qu'à moi.
Le courant froid de la culpabilité parcourut alors mon échine. Instinctivement, je me mis à rechercher une source de chaleur, une source de bonheur.
J'identifiai alors les couleurs vives ornant le paysage. Au fil de la vitesse, les roses, les oranges, les rouges, les verts et les jaunes automnaux dessinaient un tableau d'une immense beauté. L'hiver, quant à lui, semblait s'installer doucement, dévorant le soleil de son manteau froid.
— Qu'est-ce qu'il te voulait l'autre ?
Je pris le plus grand soin de l'ignorer et de continuer ma contemplation du paysage. Cette explosion de nature me réchauffait le cœur.
Je pensai aux lèvres de Will sur les miennes et à la chaleur que j'avais ressentie. Tout semblait s'accorder à merveille, harmonique. Sa peau, chaude et rassurante comme le soleil se dessinant à l'horizon ; les couleurs de l'hiver approchant, plus calmes, comme son regard pénétrant.
— Ça te fait plaisir de m'ignorer ?
La voix me semblait lointaine, comme parvenant d'un autre monde auquel j'avais cessé de faire partie. J'aurais voulu lui répondre, par politesse, mais j'en étais incapable.
J'essayai donc de quitter mon univers pour lui prêter attention. Je clignai alors lascivement des yeux dans sa direction.
— Qu'est-ce qu'il t'a fait putain ? s'écria-t-il.
Je tentai de lui faire comprendre qu'il n'était pas utile de hurler. Il le prit mal. Une nouvelle dispute éclata.
— Tu vas la fermer Sarah et vite ! Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
— Mais rien ! Arrête un peu à la fin ! Et si tu veux que je la ferme alors, arrête de venir me PARLER !
— Je ne le répèterai pas une fois de plus ! Qu'est-ce que ce connard t'a fait ?
Je ne sais pas où il emmagasinait toute cette énergie et cette haine pour me hurler dessus. Personnellement, je fatiguais vite. Alors je me tus essayant d'éviter d'entrer dans son jeu.
Je tournai une nouvelle fois mon regard en direction du paysage pour me renfermer dans ma bulle, mais cette dernière avait déjà éclaté. Le soleil m'abandonna derrière les arbres me laissant seule face à mon bourreau. Par chance, la voiture s'arrêta dans mon allée.
Il allait falloir que je me dépêche pour lui échapper.
Trop tard. Avant que je ne puisse saisir la poignée de la portière, Antoine la verrouilla pour m'obliger à lui faire face.
— Je ne te laisserai pas sortir de cette bagnole tant que tu n'auras pas répondu à ma question.
— Je ne répondrai pas Antoine, ça en devient absurde. Passe une bonne soirée, on se verra demain.
Il m'agrippa les avant-bras, pressant fortement ma peau sur les côtés. Cette dernière se mit à cuire. Je me concentrai pour lui offrir un regard impassible.
— Réponds !
— William m'a simplement écoutée. Il a essayé de me faire oublier ce que tu avais fait. Il s'est excusé pour des choses que tu avais faites ! Tu devrais le remercier, parce que sans lui tu serais rentré tout seul ce soir. J'en ai assez de toi, assez des bleus que je dois tout le temps justifier en disant que j'ai glissé, que je suis maladroite ou d'autres choses idiotes de ce genre que personne ne croit ! Alors, écoute-moi bien, tu vas arrêter de l'insulter parce que sans lui je ne sais pas où je serais à l'heure qu'il est ! Je veux bien te pardonner pour cette fois grâce à lui. Sur ce à demain mon amour !
Je profitai de sa stupeur pour déverrouiller l'automobile. Une fois dehors, je me dépêchai de regagner la maison pour m'enfermer à l'intérieur. Il fallait que je me protège, avant qu'il ne reprenne ses esprits.
— Sarah, reviens ici tout de suite je crois qu'on a des comptes à régler !
Je venais juste de glisser ma clef dans la serrure de la porte quand il me saisit par-derrière. Trop tard. Tout se passa à une extrême vitesse. Il prit ma tête d'une main et la plaqua sur la poignée de la porte, je sentis un liquide chaud s'écouler sur mon front, l'odeur du sang commença à me donner le tournis.
Je me débattis, mais déjà les forces me lâchaient. Je m'évanouis.
*
* *
J'eus l'impression de flotter, doucement, dans un univers sombre et silencieux. Je devais probablement être morte. Je me sentais paisible, libérée, bercée par le mouvement de l'air mystique qui m'entourait. Plus rien n'avait d'importance.
