A feu et à sang
« The blood morning's on the rise
The fire burning in my eyes
No, nobody but me can keep me safe
And I'm on my way »
On My Way — Alan Walker
La boule de nerf coincée dans ma gorge grossissait à mesure que la soirée défilait devant mes yeux. Le froid commençait à m'envahir comme si une présence maléfique me guettait.
Je me rendis dans le salon et plaçai une des bûches de bois, qu'Alex m'avait apporté, dans le foyer de la cheminée. Je me battis un instant pour allumer le feu ne sachant pas trop comment m'y prendre.
Je réussis malgré tout, au bout d'une quinzaine de minutes, à obtenir un échauffement suffisant. Satisfaite, je courus en cuisine faire bouillir de l'eau pour le thé. Boisson en main, je me nichai sur le fauteuil du salon, près de la chaleur du bois calciné.
Je fixai alors les flammes, fascinée par leur lumière. Elles semblaient danser suivant une rythmique sauvage qu'elles seules pouvaient comprendre.
J'approchai mon visage de la vitre de la cheminée pour mieux les contempler. Mécontentes, les flammes décidèrent alors de m'agresser, m'enveloppant férocement pour me consumer de l'intérieur.
Je sentis ma chair brûler au contact du feu. Je hurlai de douleur sans pour autant réussir à m'éloigner. Mettant toute mon énergie, je dégageai mes yeux de leur emprise pour jeter un œil circulaire à la pièce.
Erreur.
Toutes les personnes de mon entourage semblaient avoir voulu m'accompagner dans cette danse folle et suicidaire pour se retrouver, un instant, étendues sur le sol, brûlées vives, jusqu'à l'os.
Je criai d'horreur et réussis enfin à quitter la pièce. Je me réfugiai dans mon lit, pleurant de tout mon soûl dans mon oreiller pour faire partir ces images de ma tête.
Je ne sais combien de temps je restai prostrée sur mon matelas, tremblante, choquée par la violence des visions qui m'avaient attaquée. Elles semblaient si réelles que je pouvais encore sentir l'odeur de la peau brûlée.
Si réelle.
— Pitié, que ce ne soit pas prémonitoire, hoquetai-je.
Il fallait que je pense à autre chose, que j'oublie. Je réussis alors à tirer mon téléphone portable de ma poche et cherchai le numéro de téléphone de Julie dans mon répertoire.
Je devenais folle, complètement folle...
— Allô, Sarah ?
— Julie, j'ai besoin de te parler, répondis-je la voix encore tremblotante.
— Qu'est-ce qui se passe ? Tout va bien ? Tu veux que je vienne ?
— Non... non ! Ne t'inquiète pas. Je vais bien. C'est juste que...
Sans faire de détour, je lui expliquai ce qui venait de se passer. Parler me fit un bien fou, comme si les mots avaient besoin de sortir et qu'une fois évadés, ils me permettaient de gommer chacune des images qui couraient encore dans mon esprit.
Au fil de la discussion, mon rythme cardiaque se calma comme si rien ne s'était passé.
— Je ne veux pas finir dans un hôpital psychiatrique, finis-je par murmurer.
Quelle idée de sortir une chose pareille. À la place de Julie je n'aurais pu m'empêcher d'exploser de rire. Mais, étonnamment calme, ma meilleure amie ne fit rien de tel.
— Ne t'inquiète pas pour ça, ça n'arrivera jamais. Tu dois simplement être un peu chamboulée. Ça peut se comprendre, non ? Ne t'en fais pas, ce n'est pas prémonitoire. Je suis ta meilleure amie, je le saurais si tu étais voyante, non ? Je t'aurais déjà exploitée ! Tu serais devenue mon esclave ! s'écria-t-elle enthousiaste.
— Tu dis n'importe quoi.
Sans le savoir, et comme par magie, elle me soulagea. Ses bêtises, ses délires. J'avais bien fait de l'appeler. C'est tout ce dont j'avais actuellement besoin.
— Non, mais sérieusement Sarah, continua-t-elle, tu imagines tout l'argent qu'on aurait pu se faire ! Toutes les paires de chaussures ? Tous les films ? Tous les jeux vidéos ??? TU TE RENDS COMPTE ?
— Malheureusement pour toi ce n'est pas prémonitoire n'est-ce pas ? murmurai-je.
Elle ne sembla pas m'entendre, perdue dans sa lancée.
— J'ai une idée ! Il faut que tu devines le nom du chien que j'avais quand j'étais petite !
