Le testament

« I wanted freedom But I'm restricted
I tried to give you up
But I'm addicted »

Time Is Running Out — Muse

          Je sortis du sommeil en sursaut, déboussolée. Instinctivement, je me redressai de tout mon long pour regarder la fenêtre.

Pas la moindre lumière ne filtrait au travers des volets : il avait l'air d'être encore tôt.

Pourquoi diable m'étais-je réveillée aussi brutalement ?

J'entendis un bruit et tournai la tête dans sa direction. Le coupable riait comme un bossu aux pieds de mon lit, un nouveau coussin prêt à lui servir de munition pour catapulte.

— Tu vas être en retard sœurette ! Enfin... tu es déjà en retard.

— Quelle heure est-il ? le questionnai-je en grognant.

          Fuyant la lumière émanant de mon lustre, j'enfouis ma tête dans mon oreiller. Je me roulai en boule sous mes couvertures et me préparai à oublier l'intrus de ma chambre pour retourner au pays des rêves. Mais ce malotru n'avait pas l'intention de me laisser en paix.

— Il est huit heures vingt ! m'annonça-t-il.

          L'information percuta enfin mon cerveau. L'instant d'après, je me trouvais sur mes deux pieds pestant comme une furie.

Je courus jusqu'à mon armoire, farfouillant dans mes vêtements pour trouver au plus vite quelque chose de présentable.

— Mais, je commençais à huit heures ! Pourquoi ne m'as-tu pas réveillée ? demandai-je à bout de souffle.

— Figure-toi que je dormais ! Tu ferais bien de te dépêcher si tu veux arriver à l'heure pour ton deuxième cours !

            Alex partit en claquant la porte pour me laisser m'habiller. Je l'entendis se moquer de moi de l'autre côté du mur entraînant irrémédiablement mes foudres. Une chance pour lui : je n'avais pas le temps de me battre.

Prenant sur moi je préférai me précipiter dans la cuisine pour grignoter quelque chose, le poussant au passage.

Après un tour rapide dans la salle de bains, mes affaires sous le bras, je quittai la maison comme une bourrine pour rejoindre au plus vite l'abribus.

J'attrapai par chance le car scolaire de neuf heures et en grimpai les marches aussi difficilement que si j'avais dû gravir l'Everest. Essoufflée, je m'avachis sur une place proche de la porte de sortie.

Quelques minutes plus tard et après avoir justifié mon retard, je rejoignis enfin ma prochaine salle de cours. Après un long sprint au travers des couloirs j'aperçus la porte de la salle A108 ridiculement protégée par mon « faux petit ami ».

Ce dernier ne put s'empêcher de ricaner en me voyant arriver épuisée. À quelques mètres de moi, il m'observa l'approcher avec réticence, jubilant intérieurement.

Je franchis la distance nous séparant avec le plus de prestance que mon corps me le permettait. Je me stoppai à quelques centimètres de sa personne et l'observai un instant en silence. Puis je me lançai.

— Salut. Désolé pour vendredi soir, il me semblait t'avoir dit que je ne pouvais pas venir.

           Il me fit taire d'un geste de la main, indifférent à mon explication. Calmement, il caressa mon visage du bout des doigts, plongeant son regard glacial dans le mien.

Captive, je le laissai faire.

Je sentis un goût amer remonter le long de ma gorge quand son toucher s'attarda sur mes lèvres encore entrouvertes.

— Ne remets pas la faute sur moi chérie, souffla-t-il à mon oreille, j'ai déjà été suffisamment contrarié par ton absence.

— Ce n'était pas mon attention, le coupai-je.

          Dans un élan de confiance, j'avais éloigné sa main de mon corps afin d'édifier un mur invisible entre nos deux personnes.

Comme un film passé en boucle, il réagit à son habitude saisissant mon bras avec fermeté, pour me ramener à lui. J'entendis une sorte de craquement à l'intérieur de mon os, un bruit sourd qui résonna dans chacun de mes membres.

Par réflexe, je fermai les yeux m'apprêtant à recevoir la gifle monumentale qui suivrait logiquement.

Rien ne vint. Je me mis alors à compter, un, deux, trois, jusqu'à dix. Rien, rien ne se produisit.

Sans bouger, mes paupières se soulevèrent sur la vision d'une autre main. Cette dernière avait stoppé le mouvement d'Antoine en pleine action.

Les yeux de tueur de mon sauveur me firent chavirer. Ils semblaient silencieusement menacer mon agresseur d'une mort prochaine. Ce regard que j'aurais pu craindre m'emplit de soulagement.

Sans qu'Antoine n'ait le temps de réagir, Will lui tordit violemment le bras, comme s'il souhaitait le séparer du reste de son corps. Mon ange noir, agréablement effrayant, venait une fois de plus de me sauver, laissant involontairement sortir au grand jour la part la plus sombre de sa personne.

Antoine me lâcha enfin et se dégagea de l'étreinte de William.

— Toujours la même rengaine... Je me demande comment tu peux supporter le rôle du chien de garde, cracha Antoine.

— C'est toujours une meilleure place que celle du connard de service !

          Le regard d'Antoine s'assombrit à son tour, perdant toute marque d'ironie. Je le vis alors se jeter sur William qui tomba sous son poids.

Effrayée, je me précipitai pour éloigner les deux garçons et me retrouvai projetée contre le mur. J'essayai de les raisonner, de calmer le jeu, mais ils ne semblaient plus aptes à m'écouter.

