𝟷𝟾. 𝐷𝑒𝑗𝑎 𝑉𝑢

Jungkook faisait souvent ces mêmes cauchemars.

Le premier résultait d'une crainte, d'un mauvais pressentiment, d'une sensation de déjà vu alors qu'il ne l'avait jamais vécu.

Il y avait des pleurs, des cris, des flammes, du sang. Des enfants apeurés.

Des morts.

Beaucoup de morts.

Il se voyait lui-même périr dans la chaleur asphyxiante du gaz.

Voilà maintenant plusieurs années que ce rêve tournait en boucle. L'histoire se répétait. Quelques changements s'opéraient, parfois, reprenant des éléments passés dans sa journée. Taehyung s'amusait à y apparaître de temps à autre, lâchant un doux sourire avant de se jeter du haut de l'étage pour échapper au feu. Jungkook essayait de le rattraper, il l'appelait, hurlait son nom, prononçait des mots interdits, mais son crâne finissait toujours par s'écraser dans la neige, teintant ce blanc immaculé par du bordeaux. Il était enfermé dans ce cauchemar qui ne cessait de le torturer, le réveillant trempé de sueur, mourant de terreur, le cœur au bord des lèvres et l'estomac retourné.

Jungkook l'avait dessiné à maintes reprises, gravant dans son esprit les différentes scènes qui se déroulaient.

Et puis un jour, plus rien.

Le vide, le néant.

Il avait arrêté de voir ce monde brûler, remplacé par de nouvelles images bien trop douloureuses pour ne serait-ce qu'y penser.

Ses parents étaient la cause de la plupart de ses rêves agités.

Jimin avait raison : Jungkook était traumatisé.

Mais jamais il ne se l'avouerait. Jamais il oserait le dire à voix haute. Jamais il se permettrait de montrer qu'il souffrait, même lorsque les brûlures et les pleurs venaient le ronger dans la nuit.

Jungkook prenait cela comme de l'injustice : il n'avait rien fait pour subir les conséquences de ce qu'il ne pouvait contrôler. Depuis qu'il était né, il n'avait fait qu'essayer de survivre. Et le destin continuait à le détruire.

Cette sensation d'acharnement à son encontre se justifia une nouvelle fois lorsque le garde entendit au loin une cloche sonner, des pas précipités et des voix résonner dans la bâtisse. Il se leva brusquement du lit dans lequel il s'était précédemment assoupi. Bercé par le confort de l'endroit, Jungkook avait mis plusieurs secondes à réaliser que les bruits ne venaient pas de ses songes, mais bien du rez-de-chaussée. Tout en descendant, il entendit Yuna hurler son prénom dans un tremblement de peur qui le fit presser sa marche.

"Que se passe-t-il ?! S'enquit-il de demander, les sourcils froncés en voyant un homme qu'il ne connaissait pas devant la porte d'entrée ouverte, laissant un froid tétanisant rentrer à l'intérieur.

— Enfilez une veste et des chaussures. Un incendie s'est déclaré !

— Un incendie ? Répéta-t-il abasourdi.

— Jungkook ! Par pitié, ne discutez pas. Nous n'avons pas le temps !"

Elle le fixait avec des yeux remplis de peine et d'inquiétude, le suppliant de l'écouter et de se hâter. Jungkook hocha la tête, remonta, s'habilla d'un pull et d'un pantalon noir épais sorti de son sac, mis son manteau et enfila ses boots de combats. Devant la cage d'escalier, il fit demi-tour pour récupérer son katana qu'il accrocha à sa ceinture tout en revenant vers la jeune femme. Il ne le remarqua que maintenant, mais elle était déjà habillée, prête à partir. L'homme avait disparu, sûrement pour aider au village.