— Carrie, marmonnai-je.
Sa voix se coupa, stupéfaite. Je pouvais presque voir, à l'autre bout du combiné, ses yeux sortir de leur orbite à cause du choc.
— Comment...
— Tu me l'as dit cent fois Julie. J'ai toujours trouvé ce nom flippant d'ailleurs. Carrie, ça fait un peu « bal du diable » (1), non ?
— Je suis t-eeee-llement déçue. Mais non, ce n'est pas flippant, c'est symbolique : Carrie avait horreur du porc, couina-t-elle mélancolique.
Elle me fit presque pitié avec sa petite voix perdue. Elle était si mignonne que j'en oubliai tous mes problèmes. Mais, le silence au bout du fil, commença malgré tout à m'affoler. Elle avait tenu trente secondes sans dire un mot : il devait se passer quelque chose de grave.
— Julie ? Tu es toujours là ?
— Je pense qu'il ne faut pas que tu t'occupes de ces visions, me répondit-elle d'un ton plus solennel. Tout va bien en ce moment, il n'y a aucune raison que ça s'arrête. Aucune raison. D'accord ?
J'acquiesçai faiblement, peu convaincue. Mais je voulais y croire. Il fallait que j'y croie.
— On brisera le mauvais sort ensemble ? chuchotai-je timidement.
— Bien sûr ! Comme des sorciers de Poudlard !
J'entendis sa mère crier à l'autre bout de téléphone. « Tiens, c'est déjà l'heure de manger », pensai-je.
Comme pour me répondre mon estomac se mit à gronder fortement.
Julie m'annonça qu'elle devait me laisser. Je lui souhaitai une bonne soirée et me préparai au silence qui allait bientôt peser dans la pièce. Juste après elle raccrocha.
Je fixai un moment mon portable, complètement paumée, puis je le posai sur ma table de chevet.
Julie avait raison, tout allait bien se passer.
Je regagnai la cuisine pour me concocter un petit plat. J'entrepris de raviver le feu de cheminée tandis que l'eau de mes « rāmen » commençait à crépiter en cuisine. Dix minutes plus tard, j'avais retrouvé ma place initiale sur le fauteuil du salon, bien décidée à ne pas laisser une seconde fois deux trois flammes de pacotilles m'impressionner.
En fin de soirée, la chaleur devint pesante. Mon corps ayant retrouvé sa température corporelle normale, je me sentis étouffer.
Je m'attelai donc à éteindre le feu puis j'entrepris d'ouvrir les fenêtres du salon et de la cuisine pour faire entrer un peu de fraicheur. Je m'occupai alors de la vaisselle aussi rapidement que possible, filai en salle de bain, enfilai mon pyjama et me glissai sous les couvertures de mon lit.
Comme sous somnifère, je m'endormis instantanément.
*
* *
Cette nuit-là, je retombai en enfance, laissant les souvenirs de ma famille s'évader de mon subconscient pour envahir mes rêves. Mes parents venaient de réapparaître dans la cuisine de la maison. Ma mère, agitée, s'activait à préparer une tarte aux fraises. Il semblait que nous attendions des invités et, en tant qu'hôte, j'avais mis ma plus belle robe.
J'observai la petite Sarah avec attention. Elle ne devait pas avoir plus de sept ans et, au vu du sourire se dessinant sur son visage de poupon, elle devait attendre des personnes très importantes. Elle était impatiente, sautillant sur place comme un cabri. Sa mère, débordée, lui demanda alors de s'éloigner. Elle n'avait pas besoin de l'enfant dans ses pattes, étant déjà suffisamment perturbée par tout ce qui restait à préparer.
La petite Sarah n'avait pas envie de laisser sa maman et la suppliait de l'emmener à la plage pour attendre les invités. Elle ne pouvait pas rester ici à ne rien faire.
— Nous irons cette après-midi, avança sa mère, quand ils seront arrivés. Si tu me laisses terminer, tu auras même le droit de porter ton nouveau maillot de bain.
Sarah acquiesça très heureuse, mais quand même sa mère aurait pu comprendre son excitation : il faut dire qu'elle attendait ce moment depuis des mois et des mois !
Obéissant malgré tout, elle se rendit à l'autre bout de la cuisine et s'assit sur une chaise en silence. Elle aimait observer sa maman faire la cuisine, elle ne pouvait s'empêcher de se montrer admirative face à cette belle femme, toujours si douce.
C'était sa maman et personne ne lui arrivait à la cheville.