Antoine attrapa Will par le col et se prépara à lui coller une droite. Ce dernier réussit à l'esquiver en tournant rapidement la tête. Pris dans son élan, Antoine cogna violemment le carrelage, le recouvrant au passage d'une teinte rouge morbide.

William en profita pour lui assener un coup de tête. Par réflexe, Antoine roula sur le côté. Je vis William se relever prêt à sauter sur son adversaire encore sonné.

Je courus pour le pousser plus loin. Tournant le dos à mon ennemi je me sentis tirée en arrière. J'atterris brutalement au sol, et perdis ainsi tout espoir de calmer Will.

En furie, ce dernier plaqua Antoine au sol, plus haineux que jamais.

— Ne la touche pas ! s'écria-t-il hors de lui.

            Par miracle, j'aperçus notre professeur d'anglais arriver et le suppliai d'intervenir rapidement.

Nous réussîmes, tant bien que mal, à séparer les garçons avant que la situation ne finisse de dégénérer.

Instinctivement, Will se tourna vers moi, revenu à lui-même. Antoine profita de notre baisse d'attention à tous pour tenter de lui mettre un coup de poing à l'arrière de la nuque.

— Will ! Baisse-toi ! m'écriai-je.

           Il m'écouta immédiatement, se retrouvant au sol. Je vis le poing d'Antoine le frôler, pour ne toucher finalement que du vide, et entraîner le reste de son corps dans les buissons artificiels du couloir.

La stupéfaction de chacun ne dura qu'un instant, vite rattrapée par des vagues de rire éclatant de part et d'autre du corridor.

Antoine se redressa, prêt à répliquer, mais fut coupé par l'arrivée du proviseur.

Une certaine autorité émanait de sa démarche élégante. Le silence s'édifia autour de lui, progressant à chacun de ses pas. D'un signe de main vigoureux, il embarqua sans pitié les deux trouble-fêtes. S'éloignant calmement, sans faire de vagues, William prit le temps de se retourner pour me murmurer un :

— Don't worry (1).

          Les deux garçons restèrent une éternité dans le bureau du principal. William me raconta plus tard qu'il avait été difficile de trouver un accord quant à la version finale de l'histoire et la réalité en elle-même.

Deux interprétations n'avaient cessé de se confronter sans jamais s'emboiter. Finalement, toute recherche de la vérité fut mise de côté pour ne donner lieu qu'à des excuses qui arrachèrent la bouche des deux garçons. Des heures de colle tombèrent suivies d'avertissements.

« La prochaine fois, c'est le renvoi pour vous deux », avait annoncé la direction.

           Quand Will fut enfin de retour à mes côtés, durant la pause, il ne cessa de marmonner dans sa barbe. « Je n'ai aucun regret, il a eu ce qu'il méritait », répétait-il en boucle. De mon côté, je préférai lui laisser le temps de se calmer un peu.

Débattre sur le sujet m'était difficile ne sachant pas moi-même comment me positionner. J'étais tout simplement tiraillée entre admiration et inquiétude.

Je laissai alors ma main se glisser dans la sienne et l'entraînai à l'abri des regards. Mes lèvres se prédirent alors sur ses nouvelles blessures comme pour les panser. Je dérivai sur le coin malicieux de sa bouche, toujours à la recherche d'une douleur à apaiser. Je ne tardai pas à trouver une coupure dans le creux de son cou parfumé. Plus haut, sur sa pommette, un bleu commençait à apparaître.

Sulfureuse, ma langue s'attarda ensuite sur les courbes viriles de sa mâchoire, lui faisant lâcher un soupir. Attirée par sa réaction mes mains se glissèrent dans le creux de son dos, dessinant le contour de chacun de ses muscles.

Je sentis les poils de mes bras se hérisser de désir provoquant au passage un souffle inconnu dans le bas de mon ventre.

Déboussolée, par la tournure que prenait la situation je m'écartai de lui afin de calmer mes ardeurs. Il souleva alors mon visage, le bloquant entre ses mains, me forçant à lui faire face.

Comme pour me rassurer il m'adressa un sourire avant de m'attirer contre son torse, resserrant au plus fort l'étreinte de ses bras autour de ma fine taille.

— Tu n'aurais pas dû faire ça tu sais, finis-je par lâcher à contrecœur.

            Je ne compris pas moi-même mon besoin de laisser s'exprimer le côté mécontent de mon âme.

Il ne sembla pas comprendre non plus pourquoi je venais briser notre moment de magie.

Mes mains, toujours contre lui, sentirent ses muscles se tendre les uns après les autres.

— Tu aurais voulu que je fasse quoi ? Que je le laisse lever la main sur toi ?

— Ce n'est pas ça, mais Will, ça finira par mal tourner, le prévins-je.

           Je passai mes mains à l'arrière de sa nuque plongeant mes yeux dans les siens, front contre front.

— Pas forcément en sa faveur, lâcha-t-il.

           J'hésitai entre le réprimer gentiment pour son optimisme et risquer de le froisser un peu plus, lui exprimer mes craintes et envenimer la situation, ou, tout simplement, changer de sujet. Je finis par hausser les épaules.

Je savais qu'il lui était difficile de rester stoïque lorsque quelqu'un s'en prenait à moi. Je le comprenais et ne pouvais en aucun cas lui en vouloir.