La seule chose qui me faisait encore souffrir était de devoir les laisser. Tous. Julie, Alex... William.
C'était mieux ainsi.
Les chaînes de la vie, ces chaînes asphyxiantes se détachèrent de mon être me laissant doucement et sans crainte glisser vers l'inconscience de l'après vie.
— Sarah réveille-toi ça va aller !
— Elle saigne beaucoup...
— Ne dis pas ça ! Le médecin a dit qu'elle n'avait rien de grave. Elle va saigner pendant encore un petit moment, mais ça va passer... c'est sûr !
— Ouais, ouais... Oh, sœurette ce n'est pas le moment de flancher !
— N'écoute pas ton frère, il est à côté de la plaque. Prends le temps qu'il faudra.
— C'est sûr qu'en disant ça elle va se réveiller ! Tu ne connais pas ma sœur : une vraie flemmarde !
— Ça doit être de famille alors, marmonna la voix.
C'était agréable de les entendre, moi qui croyais qu'il n'y avait rien après la mort, je ne voulais pas que ces voix familières s'arrêtent...
— Tu aurais dû me laisser le fracasser, marmonna un des deux.
— Ce n'est pas le moment de finir en prison !
— Si tu le dis...
De qui parle-t-il ? J'ai l'impression de les connaître.
— Regarde, elle a bougé les doigts ! Réveille-toi mon ange !
— Arrête de l'appeler comme ça, si ma tante rentre on est mort tous les trois... et puis ça me file la gerbe.
— Mon ange, angel, my love ! susurra la voix d'un ton taquin.
— Will, réussis-je à murmurer.
J'émergeai difficilement. Mes paupières semblaient peser une tonne. Mon crâne semblait jouer du tambourin. Mes bras semblaient inutilisables.
Petit à petit, je retrouvai une once de motricité et réussis à sourire à mes visiteurs. Mon cœur se mit à battre quand je remarquai qu'un grand sourire de soulagement s'étirait sur le visage de chacun d'eux.
« Ça fait du bien de se savoir entourée », pensai-je.
Je regardai mon petit ami amoureusement. William de son côté ne me quittait pas des yeux.
Alex se mit alors à dandiner sur place. Il m'embrassa sur le front, avant de quitter la pièce pour nous laisser en tête à tête. Je le regardai filer, adorablement gêné.
Une fois seule j'eus envie de sentir Will contre moi. Mais au lieu de ça, c'est la douleur de ma blessure que je sentis. Cette dernière se réveilla, infernale et cuisante.
Je portai la main à ma tête pour effleurer un bandage humide. Will me prit instinctivement la main, pour m'éviter de me faire mal, et me proposa de changer mon pansement. J'acquiesçai, reconnaissante de le voir à mes petits soins.
— Je ne sais pas combien de fois je vais devoir te dire ça, mais je suis désolé, dit-il en me soignant. Ça n'aurait pas dû arriver.
Je me redressai un peu plus pour le laisser s'asseoir près de moi. Je le vis hésiter, comme s'il pensait ne pas mériter mon attention.
Finalement, il hocha la tête et se colla contre moi. Il continua de me bander la tête avec soin, son souffle contre ma peau, ses yeux concentrés comme si sa vie en dépendait.
Une fois le pansement propre terminé il me prit enfin, délicatement, dans les bras.
J'appréciai son tact, toutes les précautions qu'il prenait pour que je me sente bien, pour minimiser les dégâts. Déjà je me sentais mieux.
J'essayai alors, à mon tour, de détendre l'atmosphère.
— Tu n'as pas à t'excuser, tu n'as rien fait ! Bon c'est dommage qu'Halloween soit déjà passée, j'aurais pu arriver avec un déguisement hyper réaliste ! Ça aurait été une super soirée.
Il rigola jaune, se sentant coupable d'un crime qu'il n'avait même pas commis. J'aurais aimé qu'il ne se sente aucunement responsable. Qu'il comprenne que je ne lui en voulais pas, au contraire, et qu'il n'avait aucune raison de s'en vouloir.
— Tu n'y es pour rien Will, le seul responsable c'est Antoine. Tu le sais ?
— Ce n'est pas une raison. Il ne devait rien t'arriver. Je t'avais promis qu'il ne t'arriverait rien. J'aurais dû empêcher cet enfoiré de te...
