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« Seems like everything we knew
Turned out were never even true
Don't trust, things will never change
You must be dreaming »

Some Say — Sum 41

          Je passai le reste de la journée à l'éviter : tâche plutôt difficile quand celui que vous souhaitez fuir se trouve être votre voisin de paillasse la quasi-totalité du temps. Le pire dans tout ça c'est que je ne lui en voulais absolument plus. Je me sentais mal à l'aise et je n'avais qu'une envie : celle de lui dire qu'il avait eu raison sur toute la ligne et que je m'excusais !

Il m'avait de son côté demandé pardon trois fois avant d'abandonner et de garder le silence... et pire que ses pardons, son silence me glaçait et me faisait culpabiliser un peu plus.

J'étais trop orgueilleuse, je me sentais trop humiliée pour lui avouer ce qu'il se passait réellement dans ma tête et par-dessus tout j'avais peur des représailles. Tant que William était dans le doute j'avais peut-être une chance pour qu'il ignore mon ex et qu'Antoine nous fiche enfin la paix.

          Dès que la dernière sonnerie de la journée retentit, je me précipitai dehors pour respirer l'air frais, bousculant plusieurs personnes sur mon passage.

Les bus scolaires s'agglutinaient déjà sur le parking attendant patiemment que les élèves n'embarquent.

Je cherchai un moment mon frère du regard avant de l'apercevoir un peu plus loin marchant en direction de sa voiture. Il monta dans le véhicule, je le rejoignis en moins de deux et attachai ma ceinture tandis qu'il me fixait avec étonnement.

— Tu fuis quelqu'un ou quoi ? demanda-t-il.

            Pour toute réponse, je lui tirai la langue avant de rigoler. Mon frère fut rassuré par ma bonne humeur et démarra la voiture. J'entendis ses pneus crisser sur le goudron avant que l'auto ne détale.

Je me forçai à regarder dehors pour cacher mon sourire qui faisait de plus en plus faux à mesure que les secondes avançaient. Alex ne tarderait pas à remarquer que j'étais loin de me sentir aussi bien que je ne le laissais paraître.

« C'est juste passager, demain tout ira mieux ».

Le paysage défilait devant mes yeux à la vitesse d'une fusée, le rendant irréel et abstrait, me donnant l'impression me trouver loin, bien loin de la voiture. Toujours enfermée dans un coin de ma tête, je remarquai à peine notre entrée dans le garage de Noémie.

Le silence du moteur coupé me fit redescendre sur terre. Je repris mes esprits, remerciai mon frère et saisis mon sac avant de sortir de l'automobile. C'est toujours aussi tiraillée, entre questions et épuisement, que j'entrai dans la maison.

« Tu aurais dû lui parler », n'arrêtais-je pas de me répéter.

Pourquoi m'étais-je ainsi braquée, pourquoi avais-je cherché à m'autoprotéger face à lui ? Je n'avais aucune raison surtout qu'il m'avait sauvé la vie... bon d'accord, il m'avait empêché d'avoir des bleus supplémentaires, mais c'était le premier à le faire et ça représentait énormément.

Il fallait que je le voie, tout de suite, avant d'avoir tout gâché. Je me dirigeai à grands pas vers la porte d'entrée, prête à exécuter mon plan, lorsqu'un hurlement me stoppa net.

Deux pièces plus loin, Noémie venait de lâcher un cri strident qui résonna dans toute la maison.

« Elle a d'autres plans pour toi ma vieille... »

— SARAH CARTIER ! VIENS ICI TOUT DE SUITE !

          Je soupirai de lassitude en me portant jusqu'à la cuisine d'où étaient provenues les vociférations de ma tante.

Je savais déjà ce qui avait pu engendrer une telle crise d'hystérie même si j'espérais une fois de plus me tromper.

Lorsque Noémie me vit, elle se força à m'offrir un sourire condescendant qui me donna envie de vomir. Elle posa le téléphone fixe sur sa base qui émit un bip confirmant le chargement de l'appareil. Je quittai le téléphone des yeux et rapportai mon attention sur Noémie qui entremêlait ses mains à vitesse grand V.

— Sarah, ma chérie, dit-elle en essayant de reprendre son calme, je suppose qu'il y a un malentendu, cela va de soi. Tu m'en vois confuse... je ne sais comment te demander cela tellement c'est absurde !