Ma mission était de le canaliser, de le mettre en garde. Je ne pouvais pas le contrôler. Mes yeux brillants de crainte lui firent lâcher une promesse, en toute sincérité :

— Je ferai attention.

           « Merci, pensai-je, moi aussi je ferai attention, attention à toi, à nous ». Mon silence sans fin dut le perturber, car il me demanda ce que je voyais. Sans comprendre, je sondai son âme.

— Tu as des visions ? murmura-t-il patiemment.

           Je secouai la tête. Elles avaient toutes disparu vendredi soir, me laissant tranquille pour l'instant. William m'embrassa au sommet de la tête pour soigner mes cauchemars. Je me laissai aller contre ses lèvres et m'y reposai un instant.

           Nous restâmes au calme un long moment avant de parler de mon frère et du manège qu'il était en train de mettre en place en secret. Will semblait aussi perdu que moi à ce sujet. Nous émîmes des hypothèses plus farfelues les unes que les autres. C'est alors qu'une image me revient.

— Et si ?

             Will me regarda, interloqué, attendant que je poursuive.

— Oublie, murmurai-je, ce n'est pas possible.

             La sonnerie retentit, nous faisant sursauter. Nous sortîmes alors de notre cachette à reculons, pour rejoindre nos camarades.

Le fil de la journée repris, les dernières heures de cours passèrent. Quand dix-sept heures sonnèrent, je saisis la main de Will pour l'entraîner, en courant, sur le parking. Je voulais retrouver mon frère, voir si sa voiture était là, s'il m'attendait à la sortie pour tout m'expliquer.

Mes yeux s'attardèrent sur chacune des places de stationnement. L'excitation laissa place à la déception quand je compris qu'il n'était pas venu.

Je soupirai et pris conscience d'une chose bien pire encore : si je voulais éviter Antoine, ce que je comptais bien faire aujourd'hui me sentant proche de la libération, j'allais devoir marcher jusqu'à chez moi.

— Dès que j'ai accès à mon argent, je m'achète un vélo, grognai-je. La marche à pied ou le bus... ce n'est pas un choix ça !

— De quel argent parles-tu ? me demanda Will.

          Ses pas étaient si légers que je ne l'avais pas entendu me suivre. Je me tournai pour mieux le voir, la main en visière pour échapper aux rayons du soleil. C'est vrai que je ne lui avais jamais parlé de ça !

— L'argent dont j'ai hérité de mes parents. Il est géré par mon tuteur légal, à savoir ma chère tante, jusqu'à mes dix-huit ans. Je ne serai plus chez elle depuis bien longtemps sinon, rajoutai-je en marchant.

            William trottina jusqu'à moi et se cala sur mon rythme.

— Si tu restes chez elle juste pour une question d'argent, pourquoi ne vas-tu pas chez Julie ?

            Sa question me fit sourire.

— Ça me semble logique, chez Julie et bien... c'est chez Julie. Je ne vais quand même pas m'imposer et déranger ses parents.

— Dans ce cas, pourquoi ne viendrais-tu pas chez moi ? répondit-il du tac au tac.

            Touchée, je pris sa main entre les miennes.

— Ce n'est pas aussi simple.

— Je peux savoir pourquoi ?

            Il semblait légèrement blessé, voire même agacé par mon refus. Alors je lui offris le plus beau des sourires pour le calmer. « Tu te méprends Will, pensai-je, ce n'est pas parce que je ne veux pas être avec toi que je refuse ta proposition ».

— Je ne veux pas être un poids, c'est tout, répondis-je avec calme.

           Il se perdit un instant dans ses pensées et sembla sur le point de répliquer. C'est pourquoi je pris les choses en main.

— Je te promets d'y réfléchir, sérieusement. En attendant, tu es d'accord pour me raccompagner ?

            Ma réponse sembla lui convenir, pour l'instant. Il accepta mon invitation avec chaleur.

*

*            *

           Nous marchâmes en silence, main dans la main, cachés du monde par l'ombre des arbres.

Nous suivîmes le chemin de terre à la lisière de la forêt, séparant la civilisation de la plage.

C'est alors que j'eus une étrange impression. J'avais déjà vécu ce moment, du moins c'est l'impression que j'en avais. Reconnaissant cette sensation, je stoppai tout mouvement et me préparai à accueillir une nouvelle vision.

Je revis ma mère se penchant sur moi, me murmurant quelque chose à l'oreille. Je ne compris pas instantanément le sens de ses mots, je savais seulement qu'ils avaient un rapport avec Alex.

Ma chérie, s'il m'arrive quelque chose, il faut que tu sois forte.

La jeune Sarah ne semblait pas se soucier du discours sérieux de sa mère et fut réprimandée par cette dernière. Elle se tourna alors vers son interlocutrice pour entendre le reste de son discours.

— Sarah, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que toi et ton frère ne manquiez de rien, pour que vous soyez heureux. Il ne faudra pas que tu oublies d'écouter ton frère, il te prendra en charge à sa majorité, il est le mieux placé pour ça. Tu as compris mon cœur ? Il faut que vous y pensiez, personne ne le fera pour vous, il faudra s'occuper de ça. Tu sais, tout peut arriver et je veux que vous soyez prêts.

Mon corps figé sur place ressentit une légère secousse me permettant de revenir à moi.

