Je tiens plus à toi que tu ne le crois
« I wait here forever just to,
To see you smile
Cause it's true
I am nothing without you
Through it all
I've made my mistakes
I'll stumble and fall
But I mean these words
I want you to know
With everything, I won't let this go. »
With Me — Sum 41
Je gardai les yeux clos, laissant la bride de tranquillité et de calme, que me procurait mon semi-sommeil, m'emporter.
Je serais restée allongée des heures comme ça, loin de l'obscurité, mais tout de même en dehors de l'existence. Un univers transitoire bercé par le mécanisme de ma respiration. J'étais bien, ainsi, loin de tous les cauchemars qui teintaient mes nuits, mais en même temps soutirée à cette réalité trop dure à supporter.
Plus les secondes passaient et plus je m'éloignais de cette passerelle reliant le jour et la nuit. Petit à petit, je m'avançai vers le rivage et reposai pied sur les berges du monde réel dont tous les problèmes m'affligèrent immédiatement de mille et une questions.
J'avais beau contorsionner mes soucis dans tous les sens que me le permettait mon esprit, une seule issue semblait envisageable, me frappant de plein fouet, sans répit pour mon cœur : le mensonge.
À mon plus grand dégoût, j'allais devoir mentir effrontément à un ami proche, à des amis proches.
Que dirait Julie quand elle me verrait arriver au bras de mon ex ? Je savais qu'elle m'en voudrait, ils allaient tous m'en vouloir.
J'allais me briser comme un miroir, reportant une fois de plus mes sept années de malheur.
J'aurais voulu m'enterrer de nouveau sous ma couette, rester au chaud, loin des regards et ne jamais sortir de mon trou. M'enfoncer un peu plus loin dans les couvertures et retrouver la plénitude. Je fermai les yeux de toutes mes forces pour cesser de penser, mais tout ce que je réussissais à voir était le visage d'Antoine.
Prise d'un haut-le-cœur, je me précipitai dans la salle de bain avant de régurgiter toute ma peur, ma colère et ma honte dans l'évier.
Tentant de calmer mes pleurs et mes sursauts machinaux je rinçai avidement ma bouche, puis l'évier avant d'en frotter mécaniquement la céramique à l'aide d'une éponge.
Appuyée sur le rebord du lavabo enfin propre, je fixai mon regard dans la glace avant de cesser de pleurer. Je redressai mon visage, dans un élan de courage et essuyai de mes joues toute trace de tristesse.
Préparant mon rôle je me forçai à sourire. Quand ce sourire me parut convaincant, je me dirigeai vers mon placard empoignant les premiers habits qui me passèrent sous la main, prête à supporter l'insupportable.
Lorsque j'arrivai en bas de l'escalier je vis qu'un petit déjeuner plus qu'alléchant et une table fleurie m'attendaient.
— Qu'est-ce qu'on fête ?
Ma tante sortit de la cuisine, elle portait un tablier taché aussi niais que son sourire forcé. Je regrettai immédiatement mes paroles.
— Je n'ai pas faim, navrée, lui répondis-je en battant des cils. Je vais plutôt y aller, je ne voudrais pas arriver en retard !
Je me dépêchai de saisir mon sac avant que ma colère ne prenne le dessus. Son comportement m'insupportait, si j'avais pu je l'aurais remise à sa place, j'avais envie d'apaiser ma haine qui ne cessait de prendre de l'ampleur au fil des jours, il fallait que je me contrôle.
— Bonne journée ma poupée !
— Tu me dégoûtes, murmurai-je assez bas pour qu'elle ne m'entende pas.
J'arrivai dans le hall et je posai un instant mon front sur la porte, pour reprendre mon souffle. Une fois les battements de mon cœur redescendus à la normale, je saisis la poignée afin de l'abaisser. À mon plus grand étonnement, William se trouvait sur le pas de ma porte prêt à frapper.
— Écoute Sarah...
Je posai un doigt sur ses lèvres entrouvertes pour le faire taire : si ma tante le voyait, elle allait me tuer.
— Qui est-ce ? cria Noémie de la cuisine.
— Personne ! répondis-je en claquant le battant derrière mon dos.
Je posai mon oreille contre la porte vérifiant qu'elle n'approchait pas. Rassurée, je me tournai vers mon visiteur. Je me rendis compte que Will n'avait pas bougé, mon doigt toujours sur sa bouche. Je retirai ma main pour la mettre dans ma poche, l'encourageant à reprendre ce qu'il était venu me dire.
— J'en ai assez de t'éviter ! Tu avais raison : je ne te connais pas et je n'aurais pas dû te crier dessus. Mais tu es la première personne que j'ai rencontrée ici, je ne voudrais pas que ça se finisse comme ça.
Il essaya de croiser mon regard, mais mes yeux restèrent fixés sur le sommet de mes pieds. Si je le regardais, je savais que j'allais probablement tout lui avouer... ou bégayer comme une idiote. Je n'arriverais pas à lui mentir, pas à lui.
— Will, il faut que je te parle de quelque chose, dis-je d'une voix roque.
— Je t'écoute.
J'ouvris la bouche prête à lui dire pour Antoine, mais aucun son ne sortit. Je n'en eus pas besoin, Will comprit tout seul quand une voiture rouge luisante se stoppa devant mon garage.
Antoine resta à l'intérieur du véhicule attendant que je le rejoigne. À l'instant où je l'avais aperçu, tout mon corps s'était figé.
— Qu'est-ce qu'il fiche ici ? s'énerva William.
Il ne quittait pas le nouvel arrivant des yeux, comme s'il espérait le voir disparaître en un battement de cil, comme si tout ça n'était pas réel. « Ce n'est pas de ma faute », aurais-je voulu lui assurer. Je laissai ma main glisser le long de son bras pour qu'il me prête attention.
— Will, Antoine est mon petit ami, on s'est remis ensemble hier soir. Je me suis rendu compte que j'avais fait une erreur en rompant avec lui. Il me manquait...
Si un regard avait pu tuer, j'aurais eu le temps de mourir cent fois. Je me sentis fondre de honte, engloutie par les eaux ténébreuses de la fureur de William. Je baissai de nouveau les yeux. Je compris qu'il n'était pas en colère contre moi lorsqu'il porta sa main à mon visage, un contact tellement inattendu qu'il me fit sursauter. Il semblait seulement inquiet, inquiet pour moi... et si triste.
— Tu ne l'aimes pas, chuchota-t-il. Pourquoi fais-tu ça ?
À mon tour, je pris son visage entre mes mains ne fuyant plus ses yeux. William esquissa un mouvement de recul, mais se laissa finalement faire. Il n'avait pas l'air de comprendre la situation, se sentait coupable et aussi paumé que moi. Sa mâchoire se crispa au contact de mes doigts et j'eus alors le sentiment qu'il m'échappait déjà.
— William Lewis, je tiens beaucoup à toi, j'espère que tu le sais ?
Je le vis hésiter une fois de plus entre l'envie de partir et de rester, oscillant entre la colère, l'incompréhension totale et probablement la pitié. Il attendit et au lieu de m'obliger à le lâcher, comme j'avais peur qu'il fasse, il répéta la question dont j'avais volontairement gardé la réponse sous silence.
