Hello Nightmare

« Release your curse
'Cause I know my worth
Those wounds you made are gone
You ain't seen nothing yet
You're not worth it. »

Good Enough — Little Mix

          Les journées qui suivirent se passèrent à une vitesse hallucinante. Will reçut visite sur visite, chacun lui posant des tonnes de questions sur son état, lui demandant s'il avait besoin d'un verre, d'un coussin ou d'un ventilateur.

Je le regardais ronchonner en rigolant doucement. Toutes ces questions le saoulaient plus qu'autre chose, parce qu'il avait l'impression de ne rien pouvoir faire tout seul.

Lorsque Marie Lewis et Katty lui laissaient cinq secondes de répit, un élève du lycée débarquait pour prendre de ses nouvelles.

Parfois, je le surprenais en train de râler ou de faire semblant de dormir pour échapper aux visiteurs, mais chaque fois que nous étions tous les deux il retrouvait bizarrement toute son énergie.

— Tu es la seule qui ne me prend pas pour un assisté, n'arrêtait-il pas de me dire.

             Je lui expliquais que ses proches agissaient ainsi pour son bien, pour ne pas qu'il se fatigue, ce qui l'énervait encore plus. Il était trop têtu pour avouer que leur attitude le touchait, parce qu'elle le touchait, et parce qu'il savait au fond de lui qu'il avait besoin d'aide.

Il lui fallut deux semaines avant de recouvrer la quasi-totalité de ses fonctions motrices. Ses cicatrices l'élançaient toujours, mais il redoublait d'efforts pour ne pas y penser afin de retrouver au plus vite son indépendance.

Le personnel de l'hôpital passait son temps à le reprendre quand il faisait un geste trop brusque ou marchait trop longtemps, mais le diable avait compris qu'un sourire angélique lui permettait d'obtenir tout ce qu'il voulait : y compris de la tranquillité.

Je me retenais chaque fois de rigoler face à son petit manège même s'il avait lui-même parfois du mal à garder son sérieux : ça aurait fini de le vexer.

William avait d'ailleurs dû user de ce stratagème et offrir sa plus belle moue aguicheuse à sa mère lorsqu'elle lui avait parlé de l'état dans lequel était l'appartement. L'évocation détournée de cette soirée m'avait fait froid dans le dos et j'avais souffert d'apprendre en détail le désastre qu'avait causé William après mon départ. Alors que Marie lui passait un savon, ce dernier n'avait cessé de me jeter des regards en biais pour intercepter ma réaction.

Il est clair que nous devrions avoir une discussion, mais pour le moment rien ne comptait plus que son rétablissement et depuis que Will s'était réveillé la bonne humeur régnait chaque jour sans que rien ne vienne l'entraver.

Le mauvais temps attendrait.

          Deux semaines s'écoulèrent encore avant que les infirmières ne prennent note des supplications de William qui se disait prêt à rentrer chez lui.

Je le sentais me suivre du regard tandis que je rassemblais ses affaires. Il ne comprenait pas que je ne le laisse pas faire, mais il ne broncha plus une fois qu'il eut compris que je les bouclerais plus rapidement que lui et qu'il pourrait ainsi rentrer plus vite. Mais le garnement s'ennuyait alors il s'approcha de moi et passa ses mains sous mon T-shirt, appuyant sans faire exprès sur un des bleus persistants qu'Antoine m'avait faits.

Un gémissement de douleur m'échappa et je portai automatiquement ma main à la bouche pour le faire taire et ne pas alarmer William. Absolument pas dupe, il souleva l'habit pour mieux voir ma blessure. Son regard s'assombrit quand il remarqua la couleur jaune et violacée de ma peau, mais il n'eut rien le temps de dire, car Marie Lewis entra en trombe dans la chambre.

William me relâcha, afficha son sourire habituel et traversa la chambre pour accueillir sa mère.

— J'ai signé toute la paperasse ! affirma-t-elle. Si les affaires de William sont prêtes, nous allons pouvoir partir. Ton père t'attend dehors. Nous allons tout déposer à la maison et puis ton père et moi nous rendrons à l'aéroport.

— Déjà ? s'exclama William, je n'ai même pas eu le temps de profiter de vous, marmonna-t-il ensuite.

— Je sais mon cœur, mais ton père et moi reprenons le travail demain, et puis tu es entre de bonnes mains !

