Le champ de fleurs

« Standing here in an empty room
Saw you there and my blood ran cold
Take me back to that long September
Don't know how I ever let you go »

Baby — Clean Bandit

          La conversation que j'avais involontairement interceptée ne pouvait pas être réelle.

Mon frère n'avait pas pu prendre le risque de parler de William à ma tante. Elle ne devait surtout pas savoir que j'entretenais une quelconque relation avec lui, c'était beaucoup trop dangereux, ça risquait de remonter aux oreilles d'Antoine et de causer de gros, de très gros problèmes.

Il ne pouvait pas lui donner l'occasion de me nuire et pire que tout de lui nuire.

Nous courions à la catastrophe.

Alex n'aurait jamais mis son ami dans l'embarras de cette façon. Si ? Impossible, mais ça voulait dire que mon imagination me faisait fortement défaut. Il ne manquait plus que je sombre dans la folie.

Ce n'était pourtant pas près de s'arrêter.

En effet, cette nuit-là, mon esprit continua à fabuler m'entraînant dans un songe complètement incohérent dont je ne compris pas la signification.

          Je me trouvais dans un champ que je ne connaissais que trop bien. Une prairie remplie de fleurs violettes, perdue au beau milieu de la forêt. Seul un arbre en son milieu permettait à l'ombre de s'installer sur les fleurs. Un carré d'herbe poussait en dessous de celui-ci, marqué par une coupure bien nette, mais naturelle de la floraison.

Nous nous y rendions autrefois en famille pour pique-niquer. Masquée aux yeux de la plupart des marcheurs, la clairière offrait un coin tranquille pour les habitués.

Ma famille avança dans le champ comme nous avions pris l'habitude de le faire après nos balades matinales.

Mes parents posèrent une nappe sur le carré d'herbe, près de l'arbre, en prenant soin de ne pas écraser les fleurs alentour.

Ils s'assirent tous en tailleur autour du festin, ma mère, mon père, mon frère, ma tante, mais aussi madame Lacombe, Lacombe père et Antoine.

          Ma mère ne semblait pas apprécier Antoine. Il s'agissait à ses yeux d'un cancre, un garçon grossier et agaçant, mais elle faisait beaucoup d'efforts pour sa sœur : Noémie.

Je n'avais aucun souvenir d'une telle journée. Aucun souvenir d'un pique-nique ayant regroupé ma famille et celle d'Antoine. Ça me parut étrange et perturba mon sommeil.

La plupart du temps, lorsque mes parents apparaissaient dans mes rêves c'est qu'il s'agissait de souvenirs. Cette fois, ce ne fut vraisemblablement pas le cas.

Pourquoi ? Qu'est-ce que mon inconscient voulait me faire comprendre ?

J'avais très peu de souvenirs de mes parents, ce pour quoi mes rêves les concernant étaient assez rébarbatifs. Celui-ci était une nouveauté, assez étrange. Je décidai alors de me laisser guider.

Ce n'était qu'un rêve après tout : il ne pouvait rien m'arriver.

          J'observai ma famille, cachée dans la forêt. C'est là que tout sombra dans l'improbable.

Ma mère, impatiente, finis par nous demander de venir. Je sortis donc à l'orée de la forêt et me mis à courir le plus rapidement possible.

Quelqu'un me suivait. Cette personne me rattrapa en moins de deux et me plaqua au sol en riant, se plaçant au-dessus de moi pour mieux m'embêter.

Je pus enfin apercevoir son visage. Je le reconnus immédiatement : il s'agissait de Will. N'ayant pas conscience de se trouver dans un rêve ce dernier se mit à me chatouiller.

Je me mis à rire, sans me poser de questions, ce comportement décrivant parfaitement ma relation complice avec le garçon. Will se calma et approcha sa tête de mon cœur pour en écouter le battement. Je me sentis rougir, mais ne dis rien et le laissai faire.

Percevant probablement ma gêne il se redressa, tout à son aise, sans échapper à la tape amicale que je lui assenai sur la joue.

Ma mère choisit ce moment pour nous rappeler à l'ordre.