          Je ne dis rien pour ne pas la presser. J'entendais le tic-tac de l'horloge de la cuisine qui me hurlait de sortir afin de poursuivre mes plans, mais Noémie m'aurait lapidée. Alors j'attendis qu'elle daigne reprendre la parole et qu'elle me porte au bûcher.

— Voilà, quelque chose me tracasse. J'ai appris que tu passais de plus en plus de temps en compagnie d'un certain William Lewis, un nouveau peu fréquentable m'a-t-on dit... cela m'étonnerait, bien entendu, mais je me dois de te demander s'il s'agit de la vérité, pour ton bien être personnel !

          Je regardai ma montre, me balançant d'un pied sur l'autre. Je n'avais pas envie d'avoir cette conversation. Je devais sortir et le rejoindre pour me faire pardonner une bonne fois pour toutes.

— On ne peut pas en reparler plus tard ? Il faut vraiment que j'y aille...

— Ça ne prendra qu'une minute, lâcha-t-elle froidement.

          Je soupirai le plus discrètement possible. « Tu n'y échapperas pas, pensai-je, tu es complètement foutue... une excuse vite ».

— C'est quelqu'un de très fréquentable. Je te le promets. Et puis ce n'est qu'un ami...

          Elle coupa ma phrase d'un geste, ses yeux sortant presque de leurs orbites. « Tu es morte, tu es morte, tu es morte ».

— Je te rappelle que c'est Antoine ton compagnon ! aboya-t-elle.

          « Je lui dis la vérité... ou non ? ». Perdue, j'étais perdue. J'avais le choix entre mentir et reporter à plus tard ma « sentence » ou tout avouer et dire que nous n'étions plus ensemble... un choix tellement simple.

Je n'eus pas besoin de choisir, j'essayai de baragouiner quelques phrases pour me sortir de cette impasse, mais les mots s'entremêlaient, j'étais complètement paumée et Noémie comprit par elle-même qu'Antoine et moi c'était terminé.

— Je croyais que c'était une blague ! Tu as vraiment rompu avec lui ? Après tout ce qu'il a fait pour toi ? Tu n'es qu'une petite ingrate !

           Je ne savais pas quoi répondre et jetai un regard circulaire sur la pièce pour trouver de l'aide.

Je fixai un instant le vieux fusil de chasse de mon oncle que Noémie avait suspendu au mur à la mort de ce dernier. Qu'aurait-il fait à ma place ?

Je réfléchis encore un moment, la laissant déblatérer des inepties dans un torrent de colère, mais plus je réfléchissais moins je voyais ce qu'Antoine avait pu m'apporter de bon... Une coloration hématome peut-être ? De la popularité ? Personnellement, je m'en fichais.

À cette pensée un sourire en coin m'échappa ce qui mit Noémie dans une rage encore plus folle. Elle croyait que je me moquais d'elle, que je lui manquais de respect « tu es noyée d'illusion », aurais-je voulu lui dire « si tu connaissais Antoine... ». À quoi bon ? La partie était déjà perdue, j'étais une fois de plus coincée.

Au lieu d'apporter des explications, je murmurai un faible « Tatie » histoire de la calmer un peu.

— Tu ne m'attendriras pas avec tes « Tatie », n'y compte pas ! Tu sais très bien qu'il va mal ! Il a besoin de toi ! Je veux que tu ailles de ce pas t'excuser auprès de lui. Va lui dire que tu l'aimes, et cætera, et cætera! Tiens-toi droite, va le voir, fais un joli sourire et je ne me mettrai pas en colère.

           « Non, mais je rêve ». Je ne baissai pas les yeux, ne souris pas, ne montrai aucune trace de faiblesse. Pas encore, je ne voulais pas lui donner ce plaisir. Il fallait que je trouve une erreur dans son discours, quelque chose qui pourrait peser en ma faveur.

Noémie détestait le mensonge par-dessus tout : peut-être que si je jouais sur les mots elle me ficherait la paix.

— Je ne peux pas faire ça parce que je ne l'aime pas. Tu m'as appris à ne jamais mentir. Dire de telles choses à Antoine serait te trahir. Ce n'est pas contre toi Noémie, il faut que tu essayes de comprendre.

— De comprendre, s'emporta-t-elle, DE COMPRENDRE ? Mais de comprendre quoi ma chérie, que tu lui pourris la vie ? Que tu t'es servie de lui et qu'aujourd'hui, maintenant que TU vas mieux, tu le laisses tomber comme une vieille chaussette ? Arrête de me faire pleurer ma chérie ! De toute manière, ce n'est pas une question c'est un ordre que je te donne ! Tant que tu vivras sous mon toit ma petite, tu te plieras à mes règles. C'est bien compris ? Tu veux me faire plaisir ? Va t'excuser, point !