           William lui tira la langue alors qu'elle lui demandait de ne plus rien casser pendant leur absence et de bien faire attention à ne pas s'attirer d'ennuis. Marie ne le remarqua même pas et continua de donner la liste des choses à ne pas faire que son fils devrait suivre à la lettre. 

Pendant ce temps, je me battais avec William pour l'empêcher de porter son sac. Jack Lewis, qui attendait depuis un bon moment à l'extérieur, choisit cet instant pour venir voir où nous en étions et mit rapidement fin au débat en saisissant la valise de William qui le regarda, outragé. 

Lewis père ne fit pas attention à la réaction enfantine de son fils et nous indiqua la sortie, nous laissant tous les deux ébahis. 

William fut le premier à réagir et à rejoindre son père, en courant presque, à l'extérieur de l'hôpital. Je le suivis de près sans pouvoir retenir mes éclats de rire : on aurait dit qu'il avait peur qu'on le retienne pour toujours à l'intérieur ! Je finis quand même par le rattraper pour qu'il ralentisse un peu l'allure sinon il n'arriverait jamais à la voiture.

— Tu n'es pas complètement rétabli, William.

          Il hocha la tête et ralentit le pas dès qu'il eut franchi la porte de l'hôpital. Il se mit alors à boiter violemment et je le soutins du mieux que je pus avant de l'aider à s'installer dans la voiture de location de son père qui attendait patiemment au volant.

— Si tu ne faisais pas tant l'idiot tu pourrais marcher normalement, le taquina sa mère.

          Will se pencha vers moi pour glisser un « vivement qu'elle parte » à mon oreille, juste assez fort pour que sa mère l'entende. Lorsque celle-ci se retourna, il lui rendit un regard angélique à faire craquer les portes du paradis. Madame Lewis leva les yeux au ciel et cessa de prêter attention à son fils qui glissa alors sa main dans la mienne et commença à y tracer des petits cercles avec son pouce.

         William choisit finalement d'accompagner ses parents à l'aéroport, moi je préférais les laisser en famille.

Je serrai la main de Jack Lewis qui, bouleversé, m'attira contre lui.

Je pris ensuite Kate dans mes bras pour la laisser éclater en sanglots.

Je me tournai alors vers Marie qui était elle aussi sur le point de pleurer, elle me serra contre elle en me remerciant de les avoir prévenus et d'avoir pris soin de leur fils à l'hôpital.

Elle me dit qu'il ne serait probablement plus là sans moi. Je voulus lui dire qu'il en était de même pour moi et que si je n'avais pas existé il serait probablement en pleine forme à l'heure qu'il était, mais je préférai finalement retenir toute remarque dramatique à l'intérieur de ma tête quand je vis William passer mécaniquement sa main dans ses cheveux de nervosité. Marie me relâcha enfin et se tourna vers son fils.

— On t'attend dans la voiture mon chéri.

         William s'avança vers moi et m'embrassa sur le front. Ça me fit bizarre de le voir s'en aller sans moi, alors que j'avais passé ces dernières semaines scotchée à lui.

— Je reviens vite, me dit-il en me tenant contre lui.

— Fais attention, hein !? répliquai-je sur le ton de la plaisanterie.

        Ma voix le fit sourire et il se « dépêcha » de rejoindre ses parents qui ne nous lâchaient pas du regard. Avant d'entrer dans l'automobile il se retourna et me fit un clin d'œil.

— Comme toujours, rigola-t-il, ce n'est pas comme si je m'attirais souvent des ennuis !

          Je secouai la tête de désapprobation avant de lui ordonner de filer. Il me fit un salut militaire avant de se glisser dans la voiture qui démarra aussitôt sous un coup de klaxon. Je la regardai s'éloigner du pas de la porte en poussant un long soupir. Je savais ce qu'il me restait à faire et cela ne réjouissaitpas.

*

*         *

Will, je vais faire un tour en prison, j'ai besoin de lui parler. Je ne t'ai rien dit parce que je savais que tu m'en empêcherais... c'est important pour moi et j'espère que tu ne m'en voudras pas. J'espère être de retour avant que tu rentres, si ce n'est pas le cas ne t'inquiète surtout pas.

I love You,

Sarah.