— Sarah ? Sarah, tu m'entends ?

— Qu'est-ce que ça veut dire ? murmurai-je mécaniquement.

— Sarah ?

            Une dernière secousse, une caresse, le courant électrique de notre alchimie me permirent, tout à coup de lever la tête et de retrouver toute lucidité sur la situation. Je recommençai à perdre la tête.

— Ne t'en fais pas. C'est juste les visions. Elles reviennent. Mais je ne comprends toujours pas. C'est si... réel.

           Comme pour montrer mon ressenti je tendis ma main dans le vide. J'aurais voulu toucher le visage de ma mère, il avait été si près de moi quelques secondes auparavant. Là, juste devant. Je pouvais encore sentir sa présence. Pourtant, seul le vent siffla entre mes doigts. Je les refermai alors et ramenai ma main contre moi.

Je ressentis une douleur dans la poitrine, celle de la mélancolie, mais avant que les larmes n'aient le temps de monter à mes yeux je me retrouvai enveloppée par la chaleur des bras de mon confident.

— Qu'est-ce que tu as vu ? osa-t-il enfin me demander.

           J'enfouis mon visage contre son torse pour y perdre la vue. Je tentai de me remémorer la scène qui venait de défiler devant mes yeux pour mieux la lui décrire.

— Je ne sais pas trop... j'ai d'abord ressenti une impression de déjà-vu. Puis j'ai été embarquée dans un rêve, enfin un souvenir ou quelque chose de ce genre, je ne sais pas exactement. Il y avait ma mère, elle était là, toute proche, exactement là où tu tiens ! Moi aussi j'étais là, mais elle ne me voyait pas, j'étais comme extérieure à la scène. Je me regardais enfant, je la voyais me parler de quelque chose... quelque chose d'important. Mais c'était différent cette fois, j'ai eu l'impression que la situation ne relevait pas du passé, comme les autres fois. Comme un rêve prémonitoire, que cette fois ça ne relève pas... que ça relève... c'est impossible.

— Tu as l'impression que ça relève du futur, termina-t-il à ma place.

           Je frissonnai. Le soleil commençait à disparaître derrière les arbres et la température commençait à chuter, la soirée s'annonçait fraîche. Je resserrai mon manteau de laine contre moi et confirmai timidement ses dires.

— De quoi te parlait ta mère ? chuchota-t-il pour ne pas m'effrayer plus.

           Comment faisait-il pour croire mes paroles dans un moment pareil ? Pas une fois il ne m'avait prise pour une folle alors je me serais volontiers enfermée dans le premier asile accessible.

— Je n'ai pas tout compris, mais je pense qu'Alex pourra nous éclairer.

— Alors on va se dépêcher.

          J'acquiesçai. Il fallait de toute façon que l'on rentre vite avant que je ne meure de froid. William dut sentir par je ne sais quel miracle la chair de poule poindre sous ma couche de vêtements, car il retira son écharpe pour me la donner.

J'adorais qu'il prenne soin de moi, comme ça, sans réfléchir, en toutes circonstances.

Je respirai son odeur au travers du textile pour ne jamais l'oublier.

Il reprit ma main en silence et nous recommençâmes à marcher, plus pressés que jamais.

*

*            *

           Le soleil était sur le point de se coucher lorsque nous atteignîmes le porche de la demeure de Noémie. La voiture d'Alex était garée devant et la lumière de la cuisine laissait présager une présence dans la maison.

Je fis patienter Will un instant, vérifiant que Noémie n'était pas encore arrivée, avant de le faire entrer.

Nous eûmes à peine le temps de franchir le pas de la porte qu'Alex nous sauta dessus. Surprise je lâchai un hurlement, au bord de la crise cardiaque. Will, quant à lui, se figea sur place.

Après s'être foutu de notre gueule pendant une bonne minute, mon frère nous fit enfin part de la raison de toute cette agitation.

— Sarah ! J'ai trouvé la solution !

— Quoi ?

           La mine de merlan frit que je lui offris ne le fit étonnamment pas rire. Il nous invita dans le salon et nous somma de nous asseoir. Il s'accroupit alors devant nous, prit mes mains entre les siennes, et me dévoila enfin ses secrets.

— Je me suis rendu chez le notaire cet après-midi

— Qu'est-ce que tu es allé foutre chez le notaire ? le questionnai-je dans le flou le plus total.

— Laisse-moi parler ! me coupa-t-il. Je voulais vérifier quelque chose sur le testament de papa et maman. On n'a jamais eu l'occasion d'avoir de réelles précisions à ce sujet.

            Il se tut alors nous laissant sur notre faim. Impatient, Will commença à le harceler pour qu'il continue, le secouant dans tous les sens.

— J'ai découvert quelque chose de génial ! reprit-il enfin.

— Tu peux être plus précis Alex, j'essaye de comprendre ce qu'il y a de si génial, mais j'ai du mal à te suivre, commençai-je à m'agacer.

            J'étais rongée par la curiosité.

— Et bien c'est simple, très simple même. J'ai dix-huit ans !

— Non, vraiment ? Tu avais besoin d'aller chez le notaire pour le découvrir ?

            J'explosai de rire, secouée par l'incongruité de la discussion.

— Dans leur testament, papa et maman avaient expressément spécifié que Noémie ne deviendrait notre tutrice légale que jusqu'à ma majorité dans le cas de leur décès.

— Et ?