— Alors pourquoi tu fais ça ? Il... il te bat.
Ça lui était difficile de le dire à voix haute, comme s'il avait peur de réaliser ce que ces paroles signifiaient. Comme s'il avait peur que je confirme ses dires. Une fois que ces mots eurent franchi ses lèvres, je compris que je ne pouvais plus reculer. J'en étais incapable, j'étais incapable de lui mentir effrontément en le regardant droit dans les yeux, alors je hochai la tête en signe d'agrément. Pourquoi lui cacher des choses qu'il savait déjà ?
Cette fois, il recula et commença à partir. Prise de panique, je lui saisis la main le stoppant dans son mouvement. Je l'entendis soupirer, mais il revint sur ses pas, passant délicatement ses bras autour de moi. Je n'osai pas bouger même si je priais pour qu'Antoine ne regarde pas. Distraite, je n'avais pas senti les lèvres de William s'approcher de mon oreille, l'effleurant délicatement.
— Je ne lèverai jamais la main sur toi, murmura-t-il, son souffle contre ma peau. Parle-moi !
Sur l'instant, je faillis me laisser aller, me laisser tomber dans ses bras, bercée par sa présence qui me rassurait chaque jour un peu plus. Il aurait éloigné mes peurs. Sentir le soleil à deux pas, si proche et pourtant si loin, si inaccessible, sonnant comme un appel à la tentation, me rapprocha un peu plus de la révolte. Mais, suivant ma raison, je me ressaisis et ne fis que lui sourire.
— Il ne compte pas pour moi, mais il faut que tu me fasses confiance, affirmai-je heureuse de pouvoir dire la vérité au moins une fois dans la matinée.
William ne réagit pas comme je l'espérais. J'aurais voulu qu'il comprenne, je l'avais souhaité si fort. Mais il s'éloigna d'un pas ne me quittant pas des yeux. Il sembla alors plus froid et distant que jamais il ne l'eût été avec moi.
— Je ne peux pas te faire confiance là-dessus.
Sa voix était ferme et décidée, il serait impossible de le faire changer d'avis et j'eus peur que ça creuse un fossé entre nous.
Je secouai la tête et m'avançai de nouveau vers lui. Je ne pouvais pas supporter cette froideur même si je la comprenais. Je pris une fois de plus son visage entre mes mains cherchant à intercepter son regard qui me fuyait à son tour.
« Ne pars pas, priai-je, ne me tourne pas le dos ».
Antoine klaxonna plusieurs fois avant que je me décide de lâcher le visage de Will. Je m'imaginai rester avec lui, vivre notre histoire, qu'elle soit longue, courte, infinie : quelle qu'elle fût j'aurais été heureuse. Mais je savais que je n'y avais pas le droit et que ce n'était qu'un rêve irréalisable, une chimère, une impossibilité.
Je ne me retournai pas avant de monter dans la voiture d'Antoine, prête à affronter la vie réelle. Malgré tout, je pris le temps de fermer les yeux, un sourire sincère étirant la commissure de mes lèvres laissant mon esprit divaguer dans ce rêve qui ne m'était pas destiné.
*
* *
Antoine passa ses doigts dans mes cheveux m'obligeant ainsi à reprendre le fil de la réalité. Le moteur de l'auto ronronna et je m'empressai d'attacher ma ceinture de sécurité pour assurer ma survie. Une chose de plus qui m'effrayait chez Antoine : en plus d'être idiot, il conduisait comme un malade. J'avais d'ailleurs une théorie assez logique à ce sujet : il devait avoir des difficultés pour lire les chiffres des limitations de vitesse...
Je serrai instinctivement les bras autour de ma poitrine, histoire de contenir mon angoisse, lorsqu'il se décida à prendre la parole.
— Alors, on embrasse plus son copain ?
Au sein d'un couple normal, la réponse allait de soi. Bien entendu, le nôtre était loin d'être conventionnel. Normalement, je me serais penchée vers lui pour saisir ses lèvres sensuellement. Normalement... Si, comme moi, vous ne ressentez aucun désir pour votre petit ami, vous comprendrez aisément que j'aurais préféré sauter de la voiture en marche plutôt que de lui offrir un geste tendre. C'est pourquoi je choisis de lui mentir, m'évitant une syncope.
— Je suis malade mon cœur, annonçai-je tout sourire.
Je battis légèrement des cils et glissai ma main dans mes cheveux châtains cherchant à l'amadouer. Sans en perdre une miette, il passa son bras autour de mes épaules m'attirant doucement auprès de lui, me caressant du bout des doigts.
Au sein d'un couple normal, j'aurais frissonné de désir : ce que pensa probablement Antoine. Dans mon univers, mes frissons étaient synonymes de crainte.
— Je m'en fiche, répliqua-t-il.
Sans me laisser le temps de réagir, il se pencha sur moi et captura mes lèvres. Fiévreux, il approfondit son baiser, me faisant lâcher une grimace au passage. Heureusement pour moi, il ne le remarqua pas. Fatiguée de forcer sur mes bras, je finis par me laisser faire. Je priai alors pour qu'il s'éloigne vite.
Retrouvant sa place initiale, il ne put s'empêcher de me dévorer des yeux ignorant mes peurs. Dégoûtée, je détournai alors mon regard et lui se mit à fixer un point imaginaire, droit devant.
— Il voulait quoi l'autre ? me demanda-t-il innocemment en mettant le contact.
Les pneus de sa Mercedes crissèrent sur le gravier, propulsant le bolide sur la route. Je jetai un coup d'œil en arrière sur le perron où je me tenais quelques minutes plus tôt. Will était déjà parti, probablement en compagnie de mon frère. J'en profitai pour répondre.
— William, dis-je en insistant bien sur le prénom, voulait voir mon frère, il n'était pas là pour moi.
J'étais nerveuse et il risquait de le sentir. Je priai dès lors profondément pour que le sujet se close sans autres explications. Mais comme toujours, mes mensonges comportaient de grosses, grosses failles que j'avais oubliées de prendre en compte.
— Et pourquoi te parlait-il dans ce cas ? me demanda donc Antoine après une seconde d'hésitation.
— Il voulait juste savoir si j'allais bien. Ça s'appelle la politesse, lui lançai-je d'un ton un tantinet trop sarcastique.
Ses mains, dont je vis les jointures blanchir, se crispèrent sur le volant de sa voiture. Il appuya un peu plus fort sur l'accélérateur, la voiture suivant le mouvement. Après un instant de silence, Antoine tourna son regard vers moi, oubliant un instant la route qu'il était en train de parcourir. Ses yeux glacés me brûlèrent.
— Je rigolais Antoine, c'était juste pour te taquiner.
Il ne se détendit pas pour autant et j'eus un instant peur qu'il perde le contrôle du véhicule. Comme je ne m'excusais toujours pas, il s'écria.
— Arrête de me prendre pour un con Sarah ! Qu'est-ce que t'as aujourd'hui ? Je te jure que si tu me fais encore faux bond je...
S'il continuait à se mettre en colère, nous risquions tous les deux de finir dans le décor. Je devais trouver, sans plus tarder, un moyen de le calmer. C'est pourquoi je lui souris de nouveau avant de lui indiquer la route en un mouvement de tête.