— Tu étais là ! le coupai-je. Je te jure que je n'ai pas arrêté de penser à toi, ça m'a aidé à ne pas craquer. J'avais peur de lui donner raison comme je le fais toujours, mais je ne pensais qu'à toi et ça m'a aidée à rester forte. C'est peut-être absurde, mais je t'assure que c'est vrai. Et puis tu n'as pas le droit de t'en vouloir, si vous n'étiez pas intervenu je ne sais pas comment ça aurait fini.
Il soupira un long moment, se murant dans un silence des plus complets.
Il semblait douter, ne pas comprendre, ne pas vouloir comprendre. Il semblait prier pour que rien de tout ça ne soit réel.
J'essayais de me mettre à sa place. Je savais ce qu'il devait ressentir, dans la situation inverse je me serais sentie coincée, impuissante.
— Il va finir par te tuer, tu le sais ?
Ses paroles étaient mécaniques. Il devait avoir tourné et retourné cette idée en boucle depuis mon évanouissement, idée qui semblait à la fois le rebuter et l'effrayer.
Ça ne devait pas être facile. Si j'avais été à sa place, j'aurais tout fait pour que ça s'arrête, ne supportant pas l'idée de le voir souffrir. Moi, je le bloquais, lui interdisais d'intervenir et d'entrer dans le conflit. Ça le rongeait et il ne pouvait naturellement pas l'accepter.
Il se releva d'un coup et s'agenouilla devant moi.
— Tu crois vraiment que je te laisserais partir comme ça ?
— Bien sûr, je suis tellement insupportable ! Tu changeras d'avis !
Je le taquinai et rigolai pour dédramatiser la situation. Mon rire fut le seul à résonner dans la pièce. Je me calmai alors pour ne pas le vexer. Toujours sérieux il prit doucement ma joue dans la paume de sa main.
— Jamais, murmura-t-il.
Je mordis doucement mes lèvres cherchant une échappatoire à la discussion. Elle ne mènerait nulle part.
J'aurais aimé pouvoir lui affirmer que tout serait bientôt terminé et que l'on allait pouvoir vivre, simplement, notre amour. Mais j'avais l'impression de ne pas pouvoir échapper aux désirs de ma tante et par conséquent je ne pouvais échapper à Antoine. Et surtout, j'étais le seul mur pouvant séparer Antoine et William.
Sans moi, Will entrerait directement et définitivement en conflit avec ce psychopathe et je ne savais pas jusqu'où cela pourrait aller.
— Parlons d'autres choses, comment m'as-tu sauvé cette fois ? minaudai-je.
— Je lui ai cassé le nez.
Malgré mes tentatives, pas une once de plaisanterie ne pouvait se lire dans les traits de son visage. Ses yeux restèrent fermés à mon sourire.
Moins d'un jour s'était écoulé et la situation allait déjà trop loin. J'avais l'impression d'être l'élément déclencheur d'une guerre dont j'avais terriblement peur de connaître l'issue.
— Tu ne devrais plus l'approcher Will.
Il remit une mèche de mes cheveux en place et me sourit. Enfin. La douceur revint dans ses gestes. Il plongea son regard dans le mien et respira longuement pour calmer ses émotions avant de me dire.
— Je t'ai promis de te protéger, me semble-t-il ?
Je le regardai, scrutai la perfection de son visage, passant ma main dans ses cheveux blonds, dessinant le contour de ses yeux, de ses lèvres.
Un bruit sourd m'arracha à ce moment d'intimité. Surprise, je tournai brusquement la tête. J'eus alors l'impression qu'une boule de bowling se baladait librement dans mon crâne ce qui m'arracha un cri de douleur.
— Ça va ?
— Ouais, rappelle-moi juste de ne pas bouger trop vite !
Nous partîmes dans un éclat de rire nerveux, si fort, que mes abdos me brûlèrent. Je réussis à me calmer quand Will me serra contre lui avec force.
Je lui donnai un baiser, aussi intense et doux que la première fois. Instinctivement, il se colla contre moi plaçant son corps au contour du mien. Mon pouls s'accéléra, entraînant mon souffle. Une sensation de désir, inconnue jusqu'alors, parcourut mon corps entier.
Effrayée, je le repoussai légèrement. Il n'eut pas l'air surpris et se contenta de me bercer. Je n'avais rien besoin de lui expliquer : il écoutait mes mouvements, mes paroles, mes regards et me comprenait.
Nous restâmes un moment, l'un contre l'autre, en silence. Mais, j'avais une dernière discussion à avoir avec lui, une discussion sur laquelle je ne pouvais pas faire d'impasse. Je me lançai :
— Will ?