              Je commençais seulement à comprendre où il voulait en venir, mais ça restait trop difficile à intégrer. C'était trop brutal.

— Tu es sourde ou seulement stupide ? s'agaça mon frère.

— Un peu des deux, je pense ! ricanai-je.

— Sarah, je ne plaisante pas ! JE suis ton tuteur légal depuis mes dix-huit ans. Ça signifie que tu es sous MA responsabilité !

— C'est super Alex, vraiment, mais concrètement qu'est-ce que ça change ?  

             Alex se redressa enfin, nous dominant de toute sa hauteur. Il se mit alors à gesticuler dans tous les sens se perdant dans ses explications.

— Mais tout ! Ça change tout ! Premièrement, plus rien ne te rattache à Antoine, deuxièmement, tu peux être avec William...

— Je ne peux pas lâcher Antoine maintenant, le coupai-je de but en blanc.

              Je vis le visage de William jusqu'alors illuminé de bonheur se décomposer en un instant. Il se tourna vers moi prêt à me balancer chacune des immondices qui auraient l'audace de lui passer par la tête. Je ne lui laissai pas le temps de dire un mot, plaçant ma main sur sa bouche. Il s'avisa un instant de la retirer, mais préféra finalement garder le contrôle pour me laisser l'occasion de lui donner des explications.

— Je ne peux pas prendre le risque de t'attirer des ennuis... murmurai-je au bord des larmes.

             La colère se lisant dans ses yeux me déstabilisait. Je n'avais jamais lu autant de déception, à mon égard, dans son regard. Il n'hésita pas cette fois et retira ma main de sa bouche pour prendre la parole, d'une voix sèche et brutale.

— Je t'interdis de m'utiliser pour justifier ton choix !

              Il avait raison, je ne pouvais pas. Mais j'avais tellement peur qu'il lui arrive quelque chose, tellement peur de le voir brutalisé comme dans mes visions. Je ne pouvais pas les laisser se concrétiser.

Simplement, je savais que lui aussi avait peur, peur que je l'ai manipulé, peur que je sois amoureuse d'un autre, victime d'une espèce de syndrome de Stockholm.

— William, écoute-moi bien. Je n'aime que toi. D'accord ? Que toi !

             Je le regardai droit dans les yeux. J'étais prête à tout pour lui montrer ma sincérité, pour qu'il cesse de douter. J'aurais pu m'ouvrir le torse à coup de machette pour lui montrer l'état de mon cœur et à quel point il le faisait battre. Il était le seul à le faire, depuis toujours, à jamais.

— Dans ce cas, explique-moi, me demanda-t-il avec tout le calme qu'il lui restait.

— Je ne veux pas qu'on s'en prenne à toi. Ça me tétanise mon amour. Mais si tu veux une raison autre que celle-là, c'est toujours le même problème : où vais-je pouvoir vivre si je suis mise à la porte ?

            Alex attira alors à nouveau mon attention pour répondre à ma question.

— Tu ne m'as pas laissé terminer. Papa et maman avaient tout prévu : ils ne m'ont pas seulement légué ta garde, c'est moi aussi qui gère ton patrimoine, bien sûr mon patrimoine, et par ce fait notre ancienne maisonnette. Ils nous ont légué la maison Sarah.

            Je réfléchis un instant sans comprendre. J'avais tellement peur que la lueur d'espoir que l'on m'offrait ne me glisse une fois de plus entre les doigts.

— Mais Alex, la maison a été revendue après leur mort, me souvins-je.

            Mon frère secoua la tête.

— C'est là que tu te trompes ! Ils ont laissé croire que le bâtiment avait été revendu. Maman était méfiante, comme toi, elle avait peur de l'influence que pourrait avoir Madame Lacombe sur Noémie. C'est pourquoi nous ne savions pas pour le changement de tuteur, ni même pour les biens. J'ai reçu une lettre du notaire quelque temps après mon anniversaire, mais je ne l'ai pas comprise, c'est pour ça que je n'ai pas tout de suite osé t'en parler.

— Mais pourquoi avoir fait ça ?

— Elle devait tout simplement avoir peur que Noémie ne dilapide nos biens.

— C'est... c'est impossible.

             J'étais déconcertée. Paumée. Déboussolée. Soulagée. Libérée. Libre, j'étais libre.

Je commençai à me rendre compte de l'impact de notre discussion, de l'impact des découvertes de mon frère. Je me tournai vers William, toujours stoïque et en colère, pour me jeter littéralement sur lui.

Je faillis nous faire basculer du canapé, mais il me retint à temps, me serrant contre lui comme si sa vie en dépendait. Il semblait ne pas vouloir pardonner ma réaction première et masqua son visage pour que je ne voie pas ses émotions. Pourtant, ses lèvres contre mon cou, je le sentis sourire.

Je ris alors aux éclats, incapable de lui résister. Folle de joie, je quittai le canapé pour trottiner jusqu'à ma chambre.

— Je fais ma valise et je me casse, m'écriai-je. Je me casse pour de bon. Ça va être génial, on va s'éclater ! Tous ensemble ! Tu viendras quand tu veux Will, quand tu veux !

— Je ne viens pas, Sarah, me coupa mon frère.

— Mais, pourquoi ?

             Je calmai alors mes ardeurs, un peu déçue de sa réponse.