Il détourna aussitôt les yeux, repassant par la même occasion son bras derrière mes épaules. Un geste qui n'avait ici rien de romantique, un geste voulant dire « tu m'appartiens, ne l'oublie pas ».
— Ne t'inquiète pas pour ça, repris-je, je ne te ferais pas faux bond. Je sais que je suis de mauvaise humeur ce matin, je m'en excuse. Je t'ai dit que j'étais malade : ça me rend irritable.
Son regard se crispa tandis que je finissais ma phrase. Je ne compris pas tout de suite pourquoi. Je repensai alors à ce qu'il s'était passé un peu plus tôt et ce qu'avait dû voir Antoine depuis sa voiture. Tout mon discours de maladie devait perdre sa crédibilité.
J'avais eu un moment d'égarement, un moment de faiblesse que j'allais devoir payer. Je posai mes lèvres sur la main d'Antoine placée sur mon épaule. Je voulais qu'il oublie toute cette scène qui n'aurait pas dû avoir lieu.
— C'est bizarre joli cœur, avec l'autre tu n'avais pas l'air tant malade que ça, maugréa-t-il.
Antoine aurait mieux fait, pour le bien de tous, de se contenter des explications que je lui avais fournies. Mais il insistait et je finis par m'énerver à mon tour.
— Tu peux le laisser en dehors de ça ? Et puis c'est bon les crises de jalousie ! m'écriai-je, sur la défensive.
Je savais que ce n'était pas la bonne réaction, que j'aurais mieux fait de prendre sur moi et de garder mon calme.
Je crois que j'avais tellement peur qu'il s'en prenne à Will que je ne supportais pas qu'il passe son temps à le replacer au cœur de la conversation. La peur me rongeait tellement qu'elle me faisait perdre le contrôle de mes actes.
J'avais envie de lui crier dessus, la moindre de ses paroles m'horripilait emportant à néant mes résolutions.
— Écoute-moi bien Sarah, mets-toi bien ça dans le crâne : je ne serai jamais jaloux pour une fille aussi banale que toi ! Et il va vraiment, urgemment, falloir que tu apprennes à me parler autrement si tu ne veux pas que je m'occupe de ton éducation !
Son bras, toujours à mon contact, m'électrocuta. Instinctivement, je le repoussai loin de mon corps. Je me broyai les côtes pour me placer face à lui, dans la mesure où cette foutue ceinture de sécurité me le permettait. Ne pouvant plus mâcher mes mots je me mis à crier :
— Non, mais tu t'entends ? Je ne suis pas ton chien Antoine !
De sa main libre, il m'assena une gifle monumentale et je me retins de lui mettre mon poing dans la figure. J'étais encore assez lucide pour me rendre compte que ça aurait mal tourné. Je sentais déjà les larmes de rage et de frustration s'échapper de mes yeux, comme les traitresses qu'elles étaient, pour aller couler le long de ma joue rougie. Cette dernière commençait à me brûler et ma main me démangeait méchamment.
Combien de temps allais-je encore devoir supporter ça ?
Voyant que je ne répliquai rien, Antoine reposa ses deux mains sur le volant. Le reste du trajet se fit dans le silence et je préférai admirer le paysage, venimeuse.
C'est dans cette ambiance qu'Antoine se gara sur le parking du lycée. Il coupa le moteur et se laissa tomber contre le dossier de son siège. Je m'apprêtai à sortir lorsqu'il saisit doucement ma main pour que je me tourne.
— Excuse-moi ! marmonna-t-il.
À ces mots je crus défaillir. Venait-il de s'excuser ? Depuis quand reconnaissait-il ses erreurs ? Je dus bien rester une minute ou deux, attendant la bouche béante.
— Je te demande pardon ? murmurai-je comme s'il m'avait parlé dans une langue inconnue.
Antoine se frotta les mains sur les cuisses hésitant à répéter ses excuses. Il devait probablement se demander si ça ferait de lui un faible. Il soupira bruyamment mettant fin à son dilemme interne.
— Excuse-moi... je n'aurais peut-être pas dû te gifler, répéta-t-il calmement.
J'eus envie de l'envoyer se faire foutre, mais c'était tellement rare d'obtenir des excuses de sa part que je préférai lui répondre que je le pardonnais pour cette fois. Mais je crois que le « pour cette fois » ne l'enchanta guère.
— Si c'est comme ça que tu le prends ! s'écria-t-il en sortant de la voiture.
Il claqua violemment la portière de sa bagnole et me rejoignit de l'autre côté de crainte que je ne prenne la fuite. Ce qu'il ne savait pas c'est que je n'en avais pas l'intention. J'avais cessé de fuir depuis un moment.
Je pensais stupidement que me soumettre m'attirerait moins d'ennuis, mais, il me restait un problème qui ne suivait pas, une fois encore, le sens de mes résolutions : j'étais têtue comme une mule et incapable d'intérioriser mes pensées.
— Qu'est-ce que tu voudrais que je te dise ? Tu préférerais : « je te hais ? Je n'ai qu'une envie : te voir mort et enterré » ? minaudai-je.
Qu'est-ce que ça faisait du bien de pouvoir dire la vérité ! Il ne semblait pas comprendre que mon sourire ironique était porteur d'une promesse meurtrière. Mieux valait-il qu'il l'ignore. Je sentais la haine et la peur se confondre dans mon cœur dans un combat sanguinaire. Mon esprit, lui, me hurlait de la fermer. Mais quand Antoine reprit la parole, je ne pus une fois de plus m'empêcher de répliquer.
— J'voulais pas dire ça !
— Pourtant tu l'as fait.
Ma voix sonna telle une gifle rapide et violente. Un claquement sonore à la fois sourd et puissant, empoisonné par l'envie de me venger.
Plus la discussion avançait, plus j'allais loin, je repoussai les limites du supportable pour Antoine, trop loin, beaucoup trop loin. Je voulais me prouver que je pouvais encore être forte face à lui.
— Je t'aime.
C'est ça qui était le plus exubérant chez Antoine. Il croyait que ces trois petits mots, dont il ignorait le sens, pouvaient effacer en moins de deux tout ce qu'il m'avait fait endurer.
Il n'avait pas l'habitude qu'on lui dise non, pour quoi que ce soit. Son quotidien consistait à recueillir tous ses souhaits en un claquement de doigts. Il ne comprenait pas que je puisse faire abstraction à cette règle aberrante qui lui facilitait la vie de tous les jours.
Il avait tout pour lui : la beauté, l'argent et une grande force de persuasion.
Que je résiste l'empoisonnait, que je continue de répliquer écrasait son égo surdimensionné, l'assommant d'un poids intolérable.
— Tu as une bien drôle de façon de le montrer, ricanai-je avant de prendre le chemin du lycée sans même l'attendre.
— J'n'y comprends rien ! Tu m'as dit hier que tu voulais être avec moi ! dit-il en me barrant brusquement le passage.