— Hum ?
Il était ailleurs, préoccupé, mais je savais qu'il m'écouterait.
— Je suis désolée pour tout à l'heure.
— Pour quoi ?
Il se redressa pour mieux me voir.
— Pour tout à l'heure quand... quand tu m'as ramenée à sa voiture. Je ne voulais pas que tu voies ça.
Pas de réponse.
— Je déteste quand il me touche...
Toujours rien, je pris son visage entre mes paumes. Son regard se fit plus dur comme à chaque fois qu'il essayait de masquer ses émotions. Il détourna les yeux.
— Je sais que ça t'a blessé. Je te promets que si j'avais pu je l'aurais giflé...
Comme il ne répondait toujours pas, je l'obligeai à me faire face.
— Pardonne-moi...
— Arrête de t'excuser ! S'il te plait. Je ne t'en veux pas. C'est à lui que j'en veux. Ça l'éclate de te faire souffrir. Tu te rends au moins compte qu'il en est fier ? Tu es son jouet Sarah ! Ce type est persuadé que... tu l'aimes.
— Et il a tort ! La seule raison pour laquelle je reste avec lui : c'est ma tante. Dès que ce problème sera réglé, on n'en entendra plus jamais parler. Je me fiche de lui. Pire que ça : il me dégoûte. Tu n'as pas à être jaloux, je te le promets.
— Je ne suis pas...
Je le fixai droit dans les yeux avant d'embrasser son cou, l'empêchant de finir sa phrase.
— Bon d'accord... je suis jaloux. Ça me rend dingue.
— Je le déteste, murmurai-je
J'agrippai ses cheveux et plaquai encore une fois ses lèvres sur les miennes. Mon corps retrouva sa place auprès du sien, le serrant plus fort, toujours plus fort.
— Toc, toc...
William tomba du canapé, le plus loin possible de moi, une réaction digne de celle d'un enfant prit par ses parents en train de voler des bonbons. Alex, quant à lui, ne sembla pas gêné pour un sou !
— Je croyais que tu devais nous laisser tranquilles !
— Oui, mais notre tata préférée arrive et je ne crois pas que tu aimerais qu'elle te voie dans les bras de ce beau jouvenceau.
L'intéressé lui balança un coussin dans la figure, ce qui fit partir mon frère dans un élan d'hilarité incontrôlable et stupide.
— Il va falloir que tu la retiennes une heure ou deux, le temps que je trouve le courage de dire à Will de partir.
— Il peut toujours rester.
— Très drôle Alex.
— Si tu ne veux pas que je reste, marmonna William.
— Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi, je tiens à ta vie !
— Tu n'as plus le droit de voir des amis maintenant ? me glissa Alex. Évitez juste de vous embrasser et tout ira bien. Quoique finalement ça risque d'être difficile !
Il me regarda d'un air faussement inquisiteur, un sourcil plus haut que l'autre, se foutant ouvertement de notre gueule.
— Très drôle !
— Non, mais c'est vrai je me demande comment vous avez fait pour vous retenir pendant tout ce temps. On dirait deux sangsues.
— Tu veux dire comment elle a fait ? Parce qu'honnêtement si ça n'avait tenu qu'à moi...
— Vous avez fini ? rouspétai-je. Bon, Will, je sais que tu aurais été très heureux de rencontrer ma tante, mais je préfère garder ça pour une autre fois.
Je me levai du canapé et lui tendis la main pour l'inciter à faire de même. Il commença à se redresser puis se ravisa.
— Si je m'en vais, tu lui parleras de ton « accident » ?
— Elle ne me croira jamais !
Il secoua la tête avant de lâcher un long soupir d'agacement. Il quitta malgré tout le canapé et embrassa délicatement mon front endolori. S'il croyait me faire céder avec ses gestes à la Roméo, il se fourrait le doigt dans l'œil. Je cherchai l'accord silencieux de mon frère, mais ce dernier me signifia sans aucune honte qu'il se trouvait dans le camp ennemi.
— S'il te plait ? renchérit William pour enfoncer le clou.
— Je te promets d'essayer de lui parler.
Je me retrouvai en un instant calée contre sa poitrine, à un doigt de fusionner définitivement avec son corps tellement il me serra fort. Puis il s'échappa sans un mot par la porte de derrière. Au même instant j'entendis Noémie pénétrer dans la maison.
*******************
Ecoutez la petite voix qui vous dit que tout ira bien,
Elle a toujours raison,
Elle sait.
Au plaisir de vous lire,
Lily <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top