— Il faut que je reste ici encore un moment pour surveiller Noémie. À mon avis, Antoine ne va pas être le seul à t'en vouloir et je préfère être au courant de ce que pourrait préparer Cruella d'Enfer !

               Je savais qu'il avait raison, mais il allait être étrange pour moi de me retrouver seule dans un logis que j'avais quitté des années auparavant et au sein duquel je n'avais vécu qu'à quatre.

Seule avec la mémoire de mes parents.

J'acquiesçai malgré tout et il me promit de me rendre visite le plus souvent possible.

             Les garçons me laissèrent un moment tranquille, le temps que je rassemble mes affaires les plus importantes. Je retournerai prendre le reste un peu chaque jour pour enfin couper tout lien avec ces lieux.

Je sentis alors un sifflement dans mes oreilles, sifflement qui m'obligea à m'asseoir. Je respirais calmement pour ne paniquer. « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que toi et ton frère ne manquiez de rien, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que toi et ton frère ne manquiez de rien, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que toi et ton frère ne manquiez de rien... ».

Cette phrase claqua violemment dans mon esprit et tout se recoupa. C'est de ça que parlait ma vision, du testament. J'avais deviné qu'Alex avait trouvé une solution. Mes visions s'étaient réalisées, elles pouvaient réellement se concrétiser, tout pouvait réellement se terminer dans un bain de sang.

Les mots de ma mère résonnaient dans mon crâne comme une condamnation à mort. Ils tournaient en boucle, suivant le fil d'un disque rayé.

— Tais-toi, hurlai-je.

          Alertés par mes cris, les deux garçons accoururent retirant mes mains de mes tempes pour me forcer à les regarder. J'ouvris alors les yeux et me rendis compte que j'avais lâché mes affaires. Elles s'étaient étalées à terre, retapissant le sol.

— J'ai, je me suis cogné le pied contre mon armoire et la douleur m'a fait lâcher le carton.

          Mon excuse me sembla pitoyable. Pourtant ils me crurent. Alex me taquina pour ma maladresse, Will me défendit en rouspétant, mais aucun ne posa de questions. Tant mieux, je n'avais pas envie de parler de malheurs. Après tout, je vivais l'un des événements les plus heureux de ma vie.

— J'ai eu peur de casser quelque chose, repris-je en souriant.

— Et au final, c'est ton pied que tu as cassé, se moqua Alex.

          Je tentai de rigoler à sa blague, mais mon rire sonna faux. C'est là que William comprit que quelque chose clochait. Il cessa de sourire et demanda à Alex de nous laisser un instant. Ce dernier fut interloqué par notre changement d'humeur subite, mais se retira de la pièce sans plus de questions. Le silence se referma autour de nous et William attendit mes explications.

— Pourquoi as-tu crié ?

          Il s'assit sur mon lit et m'invita à faire de même pour me mettre à l'aise. Je refusai de lui parler de ça. Je répétai alors mon mensonge en espérant être plus convaincante que la première fois.

— Je ne sortirai pas de cette pièce tant que tu ne m'auras pas dit la vérité.

          Je sentis sa main se glisser dans mes cheveux, les caressant avec douceur.

— Tout à l'heure, quand on marchait, j'ai eu une vision, tu te souviens ?

          Il acquiesça sans rien dire de plus.

— J'ai vu le testament. J'avais prévu qu'Alex me parlerait du testament. Je ne l'ai pas compris tout de suite, mais j'ai en quelque sorte prédit ce qui allait se passer.

         Je la vis alors dans ces yeux, cette lueur que je connaissais à merveille, celle qui me pourchassait, la lueur de l'inquiétude. Il détourna le regard refusant de faire face à la réalité.

— Imagine que ce soit pareil pour les autres visions William ? Imagine une seule seconde. Tu crois vraiment que je vais te laisser mourir ?

          Sans crier gare, il posa ses lèvres sur mon front avec force, ses doigts enfouis dans ma crinière châtaigne.

— Ne pense pas à ça, me répondit-il, ça n'arrivera pas. Ce n'est qu'une coïncidence. Je ne vais pas mourir, me promit-il, et toi non plus !

          J'aurais tellement voulu le croire.

— Je ne prendrai pas ce risque, je ne peux pas prendre ce risque, répondis-je avec fermeté.

          Je me levai prête à quitter la pièce. Il me retint par le poignet refusant de me laisser m'en aller.

— Ce ne sont que des visions Sarah ! explosa-t-il, des visions ! Tu vas les laisser nous anéantir ?

          Je restai bouche bée, le laissant déverser sa colère.

— Tu ne veux pas que je souffre, c'est ça ?

          Je hochai la tête, les lèvres pincées pour m'empêcher de pleurer.

— Et tu crois que partir ou continuer ton manège avec Antoine est la bonne solution ?

          Il ne me laissa pas le temps de répliquer, hors de lui.

— Si tu pars pour ça, je ne m'en remettrai pas Sarah. Jamais. C'est trop tard.

          Je fondis en sanglots, ne sachant quoi lui dire. Paralysée par la fatalité.

— Promets-moi que tu ne me tourneras pas le dos en pensant me protéger ! S'il te plait.

          Entendre sa voix se briser, regarder ses yeux inquiets, sentir ses mains trembler était un véritable supplice. Alors je lui donnai ma parole.

Il sembla comme délivré d'un poids, comme s'il venait de gagner la guerre. Je vis le soulagement illuminer tout son être lorsqu'il se pencha pour m'embrasser avec passion.