           Je laissai le mot en évidence sur la table de la cuisine et me précipitai à l'extérieur avant de changer d'avis. Je me sentais étrange, tourmentée par la peur de le voir et la colère, par l'envie de lui faire savoir ce que j'avais sur le cœur et celle de fuir et de ne pas le revoir jusqu'au procès.

J'avais envie d'enfouir tout ce qui s'était passé au plus profond de moi et de continuer de vivre comme si de rien n'était, mais chaque fois que je regardais William et que je voyais cette ligne blanche sur sa joue j'avais envie de hurler.

Il ne voulait pas me montrer ses autres cicatrices que je savais nombreuses. Je savais aussi que certaines étaient loin d'être guéries, mais il refusait que je m'occupe de lui : il refusait que je les voie comme s'il voulait lui-même oublier. Alors il jouait la carte de l'indifférence, du type joyeux que rien ne peut atteindre, mais j'avais bien perçu son regard lorsqu'il s'était posé sur le bleu de mon dos : un regard dévasté et haineux qu'il avait aussitôt refoulé.

Savoir que dans le fond il souffrait me révoltait.

         J'attendis un quart d'heure devant la prison pour que ce soit l'heure autorisée. Alex avait fait une demande de visite au tribunal quinze jours plus tôt. En tant que mon représentant légal il était le seul à pouvoir le faire. J'avais d'abord eu peur qu'il refuse ou qu'il en parle à William, mais il avait fini par céder et par accepter de garder ça pour lui.

— Je te promets de lui en parler, lui avais-je dit.

            Il avait déposé un dossier à l'accueil du tribunal stipulant ma demande. Je craignis que le permis de visite me soit refusé, mais quelques jours plus tard je reçus une réponse positive. J'avais enfin obtenu mon rendez-vous au parloir, par téléphone, tout en me demandant où j'avais la tête.

Alex me rejoignit pile à l'heure et promit de m'attendre à l'extérieur. Je rentrai alors à l'intérieur du bâtiment gris et glacial quelques minutes à l'avance, comme on me l'avait demandé. Je me sentis oppressée, ma tête allait exploser. Le personnel fut plutôt froid, mais m'attendant à pire je ne fus pas étonnée. Je déposai mes affaires dans un vestiaire, passai sous le portique de sécurité — qui a mon grand plaisir ne détecta rien d'anormal — avant d'être fouillée.

« Vous avez raison, pensai-je, parce que si je peux le tuer : je le ferai ».

Je fus alors conduite dans un couloir plutôt sombre qui menait à la salle des parloirs. À ma demande, j'avais pu obtenir un parloir séparé histoire d'éviter qu'Antoine ne me saute dessus.

Je rentrai donc dans la pièce et respirai un grand coup pour évacuer toute la peur et le stress que je sentais monter. Je m'installai sur une chaise en bois, comme celle que l'on trouve dans les écoles. J'attendis alors face à la vitre qui me séparerait bientôt d'Antoine.

Mon ex débarqua quelques minutes plus tard, tout vêtu de noir, comme dans mes cauchemars. Deux gardiens l'encadraient. Il se laissa tomber lourdement sur la chaise de l'autre côté de la vitre sans cesser un instant de me fixer, comme s'il venait de voir un fantôme.

Ma visite semblait l'étonner et je le comprenais parfaitement.

Les gardiens s'éloignèrent dans le fond de la salle et une dame m'indiqua que j'avais le droit à trente minutes.

— Ce sera largement suffisant, assurai-je avec un sourire qu'elle ne me rendit pas.

            J'aspirai une grande bouffée d'air avant de saisir l'hygiaphone accroché sur le mur de droite. De l'autre côté de la séparation, Antoine fit de même. Nous restâmes sans bouger pendant quelques secondes alors que je me retenais de fuir, ce fut lui qui ouvrit la bouche en premier.

— Sarah je...

— Comment as-tu pu faire ça ? le coupai-je violemment.

        Dès le moment où il avait ouvert la bouche j'avais compris que j'étais terrifiée, sa voix me glaçait le sang et faisait remonter dans mes pensées d'incalculables souvenirs plus douloureux les uns que les autres, souvenirs dont il était le seul et unique responsable.

— Comment as-tu pu affirmer, en me regardant droit dans les yeux, que mes parents étaient morts dans un accident alors que tu les as regardés mourir ? Comment as-tu pu me dire que tu étais désolé alors que tu les as tués ?