Ce mec était ahurissant, vraiment. Une vraie "comedia del arte" à lui tout seul. Je sentis une force imaginaire me porter alors que je savais au plus profond de moi qu'elle était vaine et illusoire. Rien ne me portait, cette force n'était pas réelle et j'allais forcément perdre ce match. Mon adversaire savait ce qu'il voulait et, que cette force soudaine me pousse à m'affirmer ou non, j'allais forcément me retrouver à terre. Je n'étais pas de taille contre lui.
— Tu m'aurais laissé le choix de toute façon ?
— Non ! trancha-t-il sans la moindre hésitation.
— Alors, ne viens pas te plaindre. C'est ce qui arrive quand on force les gens.
Je croisai les bras contre ma poitrine et le défiai du regard. Une menace de trop, un regard de travers qui désintégra tout le contrôle d'Antoine. Il ne pouvait supporter rien de plus de ma part. J'avais dépassé les bornes et au fond je le savais. Cependant, il était trop tard pour y remédier.
Il regarda autour de lui, vérifiant que personne ne nous portait attention, et avant que je ne puisse réagir referma ses mains sur mes poignets commençant déjà à les tordre. La douleur mit un temps infiniment court à se manifester, elle apparut, piquante, comme si elle avait longtemps guetté, avec envie, le moment de me ronger, rampant comme une ombre autour de ma personne.
— Tu vas arrêter ta crise tout de suite ! C'est bien compris ? menaça-t-il.
— Lâche-moi.
Il me serra les poignets de plus en plus fort, appuyant de manière méthodique sur mes articulations pour m'obliger à suivre le moindre de ses gestes. La souffrance parcourut le reste de mon corps, aussi vite qu'une décharge électrique.
J'avais le visage et la main en feu, je sentis une goutte chaude et délicate rouler sur ma peau déjà bleuie par sa gifle.
« Ne t'excuse pas Sarah, je t'en supplie, sois forte, ne t'excuse pas ».
Je me haïssais pour avoir trop parlé. Je me haïssais pour avoir oublié de peser mes mots. Je me dégoûtais déjà en pensant que j'allais une fois de plus lui obéir.
J'avais joué avec le feu. J'avais voulu faire ma maligne avec mes grands airs ce qui me rendrait encore plus stupide.
Il me blessait, aussi bien physiquement que mentalement, et je commençais à penser que je l'avais bien mérité.
— Fais ce que je te dis et je te lâcherai ! Tu vas être une gentille fille et me faire le plaisir de te montrer plus cool ! Tu m'as entendu ?
— Lâche-moi, tu me fais mal ! Tu t'en voulais de m'avoir giflé Antoine ! Pourquoi est-ce que tu continues ? S'il te plait, ne me fais pas regretter d'avoir cru que tes excuses étaient sincères.
Je me concentrai au maximum du possible pour lui offrir un regard suppliant et convaincant. Ce qui dans le cas présent ne fut pas difficile à obtenir. J'espérais encore pouvoir le toucher. Je me disais que s'il me poursuivait ainsi depuis quelques années c'est qu'il devait, d'une certaine façon, tenir à moi. C'est cette bride d'affection cachée que je voulais trouver, ma seule carte. Mais ce sont seulement des sentiments sombres et une envie de me faire taire que je lisais dans le regard grisant, presque maléfique, d'Antoine. Il ne s'attendrit pas le moins du monde et gronda :
— Réponds juste par oui ou non, est-ce que tu as entendu ce que je t'ai dit ?
— Non, arrête ça s'il te plait, arrête ! m'écriai-je.
— Je reformule ma question : réponds par oui ou je t'écrase la tête sur le béton !
Un grognement de rage presque animal s'échappa de ses dents serrées. Mes yeux brouillés par les larmes avaient du mal à le fixer et à soulever cet air démoniaque qui déformait ses traits. Mon cœur fit un bond comme s'il allait s'arracher.
J'étais terrifiée, complètement déboussolée, et je sentais mes lèvres frémir refusant obstinément de laisser sortir les mots que mon tyran souhaitait entendre.
Antoine perdant patience referma sa main autour de mon cou et me fit reculer jusqu'à la voiture. Une fois que je fus coincée entre lui et la ferraille, il referma doucement son emprise sur ma gorge tremblante. Dans un élan de lucidité, je réussis enfin à articuler.
— Oui, d'accord, tout ce que tu voudras, mais laisse-moi !
Comme si j'avais appuyé, sans le vouloir, sur un bouton d'arrêt d'urgence, le visage d'Antoine retrouva instantanément forme humaine. Il se radoucit, laissant de nouveau apparaître ses traits d'une beauté innocente. Ses mains relâchèrent leur étreinte et vinrent fourrager mes cheveux tandis que ses lèvres trouvèrent doucement le chemin des miennes. Il se recula lentement, après ses caresses, et me prit gentiment la main comme si sa colère n'avait jamais existé.
— Je préfère ça ! dit-il enfin. Tu viens chérie ? On va en cours : je ne pense pas que tu aimerais arriver en retard.
Il pensait à ma place maintenant ? J'avais mal de partout et les yeux en feu, mais j'avançais en silence dans les bras de ce sale psychopathe en esquissant un sourire pour ne pas m'attirer ses foudres.
J'avais envie de hurler, de me débattre, d'appeler à l'aide, mais je ne voulais pas prendre le risque de souffrir à nouveau.
Sa soudaine douceur me répugnait, pourtant elle valait un million de fois plus que tout ce que je recevrais si jamais je parlais de mes blessures à qui que ce soit.
Tout ce qui comptait était d'obéir pour que la douleur cesse. Je savais très bien que si je me plaignais, le coup suivant serait deux fois pire.
Je n'en pouvais plus d'avoir mal, mais marcher à ses côtés continuait malgré tout de m'anéantir. Ses doigts caressant les miens, sa main allant parfois se perdre le long de mes hanches, cette attitude qui paraissait naturelle à tous les couples et qui ne l'était absolument pas pour nous.
J'avais l'impression nauséabonde de me trouver au bord d'un puits sans pouvoir sauter dedans pour en finir.
Au loin, j'aperçus notre salle de classe et commençai alors à me relaxer. La pression retomba, au fur et à mesure que nous avancions en direction de notre premier cours de la journée, car je savais que dans quelques minutes Antoine allait devoir me lâcher.
Ce soulagement fut de courte durée, ma conscience reprenant le dessus sur mes émotions. La culpabilité me rongea instantanément lorsque je sentis le regard de Will et de Julie me transpercer quand j'entrai dans la classe. Antoine avait fini par me lâcher la main, mais pas assez tôt pour que notre fine étreinte n'échappe à mes amis.
Je gardai alors le silence et me dirigeai tête baissée à ma place. William m'attendait déjà. Une fois assise, je me tournai vers lui ne pouvant supporter davantage son regard posé sur moi. Il semblait tourmenté et en colère. Comme je n'osais pas ouvrir la bouche et que le cours n'avait pas l'air de vouloir commencer, il se risqua à me demander :
— Qu'est-ce que tu as au visage ?
— Rien, pourquoi ? murmurai-je enfin.
Antoine adressa un brillant doigt d'honneur à Will que je retins par le bras pour l'empêcher de se lever. Il fulminait et Antoine l'attisait. Il ne manquait plus que ça. Heureusement pour eux, la prof, le dos tourné, ne semblait rien remarquer d'alarmant dans le comportement de ses élèves silencieux. L'électricité de la pièce devint si suffocante que j'en eus du mal à respirer.