L'alchimie entre nous semblait plus forte que jamais. Je passai mes jambes autour de sa taille, agrippée à ses cheveux, me nourrissant de ses baisers. Il me fit alors basculer sur le lit prêt à me dévorer sur place.

Impatiente, je glissai mes mains dans son dos pour l'attirer plus près. Il prit alors le temps de m'observer, plongeant son regard fiévreux dans le mien. Sans un mot, je compris sa demande et l'acceptai avec ferveur. J'entrepris alors de retirer son T-shirt pour lui donner le feu vert. Mais, je n'eus pas le temps d'admirer sa musculature, car Alex entra dans la pièce sans prendre la peine de frapper.

Nous reprîmes alors nos esprits. William, cherchant à s'éloigner au plus vite de mon corps se cassa littéralement la figure en glissant sur le parquet, lâchant au passage diverses insultes dans un anglais parfait.

— Oups, désolé ! ricana mon frère. Vous savez : il existe des chambres d'hôtel pour ce genre de pratiques ! Vous auriez pu me prévenir quand même ! Moi qui avais prié de ne jamais assister à ça !

— I hate you (2) ! s'exclama William.

           Je n'osai personnellement rien dire et me teintai d'un « rouge pivoine ». La situation avait si vite dérapé. Je n'avais pas pris le temps de réfléchir.

— Noémie arrive, nous annonça mon frère retrouvant son sérieux.

           Encore en état de choc je sentis mon stress monter d'un cran. Comment lui annoncer mon départ ?

— Il faut que je me planque dans le placard ? ironisa William.

            Alex le prit au mot et se précipita vers l'armoire.

— Oh oui mon bel amant, cache-toi dans le placard avec moi, rigola-t-il.

             Ces deux idiots réussirent à me faire rire. Enfin détendue, je me décidai à aller les récupérer dans la penderie avant qu'ils ne détruisent le mobilier et, pour éviter qu'ils ne repartent dans leurs enfantillages, j'en accrochai un à chacun de mes bras.

— Je vais lui parler, annonçai-je, elle n'a plus d'ordre à me donner. Et puis c'est ma tante non ? Il faudra bien que je lui présente mon petit ami un jour ou l'autre.

         William ne put s'empêcher de sourire. C'est la première fois que je prenais la décision de le considérer, au grand jour, comme mon copain.

*

*          *

          En bas, Noémie poussa la porte d'entrée. Je lâchai alors mes piliers, entraînée par l'adrénaline, et me précipitai dans les escaliers.

— Vas-y doucement, s'écria mon frère.

           « Désolé, pensai-je, mais cette fois je ne dois pas me dégonfler ». L'escalier grinça sous mes pas, tournant, tournant, sans jamais s'arrêter. Les dernières marches semblèrent les plus longues à atteindre, comme si la pente se prolongeait à l'infini. J

e m'arrêtai un instant, reprenant mon calme. Je me trouvai à un croisement de ma vie, il fallait que je savoure l'instant.

J'entendis alors des messes basses provenant d'en haut.

— Elle va faire une crise cardiaque quand elle va te voir, chuchota Alex à Will.

— Tant mieux, elle sera enfin débarrassée d'elle, répondit celui-ci.

— Je ne peux pas t'en vouloir de penser ça après tout ce qu'elle a fait... 

             Leur discussion stoppa aussi vite qu'elle avait commencé, puis ils entreprirent de me suivre, mes affaires sous le bras.

De mon côté, je ne m'attardai pas sur l'excès de violence que je venais d'entendre et préférai rejoindre Noémie.

— Sarah, cela faisait longtemps, me dit ma tante en m'entendant entrer dans la pièce.

           Elle continua de plier ses affaires, sans me prêter plus d'attention que ça.

— J'en suis désolée, répondis-je avec un sourire ironique.

           Elle daigna enfin me regarder. Je la vis poser, dans un ralenti fascinant, ses mains sur ses hanches, se redressant avec une grâce étonnante.

— Tu m'as manqué ! Comment va Antoine ?

— Je n'en ai pas la moindre idée. Je ne suis pas venue te parler de lui.

           Noémie me demanda alors ce que je voulais, légèrement agacée par mon audace. Je me demandai comment elle allait réagir.

— Je m'en vais, ce soir. Et je compte rompre avec Antoine dès demain.

           Elle explosa de rire, me félicitant pour la blague. Elle y avait presque cru, s'exclama-t-elle. Mais je n'avais ni l'envie ni le temps pour les plaisanteries. Je tournai alors les talons, prête à partir.

— Où vas-tu avec ce carton ? m'interpela-t-elle.

— Je te l'ai dit, je quitte la maison.

            J'arrêtai tout mouvement analysant son visage. Ses lèvres se crispèrent dans un sourire, effrayant, durcissant les traits de son visage. Sa peau, de nature blanchâtre, se teinta d'un rouge inquiétant. Elle avait enfin compris que je ne plaisantais pas. Mais je n'avais plus peur d'elle, je me fichais de son avis, elle ne pouvait plus rien me faire.

— Je peux savoir où tu comptes aller ?

            Je hochai nonchalamment les épaules.

— Chez moi bien évidemment, dans l'ancienne maison de mes parents.

— Et comment vas-tu faire pour la racheter ?