        Antoine continua de me fixer sans rien dire et commença à sourire. Il savait que cette attitude me ferait sortir de mes gonds.

— Tu as tué ton meilleur ami Antoine : tu as assassiné Andrew alors que tu le considérais comme ton frère ! Et tu as continué à nier et à te regarder dans la glace ! Et tu as le culot de soutenir que tu as fait tout ça pour moi ? Comment peux-tu me rendre coupable de...

        Il approcha dangereusement son visage dans ma direction comme pour me rejoindre, instinctivement je reculai.

— Éloigne-toi ! ordonnai-je.

         Antoine ignora ma demande et continua de sourire, toujours plus. Je me retins un instant de ne pas briser la vitre qui nous séparait histoire de lui crever les yeux.

— Comment va Lewis ? me demanda-t-il. La dernière fois que je l'ai vu, il n'était pas... comment dire... il n'était pas au meilleur de sa forme ! Ça m'étonne qu'il t'ait laissé venir ici, ça ne lui ressemble absolument pas. À moins qu'il ne soit...

        Il laissa sa phrase en suspens, la mort pendue à ses lèvres. Son sourire ironique me donna envie de vomir et j'aurais voulu lui arracher ses dents si bien alignées une par une.

J'avais envie de le faire souffrir autant qu'il nous avait fait souffrir.

Je le regardai rageusement en réfléchissant à un moyen de le démolir, de le réduire à néant une bonne fois pour toutes.

Je le vis flancher face à ma rage meurtrière et il perdit enfin son air condescendant. « Ça ne sert à rien », pensai-je. Alors, je commençai à me relever pour partir, mais il m'interpela.

— Ne pars pas... t'es la première personne à venir me rendre visite. C'est l'enfer ici, dit-il doucement.

          Son assurance s'était envolée en un battement de cils, il avait l'air perdu et même effrayé.

Touché !

J'étais en cet instant son seul lien avec l'extérieur, la seule personne qui avait pris la peine de venir jusqu'ici : même sa mère l'avait abandonné. Il avait l'air d'un enfant inoffensif derrière cette vitre, un enfant puni pour un crime qu'il n'avait pas commis... or je savais qu'il était coupable et loin d'être l'enfant sage et naïf qu'il représentait.

Ce qui m'aurait touché autrefois me donna envie d'éclater de rire. « Crève », avais-je envie de hurler.

— William va bien, repris-je plus calmement. Tu as raté ton coup.

          Je le vis grimacer méchamment, déçu, avant de reprendre son air de chien battu. Si nous n'avions pas été séparés, je l'aurais étranglé.

— Sache une chose Antoine : tu ne pourras jamais me séparer de lui, jamais. Tu as tué mes parents, tu as tué le frère de Will, tu as voulu le tuer lui et aujourd'hui tu oses me regarder comme si... comme si tu te sentais mal ? Pour qui tu te prends ?! Tu n'as pas le droit de me regarder comme ça, tu ne devrais même pas poser ton putain de regard sur moi ! Ne te cherche pas d'excuse, tu sais très bien pourquoi tu es là et tu mérites ce qui t'arrive ! Alors sache une chose : je ne te laisserai plus jamais l'approcher, plus jamais ! Si tu sors un jour de ce trou à rat, j'espère personnellement que tu crèveras ici à petit feu, mais si tu sors tu as intérêt à te casser le plus loin possible de nous. Si je te croise ou si je sens ta putain de présence, je n'hésiterai pas à te tuer le plus lentement possible et cette fois tu peux me croire. Et j'espère de tout mon cœur que la prison est un enfer.

          Je crachai ces paroles comme du venin relâchant toute la haine que j'avais gardée en moi ces derniers jours. Je sentis des larmes de rage rouler le long de mes joues.

Pourquoi avait-il encore le droit respirer après ce qu'il avait fait ? Il ne devrait pas avoir le droit de sourire !

À chaque fois, que je posais mes yeux sur lui j'étendais les cris de William, je revoyais tout ce sang et ses larmes, je le voyais s'écrouler devant moi tandis qu'Antoine rigolait.

Je l'imaginais me plaquer contre le sol crasseux de la rue. Je sentais ses mains et ses lèvres se baladant sans pudeur sur moi, sans que je puisse les repousser.