C'était sa mère et personne ne la lui enlèverait jamais.
Son père, en tenue de sport, entra dans la cuisine suivi de près par un Alex miniature. Un coup de fil venait d'être passé et les invités arriveraient d'ici une heure.
Alex convia alors la petite Sarah à jouer au foot avec lui et leur père. Étonnamment, Sarah semblait ravie. Elle se précipita à la poursuite de son frère pour arriver la première au bout du lotissement.
Il faisait si beau qu'elle se mit rapidement à transpirer. Peu importe puisqu'elle semblait emplie de bonheur et n'avait pas l'air de s'en soucier.
Pourtant, le soleil tapait de plus en plus fort. Elle avait si chaud que je pouvais sentir la chaleur moi-même. Elle semblait transpirer au travers de mon corps. Par ce fait, elle restait immaculée tandis que je sentais la sueur perler sur mon front.
Petit à petit, je commençai suffoquer, prenant sur moi toutes les émotions négatives de la petite pour la laisser intacte. Cela devenait tellement intolérable que ma respiration se saccadait.
Je me mis à tousser, tousser sans plus pouvoir m'arrêter. La petite Sarah, elle, riait aux éclats, aux anges, et sauta dans les bras de son père pour le serrer fort. Je ne sentais plus mes jambes tandis qu'elle courait derrière le ballon de football, prête à l'envoyer dans les cages.
De mon côté, je me mis à hurler.
Je me réveillai en sursaut, tremblant de tout mon corps. J'étais recouverte de sueur. À deux doigts de m'étouffer, je repoussai ma couette. La chaleur ne disparut pas pour autant. Mes yeux me piquaient, n'arrivaient pas à s'ouvrir. De la fumée emplit mes poumons me faisant vaciller.
Des flammes, de partout. La maison était en feu.
Sans plus réfléchir, je récupérai mon portable sur ma table de chevet et sautai hors de mon lit. Il fallait que je sorte d'ici, coute que coute, sinon j'allais y rester.
« Reste calme Sarah, songeai-je, si tu paniques tu vas te fatiguer ».
Mes poumons se comprimaient chaque minute un peu plus : je n'allais pas tarder à m'asphyxier. Mes pieds semblaient cuire sur le sol. J'enfilai alors les pantoufles qui étaient restées au pied de mon lit. C'était mieux, au moins je pourrai marcher plus facilement.
Je me dirigeai tant bien que mal dans la pièce, aveuglée, la gorge en feu, le dos courbé pour passer sous la fumée. Lorsque j'atteignis enfin la fenêtre de ma chambre, celle-ci refusa de s'ouvrir. Je forçai sur la poignée, désespérément, les larmes aux yeux.
Les flammes gagnaient de l'intensité et je savais que je ne resterais pas longtemps consciente.
« Reste calme, reste calme, reste calme, réfléchis et surtout reste calme ».
J'essayai de garder les idées claires, empêchant mon esprit de s'embrumer. Je ne pouvais pas sortir par la porte de ma chambre, car le feu l'avait déjà condamnée.
Je courus jusqu'à ma table de nuit en fer forgé, soulevai le meuble à bout de bras et je le portai jusqu'à l'unique fenêtre de ma chambre. Mettant toute la force que je pouvais dans mes bras je propulsai le chevet par-dessus mon épaule et l'abattit violemment sur la vitre.
Au bout d'une éternité d'acharnement, le verre se brisa. Sans réfléchir, j'ouvris les volets d'une main tremblante et sautai à l'extérieur de la maison.
Je sprintai, le plus rapidement possible, loin des décombres. Épuisée, je m'arrêtai sur le trottoir de la rue d'en face et m'affalai au sol pour respirer, enfin.
Le voisinage était rassemblé à l'extérieur, affolé. Des gens tentèrent de venir me parler, mais je n'entendais plus rien.
La sirène des pompiers retentit à l'autre bout de l'allée. Un des sauveteurs m'apporta une couverture de survie et une paire de baskets ce qui me permit de jeter mes vieilles pantoufles usées par l'incendie. Puis, il me demanda ce qui s'était passé.
— Je ne sais pas, répondis-je perdue. Je suis vivante, murmurai-je.
Je me mis alors à rire à en perdre mon souffle sous le regard compréhensif du pompier. Puis, sans crier gare, je pleurai. Des torrents de larmes s'écoulèrent de mes yeux tandis que je contemplais le dernier souvenir de mes parents se consumer dans les flammes.