             Noémie leva les yeux au ciel, exaspérée par mon « manque de perspicacité et d'intelligence ». « Pense ce que tu veux, garce », songeai-je.

— La maison est à nous, et nous est accessible depuis les dix-huit ans d'Alex. Je pense qu'il pourra tout t'expliquer. Tu trouveras les documents du notaire sur la table du salon. Je te remercie pour toute l'hospitalité dont tu as fait preuve à mon égard. J'espère que tu ne m'en tiendras pas rigueur.

            Noémie envoya valser le vase trônant sur la table de la cuisine et se précipita dans le salon pour lire les papiers en question.

— C'est MOI ton tuteur ma petite.

— C'est là où tu te trompes ! répliquai-je. Je m'en vais, je te laisserai lire les documents au calme. Tout y est expliqué.

            Elle me barra le passage, les cheveux en bataille.

— Je ne te permettrai pas de...

— Tu n'as aucun ordre à me donner, la coupai-je.

            Je la vis paniquer, perdant toute emprise sur ma vie, sur mes actes.

— Tu te rends compte de ce que tu vas faire de la vie d'Antoine ? Tu ne peux pas l'abandonner.

            Ce fut mon tour de rire et de la prendre pour une idiote. Je la regardai alors de haut avec condescendance, sans aucune pitié.

— Tu sais ce qu'il fait de ma vie ? Non ? Alors, ne me donne pas de leçons. Ton cher Antoine n'est pas aussi parfait que tu le crois et il serait temps que tu te le mettes dans la tête ! Je l'ai toujours détesté, depuis le jour où je l'ai rencontré. De toute façon, c'est Will que...

             Mon frère se précipita dans la pièce pour m'empêcher de finir ma phrase.

— Tu vas trop loin, me chuchota-t-il à l'oreille.

             Je le repoussai, déçue de son interruption. Au loin, j'aperçus Will, tapi dans l'ombre. Il semblait mal à l'aise. J'en avais assez de le mettre mal à l'aise. Je défiai alors ma famille du regard.

— Je suis amoureuse de William Lewis, articulai-je, et je n'ai aucune raison de le cacher !

           Choqué, William osa enfin sortir de sa cachette. Je lui souris prête à dévoiler notre relation au grand jour. Mais sa réaction alla à l'encontre de mes attentes. Je le vis s'approcher de moi, regardant le sol comme pour ne pas être remarqué par mes interlocuteurs. Il me saisit alors le bras et m'entraîna hors de la pièce, en direction de la sortie.

— William Lewis ? prononça ma tante rageusement.

            Avant de quitter la maison, Will osa enfin lever les yeux pour lui faire face, lui offrant le même regard mauvais qu'il réservait habituellement à Antoine.

Alex nous poussa en direction de la rue, nous ordonnant de monter dans la voiture. Sans un mot, il monta côté conducteur et démarra le moteur. Une fois de plus Alex avait eu raison : j'aurais mieux de me taire.

Au loin, j'entendis ma tante hurler de rage.

— Je crois que les repas de famille vont être compliqués. Tu lui as fait une très mauvaise première impression, rigola mon frère en se tournant vers William qui semblait fier de lui.

— J'adore me faire détester par les gens.

            William lâcha un rire sadique... ravissant. Il semblait prendre la situation pour le mieux. Rassurée je tentai de lui prendre la main. Je pus à peine l'effleurer avant qu'il ne la retire. J'eus malgré tout le temps de sentir que quelque chose n'allait pas malgré sa bonne humeur apparente. Il tremblait. Énormément. Je me demandai comment j'avais pu ne pas m'en rendre compte.

— Qu'est-ce que tu as ? murmurai-je.

— Elle m'a énervé, c'est tout. Ne t'inquiète pas.

— Si ce n'est que ça, pourquoi tu me fuis ?

           Ma remarque eut l'effet escompté. Incapable de répondre Will se mit à fixer le paysage extérieur, sans parvenir à retrouver son calme. Il me mentait.

— William ?

— Il vient de te le dire, il n'apprécie pas tata Nono, répondit mon frère sa place.

— Ça a été une dure journée, poursuivit mon petit ami.

             Je les observai à tour de rôle, de plus en plus suspicieuse.

— Qu'est-ce que vous me cachez tous les deux ?

— Rien, répondit Will en m'accordant toute l'attention nécessaire à l'appui de sa réponse.

— Rien du tout, approuva mon frère.

— Vous vous fichez de moi ?

— Non, pas du tout angel.

           J'avais beau les fixer, méchamment, romantiquement, menaçante, avec humour, je n'arrivai pas à percer leur volonté. Leur réponse semblait sérieuse et sincère. J'étais pourtant persuadée que quelque chose se cachait sous cette constante solidarité masculine. Mais je n'insistai pas. J'avais juste hâte de rentrer dans mon nouveau chez moi, de ranger mes affaires et de me glisser sous une couette propre.

(1) Angl. Trad. Ne t'inquiète pas.

(2) Angl. Trad. Je te déteste.

**********************

Je crois que la roue finit toujours par tourner. 

Cela peut durer longtemps, mais si vous restez fortement accroché.e.s, vous arriverez forcément au bout de la piste, de l'autre côté des rouages, vers le soleil.

Qu'en avez-vous pensé ? N'oubliez pas de laisser une petite étoile et/ou un petit commentaire ça fait toujours plaisir !

Lily <3

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