Et son rire encore et toujours plus fort résonnant dans mes oreilles alors qu'il nous faisait souffrir, alors qu'il le faisait mourir.

Oubliant un instant la vitre je lui crachai à la « figure », s'il ne reçut évidemment rien mon geste sembla l'énerver sans arriver à le déstabiliser. Ses yeux continuaient de me déshabiller, mais je me refusai de détourner le regard.

— Arrête de me REGARDER ! hurlai-je alertant par la même occasion les surveillants.

— Pourquoi t'es là ? me demanda-t-il calmement. Tu sens la terreur à mille kilomètres à la ronde alors, pourquoi es-tu là ?

           Je restai bouche bée sans pouvoir répondre. Que pouvais-je répondre à ça ? J'avais seulement voulu lui balancer tout ce que j'avais sur le cœur, je voulais qu'il se sente mal, qu'il culpabilise. Je voulais que l'infime part humaine qu'il lui restait se déclenche pour le ronger de l'intérieur, mais par-dessus tout je voulais vérifier qu'il était bien enfermé et qu'il ne pouvait plus m'atteindre.

— Tu avais peur que je sois en liberté ! ricana-t-il.

         Je ne répondis pas, ne pris même pas la peine d'ouvrir la bouche, car je savais que ça ne changerait rien.

Oui, j'étais là pour ça, j'étais là parce que j'avais peur et que je voulais me rassurer, j'étais là parce que j'étais terrifiée à l'idée qu'il recommence et qu'il arrive à se débarrasser de William. J'étais tétanisée parce que malgré tout ce que j'avais affirmé William n'allait pas bien, il avait failli me l'enlever et il pourrait très bien récidiver.

— Je n'ai jamais voulu ça Sarah, murmura-t-il me sortant ainsi de ma transe. Quand je t'ai dit que je t'aimais, c'était la vérité ! C'est lui qui a tout fait pour que ça arrive. C'est lui le responsable ! Ouvre un peu les yeux. Il aurait dû rester en Angleterre et nous laisser vivre notre vie. Il m'a fait péter un câble, tu comprends ? S'il n'était pas revenu, rien de tout ça ne serait jamais arrivé. Tout ça, c'est de sa faute !

— FERME-LA ! Ne parle pas de lui, je t'interdis de parler de lui ! TU N'AS PAS LE DROIT DE DIRE ÇA ! Tout ce qui est arrivé est de TA faute ! C'est de TA faute si tu es ici, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même !

— Ne dis pas ça joli cœur, tu sais bien que c'est faux, affirma-t-il.

— Tu n'es qu'un sale taré psychopathe Antoine, voilà ce que je sais. Et ce que je sais également c'est que tu as perdu. Tu t'es cru fort, mais finalement tu n'es rien, rien qu'un grain de poussière dans une cellule qui pue la gerbe. Quoique pour un mec comme toi c'est le grand luxe. Je perds mon temps à t'écouter.

          Je me concentrai pour ne rien laisser transparaître, il fallait qu'il ne voie que du dégoût. Il fallait qu'il passe sa vie à s'en vouloir.

Ne pas avoir peur, ne pas avoir peur, ne pas avoir peur...

C'en était trop, ça ne servait à rien de rester ici une minute de plus. Antoine ne sortirait pas de prison, le procès avait lieu dans quelques jours et il ne pourrait pas échapper à la sentence, même s'il plaidait non coupable : il y avait trop de preuves, de témoins et l'enregistrement de William lui collait trois meurtres sur le dos. Majeur ou pas au moment des premiers faits : il était foutu.

— Souviens-toi de ce que je t'ai dit, répliquai-je d'un ton qui se voulait menaçant.

          Je claquai violemment l'hygiaphone sur le présentoir, ce qui le fit sursauter, et je me dirigeai vers la sortie.

— On se verra au procès, l'entendis-je crier de l'autre côté de la vitre.

          Je ne pris même pas la peine de me retourner et sortis de la pièce le plus calmement possible. Je me demande encore pourquoi j'avais fait le choix de lui rendre visite, car en cet instant je ne désirais qu'une chose : quitter cet endroit de malheur et retrouver William qui devait être rentré.