— William, Sarah, si vous voulez manger c'est maintenant ! Vous dépenserez votre énergie plus tard.

           J'avais complètement oublié la présence de ma famille et surtout de celle d'Antoine. Will m'embrassa sur le front, puis nous rejoignîmes le groupe.

C'est là que j'aperçus un autre garçon, il devait avoir dix-huit ans environ. Ce dernier discutait avidement avec Antoine, comme pour l'encourager.

Antoine, quant à lui, gardait son air furax comme à son habitude.

L'inconnu avait les cheveux blonds, de la même couleur que ceux de Will. Sa coupe courte lui donnait un air grave. Il se mit à rire devant l'expression dépressive d'Antoine. J'aurais reconnu ce sourire entre mille et je compris immédiatement qu'il ne pouvait s'agir que du frère de Will.

J'aurais aimé l'observer un peu plus, mais la jeune fille que j'étais dans le rêve se mit à gesticuler, obnubilée par l'arrivée d'un gâteau d'anniversaire.

Il y trônait quatorze bougies. Ainsi mon rêve se passait une semaine avant le décès de mes parents.

L'air était frais, pourtant le soleil brillait fortement et offrait une température parfaite pour ce jour.

Je m'assis par terre, devant le dessert, et pris la main de Will dans la mienne. Pleine de tendresse, je posai ma tête sur son épaule regardant le feu des bougies danser devant mes yeux.

Je fus coupée dans mes pensées lorsque quelqu'un me somma de les souffler.

          Le repas terminé nous nous éloignâmes des parents. Les quatre garçons s'assirent en cercle et j'en profitai pour m'installer contre William.

Antoine se mit à râler et nous demanda d'arrêter.

— Arrêter quoi ? répondis-je innocemment.

— Arrêtez de faire comme si vous étiez le centre du monde !

Je pense qu'elle a le droit d'être le centre du monde le jour de son anniversaire, avança Will encore plus innocemment que moi.

Tu as très bien compris Lewis ! Arrête de monopoliser le « centre du monde » si tu préfères !

           La tension était palpable, mais tout le monde resta impassible. Même en rêve ces deux-là semblaient ne pas pouvoir se blairer. Je me demandai ce qui allait bien pouvoir se passer et jusqu'où mon imagination allait me pousser.

Je ne la force pas à rester avec moi.

William ! le reprit mon frère pour mettre à fin à cette conversation conflictuelle.

Tu ne vas pas te mettre à lui cirer les pompes toi aussi ? Elle fait ce qu'elle veut, non ? Je ne vais quand même pas la forcer à partir pour lui faire plaisir !

C'est sûr, tu es bien trop égoïste pour ça ! cracha Antoine.

Merci du compliment.

           Je sentis Will se tendre à côté de moi malgré le ton de sa voix qui se voulait sarcastique.

Mal à l'aise je m'écartai de lui pour éviter les embrouilles et commençai machinalement à arracher toute l'herbe et les fleurs autour de moi.

Will profita du vide que je lui avais laissé pour se détendre. Il s'allongea sur le sol les yeux plantés dans le ciel, les cheveux illuminés par les rayons du soleil.

Je me forçai à ne pas le contempler.

          Tout le monde finit par s'allonger profitant du calme qui s'était enfin installé.

Je me tournai vers Will dont les traits étaient emplis de sérénité.

Instinctivement ma main commença à caresser l'intérieur de la sienne.

J'étais attirée par lui comme un aimant, incapable de résister à l'attraction que provoquait sur moi sa personne.

Au loin, j'entendis les parents nous annoncer qu'ils repartaient en balade et qu'ils passeraient nous prendre au retour.

Le bruit réveilla Will qui ouvrit les yeux. Il prit conscience de ma présence et se mit à sourire. J'approchai machinalement ma main de son visage, envoûtée par sa bouche. Il ferma les yeux à mon contact étirant un peu plus la commissure de ses lèvres. Sa réaction provoqua une réaction en chaîne qui fut coupée par le rire de mon frère.

Je me redressai juste à temps pour voir le visage totalement rouge d'Antoine. Il se leva, furieux, et partit en direction de la forêt.