"J'ai donné à Seung les seaux que j'avais, ainsi que des torchons et du tissus en tout genre pouvant arrêter les flammes. Il y a du vent dehors, et malheureusement pour nous, la neige n'a pas envie de reprendre, si on ne fait pas vite, ce n'est pas une maison qui prendra feu, mais tout le village, informa-t-elle alors qu'elle éteignait les bougies au passage et accourait vers l'écurie pour réveiller les chevaux et les détacher. Vous avez dit que vous veniez en paix... et voilà qu'un incendie se déclare. Deux possibilités : soit le destin est contre vous, soit c'est vous, qui êtes contre nous."

Elle lui jeta un regard lourd. Jungkook voulut se défendre, mais elle monta sur son cheval, et partit sans même l'attendre. Perturbé par ce hasard, il la suivit sans prononcer un mot de plus, même lorsqu'il la rattrapa.

Un incendie en hiver, au beau milieu de la nuit... ? Jungkook ne pouvait le nier, c'était étrange. Il devait être aux alentours de trois heures du matin, à la façon dont la lune était placée dans le ciel noir.

Le froid était terrible. N'ayant pas pris de gants, ni d'écharpe, le garde faisait du mieux qu'il pouvait pour se protéger.

S'il tombait malade, il était foutu.

Ils firent tous deux le chemin inverse qu'à l'arrivée. Cependant, avant d'être totalement au centre du village, Yuna détourna sa route vers la droite, faisant galoper leurs montures dans une neige à moitié fondue. 

"C'est un raccourci." fut les seuls mots qu'elle lui accorda.

Son corps tendu et crispé montrait son état de stress et d'angoisse. Son manque de parole n'était pas dû à une certaine rancœur, mais justifié par la responsabilité qu'elle endurait. Elle était la cheffe, et avait potentiellement laissé quelqu'un commettre un crime à cause de sa clémence. Jungkook était innocent, mais comment lui prouver ? Des mots n'étaient pas suffisants.

Des actes le seraient peut-être.

Après une dizaine de minutes, de la fumée se fit apercevoir au loin, et plus ils se rapprochaient, plus un brouhaha se faisait entendre. Il y avait des hommes, des femmes, des enfants qui parlaient, criaient pour se faire comprendre à travers le crépitement du bois qui brûlait, des planches qui tombaient, et de l'eau qui se jetait.

Tout le village devait être réuni, c'était ce que supposa Jungkook en voyant autant de personnes présentes, remuant ciel et terre pour calmer la catastrophe qui était en train de se produire sous leurs yeux.

"Yuna ! Pleurait une femme d'âge mûr en la voyant mettre de côté son cheval pour éviter qu'il prenne la fuite, Jungkook répétant les mêmes gestes.

–  Tout va bien, ça va aller, Minjee, on va réussir, la consola-t-elle en la prenant dans ses bras.

– J'ai tout perdu ! M-ma maison... mes souvenirs... Tout !

– Je sais, je sais, calme toi..."

Minjee continuait à sangloter dans les bras de Yuna, tandis que le garde s'était immédiatement dirigé vers un regroupement d'hommes. Une chaîne humaine s'était formée de la fontaine du jardin jusqu'à l'entrée principale, grimpant même sur un balcon grâce à une fragile échelle, permettant l'accès à l'étage.

Le feu était intense. Il ne devait rester plus rien à l'intérieur.

"Avez-vous fermé les portes ?! Demanda Jungkook au groupe sans prendre la peine de se présenter.

– Quoi ?! "

Il reconnut Seung, celui qui était venu chez la cheffe.

"Les portes ! Hurla-t-il pour se faire entendre. Il faut les fermer, et les bloquer avec du tissu humide pour éviter que-

– Tu bloques le passage, gamin ! Bouscula un autre en continuant de pomper la fontaine et de remplir des seaux qu'il faisait passer aussitôt.

– Putain de merde, le feu ne s'arrêtera jamais si vous n'avez pas-

– Ferme-la et prends un seau, petit ! On n'a pas le temps de discuter. Si t'es là, c'est pour bosser. Alors bouge-toi, putain !"