— Parce que si c'est l'autre qui t'a fait ça, il est mort ! répliqua-t-il sans cesser de fixer Antoine.
Je lui lâchai sèchement la main. Mon mouvement éveilla sa curiosité l'obligeant à se tourner vers moi pour comprendre ce qui avait pu provoquer, dans ses paroles, ma soudaine froideur.
— Vous ne pouvez pas penser à autre chose qu'à la violence ? Mais qu'est-ce que vous croyez à la fin ? Il y a d'autres moyens de régler ses problèmes ! Je vais le tuer, je vais le tuer, vous ne pouvez pas changer de disque ?
Je repris plusieurs fois ma respiration avant de me rendre compte de ma position.
Sans le vouloir, j'avais violemment repoussé ma chaise et je me tenais debout, les mains plaquées sur le bureau, au bord de la panique.
Bien entendu, tout le monde me fixait, les chuchotements avaient cessé, notre professeure n'osait plus esquisser un geste.
J'avais pensé hurler tout ça dans ma tête, mais les mots avaient franchi le portail de mes lèvres, trop longtemps closes, sans me demander mon avis.
William était probablement le plus drôle à voir, je crois qu'en d'autres circonstances je me serais écroulée sur place sans plus jamais m'arrêter de rire. Il n'avait pas bougé d'un pouce, choqué par la subite réaction nucléaire à laquelle il ne s'était probablement pas préparé. Je le vis cligner des yeux plusieurs fois d'affilée.
Au bout de ce qui me sembla des heures, je finis par réagir. Je saisis mon sac avant de quitter la salle pour échapper au lourd silence de mes camarades.
Au loin, je l'entendis me poursuivre, mais je ne ralentis pas pour autant.
— Sarah, attends-moi ! Écoute, je suis désolé.
— Désolé ? J'en ai assez des excuses, elles ne servent à rien si c'est pour recevoir des bleus après les avoir acceptées ! Un pardon, ça se respecte !
William finit par me rattraper, me stoppant dans mon élan. Tout d'abord surprise, je le laissai instinctivement se rapprocher de moi puis, me remettant de ma stupeur, je reculai le plus loin possible.
Il s'arrêta alors net au milieu du couloir et croisa les bras sur son torse comme pour prendre sa défense. Il semblait agacé, mais n'avait pas pour autant l'air d'être prêt à me ficher la paix.
Finalement, j'aurais dû le remercier de m'empêcher de couler.
— Écoute, je ne suis pas Antoine !
— William, je suis fatiguée, laisse-moi...
— Dis-moi ce qui s'est passé. Tu m'as demandé d'avoir confiance en toi, je l'ai fait. Maintenant, c'est à toi de me faire confiance, dit-il d'une voix qui se voulait beaucoup plus douce et mesurée.
Je repartis dans mon élan, lui tournant le dos.
— Je n'ai pas envie d'avoir confiance en toi. Je n'ai confiance en PERSONNE ! Fiche-moi la paix, une bonne fois pour toutes. Tu peux m'expliquer ce qu'il y a de difficile à comprendre là-dedans ? Je te déteste !
Je restai sans bouger au milieu du couloir me demandant si j'avais réellement dit ce que je pensais avoir dit. Je voulais ravaler mes paroles. Je m'étais laissée guider par mes émotions sans me contrôler. Toute cette haine ne lui était pas destinée.
Après un long moment d'hésitation, je me retournai pour lui faire face. Il n'avait pas bougé, mais je l'avais blessé : ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. J'eus alors peur qu'il parte sans dire un mot, mais ce ne fut pas le cas. Il se contenta de hocher la tête.
Sans réfléchir, je le rejoignis et me blottis contre lui. J'eus peur qu'il me rejette, qu'il me repousse, mais il n'en fit rien. Au lieu de ça, il me serra encore plus fort.
Cette étreinte je ne la méritais pas, tellement pas. Pourtant, égoïste, j'enfouis mon visage dans son cou laissant libre cours à mes larmes de s'écouler.
Les faits de ce matin s'échappèrent de mes lèvres au fil de mes pleurs salés. Un moment il resta muet, sans trouver les mots qui apaiseraient ma litanie.
— Sarah... Sarah écoute, je suis désolé, tellement désolé, j'aurais dû être là...
— Ce n'est pas ta faute, hoquetai-je. Tu ne savais pas.
— Ne pleure pas, s'il te plait ...
Il avait l'air mal à l'aise, ne sachant pas trop comment réagir, paniqué face à ma tristesse. Finalement, il desserra son étreinte faisant glisser ses bras le long des miens pour saisir mes mains et me regarder. Cessant de respirer, ses yeux chatouillant mon visage, je détournai la tête tout aussi embarrassée que lui.
— C'est à moi de m'excuser, repris-je, je ne pensais pas ce que je t'ai dit, j'étais un peu trop énervée. Tu sais, toutes ces paroles, elles étaient pour Antoine, pas pour toi.
— Je sais, ne t'inquiète pas pour ça, dit-il avant de me reprendre doucement dans ses bras.
Mon malaise réapparut, sous une forme différente, ne sachant pas ce que cette étreinte signifiait pour lui.
Je commençais seulement à me rendre compte que je n'avais pas envie d'être son amie, je voulais plus.
Je le savais grâce à toutes les réactions de mon corps comme si celui-ci répondait à un appel irrésistible : mon pouls s'accélérait, je frissonnais tout en ayant chaud, mes pensées s'embrouillaient comme si plus rien n'avait de sens, comme si d'un seul coup tout tournait autour de lui et de ses bras qui me maintenaient contre lui.
Je voulais qu'il ressente la même chose, mais je n'arrivais pas à le concevoir.
— Will... pourquoi fais-tu tout ça pour moi ?
Mes paroles m'avaient une fois de plus échappé et je me sentis rougir. Il fallait sincèrement que je pense à me scotcher la bouche. William se redressa de toute sa hauteur, interloqué, les yeux dans le vide, sans oser me regarder.
J'avais peur de tout avoir gâché, qu'il comprenne ce que je voulais entendre et qu'il s'éloigne. Je n'avais pas voulu de lui dans ma vie pour qu'il ne lui arrive rien. J'avais voulu l'éloigner pour qu'on lui fiche la paix, mais j'avais malgré tout, égoïstement, peur de le perdre.
S'il voulait être un ami, il serait un ami : c'était mieux que ne pas l'avoir du tout.
Je m'apprêtai à m'éloigner pour lui demander d'oublier ma question lorsqu'il prit la parole.
— Je ne sais pas. Je ne supporte pas de te voir pleurer, murmura-t-il, je ne supporte pas son sourire de crétin victorieux quand vous me croisez ensemble. Le pire, je crois, c'est que tu as peur de lui, je le tuerais pour ça. Et puis, je crois que je suis un peu... jaloux, marmonna-t-il. Je ne supporte pas qu'il te touche.
Je déposai délicatement mes lèvres sur sa joue ne pouvant empêcher mon souffle de s'accélérer, une fois de plus.
