55-Deuil

-14 Décembre 2061-

[PDV Viviane]

Tout ça me dépasse. Pourquoi moi ? Pourquoi mon nom est sorti de sa bouche ? Je sais, j'aurais dû refuser mais comment ?

Telle une marionnette, Nick, la première personne à qui j'ai dit ce  mot si particulier, s'efforce de tenir debout. Le bras du garde le maintient en place mais ses chaussures trainent dans la boue et laissent deux sillons remplis d'eau.

Mes cheveux rejettent les grosses goutes qui s'aventurent entre mes boucles étanches. Elles ruisselles et se mêlent à la sueur qui perle sur mon visage. Ne soyez pas surpris d'y trouver dans un parfait mélange de larmes, mais en est-ce vraiment ?

Le moteur de la voiture me ramène à la réalité, sur la banquette arrière, entre deux personnes, Nick me scrute le regard humide. Pourquoi y a-t-il cette vitre ? Je pourrai l'exploser et me lover une dernière fois dans ses bras, me moquer de son manque de force et savourer sa présence.

Ses mains, voilà, le dernier contact sur ma peau. 

Mon bras se lève à hauteur de ma poitrine. Sous cette pluie diluvienne, je ne sais plus si je pleure de tristesse ou si je tremble de froid. Peut-être est-ce les deux ? Le bout de mes doigts bleutés tressautent devant la vitre du van qui s'éloigne. Mes jambes cèdent, molles, la boue se mélange à mon pantalon skinny beige et de petites éclaboussures tachettent mes joues.

L'orage se rapproche dangereusement de moi mais mon corps, stoïque, refuse de céder à cette peur enfantine. Je déteste l'orage et ses racines électriques qui craquellent le ciel assombrit par des nuages épais.

Ma bouche étiré dans une longue plainte accompagne ce souvenir douloureux. Celui de ma famille ...

-11 Mai 2053-

Les bras chargé de provisions en tout genre, je les dépose sur la table en plastique bleu du salon. Le marché a été crevant, au 6, comme à son habitude, les vendeurs crient pour attirer un maximum de clients. Je m'essuie le front avec un morceau de papier oublié sur la table.

Je m'avance vers les rideaux et les tirent. Je regrette de ne pas pouvoir ouvrir ses fichues fenêtres pour laisser un peu d'air ventiler la pièce envahie par cette odeur nauséabonde de corps en décomposition et de pue.

L'Epidémie vient de faire son apparition dans nos rangs. Elle se propage comme une trainé de poudre. Au marché, les gens se couvraient la bouche avec un morceau de tissu vieillie et détaillaient chaque personne à la recherche d'un individu qui aurait contracté la maladie. Elle est nouvelle et nous ne savons pas comment l'arrêter.

Bien évidement, vous devez vous douter que la chance est de mon côté, je vie dans le secteur 5, l'un des mieux lotie parmi les Rejetés, mais non, je vous arrête tout de suite. En une semaine mes parents ont perdu l'étincelle de vie dans leurs yeux. Ils se décrépitent et je suis impuissante.

Je vais vers la cuisine et sort une soupe préparée la veille, un mélange de fibre et de fécule, une dizaine de petits pois remonte à la surface et me salut. Je renverse le liquide dans une casserole et allume la plaque électrique.

Sa taille se résume à cinq meubles de rangement rouges, laqués, et un évier délavé.

Mes parents, incapables de travailler, me laissent sans revenu pour payer nos factures, celle d'électricité ne devrait pas tarder à arriver d'ici la fin de semaine. Je dois apprendre à me débrouiller seul, ils vont rejoindre mes grand-parents, je le sais. Il va falloir que je me trouve un secteur d'activité pour gagner mon pain.

- Dans cinq minutes le repas sera près, avertis-je mes deux parents alités.

Depuis trois jours, leur état s'est détérioré. Leur peau, boursouflée, laisse pousser des boutons remplis de pue et de mue. Leur yeux, injectés de sang, repoussent mon regard. Je leur passe un gant d'eau froide chaque jour mais cet acte désespéré ne sert à rien. Je le sais, la mort va venir me les prendre. Ma mère et mon père ont beau être léger en compliment et en éloge sentimentaux, je les aime sans leur dire. 

Les bulles remontent à la surface et j'éteins la plaque chauffante. Ma gorge se contracte. Je verse le liquide dans deux assiettes assorties de petites fleurs noires, des dahlias noirs. Je souffle un bon coup et m'empare des deux assiettes. Je retiens un haut le cœur, l'odeur occupe toute la maison en pierre.