— Qu'est-ce qui lui prend ? demandai-je.

— Il est jaloux, ça ne se voit pas ? Tu es vraiment con William, tu le sais ?

           Ce fut la première fois que j'entendis le frère de Will prendre la parole : la différence entre les deux garçons me surprit. Là où la voix de Will était souvent teintée de bienveillance et de bonne humeur, celle de son frère s'avérait beaucoup plus agressive.

Son visage était pourtant si doux, ils se ressemblaient tellement que c'en était affolant. Mais il semblait y avoir de l'animosité entre les deux.

Ne parle pas comme ça à ton frère ! répliquai-je dans mon rêve.

Parce que tu crois que je vais laisser une gamine de quatorze ans me dicter ma conduite ?

Laisse ma sœur en dehors de ça ! s'énerva à son tour Alex.

           Le frère de Will ne prit même pas la peine de répondre et préféra se tourner vers William.

Il lui offrit un regard dur comme pour imposer son autorité et son ascendance sur lui.

Je te promets que si ça tourne mal tu ne t'en tireras pas comme ça. Je jure que je prendrai soin de t'arracher une par une toutes tes insupportables mèches blondes et que je passerai ta tête au broyeur.

Tu sais que tu me ferais presque peur, répliqua William avec un sourire mesquin.

           Ces relations conflictuelles commençaient sérieusement à me prendre la tête si bien que je décidai de me relever pour couper court à tout ça.

Stop tout le monde ! On arrête de s'énerver ! Je vais aller parler à Antoine et tout va très bien se passer.

Tu as plutôt intérêt si tu ne veux pas que la tête « d'ange » de ton petit copain en prenne un coup !

             Je lançai un coup d'œil inquiet vers Will qui regardait son frère avec mépris.

Il semblait contenir tous les muscles de son corps pour ne pas lui sauter dessus : ce qui aurait pu lui coûter cher. La différence d'âge entre les deux garçons se faisait clairement ressentir et je pense que si Will avait réagi il se serait pris la raclée de sa vie.

C'est bon, je vais lui parler ! Alex, essaye de faire en sorte qu'ils se calment s'il te plait.

Plus facile à dire qu'à faire...

          Je partis en courant dans la direction qu'avait prise Antoine quelques minutes plus tôt.

Je rentrai dans les bois, mais quelqu'un me tira en arrière.

Je sursautai avant de me rendre compte qu'il s'agissait de mon meilleur ami.

— Will, tu m'as foutu une de ces frousses !

Désolé.

Retourne là-bas, ton frère va finir par péter un câble.

Non, je viens avec toi.

Will...

Écoute, je suis désolé pour mon frère, il n'est pas toujours comme ça... il aime bien Antoine et il s'est juste emporté, mais il ne fera rien : ni à moi ni à personne d'autre.

J'aimerais parler avec Antoine, seule. Si tu viens, il va encore vouloir t'égorger.

             Will porta la main à sa gorge et fit mine d'avoir peur avant d'éclater de rire.

Je savais malgré tout ce que cela signifiait : il avait compris et me laissait y aller seule.

Merci.

You're welcome angel (1)! Ne t'attarde pas trop : je n'ai pas envie de finir la tête dans un broyeur.

             J'éclatai de rire à mon tour tout en le poussant en direction de la prairie.

William parti je m'attelai à chercher Antoine.

Je ne ressentais curieusement aucune once de crainte alors que j'allais me retrouver seule avec lui dans une forêt sombre, et ce de ma propre volonté.

Je finis par le trouver un peu plus loin le regard dans le vide.

— Antoine, qu'est-ce qui ne va pas ?

            Il ne sembla pas étonné de me trouver là.

À ton avis ?

Écoute, William est mon meilleur ami, je ne le vois presque jamais c'est normal que je profite de lui quand il vient en France, non ?

Ton meilleur ami ? Non, mais tu as vu comment il te regarde ?

Si vraiment c'était vrai Antoine, qu'est-ce que ça changerait ? Toi et moi ne sommes pas un couple. Qu'est-ce qu'il se passerait s'il devenait plus qu'un ami ? Il faut que tu comprennes qu'il est important pour moi et qu'il adviendra ce qu'il adviendra.