La chaleur était étouffante, et personne ne semblait faire attention à ce qu'il disait, préférant rester dans leurs idées et lutter vainement contre les flammes qui ne cessaient de grandir.

"Le feu va atteindre la maison d'à côté ! Dépêchez-vous de m'éteindre ça !"

"Les vitres vont exploser ! Faites attention !"

"Descendez de l'étage, ça risque de s'effondrer !" 

Ils étaient tous paniqués. Jungkook se retourna et vit Minjee s'écrouler au sol. Yuna l'étreignait tandis que des larmes tombaient de son propre visage. Le cœur du garde se serra, il ne pouvait pas rester là, à suivre des instructions qui n'étaient pas les bonnes. Il ne voulait pas voir ce village souffrir, périr à cause d'un acte dont il était peut-être responsable. Sa culpabilité commençait à le ronger, alors dans un élan, Jungkook retira son manteau, attrapa des tissus posés au sol, courut vers des seaux remplis pour les tremper et fonça tête baissée dans la maison.

Il monta directement à l'étage, les flammes se frôlaient à sa peau pendant qu'il exerçait ce que son père lui avait appris. Le feu avait besoin de gaz pour se nourrir, en fermant les portes et en empêchant l'air de passer en dessous, il était plus simple de le maîtriser. La fumée était partout, elle l'étouffait. Le garde faisait de son mieux pour se retenir de tousser, un torchon mouillé posé contre le bas de son visage. Sa gorge le grattait, ses yeux le brûlaient, mais il s'était juré de ne pas sortir avant de l'avoir entièrement sécurisé l'endroit. Il entendait les pleurs douloureux de Minjee même à l'intérieur des murs, il se revoyait, lui, il y a plusieurs années, et surtout, il avait cette affreuse sensation de déjà vu qui ne le quittait pas depuis qu'il avait vu la bâtisse.

Sans même la connaître, il savait parfaitement où aller et ce que chaque pièce contenait. Il avait l'impression d'y être déjà entré, peut-être même d'y avoir déjà vécu, et ce sentiment perdura jusqu'à ce qu'il redescende. Jungkook répétait les mêmes gestes, la chaleur lui coupant la respiration. Il se mit à tousser ; l'air était presque inexistant tandis qu'il parcourait les différents couloirs.

Une porte, deux portes, trois portes... Jungkook fit de même avec les fenêtres ayant supportées la forte température. Il toussait de plus en plus, ses yeux pleuraient, sa gorge le torturait. Il se hâta de terminer pour sortir, mais son pied écrasa un cadre photo brisé par terre. Au milieu du salon, non loin d'un buffet, ses pupilles se dilatèrent. Le garde s'abaissa pour la ramasser, sa main libre maintenant toujours le chiffon sur le bas de son visage.

Il fronça les sourcils. Sa main se mit à trembler, crachant ses poumons de plus en plus fort. Il eut du mal à se convaincre de quitter la pièce, la photo toujours à la main, légèrement pliée sur le côté tant il la tenait fort.

Jungkook l'avait reconnu.

Il n'avait aucun doute.

Sa mère était sur cette vieille image, un enfant dans les bras. Lui.

Des centaines de questions se bousculaient dans sa tête, car même à des kilomètres de son village natal, il retrouvait toujours un passage de son passé. Jungkook voyait cela comme une malédiction. Ses parents allaient continuer à le hanter jusqu'à ce qu'il se décide à retourner les voir.

Chose qu'il ne fera jamais au grand jamais.

Il préférait mourir que de revoir le visage de ceux l'ayant abandonné un soir d'hiver, sans aucune pitié dans leur regard.

Le jeune garde mit le dernier tissu sous la porte principale et s'écroula dans la neige juste après l'avoir traversé. L'air était frais, et pourtant, ses poumons n'arrêtaient pas de siffler. Son visage et ses mains était noir de cendre, il peinait à respirer. Il n'entendit même pas Yuna accourir vers lui pour le tirer loin de la maison enflammée.