— Vous ne savez pas ce qui aurait pu déclencher le feu, mademoiselle ?
Non, je ne savais pas, j'étais seulement sûre d'avoir parfaitement éteint la cheminée avant de dormir. Ça ne pouvait donc pas venir de là.
— Vous avez fait cuire quelque chose ?
— Non, je ne sais pas... non.
Perturbée, je ne parvenais plus à réfléchir. L'homme posa une main sur mon épaule comme pour me rassurer.
— On va vous emmener à l'hôpital, d'accord ?
— Non ! répondis-je catégorique.
Je refusai leur offre. Je ne voulais surtout pas me rendre à l'hôpital, cet endroit de malheur. L'homme insista, je me préparai alors à partir en courant au cas où il aurait tenté de me forcer à le suivre. Il n'en fit rien. Voyant que je ne changerai pas d'avis, il me demanda gentiment si quelqu'un pourrait m'accueillir pour la nuit. Je hochai la tête pensant tout de suite à Will. Il m'accueillerait les bras ouverts et j'avais plus que besoin de me blottir contre lui à cet instant.
Le pompier proposa de m'accompagner jusqu'à chez mon petit ami, refusant tout bonnement que je m'y rende seule, perturbée, au beau milieu de la nuit. Encore une fois, je refusai son offre, catégoriquement. Je devais recouvrer mes esprits, seule, sans que quelqu'un ne me prenne en pitié.
— Je vais bien, le rassurai-je. Il n'habite vraiment pas loin.
— Pensez-vous que ce soit raisonnable mademoiselle ?
— Ça l'est, le coupai-je.
Je le remerciai pour toute l'attention qu'il m'avait portée et lui notifiai que j'allais rentrer.
Me retenant un instant il me parla des histoires d'assurance, de paperasse, de déposition, un tas de choses que je devrais régler avec Alex.
Je ne l'écoutai pas le moins du monde et lui offris un regard plein de sous-entendus. Compréhensif, il me laissa seule.
— Contactez-nous au moindre problème. Nous parlerons du reste plus tard.
Je tournai alors les talons, m'éloignant de tout ce petit monde empli de compassion à mon égard et sortis mon téléphone de ma poche.
— Will, je peux venir chez toi s'il te plait ? demandai-je à des années-lumière de mon corps.
De l'autre côté du combiné mon chéri semblait encore plus à l'ouest que moi.
— Mais il est... trois heures du matin, qu'est-ce qu'il se passe ? me dit-il d'une voix endormie.
J'éloignai le téléphone de mon oreille pour vérifier l'information. « 3 : 02 » s'affichait à mon écran. Je ne m'étais même pas rendu compte qu'il était si tard, si tôt.
— La maison a pris feu, annonçai-je mécaniquement.
J'avais lâché ça sans réfléchir à l'impact qu'aurait cette information. Une bombe semblait avoir explosé chez William qui se réveilla instantanément.
— What ? réussit-il simplement à répondre.
Mon pauvre amour venait de se prendre un seau d'eau sur la tête. Après réflexion, j'aurais au moins pu essayer de le ménager.
— Tu n'as rien ? finit-il par me demander reprenant ses esprits.
— Je vais bien, ne t'inquiète pas. Je me suis juste un peu coupée en sortant, mais tout va bien. Par contre, je crois que je ne vais pas pouvoir dormir dans mon lit de sitôt.
— Viens chez moi ! m'ordonna-t-il presque.
Le ton autoritaire de sa voix me fit sourire. Ça aurait pu m'agacer en d'autres circonstances, mais à cet instant je trouvai ça terriblement sexy.
— Tu n'aurais pas mis le feu à ma maison pour que je sois forcée de venir vivre chez toi ? plaisantai-je.
Je ravalai mes paroles aussitôt lâchées sachant pertinemment que Will n'apprécierait pas que je rigole sur un sujet qui aurait pu me coûter la vie.
— Je viendrai vivre avec toi avec plaisir, me rattrapai-je.
Il ne souleva pas ma blague, encore trop perturbé pour me faire des remontrances.
— Ne bouge pas, je viens te chercher.
— Non Will, le coupai-je. Ça va aller, je connais le chemin.
Il essaya de me convaincre, mais je refusai, comme je l'avais fait auparavant avec le pompier.
— J'ai besoin de me retrouver un moment seule, avec moi-même. Je serai vite là.
Il lâcha alors prise, trop fatigué pour se battre avec moi.