Espoir, tendre espoir tu peux tellement faire du mal et du bien en l'espace d'une simple seconde. Mais s'il n'y avait pas d'espoir, la vie serait vaine.
Je ne pus alors m'empêcher d'espérer lorsqu'il se pencha à mon oreille.
— Je t'aime, chuchota-t-il avant de se stopper dans son élan.
Il n'avait pas l'intention de le dire et je ne savais pas s'il le pensait.
Son étreinte se fit alors plus froide, plus dure, comme s'il avait fait une erreur. Je le voyais déjà s'éloigner en courant me plantant au milieu du corridor.
Il s'apprêtait à me lâcher, mais sans réfléchir je lui saisis le bras pour l'empêcher de partir. Il ne bougea pas, fixant ma main puis mon visage comme s'il réfléchissait.
Alors, je laissai retomber mes bras le long de mon corps et baissai la tête, comme si le monde venait une fois de plus de s'écrouler, mes espoirs réduits à néant. Mais Will ne me laissa pas, au contraire, je sentis ses mains se déposer doucement sur mon visage, alors il souleva mon menton et se pencha pour déposer ses lèvres sur les miennes.
Je ne compris pas immédiatement ce qui venait de se passer, tout ce que je sais c'est que je répondis à son baiser. J'agrippai ses cheveux de mes mains fatiguées et endolories pour attirer son visage encore plus près du mien, oubliant le monde alentour.
Plus rien ne me semblait triste, je ressentais seulement la chaleur de ses doigts, caressant mon visage et la douceur de ses lèvres dont j'avais tant rêvé.
Le temps s'était arrêté, j'aurais pu rester comme ça des heures sans même le remarquer. Mais ses lèvres finirent par s'éloigner des miennes et je réussis enfin à dire la chose que je n'avais cessé de refouler depuis des semaines et des semaines.
Les autres avaient essayé de m'en persuader, mais au fond, je le savais déjà. Je plongeai mes yeux charbonneux dans l'abysse des siens profitant de notre proximité pour remettre en place une mèche de ses cheveux désordonnés.
Alors comme ça, il m'aimait vraiment, et aussi curieux que cela puisse paraître, cette simple pensée eut le don de replacer ma vie sur l'axe stable dont elle s'était longtemps échappée. Tout me semblait plus naturel, plus logique.
Ainsi, je me hissai sur la pointe des pieds et lui chuchotai à l'oreille tout ce que je ressentais, le résumant en cinq petits mots, cinq mots qui pourraient changer le cours des choses :
— Moi aussi je t'aime.
Je me sentis étrangement complète, stable, saine et sauve, même si, dans le fond, rien ne changerait. Tout ce qui comptait était que je savais qu'il tenait à moi et que je savais enfin ce que je ressentais pour lui.
Je me demandais comment j'avais fait pour me voiler la face si longtemps, alors qu'en un instant si court, être avec lui devenait une évidence.
Mais si, dans cette chaleur nouvelle, je ne pensais plus à Antoine, celui-ci flottait au-dessus de ma tête, telle l'épée de Damoclès, prête à s'abattre au moindre faux pas.
Mes sentiments pour William n'allaient sûrement pas faciliter les choses.
Je devais continuer de jouer mon rôle auprès d'Antoine plaçant dans l'ombre ma relation naissante. Tant que le problème Antoine ne serait pas résolu, tout demeurerait compliqué.
Mais je ne voulais pas y penser préférant profiter du contact de ses lèvres sur ma peau et de la douceur de ses mains glissant lentement dans mon dos.
Je sentais mon cœur battre à une vitesse incroyable sans que je puisse l'en empêcher, les battements échappant à mon contrôle. Pour tout dire, ça me plaisait.
— Hum... hum !
Il suffit d'un bâton de dynamite aux cheveux roux pour nous ramener dans le monde réel. Une fraction de seconde et la voix joyeuse de ma Julie.
Par réflexe, William se décolla de moi. De mon côté, je cherchai une diversion crédible et ne trouvai rien de mieux que de siffloter.
« Quoi ? Ça marche d'habitude... dans les films... non ? »
Apparemment j'étais à côté de la plaque, car mon comportement qui se voulait naturel n'eut pour effet que d'entraîner des éclats de rire.
J'entamai alors le deuxième acte de ma diversion, ignorant du mieux que je pus l'hilarité de mes compagnons de couloirs, et feins l'étonnement.
— Julie, mais qu'est-ce que tu fais là ?
Je surjouai, dans un discours trop articulé, ce qui rendit une fois de plus ma prestation désastreuse.
Julie plaqua sa main sur son front stipulant ainsi, de la plus belle et imagée des façons, que je n'étais pas crédible pour un sou.
Voyant que nous ne bougions pas d'un pouce, elle finit par approcher histoire de nous remettre les pendules à l'heure.
Il faut dire que je venais de vivre un voyage unique, au travers de l'espace-temps, et que j'aurais été incapable d'indiquer le Nord ou quoi que ce soit de rationnel à qui que ce soit.
Le décalage horaire allait vraiment faire mal.
— Au cas où vous l'auriez oublié, vous venez de sortir du cours de physique en criant comme des dératés... enfin bref. Madame Arnault vous demande de revenir immédiatement.
Julie s'arrêta de parler pour mieux nous contempler. Je ne sais pas ce qu'en pensa Will, mais j'eus l'impression d'être littéralement déshabillée par son regard inquisiteur.
Elle dégagea un sourire en coin en voyant notre gêne et je sentis bien qu'une question lui brûlait les lèvres. J'attendis donc qu'elle se lance connaissant suffisamment Julie pour savoir qu'elle ne pourrait pas se retenir de parler.
— Sarah, finit-elle comme prévu par demander, qu'est-ce que tu faisais dans les bras de William ? Je croyais que tu sortais avec Lacombe, tout ça devient trop compliqué pour moi ! Ce n'est plus juste un ami alors ? Tu changes vite d'avis, dis-moi ! Mais ne t'inquiète pas je serais très heureuse que ce soit le cas, parce qu'étrangement j'ai une certaine aversion pour l'autre crétin ! Il est bien mignon, mais bon... à moins que vous ne cherchiez à faire une espèce de plan à trois... Bon, c'est déjà bien ! Vu vos tronches je suppose que le plan à trois n'est pas à l'ordre du jour, ça me rassure un peu.
Elle me transperça du regard cherchant à me déstabiliser pour que je crache le morceau. Son regard réprobateur était feint et elle s'attendait probablement à ce que je me mette à sauter sur place, en rigolant comme une cruche, avant de lui avouer que j'étais raide dingue de William et que par le plus grand des hasards il était aussi raide dingue de moi.
C'est pour dire à quel point elle allait être déçue par ma réponse :
— Non, non ce n'est pas ça, en fait on... enfin nous...
— Je la réconfortais juste, me sauva William, elle avait besoin de parler alors on a parlé, c'est tout. Désolé de t'avoir donné de faux espoirs.
— Alors comme ça tu embrasses tendrement toutes tes amies qui se sentent mal... Je te remercie pour cette information, je la retiens pour la prochaine fois ! Tu ne t'étonneras pas trop : je risque de me sentir vraiment mal quand tu seras dans les parages.