"Jeon ! Mais qu'est-ce qui vous a pris de rentrer ?! Vous n'êtes vraiment qu'un idiot !"

Sa voix était éprise d'une réelle inquiétude, mais Jungkook ne comprenait pas pourquoi. Ou plutôt, il n'avait pas la capacité de pousser sa réflexion, cherchant seulement un brin d'air à inspirer.

"Toi là-bas ! Hurla-t-elle, aide-moi à le porter et donne-lui un peu d'eau !"

Le garde avait ses yeux qui papillonnaient, la photo toujours dans sa main. Il refusait de la lâcher.

Jungkook sentit son dos s'adosser contre quelque chose de dur et un liquide froid toucher ses lèvres avant d'en avaler plusieurs gorgées. Son visage fut aussi nettoyé.

"Le feu a ralenti, on l'a maîtrisé ! Continuez à arroser, on voit enfin le bout ! C'est un miracle !" Pouvait-on entendre au loin.

Yuna poussa un léger rire sincère qui fit sourire Jungkook. Sa toux s'était calmée ; il en était rassuré. Ses yeux étaient mi-clos et il reprenait lentement ses esprits.

"Un miracle, hein, souffla-t-elle en passant la main dans ses cheveux emmêlés et sale de suie. Vous êtes tout sauf un miracle Jeon Jungkook, mais merci pour ce que vous avez fait ce soir. Je ne l'oublierai pas."

Elle marqua un temps de pause et reprit.

"On va rester encore une bonne heure, venez nous aider lorsque vous vous sentirez mieux."

Il hocha la tête et elle se leva, le laissant seul contre le dos d'un arbre.

Jungkook avait maintes et maintes fois rêvé de cet incendie. Il avait vu cette maison brûlée, il avait vu les flammes prendre possession de chaque pièce qu'il avait pu visiter. Certains pourraient dire que son acte était insensé, totalement irresponsable, mais en rentrant à l'intérieur, il avait eu deux objectifs : aider les villageois, et vérifier ses craintes. Ce rêve avait été prémonitoire, mais personne n'était mort. Alors quelle signification avait-il pu avoir ? Si ce n'était pas une mise en garde sur un danger, qu'est-ce que cela voulait dire ? Dans ce rêve, il y avait du sang en plus des larmes. Ni l'un ni l'autre ne s'était produit. Minjee était la seule à avoir pleurée, mais elle n'était apparue à aucun moment dans cette histoire, uniquement sur cette photo qu'il avait récupéré avant qu'elle ne parte en fumée.

Le garde la regarda à nouveau. De loin, on pourrait dire une photo de famille. Il y avait cette femme aux multiples taches de rousseur, tenant ce bébé dans ses bras, et à côté d'elle se tenait cet homme que Jungkook reconnu comme son père. Minjee, bien plus jeune, était assise sur une chaise devant eux. Ils souriaient tous les trois, malgré la tristesse qui pouvait se lire sur leurs visages. La propriétaire de la maison tenait dans ses mains un cadre ; un portrait dessiné au fusain représentant un homme en tenue de soldat. Sûrement son mari mort dans la précédente guerre. Elle avait dû être prise suite à l'enterrement, leurs tenues noires et le voile sur le visage de l'actuelle vieille femme pouvait confirmer ses pensées.

Ça n'avait pourtant pas de sens. Qu'avait bien pu faire ses parents aussi loin de la capitale ?

Jungkook avait du mal à croire au hasard, mais de nombreux détails lui échappaient. Il connaissait cette maison, il en était certain. Depuis tout ce temps il avait été persuadé que c'était seulement son imagination, sauf que les rêves proviennent souvent de nos plus lointains souvenirs.