*

*         *

           Je ne quittai pas la route des yeux tandis qu'Alex me reconduisait chez William. Je le voyais me jeter des regards furtifs de temps à autre comme s'il n'osait pas me parler directement.

— Comment te sens-tu ? finit-il par articuler.

          Je hochai la tête en signe de réponse et il parut s'en contenter.

— Il ne va pas en réchapper, affirma-t-il ensuite, cette fois c'est terminé.

          Alex me sourit timidement et pressa mon bras en signe de réconfort. Je me laissai tomber reposant ma tête sur son épaule.

— Noémie s'en veut terriblement, continua-t-il. Elle n'arrive pas à croire ce qui s'est passé. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais cru qu'Antoine était violent, elle pensait que c'était William qui te montait contre lui. Elle m'a dit que c'était parce qu'elle le trouvait arrogant et qu'Antoine lui avait toujours semblé plus sensible et sincère. Apparemment, il se serait énormément confié à elle et lui aurait dit qu'il tenait énormément à toi. Elle n'aurait jamais pensé qu'il puisse faire du mal à quiconque. Elle croyait que c'était toi qui le faisais souffrir. Ça lui a fait un choc terrible et je crois qu'elle voudrait que tu la pardonnes...

          Je le regardai comme s'il venait de me raconter la plus énorme blague du siècle.

— Ça paraît fou, hein ? Mais tu sais, elle n'arrête pas de pleurer depuis des jours en disant qu'elle a tout gâché entre vous... elle pense même qu'elle est responsable de la mort de maman puisqu'elle a toujours défendu Antoine. Elle voulait venir voir Will à l'hôpital, mais elle pensait que tu ne voudrais pas la voir et que ce serait déplacé de sa part. Je sais que tu vas avoir du mal à lui pardonner, mais j'ai beaucoup discuté avec elle et elle est sincère. Elle ne voulait pas te blesser ni que tout ça arrive. Antoine l'a manipulée comme il t'a manipulée toi.

— Elle a gâché trois ans de ma vie Alex ! Et la tienne aussi !

— Oui, mais même pour toi ça a été difficile de croire qu'Antoine soit foncièrement mauvais, alors même qu'il s'en était pris à toi et que tu tenais les informations de William. Elle est tombée dans le panneau. Elle croyait seulement à une guéguerre adolescente entre Will et Antoine... laisse lui le bénéfice du doute...

— Même si ce que tu dis est vrai elle n'aurait jamais dû me forcer à sortir avec lui ! Elle aurait dû m'écouter et me laisser faire mes propres choix !

— Je sais, soupira-t-il, réfléchis-y seulement, à une époque tu tenais à elle.

          Je me retournai pour regarder la route comme si de rien n'était, mais les paroles d'Alex bruissaient dans ma tête, s'associant à celles d'Antoine et me brouillant l'esprit... ce pourrait-il que tout redevienne comme avant ? Quand mes parents étaient encore près de nous ?

*

*         *

          Alex me déposa devant l'entrée et me fit un signe de la main. Il n'avait rien dit de plus du trajet ne sachant pas trop comment s'y prendre, mais je sentais qu'il voulait me rassurer à la façon dont son regard se posait sur moi.

Une fois la voiture disparue, je me précipitai à l'intérieur. Will, assis sur le canapé, se redressa immédiatement et me rejoignit en courant presque, un papier chiffonné à la main.

Il avait l'air d'avoir lu et relu mon mot pendant un siècle sans savoir quoi en faire.

Je n'eus pas le temps de me poser qu'il me serrait déjà contre lui. Je le sentis plus pressant et désespéré que jamais lorsqu'il déposa ses lèvres sur les miennes.

— Ne me refais jamais ça ! réussit-il à articuler.

          Je me retins de ne pas pleurer pour ne pas l'alarmer.

J'étais soulagée d'être rentrée, j'étais soulagée d'être près de lui, mais ce soulagement m'inondait, brisant mes barrières.

Je le sentis trembler, tandis qu'il m'embrassait, me poussant contre le mur le plus proche.

— Je te jure que j'ai cru devenir fou... s'il t'avait fait quoi que ce soit je...

          Ses mains taquinèrent le tissu de mon T-shirt, et je sentis sa peur se déchaîner laissant place à une passion irrépressible.