— Tu me téléphones au moindre problème ? Je t'attendrai en bas.
— Promis. À tout de suite mon amour.
Je raccrochai et me mis en route aussitôt, laissant les flammes et les craintes derrière moi. La fraicheur du soir fit un bien fou à ma peau encore cuisante. Je l'avais échappé belle.
Je marchai d'un pas rapide et strict, respirant de manière régulière. Les yeux rivés droit devant j'observai le mouvement des ombres sur mon passage.
Le silence de la nuit était reposant. C'est tout ce dont j'avais besoin après la cohue que je venais de vivre.
Je laissai mes cheveux se marier avec le vent, profitant de sa caresse sur mon visage.
Je fus alors coupée dans ma complétude par une sensation désagréable. Le calme m'entourant venait d'être perturbé violemment par une présence, des bruits de pas différents des miens, par une personne qui semblait me suivre.
Effrayée, la nuit me sembla tout d'un coup plus glaciale et dangereuse. Les ombres semblaient vouloir m'engloutir, se rapprochant dangereusement de ma personne pour la noyer. Le vent devint tout de suite plus agressif, laissant les caresses au passé pour mieux me brouiller la vue.
Contrôlant ma peur, j'accélérai le pas. Confirmant mes craintes, la personne prit la parole et me glaça sur place.
— On fait une petite balade nocturne poupée ?
Lui tourner le dos n'était vraiment pas une bonne idée. Qui sait ce qu'il pourrait tenter ? Mon instinct m'ordonna de lui faire face. Puis, le plus sereinement possible, je lui demandai la raison de sa présence.
— Tu sais que c'est mal pour une fille comme toi de se promener seule la nuit ? me dit-il sans me donner de réponse.
— Tu m'as suivie ?
Bien sûr qu'il m'avait suivie, avais-je vraiment besoin de lui poser la question ? Mais une part de moi espérait qu'il se trouvait là par hasard, loin de chez lui, au milieu de la nuit. Il allait partir et me laisser tranquille.
Comme pour briser mes espoirs il s'approcha dangereusement de moi, dans une démarche presque féline. Ses yeux ne me lâchaient pas, scrutant le moindre de mes gestes.
Telle une gazelle devant un lion je reculai.
— Juste un conseil au passage...
— Je n'ai pas besoin de tes conseils, DÉGAGE !
Je me préparai à partir au pas de course dès qu'il montrerait le moindre geste de faiblesse. Saisissant le plus discrètement possible mon téléphone portable, j'envoyai ce que j'espérais ressembler à un « help » à William par SMS. L'indésirable, trop épris par sa tirade morbide, ne sembla pas s'en apercevoir.
— Ne t'énerve pas joli cœur, je voulais juste te recommander de fermer les fenêtres de ton salon avant d'aller te coucher. On ne sait jamais, quelqu'un pourrait entrer chez toi. Je dis ça pour ta sécurité ! Tu ne vas quand même pas m'en blâmer, susurra-t-il.
Refoulant l'envie de l'envoyer « se faire mettre » je pris un instant pour réfléchir au sens de ses paroles. Tremblant de tout mon corps les morceaux du puzzle s'assemblèrent tous seuls dans mon esprit.
— Comment tu..., chuchotai-je, l'incendie c'était toi ?
J'avais posé cette question de manière rhétorique. Antoine devait s'en douter, car il ne prit même pas la peine de me répondre. J'explosai.
— TU ES COMPLÈTEMENT MALADE !
— Calme-toi poupée, je savais que tu n'en mourrais pas. J'espérais seulement t'atteindre en réduisant en miettes les restes de tes parents. Ça fait mal ?
Le sadisme brillant dans ses yeux semblait sans failles. Prise de panique, je me mis à courir en direction de chez Will.
J'espérais de tout cœur que ce dernier ait reçu mon appel à l'aide et qu'il soit déjà en chemin.
Un panneau « danger » venait de s'éclairer en grand dans ma tête. Je devais fuir au plus vite, car, si le feu ne m'avait pas consumée, Antoine pourrait très bien terminer ce qu'il avait commencé.
Amusé, le brun se lança à ma poursuite, partant en chasse, et m'attrapa fermement par la taille.
— Ne pars pas ma belle, on a une longue nuit d'amour à rattraper.
Il se colla contre moi, un peu plus, toujours plus, son souffle tout contre ma peau. Je luttai intérieurement pour ne montrer aucun signe de faiblesse.