Julie envoya un baiser volant à William et battit langoureusement des cils. « Pris à son propre piège ».
La scène était à mourir de rire : Will, penaud, se m'y à ébouriffer ses cheveux à n'en plus finir face à Julie sautillant dans le couloir en incarnant parfaitement le rôle de la groupie qu'elle venait elle-même de s'attribuer.
Je laissai mon regard se balader entre les deux, ne tenant plus, je finis par m'effondrer de rire rapidement accompagnée par ma meilleure amie. L'atmosphère auparavant gênante devint plus confortable.
Enfin prête, je lui avouai tout ce qui venait de se passer. Par chance, Julie me comprit et promit de ne rien divulguer.
— Antoine me tuerait, ajoutai-je.
— Tu parles, s'il te touche je lui pète les rotules, ricana Will.
Je lui donnai un bon coup de coude dans les côtes afin de lui faire passer mon mécontentement. Un véritable enfant.
— Arrête avec ça, s'il te plait !
— OK, j'arrête d'en parler ! Mais ne va pas croire que ça change quoi que ce soit, marmonna-t-il.
Je fis mine de ne rien avoir entendu. J'avais accepté de lui ouvrir mon cœur, mais je ne pouvais pas le mêler à ma relation avec Antoine. Je cherchai le regard de Julie pour obtenir un soutien, mais elle me donna tout le contraire.
— En même temps, il n'a pas tort, renchérit ma meilleure amie en regardant au plafond comme si elle n'avait rien dit, c'est tout ce qu'il mérite.
Je me détendis un peu préférant prendre, une fois de plus, la situation à la rigolade.
J'avais tout le temps du monde pour m'inquiéter.
Je demandai donc à Julie, en me moquant légèrement, de ne pas encourager William dans ses enfantillages qu'il avait du mal à contrôler.
Ce dernier se vexa, boudeur, comme l'enfant qu'on l'accusait d'être. Julie profita de la situation pour l'embêter un peu plus et me prit par le bras en ignorant royalement les grognements de Will.
Suite à cela elle commença à faire ce qu'elle savait le mieux : des messes basses.
— Alors, dis-moi tout, il embrasse bien ?
— Je vous entends toujours !
— Quel rabat-joie, scanda ma meilleure amie.
Elle me fit un clin d'œil et m'attira encore plus loin sans cesser de ricaner. Julie n'avait pas l'intention de me lâcher. Un vrai paparazzi. Mais, contre toute attente, elle fut coupée dans son élan professionnel par mon petit ami non officiel.
— Bon, je sais que vous avez beaucoup à vous dire toutes les deux, mais si on ne retourne pas en cours maintenant on risque de se faire coller tous les trois !
Je me retournai prenant un air faussement agacé. Pour renforcer mon attitude boudeuse, je soupirai le plus fortement possible. Une fois que ma posture me parut convaincante, je répliquai.
— Julie a raison : qu'est-ce que tu peux être rabat-joie !
Il me tira la langue avant d'accélérer le pas pour nous doubler sans demander son reste. Je lui courus après pour le rattraper. Il fit semblant de m'ignorer, de faire la tête, mais finit quand même par céder à mes supplications. Je profitai de son attention pour ajouter :
— Mais c'est pour ça que je t'aime.
William me sourit et, comme je l'espérai, combla l'espace qui nous séparait. Il commença magnétiquement à se pencher sur mes lèvres lorsque Julie s'écria.
— Non pas devant moi s'il vous plait !
Trop tard, je me dressai sur la pointe des pieds, saisissant le visage de William entre mes mains et déposai un nouveau baiser sur ses lèvres. Ce dernier ne se fit pas prier pour me le rendre avec une ardeur qu'il tentait de contrôler.
Derrière nous, Julie se masqua aussitôt les yeux sous des airs dégoûtés. Malheureusement pour elle son gloussement la trahissait.
Nous rejoignîmes alors la salle de physique pour y passer le reste de l'heure.
J'avais la tête ailleurs. Suivant mes pensées, je cherchai mon camarade de table du regard. Il était tourné sur le côté, ses yeux bleus noyés dans le vide. Il m'était difficile de réellement l'analyser sous cet angle, mais il me sembla que, si je pouvais y lire une once de bonheur, il y brillait également de l'angoisse.
Je suivis la ligne de mire de ses yeux et finis par croiser ceux de mon très cher Antoine. Il ne cessait de nous toiser, comme si, par intermittence, il cherchait à sonder mon âme. « Tu te fais des idées Sarah... ». Je lui souris comme si de rien n'était avant de détourner les yeux.
Quand j'osai enfin regarder autour de moi je remarquai quelque chose qui m'avait jusqu'alors échappé : une dizaine de paires d'yeux nous fixaient, pas seulement Antoine, mais une bonne partie de la classe.
— Will, pourquoi tout le monde nous regarde ?
Il haussa les épaules comme si la situation lui semblait naturelle avant de me répondre.
— Il y a cinq minutes tu étais en larmes en train de me hurler dessus et maintenant tu ressembles à une pile électrique prête à exploser de bonheur... pas que ça me déplaise, au contraire, mais ça peut paraître curieux. Et puis, se risqua-t-il, je sais que tu ne veux pas que j'en parle, mais le joli bleu que tu as sur la joue ne doit pas arranger les choses.
Un bruit le fit sursauter ce qui me confirma qu'il était sur les nerfs. Je le suppliai intérieurement de ne pas se retourner en direction d'Antoine qui tentait d'attirer mon attention pour me faire passer un mot. Je ne sais pas si je réussis à lui faire passer le message, mais il ne bougea pas d'un pouce. En revanche, je l'entendis grommeler.
— Par contre, je me demande pourquoi l'autre te fixe. J'espère qu'il a enfin compris qu'il était de trop.
Je lui filai un coup de pied sous la table. Il allait finir par nous porter la poisse avec ses vœux bidon.
— Moi j'espère qu'il est resté stupide et qu'il n'a rien compris du tout. Il doit seulement se poser les mêmes questions que les autres.
Will secoua la tête et rigola. Je sentis son souffle contre moi, son parfum recommença à m'enivrer alors je serrai les poings pour ne pas bouger.
— Je croyais que tu ne voulais pas qu'on s'expose publiquement. Sûrement parce que tu as honte de moi, mais là n'est pas le sujet !
— Arrête de dire des conneries ! Comment veux-tu que j'aie honte alors que tu es ...
Magnifique, angélique, mystérieux et incroyablement intentionné, solitaire et pourtant si présent... différent ?
Une étrange sensation m'envahit, j'eus envie de lui poser mille questions pour mieux le connaître, j'eus envie de passer des heures à l'analyser pour apprendre chacune des expressions de son visage parfois indéchiffrable, tracer de mes doigts le chemin de ses tâches de rousseur jusqu'aux fossettes de ses joues.
Je me mordis les lèvres embarrassées par mon esprit qui me hurlait de l'embrasser.
— Je suis ?
— Rien du tout, me renfrognai-je. Et puis je peux savoir pourquoi tu dis ça ?
— Regarde par toi-même.