— Je ne suis pas à tes ordres Noémie ! Tu n'as pas le droit d'interférer dans ma vie privée ! C'est injuste ! Je sais que je vis chez toi, mais ça ne fait pas de moi une marionnette ! Tu n'as pas le droit de faire ça ! m'écriai-je.

           Non, elle n'avait pas le droit, mais ça ne la dérangeait pas pour autant. Elle savait que je n'oserais pas me mesurer à ses menaces, elle savait qu'elle gagnerait avec le chantage parce qu'elle me connaissait. Elle connaissait mes craintes et savait que mon passé m'avait rendu plus fragile que je ne voulais le montrer.

Elle savait que j'avais peur de me retrouver seule et abandonnée.

— Si je t'ai choyée ici pendant des années c'est parce que ma sœur me l'a demandé et que je l'aimais, reprit-elle.

          La mention de ma mère m'électrocuta. Comment osait-elle parler d'elle, comment osait-elle l'associer à ses idées malsaines ? Ma mère ne m'aurait jamais laissé avec un type comme Antoine. Au contraire, elle aurait été du genre à m'interdire de fréquenter un mec pareil.

— Et tu crois vraiment que c'est ce qu'elle aurait voulu ? crachai-je. Que je devienne la putain d'Antoine ?

          Sa main partit d'elle-même et vint s'écraser sur ma joue qui s'échauffa au contact. La gifle me fit reculer d'un pas. Je fulminai de l'intérieur, la transperçant d'un regard sombre et haineux.

En parlant de maman ainsi elle salissait sa mémoire. Elle n'en avait pas le droit. Elle allait trop loin, beaucoup trop loin.

Je balayai rapidement son visage en cherchant quelque chose de familier dans la personne en face de moi. Rien, je ne vis rien de plaisant, rien de la personne que j'avais connue autrefois, rien de la sœur de ma mère, de cette douce personne, cette personne humaine que mon oncle avait aimée tant d'années avant de mourir. S'il avait été là, il serait intervenu, cet homme raisonnable qui trouvait toujours la solution à chaque problème et qui savait toujours nous remonter le moral quand nous étions petits. Mais à cet instant aucune douceur n'avait sa place entre Noémie et moi, elle m'était devenue étrangère.

« Tourne les talons et va-t'en », pensai-je. Au lieu de ça, je repris la parole.

— Tu as tellement changé, affirmai-je. Mais qu'est-ce que tu es devenue Noémie ? Pourquoi ? Je ne te reconnais plus, personne ne te reconnaît, tu es si... froide. Qu'est-ce que tu as fait de nous, de nos souvenirs ? En fin de compte, tu es morte avec eux.

— Tu ne sais même pas ce qu'est un souvenir, petite idiote, tu n'as plus rien ! Va voir Antoine tout de suite, cracha-t-elle, ou je te vire de chez moi. Tu m'as entendue ? Tout de suite !

          Voilà, on s'était tout dit. Je savais très bien ce qui allait se passer. Noémie allait devenir encore plus exécrable et moi j'allais lui céder. J'allais monter au perron d'Antoine et sonner à sa porte. Et je ferais ce que Noémie voulait que je fasse. Bien entendu, personne ne comprendrait. Tu as le choix me diraient-ils tous... moi je savais que je ne l'avais pas.

          Je n'arrivais pas à croire ce que Noémie était devenue, je n'arrivais pas à m'y faire, mais il fallait que je me rende à l'évidence : elle n'était plus là.

Aujourd'hui, il fallait que je l'accepte et que j'oublie ce qu'elle avait été. Mais peut-être n'avait-elle pas changé, peut-être avait-elle toujours été comme ça, peut-être que c'est moi qui avais été naïve ?

Lentement, je remontai à l'étage, sans même la regarder. Je m'enfermai alors dans ma chambre en prenant bien soin de claquer la porte.

Je restai un instant sans bouger, le dos contre le mur. À l'autre bout de la pièce, je vis mon reflet dans le miroir de ma coiffeuse. Je regardai un instant cette fille tremblante en face de moi avec une envie de vomir. Si le miroir avait pu se briser d'horreur, il l'aurait fait.