— Tu te rends compte de ce que tu as fait ? Il suffirait que j'aille voir la police, ce que je vais faire dès demain, pour que tu croupisses en prison !
Pas le moins du monde impressionné, mon agresseur explosa d'un rire malsain.
— As-tu la moindre preuve ? Ce n'est pas ma faute si tu as oublié d'éteindre ta cheminée.
Je sentis ses mains se glisser dans mon dos, ses lèvres dévorant mon cou.
Me souvenant de la conversation que j'avais eue avec Will, je profitai de notre proximité détestable pour lui envoyer un grand coup de genou dans l'entrejambe.
Il se plia en deux, pestant contre le ciel et la terre, mais au lieu de relâcher sa prise pour me laisser m'échapper je sentis sa main se raffermir autour de mon poignet.
Je tirai violemment sur mon bras pour me dégager ce qu'il lui permit de reprendre ses esprits.
— J'aurais dû faire en sorte que tu crèves dans les flammes, s'écria-t-il. J'aurais pu faire en sorte que tu crèves ! Tu pourrais te montrer un peu plus reconnaissante, espèce de salope !
Avant d'avoir pu terminer sa phrase, il se retrouva propulsé violemment sur le sol.
Sans lui laisser le temps de comprendre ce qui venait de se passer, Will lui agrippa la chevelure pour l'aider à se relever avant de le pousser contre un poteau électrique.
L'étonnement pouvait se lire dans les yeux d'Antoine qui ne semblait pas avoir prévu l'arrivée du blond.
— Comment as-tu osé faire ça ?
— Faire quoi Lewis ?
— Je te jure que je vais te tuer si tu n'arrêtes pas tout de suite de jouer les cons avec moi ! Tu as de la chance qu'elle soit sortie vivante de cet incendie, vraiment de la chance !
— Cool mec, elle n'a rien.
Mécontent de la réponse de mon agresseur, les yeux de William s'assombrir un peu plus.
— Et là, qu'est-ce que tu allais faire ?
— M'amuser un peu ! lança Antoine d'une voix salace.
Ce fut le mot de trop, Will plaqua la tête d'Antoine contre le poteau. Un liquide rouge sombre et poisseux commença à s'écouler du crâne de mon agresseur qui ne cessait de rigoler. Quant à moi, je restai prostrée sur le côté, complètement paralysée par la violence des événements de la soirée.
— Tu n'arriveras jamais à me tuer Lewis. Arrête de me faire perdre mon temps.
J'aurais voulu crier à Antoine de la fermer, mais il ne m'aurait jamais écoutée. La lueur meurtrière brillant dans les yeux de William s'intensifia en réponse au défi qui lui était lancé.
— Tu veux parier ? gronda-t-il.
— Tu n'as pas assez de cran pour ça !
— La ferme !
Il fallait vraiment qu'Antoine cesse de le provoquer où le peu de self-contrôle qui lui restait risquait de disparaître.
— Tu seras toujours le second choix de Sarah ! Tu le sais pertinemment ! Elle ne savait même pas que tu existais ! ricana Antoine.
Perdant la moindre trace d'humanité, Will saisit le cou de son ennemi et commença à resserrer son étreinte. Je ne l'avais jamais vu dans un état de rage aussi intense. Il semblait vraiment décidé à en finir, profondément, intensément.
Je ne le reconnaissais plus et ne pus m'empêcher de frissonner face à l'éclat morbide de ses iris. Il était terrifiant. "Mais à quoi je pense ?".
Me secouant mentalement, je repris mes esprits, et m'accrochai à lui pour l'éloigner d'Antoine avant qu'il ne commette l'irréparable.
C'est maintenant qu'il avait besoin de moi. Et jamais, jamais je ne lâcherai.
Mon agresseur ne cessait de se débattre sans parvenir à se dégager. Je tirai l'anglais de toutes mes forces pour qu'il recouvre raison. À mon contact Will finit par se rendre compte de ce qu'il était en train de faire et relâcha mon ex.
Chancelant, perturbé, il s'éloigna d'Antoine qui tomba sur le sol en toussant. Je pris le visage de mon petit ami dans les mains pour l'adoucir, le soustraire à son combat intérieur.
— N'écoute pas ce qu'il dit, chuchotai-je. Ne l'écoute pas.
Je ne savais pas pourquoi William donnait tant d'importance aux paroles de l'autre crétin, tout ce que je voyais c'est qu'il avait mal, terriblement mal. Ses yeux humectés de rage avaient perdu toute leur clarté.