Toutes mes angoisses s'évanouirent alors, emportées par un besoin de le protéger, je n'avais pas le droit de laisser mes faiblesses transparaître, il m'avait toujours soutenue et là c'est lui qui avait besoin de moi, je n'avais pas le droit de l'inquiéter plus.

Je sentis le mur contre mon dos, gelé, contrastant avec la chaleur émanant de William. Il me serra encore plus comme si c'était vital, plaçant mes bras au-dessus de ma tête.

Il tremblait, serrait la mâchoire, toutes les craintes qu'il avait refoulées s'exprimant au grand jour : il était en train de s'effondrer comme jamais il ne se l'était permis.

Il relâcha un instant mes poignets et j'en profitai pour passer mes bras autour de son cou, j'eus le temps de voir des marques fraîches sur le dos de sa main droite comme s'il avait frappé contre un mur.

— Calme-toi, murmurai-je, je vais bien, calme-toi.

          Il se plaqua contre moi me repoussant un peu plus contre le mur. Je l'accueillis dans mes bras, essayant de le rassurer.

— Tu ne vas pas bien ! Il... il a foutu ta vie en l'air et je n'ai rien fait pour l'en empêcher... je t'ai menti et... je sais très bien pourquoi tu es allée le voir... il te hante.

         Je caressai sa joue pour apaiser ses tremblements, pour le raisonner.

Je le sentis glisser ses doigts sous mon T-shirt caressant doucement la blessure de mon dos, il sentit la boursoufflure de ma peau et un air dégoûté s'afficha sur son visage. Ce n'est pas ma blessure qui provoqua ce regard amer, mais les souvenirs qui en émanaient, il rejetait toute la faute sur lui, s'assenant d'un poids énorme qui lui donnait envie de vomir. Il était dégoûté de lui-même.

— Il t'a... il a failli te violer Sarah... et je suis resté là sans rien faire... je n'ai rien fait pour l'empêcher de te déshabiller... il... il te trainait sur le sol et si je... je ne savais pas quoi faire ! J'aurais dû savoir quoi faire ! Je n'aurais pas dû te laisser partir.

           Je déposai mes lèvres sur sa joue et me collai contre lui. Mon toucher provoqua chez lui un spasme incontrôlable.

Je savais très bien ce qu'il se passait, je savais que la scène tournait en boucle dans sa tête, les sentiments de peur, de frustration et de colère défilant dans ses pensées. Ce qu'il ressentait, je l'avais ressenti des millions de fois, mais c'était pire pour lui, car si j'avais pu me laisser aller sans crainte dans les pleurs et l'angoisse, lui avait tout enfermé, il avait empêché ses craintes de prendre le contrôle, car il ne voulait pas m'inquiéter et être un poids supplémentaire.

Il ne voulait pas montrer qu'il avait été terrifié, mais je savais ce qu'il avait vécu, mieux que qui quiconque, et n'importe qui aurait déjà pété les plombs à sa place.

Son corps craquait, il n'arrivait plus à surmonter ces sentiments trop souvent refoulés dans un sourire.

Je sentis une de ses larmes couler sur ma peau alors qu'il semblait se gifler mentalement.

— Tu as le droit de pleurer Will. Ce n'était pas de ta faute, chuchotai-je, ce n'était pas de ta faute.

          Il glissa son visage au creux de mon cou et en mordilla la peau doucement avant de tirer sur mon T-shirt qui émit un son de craquement.

— Tu vas te faire mal William !

           Ses mouvements le faisaient souffrir, ses cicatrices étaient trop fraîches.

— Tu vas te blesser, répétai-je.

         Au lieu de m'écouter, il m'attira jusqu'à la chambre. Je sentis ses lèvres glisser de ma bouche pour se déposer sur mon cou et descendre sur ma poitrine, mon ventre avant de remonter.

— William... tu vas...

          Je n'arrivais pas à le repousser, mes paroles allant à l'encontre de ce que je voulais et des gémissements qui s'échappaient de mes lèvres encore embrasées par les siennes.

Je cédai enfin à ses caresses et entrepris frénétiquement de le déshabiller.

Il ne voulait pas que je voie sa peau suturée et je craignais qu'il me repousse. À mon grand plaisir, il n'en fit rien, guidé par son propre désir.

Je cambrai le dos sous le toucher de ses doigts et ma respiration se fit plus rapide. Je l'accueillis en moi comme si c'était la première fois, sa peau contre la mienne, fourrageant ses cheveux.