Je pensai à William qui ne comprendrait jamais, auprès de qui je n'irai jamais m'excuser. J'allais le blesser, arrêter de lui parler : c'était la meilleure chose à faire, pour lui et pour moi.

Tant qu'il y aurait Noémie et Antoine, tant que je vivrais sous le toit de cette dernière, je n'aurais pas d'autres choix.

         Ma tante continua un long moment à me menacer derrière la porte de ma chambre, mais je ne craquai pas. Il fallait que j'attende avant de lui obéir, que je la pousse à bout histoire de gratter une partie de la victoire. Une faible part je le conçois, mais une part bonne à prendre.

Dans ma tête les idées se bousculaient, cherchant une échappatoire, une faille. Et si je fuguais ? Si je trouvais un autre endroit où vivre ?

J'entendis Alex frapper à plusieurs reprises à la porte de ma chambre. Une fois qu'il m'eut assuré que Noémie était redescendue, je lui ouvris. Il entra en trombe dans la pièce.

— Sarah, écoute-moi, on va trouver une solution.

— Il n'y a pas de solution ! répliquai-je complètement ailleurs et hors d'atteinte.

          Je regagnai mon lit et m'effondrai sur le matelas moelleux avant d'enfoncer mon visage dans l'oreiller. Je hurlai.

Alex vint se placer auprès de moi et posa sa main sur mon épaule. Je décollai ma tête de l'oreiller pour le prendre dans mes bras. J'avais de nouveau cinq ans et il était mon grand frère. Je n'étais qu'une petite fille effrayée qui cherchait le réconfort. Alex me tint contre lui comme s'il désirait me protéger.

— Je te promets que si, mais il faut que je me renseigne avant. Je ne peux pas t'en dire plus, et surtout Noémie ne doit pas savoir que je prépare quelque chose ! Elle risquerait de tout faire capoter.

          Je secouai la tête avant d'exploser de rire, je ressemblais probablement à une hystérique, une furie soumise à des spasmes incontrôlables. Tu parles d'une solution : attendre et ne rien dire.

— Mais moi je fais quoi en attendant ? m'écriai-je sous le coup de la colère.

— Je suis désolé de te dire ça, mais je pense que tu vas devoir parler à Antoine le temps que je trouve la solution à ton problème.

          Je voulais que tout s'arrête maintenant, qu'il s'écrie « poisson d'avril ». Je voulais qu'il empêche Noémie de me soumettre. Mais au fond, on était que des gosses, que pouvait-il faire de plus que moi ? Rien... À cette pensée j'éclatai en sanglots. Alex resserra son étreinte et me berça.

— Arrête de pleurer petite sœur, s'il te plait. Je te promets de faire de mon mieux, je vais te sortir de là, je te le jure, je vais me dépêcher. Je sais que je ne peux pas toujours être là au lycée, je ne peux pas surveiller Antoine vu qu'il est dans ta classe, mais... si tu veux je vais en parler à Will comme ça si tu as un problème avec cet abruti et que je ne suis pas là, lui le sera.

          Je le repoussai alors et m'éloignai un maximum de lui. Il ne devait pas faire ça, William n'avait rien à faire dans tout ce bordel, je n'allais pas commencer à lui attirer des problèmes je faisais déjà trop de dégâts.

— Il ne doit rien savoir, paniquai-je.

          Rien que d'entendre son nom me m'était mal à l'aise. Je devais l'éloigner et m'en tenir à mes résolutions. C'est tout ce que je devais faire sinon ça risquait de finir très mal pour lui.

— Comme tu veux, répondit Alex, mais tu devrais lui en parler.

          Alex soupira devant mon regard noir, mais n'insista plus. Je sais qu'il essayait de m'aider, mais je ne pouvais pas me le permettre. Devant ma réticence non feinte, il ajouta quelques mots avant de se retourner et de sortir à grands pas de ma chambre.

— Tu ferais bien d'aller voir Antoine avant que Noémie ne t'égorge !

           Ses paroles sonnèrent comme une trahison.

Je me remis mécaniquement sur mes jambes, dévalai l'escalier avant de sortir en claquant une nouvelle fois la porte. Je vis le bus arriver au coin de la rue et je courus pour l'avoir. Le chauffeur me fit un sourire que je ne lui rendis pas et je m'assis aussi loin que possible des autres passagers.