D'un coup de coude, je pousse la porte et me munie de mon plus grand sourire. Il doivent voir en moi un espoir, une porte de sortie.

- Alors, ce midi se sera une soupe de ...

Les deux coupoles s'écrasent sur le sol et répandent un nuage de cristaux de porcelaine noyé dans un liquide verdâtre.

- Ah !

Mon cris déchire cette maison plongée dans la calme. Un regard a suffit pour m'annoncer l'horreur de la situation. Mes jambes, raides comme des piquets, refusent d'avancer ou de reculer. Une part de moi s'envole avec eux pour les rejoindre et leur murmurer des mots qui n'ont jamais franchit mes lèvres. Je m'appuie contre le montant de la porte et me laisse glisser sur les dalles oranges qui recouvrent le sol.

Mes parents, couchés au dessus de la couette, se tiennent la main. Un geste inédit. Leurs vêtements masquent les gros boutons suintant de pue, leurs yeux laissent couler un filet de sang et leur peau mélange une teinte verdâtre et bleuâtre. Depuis quand sont-ils mort ?

Un ouragan ébranle mes épaules. Les larmes pleuvent sous mes yeux et tombent sous mon menton et ma bouche. Je déteste ce goût salé sur ma langue, ses picotements dans tout mon corps, cet étouffement qui me coupe la respiration. 

C'est à cet instant, quand je les ai vu, que j'ai commencé à croire à cette théorie selon laquelle l'Epidémie viendrait de l'Enceinte et non d'un hôpital de la région. C'est là que ma résistance a commencé ...

Le van disparut au bout de deux minutes. Une heure sous la pluie me rend malade, j'éternue. Je ravale la bile dans ma gorge et me relève, pleine de boue.

Une fois dans le van, je pars vers un lieu inconnu, dans mes veines, mon sang bouillonne de rage. Nick n'est pas le centre de cette colère, je suis furieuse contre mon destin, mon karma. D'abord mes parents et maintenant Nick.

Quinze kilomètres plus loin, je m'arrête et gare le véhicule militaire dans la rue. J'arrache la poignée de la portière et défonce la porte d'une battisse en pierre.

Cette maison, ma maison a perdu de son odeur et de son âme. Les toiles d'araignées repeignent les murs couverts d'une tapisserie aux motifs horizontaux.

Je cours vers la table bleue et envoie valser les chaises en bois. Dans un vacarme assourdissant, elle explose, un pied par-ci, le dossier par-là, sur l'un des murs. Ma carotide double de volume alors que je me presse vers la cuisine pour retirer de l'étui en bois un couteau en inox. Sa texture lisse échappe à mes doigts trempés.

Sur mon chemin vers le canapé en tissu jaunie, une longue trainée d'eau me suit à la trace. Je lève au point du zénith la lame et l'abat dans un cris déchirant sur l'accoudoir. On n'entend que moi, ou,plus précisément, les sonorités bestiales qui franchissent mes cordes vocales.

Un nuage s'envole, un mélange de mousse et de plume, je détruis l'objet principal de cette pièce en miette. Je tire sur le tissu avec tout la rage que je contiens. Il craque et s'étire en ligne droite. Je repense à mes parents, Nick ... Pourquoi le monde s'acharne-t-il autant sur notre génération ? Nous sommes maudits.

Après le canapé, je m'attaque aux cadres photos. La vitre se transforme en confettis tout de suite rattrapé par les portes que je dégonde. Elles rebondissent sur le sol. Puis, vient la dernière, j'y met tout mon cœur et découvre cette chambre que je n'avais pas vu depuis longtemps.

Rien n'a bougé.

Je tombe à genoux, vidée. Ma rage part aussi vite qu'elle est arrivée et je me couche sur le sol. Les débris de verre rentrent dans ma peau, l'entaille peut-être, mais je n'en ai rien à faire.

Je contemple le plafond, traversé par des poutres rongés par notre histoire, comme on admire un ciel étoilé. Je me laisser happer par mes souvenirs : les bras de ma mère, les bons petits plats mijotés de mon père, la façon qu'à Nick de prononcer ce mot si particulier à mes oreilles : Je t'aime ...

Bonjour à tous,

Voici le prémices de plusieurs chapitres qui comporteront le point de Viviane. Ils seront alternés par ceux de Nick mais je voulais garder un pied à la fois dans l'Implosion et dans l'Enceinte. Que pensez-vous de ce choix ? Avez-vous apprécier ce changement ?

La suite arrive Dimanche !

Merci pour tous vos retours auxquels je ne manque pas de répondre ^^

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top