Notre proximité électrisante m'était passée complètement inaperçue, comme s'il était naturel de m'approcher de lui au plus près que nous le permettait notre enveloppe charnelle. Mon visage se trouvait à environ dix centimètres du sien et je n'avais sûrement pas cessé d'observer ses lèvres bouger.
Je me redressai instantanément sur ma chaise, raide comme un piquet.
Pour laisser de côté mes pensées indécentes, je portai une attention particulière à l'écriture de mon professeur. Je n'avais jamais remarqué à quel point elle était soignée, chaque lettre était régulière et bien tracée, on aurait presque dit de la calligraphie.
Malgré tout, rapidement ennuyée, je cherchai une échappatoire par la fenêtre de la classe. Dehors, le ciel était bleu et le soleil brillait. La neige de décembre devait être d'une beauté remarquable dans les montagnes. « Comme sur les cartes postales des Alpes qu'il y a dans la cuisine de Noémie ». J'aurai tout donné pour partir un moment à la neige, me perdre dans les étendues blanches et silencieuses. Je me voyais déjà assise, profitant de la chaleur des rayons du soleil ricochant sur les cristaux de glace.
— À quoi tu penses ?
— Je m'imaginais juste dehors au lieu d'être enfermée dans une salle de classe, soupirai-je.
— Si tu étais dehors tu devrais supporter tu sais qui à tout bout de champ, pas sûr que ce soit une bonne idée.
— Tu es vraiment un briseur de rêve...
— Le plus horrible de tous angel.
Il ne se rendit pas compte qu'il m'avait fait de la peine. Je passais mon temps à essayer d'oublier la situation et je n'avais pas envie qu'on me la rappelle, surtout pas lui.
Je réprimai un soupir et sortis une nouvelle feuille à carreaux de mon sac pour griffonner mes idées noires.
Pourquoi fallait-il qu'Antoine existe ? Pourquoi fallait-il que ça tombe sur moi ? J'en avais assez de sa petite personne qui revenait sans cesse à l'assaut. Il ne m'avait jamais laissée tranquille. Jamais. Son petit jeu avait commencé avant même que je ne me sois totalement remise de la mort de mes parents. Mes parents... soudainement, mon cœur se mit à accélérer de manière inquiétante. C'est ce qui m'arrivait lorsque je pensais à eux.
William posa sa main sur ma cuisse, et la caressa discrètement de ses doigts.
— Tu vas bien ? Sarah ? Tu m'entends ?
— Oui, oui je pensais juste à... à autre chose.
— Tu es toute blanche.
— Ce n'est rien.
*
* *
La cloche de la dernière heure de cours sonna comme une condamnation. Je la sentis retentir le long de mes membres emprisonnant mon estomac d'une étreinte de fer. Will avait raison : l'extérieur n'avait rien de bon à m'offrir. Paniquée, je lui lançai un regard suppliant : « Je te raccompagne à ta voiture ? me demanda-t-il calmement.
— Non. Ce n'est pas Alex qui va me ramener. Je n'ai pas envie de t'imposer ça.
— Tu n'es pas obligée de rentrer avec lui tu sais.
— Si, je le dois. Je me suis attiré suffisamment d'ennuis pour aujourd'hui. Ne t'en fais pas pour moi.
Sans me laisser le temps d'ajouter quoi que ce soit, il me prit par le bras et m'entraîna hors de la salle de cours sous le regard frustré d'Antoine. « Ne rends pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà ». Je le suivis, malgré tout, ne pouvant que céder à mes désirs.
William m'entraîna dans un recoin silencieux, à l'abri des regards, et m'attira contre lui. Il me serra avec ardeur se penchant à mon oreille.
— Si tu as le moindre problème, appelle-moi. Je veux que tu gardes ton téléphone avec toi. Tu me promets de m'appeler ?
— D'accord.
— Promets-le !
— Je te le promets, répondis-je d'une voix tremblante.
Rassuré William retrouva son sourire éblouissant. J'avais tellement besoin de son sourire, besoin de sa joie de vivre. De mon côté, je ne pouvais m'empêcher de trembler. Je sentis la panique prendre possession de moi. Will m'attira contre lui pour presser ses lèvres sur mon front, protecteur.
— Tout se passera bien, je te le promets. Il ne te touchera pas.
— Oui.
Voyant que mes yeux le fuyaient il s'agenouilla devant moi pour me forcer à le regarder. Je ne voulais pas de sa pitié, mais son sourire me réchauffa tellement que je ne pus lui échapper.
— Sarah, écoute-moi, il ne t'arrivera rien, d'accord ? Je suis là, ne t'inquiète pas, il ne t'arrivera rien ! Je ne le laisserai pas faire.
Il se releva pour m'embrasser et je sus que nous allions devoir y aller. « Bien sûr, idiote, tu ne peux pas rester cachée là toute ta vie ! ».
— Je t'emmène à sa voiture, m'annonça-t-il avec fermeté.
J'aurais voulu refuser, ne pas lui infliger le spectacle de mon asservissement.
Antoine risquait de se montrer tactile. J'avais la force suffisante pour ne pas prêter attention aux caresses et baisers qu'il m'accordait, mais savoir que Will allait nous voir me brisait le cœur. Il n'avait pas à voir ça, pas à subir ma situation. Je ne voulais pas le blesser. Mais il ne cessait de me sourire, de m'électriser de ses doigts, me vidant ainsi de la moindre de mes volontés. Je ne voulais pas y aller seule, je n'en avais pas le courage. Pas après tout ce qui s'était passé aujourd'hui. Alors je hochai la tête avec reconnaissance.
Il me prit par la main et nous quittâmes le lycée.
Antoine m'attendait sur le capot de sa voiture comme à son habitude. Il lança un regard noir à Will qui le lui rendit. Nous nous arrêtâmes un instant et je crus que les deux garçons allaient s'entre-tuer. Je posai ma main sur le bras de Will qui se détendit un peu, malgré ça il refusait de me lâcher.
— Will, s'il te plait, lui chuchotai-je. C'est mon combat maintenant, je dois y aller.
Il relâcha un peu son étreinte me laissant lui glisser des doigts.
— À demain, dis-je en me retournant.
— Ouais, me répondit-il sans cesser de fixer Antoine.
Une fois à sa hauteur, mon « petit ami » me prit dans les bras et m'embrassa fougueusement sans se soucier de ma réticence. Je savais que Will n'en perdait pas une miette et je m'en voulus de l'avoir autorisé à m'accompagner. Je m'imaginais à sa place et j'avais mal.
Antoine me relâcha et lança un sourire méprisant à William. Celui-ci tout d'abord inexpressif se ressaisit pour lui lancer un regard noir empreint de sous-entendus.
Sans un mot, je le vis se retourner pour rejoindre mon frère en serrant les poings.
********************
Parce qu'il y aura toujours de l'amour caché quelque part,
Parce qu'il ne faut jamais cesser d'y croire.
A tou.te.s les guerrier.re.s d'entres-vous : ne lâchez jamais.
N'hésitez pas à me laisser un petit vote ou un commentaire.
Belle journée ensoleillée, pluvieuse, orageuse...
Belle soirée étoilée ou nuageuse,
Beaux rêves éveillés.
Lily <3
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