Je posai alors ma tête contre la vitre regardant défiler le paysage extérieur jusqu'à chez Antoine. Un monde gris et froid comme mes pensées, inconsciemment j'en frissonnai.

Je descendis à un pâté de maison de chez lui et fis le reste du trajet à pied, comptant mes pas afin d'oublier les événements précédents et par-dessus tout, ceux à venir.

Mes jambes, à mon grand étonnement, acceptèrent de me porter jusqu'à la maisonnette de mon ennemi. Sans m'en apercevoir, j'arrivais devant sa porte où je fis une halte.

« Frappe, frappe, frappe », me criait mon esprit. Je n'en avais pas la force, mais une fois de plus mon bras se leva, sans que je ne le lui demande, comme si j'avais déjà quitté ce corps. Mon poing s'abattit alors sur le bois de la porte à trois reprises.

J'entendis des pas de velours venant de l'intérieur de la maison, ça ne pouvait être Antoine tant la marche semblait gracieuse.

Qu'importe, j'étais prête à me dérober, à courir le plus loin possible de cet endroit qui me semblait si malfamé. Cette fois, mes jambes refusèrent de m'obéir et je me retrouvai alors plantée là, fixant la poignée de la porte pendant que celle-ci s'abaissait, si lentement, si longuement.

La porte finit par s'ouvrir sur une femme de quarante-cinq ans, les cheveux noir de jais parfaitement lisses et coiffés, un visage pâle surplombé de grands yeux gris : les mêmes qu'Antoine.

— Oh, Sarah que me vaut le plaisir de ta visite ? me demanda Madame Lacombe avec un sourire gêné.

           Comme si elle ne le savait pas ! J'eus envie de cracher au beau visage souriant qu'elle m'offrait. J'eus envie de la rabaisser avant de lui tourner le dos, sans même un regard. Je n'en avais pas le droit. Je n'avais pas le droit de la juger, cette femme que je ne connaissais quasiment pas.

Peut-être ignorait-elle tout de son fils ? Peut-être n'y était-elle pour rien ?

— Je viens voir Antoine, répondis-je aussi calmement que possible, d'une voix vide, monotone.

           Pour toute réaction, elle haussa les sourcils, les yeux grands ouverts. Malgré tout, elle finit par recouvrer son naturel, souriant timidement, oubliant sa surprise. Elle hocha la tête avant de se tourner vers l'intérieur de la maison.

— Antoine, mon lapin tu as de la visite, cria-t-elle de sa voix de crécelle, en direction des escaliers.

           J'entendis presque automatiquement les pas lourds de mon pire cauchemar descendre le long de l'escalier, comme s'il m'attendait, comme s'il n'avait jamais douté que je viendrais.

Je déglutis lorsqu'il arriva à ma hauteur et esquissai un mouvement de recul. Lui ne bougea pas et me regarda d'un air narquois.

— Je pourrais te parler ? hésitai-je.

           J'essayai de me faire douce et calme pour que tout se passe sans esclandre, qu'il n'y ait pas de dérapage, mais c'était sans compter sur Antoine qui croisa les bras contre son torse et se cala contre le pan de la porte. Ses lèvres s'étirèrent laissant apparaître ses dents blanches dans un sourire moqueur.

— J'ai du mal à comprendre ce que tu fiches chez moi ma jolie !

           Il se pencha en avant me laissant sentir son souffle brûlant et scruta les alentours en rigolant avant de reprendre.

— C'est bizarre, je ne vois pas ton petit chien de garde Lewis dans les parages.

           Ses paroles me firent rougir de honte et je baissai les yeux sur mes chaussures tandis que j'entrecroisai nerveusement mes doigts dans mon dos.

Voyant qu'il allait repartir dans cette lancée de piques loin d'être aussi innocente qu'elle pouvait le paraître, je lui coupai la parole. De toute manière, il était vainqueur, il le savait et en jubilait déjà.

— Écoute, je m'excuse pour tout ce que je t'ai dit, pour tout ce que j'ai fait. Il faut que tu saches que je... je... t'aime.

          Ma voix dérailla alors que j'essayais vainement de masquer l'air dégoûté qui menaçait de pointer le bout de son nez. Ça n'était pas le moment de flancher, je ne pouvais compter que sur une chose : mes « talents » d'actrice.

— Tant mieux pour toi, figure-toi que j'avais l'intention de refaire le portrait de ton nouvel ami. Ne lève pas les yeux au ciel, je sais que ça te blesserait. Mais tu vas peut-être changer la donne, chérie.