Il ne deviendra jamais plus !

Antoine, calme-toi.

          Son intonation était excessive. Je ne l'avais jamais vu autant en colère. Il sembla se transformer en monstre engloutissant le garçon que je connaissais parfaitement.

Il s'approcha alors de moi, menaçant. Mais je ne bougeai pas, je ne me rendais pas compte du danger qu'il pouvait représenter, naïve.

Sans que je ne m'y attende, il commença à m'étrangler.

J'étais complètement pétrifiée, étonnée, comme si la situation était inhabituelle alors que la vraie moi savait que ce n'était pas le cas.

J'avais l'impression que c'était la première fois qu'il s'en prenait à moi. Je ne m'étais absolument pas méfiée.

J'ai mal, articulai-je.

          Je tentai de garder mon calme et de respirer du mieux que je le pouvais malgré la douleur qui me faisait bouillir le cerveau.

Il ne deviendra jamais plus tu m'entends ?

          Je réussis à me dégager un peu, le temps pour moi de hurler.

Lâche-moi ! Qu'est-ce qui te prend ?

Tu vas arrêter de le voir !

          J'essayai de le repousser, en vain. Les larmes me montèrent aux yeux. J'étouffais, au bord de l'asphyxie mes jambes commencèrent à me lâcher.

Arrête ça ! Aidez-moi !

          J'avais l'impression de murmurer, qu'aucun son ne pouvait plus sortir de ma bouche.

Je désespérai.

Alors c'est ça ? J'allais mourir ici, toute seule dans une putain de forêt ?

Ferme-la !

          J'entendis des pas de précipitation et entrevis la silhouette de William.

Le blond, choqué par la scène qui se déroulait sous ses yeux, resta un instant prostré sur place.

Finalement, il fonça sur mon assaillant comme une furie et déploya une force que je ne lui connaissais pas.

Il tira Antoine en arrière avant de le plaquer contre un arbre.

Qu'est-ce que tu allais faire ? Tu es complètement fou ? Tu ne vois pas que tu étais en train de l'étrangler ?

Désolé, mec je me suis laissé emporter !

Ne joue pas à ça avec moi !

OK, OK, je m'excuse, tu peux me lâcher maintenant ?

         Will, pas méfiant pour un sou, lâcha Antoine qui semblait s'être calmé et se dirigea vers moi.

Est-ce que ça va ?

         Pour toute réponse, je me jetai dans ses bras. J'aurais voulu me fondre en lui. Disparaître. Sa chaleur m'enveloppa toute entière, apaisant mes tremblements.

Will resserra l'étreinte de ses bras.

Obnubilé par ma personne, il oublia complètement qu'il tournait le dos à la lâcheté personnifiée.

J'entendis un raclement de gorge. Mais le temps que je relève la tête il était déjà trop tard.

Sans nous laisser le temps de comprendre ses plans, Antoine se précipita sur nous et nous poussa en avant.

Je me rendis alors compte que nous nous trouvions au bord d'un fossé.

Will perdit l'équilibre. Toujours cramponnée à lui, il m'entraina dans sa chute.

Par chance, il réussit à rapidement arrêter sa descente.

Il essaya de me rattraper, sans succès. Je ne cessai de tomber sans rien trouver pour stopper ma dégringolade. Emportée dans mon élan, je pris de la vitesse jusqu'à ce que ma tête heurte violemment un rocher.

Les hurlements de William me brisèrent le cœur. Sa litanie accompagna le saignement de ma tête, aucun des deux ne semblait pouvoir cesser. Le déraillement de sa voix me déchira de l'intérieur, littéralement, alors j'essayai de ne pas céder à la fatigue pour le réconforter, je le voulais vraiment, je ne voulais pas l'abandonner, pas maintenant... mais je ne pouvais pas lutter contre le cosmos lui-même, je n'étais pas assez forte, et je fus aspirée par un trou noir.

(1) Angl. Trad. De rien mon ange

********************

Il paraît que les rêves sont des messages que notre subconscient cherche à nous faire passer,

Lily <3

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