Le subconscient possède une puissance indétrônable dans notre passé, dans nos actes, dans nos sentiments. Le jeune garde en prenait doucement conscience. Et lorsque Taehyung interférait dans l'incendie, c'était sûrement causé par sa brûlante crainte de le voir périr.

Son cœur se comprima. Il espérait que Wooyoung faisait attention à l'Empereur, qu'il était actuellement en train de le protéger comme si sa vie en dépendait. Jungkook essayait de s'en convaincre, la peur de lui avoir accordé sa confiance trop tôt le détruisait au fil des minutes qui passaient. Cette envie de faire demi-tour bouffait ses entrailles, et ça ne faisait même pas quatre jours qu'il était parti.

L'amour faisait aussi mal que l'inquiétude, et c'était perturbant. Le garde pensait qu'en s'éloignant, ses sentiments resteraient au Palais, qu'il allait pouvoir faire le tri dans ses états d'âmes, mais le manque le rongeait. Jungkook n'avait connu que Taehyung, ou presque. Il avait passé toute son enfance, adolescence, et maintenant sa jeune vie d'adulte avec lui. Il n'y avait que le châtain dans son coeur, que son rire dans ses oreilles, que son sourire dans ses yeux, que son parfum dans son nez.

Taehyung était partout et nulle part en même temps.

C'était effrayant.

Jungkook posa sa tête contre l'arbre, poussa un soupir en regardant les premiers rayons du soleil se lever. L'endroit était légèrement flouté par le reste de la fumée des flammes, à présent éteintes.

Au moins, même s'il venait a mourir demain, il était satisfait d'avoir pu accomplir quelque chose de bien dans sa vie. Il venait de sauver le village d'une possible catastrophe, et malgré le fait qu'il ne se l'avouera jamais, c'était en partie grâce à son père.

Père qui l'avait ensuite jeté dehors sous une horrible tempête de neige.

Il secoua la tête pour retirer ses anciennes images, rangea la photo dans la poche de son manteau et se leva.

Yuna, au loin, le vit s'approcher et un sourire fatigué apparut sur son visage. Ses cheveux étaient toujours aussi parfaits, leurs reflets roux scintillaient avec la lumière matinale, et sa tenue, même si elle s'était habillée précipitamment, sublimait ses courbes. Jungkook adorait qu'elle ne soit pas comme ses femmes accoutrées de robes beaucoup trop volumineuse et au mille et un détail de dentelle. Elle portait un pantalon, et juste cela, oui, uniquement cela, lui donnait des picotements dans les doigts.

"Vous avez fait du bon travail. Je vous remercie d'avoir mis votre vie en danger pour sauver mon village et éteindre le feu qui ravageait la maison. Minjee est une personne qui m'est chère, je ne supporte pas la voir dans un tel état..."

Yuna baissa la tête un instant avant de se reprendre.

"Elle viendra loger chez moi quelques jours, peut-être quelques semaines, alors soyez gentil avec elle. Je ne pardonnerai aucun manque de respect. Nous allons tous aider à la reconstruction de la bâtisse, on a besoin de bras et d'après ce que j'ai pu voir, vous en avez deux qui fonctionnent parfaitement. Je vous présenterai aux autres demain, ils vous diront quoi faire."

Surpris, Jungkook préféra prendre ses précautions avant de surinterpréter les paroles de la cheffe.

"Vous m'aviez pourtant demandé de partir aujourd'hui."

Elle se tourna vers lui et croisa les bras sur sa poitrine.

"Les plans ont changé, Jungkook.

– Alors je reste ?"

Elle poussa un soupir, le froid faisant valser de la vapeur devant ses lèvres.

"Qu'est-ce que vous voulez ? Que je vous fasse un tableau ? Je vous ai déjà remercié pour ce que vous avez fait, deux fois. Alors arrêtez de poser des questions dont vous savez déjà la réponse, c'est agaçant.

– Vous êtes tout autant agaçante, rit-il.