           Il avait touché la corde sensible, trouvé un autre de mes points faibles.

William savait se défendre et il était capable d'affronter Antoine, mais si je pouvais éviter un massacre je le ferais. Il avait réussi à immobiliser Antoine la dernière fois, mais je connaissais ce dernier comme ma poche : il était rancunier, loin d'être fairplay et parfois même dangereux. Alors, bonne tactique d'autodéfense ou non, l'idée qu'Antoine puisse approcher mon meilleur ami me faisait flipper.

— Laisse-le en dehors de ça, s'il te plait. On a mieux à faire tous les deux, mentis-je.

          Il n'aima pas, malgré tout, que je prenne la défense de William et je restais persuadée d'une chose : il n'avait pas l'intention de le laisser tranquille. L'idée même le répugnait, le frustrait et je me demandais bien pourquoi.

Je déposai un rapide baiser sur sa joue afin d'éviter tout débordement de colère. Avec douceur je plaçai mes bras autour de son cou, sur la pointe des pieds j'atteignis son oreille la caressant de mes lèvres pour lui chuchoter un « je t'aime » qui aurait sonné faux dans la meilleure des pièces de théâtre au monde. Mais je savais que ça le contenterait pour l'instant.

— T'as plutôt intérêt à dire la vérité, répondit-il menaçant.

— On se voit demain.

           Je ne laissai paraître aucune émotion et m'éloignai d'Antoine sans le perdre des yeux, aguicheuse. Quand la distance nous séparant me parut correcte, je tournai les talons et partis en courant en direction de l'arrêt de car.

Si j'avais pu, je l'aurais éradiqué : le plus lentement possible, pour qu'il souffre. Je pensai à William et la merde dans laquelle je l'avais mis. Si jamais Antoine l'approchait, je serais capable du pire.

Mon esprit vagabonda alors auprès de mon frère et de la promesse qu'il m'avait faite un peu plus tôt. Il fallait qu'il agisse vite, sinon je risquais de me retrouver avec un meurtre sur les bras.

          Je descendis du bus et bifurquai sur un chemin de terre un peu plus loin, shootant violemment dans un caillou qui se trouvait par hasard sur mon passage. Une haine puissante me secouait sans que je n'arrive à reprendre le dessus. Il fallait que je me calme et pour ça je savais où aller.

Le chemin que j'avais emprunté menait à la plage. Elle était, à cette heure si douce, paisible, idéale pour se vider l'esprit. J'écoutai le silence de la nature, et le son léger des vagues se fracassant sur le sable fin. Je restai silencieuse face à la beauté et l'immensité des abysses.

Comme chaque fois, cette grande étendue bleue aussi libre que mystérieuse m'entraîna loin d'ici, avec elle. Je m'écroulai alors sur le sable m'allongeant les bras le long du corps. Ma respiration commença à s'apaiser tandis que résonnaient au loin des rires d'enfants. Le bonheur de l'enfance, un présent si précieux. Cette période où il suffit de regarder un objet pour s'émerveiller, quand tout est si simple. Si seulement je pouvais retrouver ce bonheur qui m'avait si vite glissé entre les doigts, emporté avec la petite fille que j'avais été.

Je fermai alors les yeux pour ne penser à rien, reprenant ma liberté pendant un instant. Ce n'est que lorsque la nuit commença à tomber et que la fraicheur du soir devint désagréable que je décidai de rentrer.

Du sable s'était faufilé dans mes bottes que j'aurais bien retirées si l'air glacial ne m'en avait pas empêché. Une brise légère me fit alors frissonner, s'entremêlant dans mes cheveux qui suivirent son mouvement.

Je me mis en route d'un pas rythmé pour me réchauffer. Malgré tout, l'air marin emplissant mes poumons continuait de me faire rêver à chaque bouffée et la nuit tombée semblait m'appeler comme un refuge trop longtemps abandonné attendant mon retour. Si mes dents ne s'étaient pas mises à claquer, je serais resté ici, à admirer la nuit, pour l'éternité.

*

*           *

           J'arrivai à la maison trop tôt à mon goût et montai directement dans ma chambre sans prendre le temps de parler à qui que ce soit. Alex semblait soulagé de me savoir rentrée et me rejoignit en moins de deux.

— Tu en as mis un temps, je commençais à m'inquiéter ! rouspéta-t-il.