J'attirai sa bouche sur la mienne dans un besoin urgent. Je l'entendis murmurer mon prénom à plusieurs reprises, d'une voix rauque.

— Je t'aime, susurrai-je, je t'aime, je t'aime, je t'aime !

*

*           *

          Les poignets de William étaient tout éraflés, les chaînes qui l'avaient retenu attaché avaient déchiré sa peau, provoquant de profondes brûlures alors qu'il avait tiré dessus. Je caressai son torse nu jusqu'à une cicatrice en dessous de son cœur.

— D'après le médecin j'aurais pu mourir.

           Je relevai la tête et remarquai qu'il s'était réveillé et observait mes gestes. Je fus à la fois étonnée et bouleversée qu'il ose enfin me parler ouvertement de ce qui était arrivé.

— Le couteau aurait pu perforer mon cœur, me dit-il en indiquant la cicatrice sur laquelle reposaient mes doigts. La lame l'a évité de peu.

          Je ne répondis pas et posai simplement mes lèvres sur la cicatrice en question. Il frissonna sous la douceur de ma bouche.

Je fis glisser mes yeux sur sa peau dénudée et vis pour la première fois l'ampleur du désastre : elle était recouverte de cicatrices, certaines plus fraîches que d'autres.

Des bleus coloraient également son corps, bien plus marqués que les miens.

— Ça ne me fait pas si mal que ça, dit-il pour me rassurer.

          Je ne le croyais absolument pas l'ayant observé pendant des jours et des jours.

— Tu as tiré sur tes points, affirmai-je en indiquant une de ses blessures qui saignait faiblement, il va falloir le montrer à quelqu'un. Tu n'aurais pas dû forcer comme ça... tu n'es pas...

          Je me tus en l'entendant soupirer comme si retourner à l'hôpital était le pire des calvaires. Il ne voulait pas y retourner.

— Je suis désolé pour tout à l'heure, j'ai perdu les pédales. J'ai eu peur qu'il ne t'arrive quelque chose... t'imaginer en prison face à lui...

          Il ne termina pas sa phrase, mais je le comprenais parfaitement. C'est pour ça que je n'avais pas voulu lui en parler, il s'était suffisamment inquiété et j'avais pensé pouvoir être de retour à l'appartement avant lui.

Il semblait tourmenté comme si un poids pesait encore sur ses épaules, alors que je caressai la chaîne reposant autour de son cou.

— Je ne t'en veux pas William. Je sais pourquoi tu ne m'as rien dit, je sais que tu avais peur de ma réaction, que tu avais peur des souvenirs qui allaient remonter à la surface et je sais que tu voulais me protéger. Quand on s'est disputé j'étais sous le choc, j'étais en train de recouvrer la mémoire, de tomber de dix étages et je l'avoue je ne pensais pas qu'Antoine puisse faire une chose pareille. J'étais en colère, mais je ne pensais pas tout ce que je t'ai dit. Je ne t'en veux pas, répétai-je en le serrant contre moi, alors je t'en prie : ne t'en veux pas non plus. Tu as fait tout ce que tu pouvais pour me protéger, et crois le ou non, mais tu m'as sauvée.

           Il m'étreint un peu plus fort tout en hochant la tête.

Aussi têtu qu'une mule !

Le fait que je le pardonne avait légèrement gommé la tension qui parcourait ses muscles quelques secondes plus tôt, mais je savais qu'il me faudrait du temps pour le convaincre qu'il n'avait finalement rien fait de mal, du temps pour qu'il arrête de regretter et pour qu'enfin il se pardonne.

« Ça prendra le temps qu'il faudra, pensai-je. Nous avons tout notre temps ».

********************

Je sais que je vous ai fait peur avec mon titre...

Mais c'est promis j'arrête de vous malmener.

Parce que le courage c'est aussi d'affronter ses cauchemars,

C'est aussi se relever après la chute,

C'est aussi accepter qu'on a mal et en parler,

C'est aussi s'ouvrir malgré la crainte.


On arrive au dernier embranchement de notre première route ensemble,

Mais ne vous en faites pas, j'ai encore des histoires à raconter et je ne compte pas vous abandonner de sitôt,

Avec tout mon amour,

Lily <3

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