— Il a failli te tuer ! clama-t-il définitivement hors de lui.
Je ne m'offusquai pas de sa réaction. Il avait besoin de crier, de hurler, de se défouler. Je me mettais à sa place, il était dévoré par la peur et la colère.
— Mais je suis vivante.
Je répondis le plus calmement possible et pris possession de ses lèvres. La chaleur de mon baiser sembla le détendre un peu, l'exorcisant du démon qui l'avait envahi. Puis, se remémorant la présence de l'autre con il passa ses bras autour de moi, protecteur, et le fusilla du regard.
Antoine se redressa, tant bien que mal, encore choqué. Il passa sa main sur son cou, grimaçant au contact de ses doigts sur le bleu qui commençait à se former. Il nous regarda, dans les bras l'un de l'autre, dégoûté, mais ne fit plus la moindre remarque.
Il semblait avoir perdu toute assurance.
William bougea pour me poster derrière lui ce qui provoqua un mouvement de recul chez Antoine.
Il avait peur.
Je me remémorai le regard surpris qu'il avait lancé à William quand il avait débarqué : il ne s'en serait jamais pris à moi s'il avait su que Will risquait d'intervenir.
Il avait peur.
C'est pour ça que, dernièrement, il ne me parlait qu'en l'absence de l'anglais. Mais, ce qui aurait dû me rassurer m'effraya un peu plus. Antoine était perfide et déloyal : s'il craignait William, il allait chercher à le mettre hors d'état de nuire, d'une manière ou d'une autre.
Je regardai mon agresseur s'éloigner de nous, prenant garde à ne pas faire de mouvement brusque.
William ne cessa de le fixer, prêt à réagir, jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la nuit. Il ne se relaxa qu'une fois le danger éloigné. J'en profitai pour glisser ma main dans la sienne avant de l'attirer en direction de son appartement.
*
* *
Jusqu'à présent, je ne m'étais jamais aventurée chez William. Je l'avais bien raccompagné avec mon frère, mais nous nous étions chaque fois arrêtés devant la porte de sa montée d'escalier.
Pourquoi ?
Sûrement par peur de me retrouver seule avec lui, chez lui, par peur de tout ce qui aurait alors pu se passer. Mais les choses avaient changé et plus le temps passait, plus j'avais envie que toutes les choses qui avaient pu m'effrayer se concrétisent.
— Je t'aime, ne pus-je m'empêcher de lui dire avant de pénétrer dans les lieux.
Pour toute réponse, il ouvrit la porte de son habitation
— Bienvenue chez nous angel.
L'appartement n'était pas grand, mais de la chaleur humaine semblait en imprégner les murs.
Marie, la mère de Will, avait acheté le logis avant la naissance de ses fils. Elle avait déménagé en Angleterre pour ses études et rencontré le père de Will. Prête à sacrifier son pays natal pour son mariage, elle avait malgré tout investi dans ce pied-à-terre, près de la mer, pour garder un lien avec la France.
Les lieux comprenaient deux chambres, une pour ses parents et l'autre que William partageait autrefois avec son frère.
À sa mort, ils avaient réaménagé la pièce, les deux petits lits laissant place à un lit double et la tapisserie héroïque laissant place à une peinture unie.
Il m'expliqua qu'il avait longtemps refusé tout changement, mais ses parents craignaient qu'il ne souffre en voyant le lit vide d'Andrew. Au final, il avait cédé, mais ça n'avait servi à rien pendant une longue période, car il n'avait pas remis les pieds dans les lieux avant cette année.
— C'est étrange que nous ne nous soyons jamais croisés ! avançai-je.
— Tu sais, on se servait de l'appart comme escale. On y venait parfois en vacances, mais surtout pour se balader dans les grandes villes les plus proches.
Peut-être, pensai-je, mais si Will était venu plus souvent ici et qu'il avait pris la peine de trainer dans les alentours nous aurions pu nous rencontrer il y a des années.
Ma vie aurait été sûrement bien différente.
— J'aurais aimé te connaître plus tôt...
William sembla déstabilisé par ma déclaration. Je ne sus comment interpréter sa réaction, mais quand il s'approcha de moi pour me tenir contre lui je cessai de me poser la moindre question.
— L'important, murmura-t-il, c'est que tu sois près de moi aujourd'hui.
Il me berça un moment, faisant fuir toutes mes idées noires. Puis, à ma demande, il m'indiqua la salle de bain.
Je sentais encore la suie, et j'avais envie d'arracher chaque once de peau qu'Antoine avait pu toucher.