          Il croisa les bras sur sa poitrine me fixant d'un regard accusateur. Je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire. Ça pouvait paraître égoïste, mais j'aimais l'idée qu'il s'inquiète parce que ça prouvait qu'il tenait à moi.

— Désolé, j'avais besoin de prendre l'air.

— Où étais-tu ?

— Sur la plage.

          Il hocha la tête comme s'il connaissait déjà la réponse avant que je ne la lui donne. Ça ne m'aurait pas étonné, il était bien placé pour savoir que la mer était capable de me calmer en un temps record.

Alex referma la porte derrière lui et avança jusqu'à ma coiffeuse. Il regarda, en souriant, la photo de Julie et moi accrochée sur le coin du miroir puis s'assit sur le tabouret pour me faire face. Il avait l'air de vouloir prendre la parole, mais je le vis hésiter, craignant sûrement ma réaction. Il finit malgré tout par me demander inquiet :

— Alors, qu'a dit Antoine ?

— Que si je lui faisais un mauvais coup il tuerait William avant de me tuer moi, ricanai-je. Ça sonne un peu mélodramatique une fois dit à haute voix !

          Ça n'avait rien de drôle, absolument rien, et les menaces d'Antoine résonnaient encore dans ma tête comme une annonce funeste. Pourtant j'étais nerveuse et je ne pouvais m'empêcher de rire en pleurant presque.

— Quel est le rapport avec William ? demanda alors Alex en gardant son sérieux.

— C'est ce que je me suis demandé aussi... Il doit lui en vouloir de l'avoir ridiculisé en prenant ma défense. Antoine a un problème en ce qui concerne la fierté et William a pas mal touché son égo. Et puis il y a toutes ces rumeurs, selon lesquelles je sortirais en douce avec lui, qui doivent en rajouter une couche. C'est fou comme ça me paraît logique tout d'un coup, marmonnai-je.

— Tu es sûre qu'il s'agisse de rumeurs ? demanda-t-il curieux.

          J'éclatai de rire, comme s'il avait dit la blague du siècle. Une fois de plus, seul mon rire résonna dans la pièce et je me sentis mal à l'aise. Alex me regarda comme si j'étais folle, se demandant s'il fallait rire ou non avec moi.

— Évidemment! répondis-je alors sur la défensive, comprenant que sa question était sérieuse.

— Tu ne trouves pas que votre relation est légèrement ambigüe ? continua-t-il, mine de rien.

          Ses questions et ses sous-entendus commençaient sérieusement à m'agacer. Il n'allait pas s'y mettre lui aussi ! Si même mon frère ne me prenait plus au sérieux, j'avais vraiment du souci à me faire.

— Bien sûr que non, répliquai-je froidement.

— Si tu le dis...

          Je lui lançai mon oreiller pour le faire taire. Je n'aimais pas la tournure que prenait cette conversation. J'en avais assez qu'on me rabâche sans cesse la même chose. Heureusement pour moi, Noémie nous appela pour manger, coupant Alex dans son défilement d'idées.

— J'arrive, cria-t-il.

— Vas-y sans moi, je n'ai pas faim et puis je suis crevée. Il faut que je dorme.

          Il me regarda d'un air réprobateur, mais n'insista pas sachant pertinemment qu'il n'obtiendrait rien de plus de moi ce soir. Alors qu'il allait se détourner, il déposa ses lèvres sur mon front. Je le serrai dans mes bras et le laissai partir avant que Noémie ne pique une crise.

Alex se retourna sur le pas de la porte et murmura :

— Bonne nuit sœurette, ne t'inquiète pas je m'occupe de l'autre débile et ne crains rien pour William il se débrouille très bien tout seul.

          La porte se referma sur Alex, et j'éteignis la lumière laissant ma chambre dans l'obscurité la plus totale. Je restai, un instant, assise sur mon lit dans le noir.

Je me sentis alors complètement perdue et seule. Je laissai affluer tous les sentiments obscurs que j'avais pris soin de masquer toute la journée.

Je me glissai enfin sous ma couette à la recherche d'une quelconque chaleur et fermai les yeux le plus fort possible pour échapper à ma chambre.

Tu t'en sortiras, songeai-je, tu t'en sortiras. Je le sais : on s'en sort toujours.

********************

N'oubliez jamais que vous êtes le seul maître de votre destin, c'est un présent précieux, ne laissez jamais personne vous l'enlever... 

Je sais que ça peut faire peur.

A très vite,

Lily <3

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