William m'apporta une serviette propre et un de ses T-shirts pour que je puisse me changer.
Heureusement qu'il me restait des affaires chez Noémie, il faudrait que j'aille les chercher demain. Pour le reste, j'allais devoir trainer Julie faire un peu de shopping.
L'eau s'écoula sur mon corps, prenant une teinte noirâtre au contact de ma peau. Je retrouvai rapidement ma couleur naturelle, heureuse de ne plus sentir le poulet grillé.
Me glissant hors de la cabine de douche je m'enroulai dans la serviette imprégnée de la lessive de William et me laissai porter par cette odeur si familière.
Une fois sèche, j'enfilai le T-shirt de mon chéri. Ce dernier m'arrivait juste en dessous des fesses, dévoilant une bonne partie de mon corps. Je rosis légèrement, prise d'un coup de chaleur, en pensant que j'allais me balader dans cette tenue devant lui.
Je rejetai malgré tout immédiatement l'idée de renfiler mon vieux pyjama, préférant la bonne odeur du vêtement fraichement lavé à mon bout de tissu grillé.
Penaude, je sortis de la salle de bain pour rejoindre mon petit ami dans la chambre. L'expression que je lus dans son regard quand il posa ses yeux sur moi, à demi nue, les cheveux en bataille, m'électrocuta. Toute crainte s'évada alors.
Belle, je me sentais belle.
— Je comprends enfin ce que tu voulais dire par « grrr », murmura-t-il simplement.
Je m'approchai de lui, pas embarrassée le moins du monde et me penchai à son oreille. Il allait être déçu.
— Tu aurais quelque chose pour que je puisse démêler mes cheveux ?
Perturbé par ma posture plus que par ma question, il mit du temps réagir. Puis, il se leva et partit en direction de la salle de bain. Je l'entendis un instant farfouiller dans les tiroirs. Il revint la seconde d'après, une brosse à la main, et se plaça derrière moi pour démêler mes cheveux.
— C'est la brosse de ma mère, ça ne te dérange pas ?
Je répondis par la négative et le laissai glisser la brosse dans mes cheveux, étonnée par son initiative.
— J'ai toujours rêvé de faire ça, murmura-t-il.
Je faillis lui répondre qu'il avait des rêves étranges, mais ça aurait brisé la magie du moment alors je me tus. J'avais besoin qu'il prenne soin de moi et c'est exactement ce qu'il était en train de faire. Il prit son temps pour démêler ma tignasse, maladroit, mais très doux.
— Je te fais mal ? me demanda-t-il une bonne trentaine de fois.
Chaque fois je lui répondis que non, avec tendresse. « Tu ne me fais pas le moindre mal, pensai-je, tu me réchauffes le cœur ».
Une fois mes cheveux démêlés, William reposa la brosse sur sa table de chevet. Il passa alors une main sous mon T-shirt, caressant mon ventre. Je le sentis me tirer contre lui, libérant par ce simple geste mes vieilles anxiétés.
— Will, je n'ai pas envie de..., commençai-je à dire.
Il ne me laissa pas finir, retirant sa main de mon ventre pour venir caresser ma joue.
— Je ne suis pas Antoine, Sarah, je ne te forcerai jamais à rien. D'accord ?
Je ne l'avais jamais trouvé aussi beau qu'à cet instant, à quelques centimètres de moi, sur son lit, seuls dans sa chambre, mais je ne pouvais m'empêcher d'être anxieuse.
Je me traitai intérieurement d'idiote et la crainte partit aussi vite qu'elle était apparue.
— Tu veux quand même bien dormir avec moi ? murmurai-je.
William me sourit, sans songer une seule seconde à se moquer de ma question.
— Bien sûr angel. Comme tous les soirs à venir.
N'y tenant plus je comblai l'espace entre nous pour l'embrasser. Ses lèvres répondirent à mon baiser, en profitant pour l'approfondir. Puis William m'invita à me glisser sous la couette. Épuisée, j'accueillis l'invitation avec gratitude. Une fois la lumière éteinte, il m'attira contre lui.
Dans ses bras, je m'endormis instantanément.
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Le Boomerang est lancé...
Espérons qu'il ne fasse pas trop de ricochets...
On retombe dans un chapitre un peu plus sombre mais promis je me calmerai un peu.
J'espère qu'il vous a plu.
Love,
Lily <3
Petit souvenir d'Halloween 2021. William et Sarah voulaient vous le souhaiter <3
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