– Moi ?! Cria-t-elle, outrée. Je vous ai fait à manger, je vous ai logé, j'ai pris soin de votre monture et JE suis agaçante ? Et pourquoi vous riez ?!

– La façon dont vous réagissez est vraiment amusante, avoua-t-il en haussant les épaules."

Yuna monta ses yeux au ciel.

"Vous n'êtes qu'un idiot.

– Probablement. C'est pour ça que j'ai quitté le Palais, je veux découvrir et mûrir. Ce n'était pas en restant coincé entre quatre murs et dans un monde rempli d'or et de soie que j'allais pouvoir comprendre qui je suis réellement.

– Tout le monde connaît votre prénom, les gens ne parlent que de vous : l'Empereur Kim Taehyung et son fabuleux garde Jeon Jungkook. On habite plutôt loin de votre village et du Palais, la nouvelle a mis du temps à arriver jusqu'à nous, mais faut croire que le bouche à oreille fonctionne encore à merveille. Je ne vais pas vous le cacher, les pauvres aiment les ragots, ils occupent leurs journées avec ça lorsque le travail ne les a pas épuisés. On entend des choses, mais personnellement, je ne crois en rien tant que je n'ai pas vu. J'avais des doutes sur vous, et cet incendie... Mais peut-être me suis-je trompée, après tout. Personne ne sait que vous êtes ici à part ceux que vous avez vu hier, cela doit donc être le hasard. Faites tout de même attention, Jungkook, la rumeur annonce que vous avez fui votre Empereur. On vous aurait vu quitter le Palais en plein milieu de la nuit..."

Jungkook déglutit.

"Enfin bon, rentrons, je pense qu'il n'y a plus besoin de nous ici. Minjee monte avec moi, vous n'aurez qu'à nous suivre."

Sur ces paroles, Yuna jeta un dernier regard à la maison tombant en ruine, et se dirigea vers la vieille femme assise sur une couverture de fortune non loin des chevaux. En la voyant ainsi, Jungkook serra la photo dans sa poche et se mordilla la lèvre inférieure. Une légère culpabilité fit poids dans son esprit, car il en était presque convaincu : ce n'était pas qu'une simple question de hasard.

"Tenez, prenez ça. Allez vous changer pendant que je m'occupe de Minjee."

Jungkook récupéra le pull noir et un jogging de la même couleur que lui donnait son hôtesse, fouillant dans un tiroir. Elle faisait vite, comme si l'avoir ouvert lui rappelait de sensibles souvenirs.

Yuna avait laissé sa vieille amie sur un sofa de cuir dans une pièce que le garde n'avait pas visité la veille. Au fond du couloir, se cachait un vaste espace entièrement recouvert d'étagères à moitié vide. Des livres se mélangeaient à la poussière, attendant sagement d'être ouverts. Une cheminée éteinte depuis de longues années aurait pourtant pu rendre cet endroit plus vivant ; la lumière se serait directement reflété sur ce siège où était installé Minjee, mais à la place, les faibles rayons de soleil passait à peine à travers la fenêtre, et la température était si basse que la jeune femme avait été obligé de lui donner une couverture.

"Elle est en état de choc, êtes-vous sûr de ne pas avoir besoin d'aide ?

– Je vais aller la coucher, je ne pense pas que lui demander comment cet incident est arrivé soit la meilleure des choses à faire pour le moment. Et puis, je pense que nous avons tous besoin de repos après cette difficile nuit... Ma chambre sera la sienne jusqu'à ce que l'on trouve une autre solution, vous n'avez pas à vous inquiéter à ce sujet.

– Où allez-vous dormir ?"

Elle ne répondit pas et s'assit sur son lit. Sa main glissa sur le drap, lissant le tissu.

"Yuna, où allez-vous dormir ?

– Je dois avoir d'autres couvertures et-

– Par terre ? Vous êtes en train de me faire comprendre que vous allez dormir à même le sol dans votre propre maison ? S'étonna Jungkook en écarquillant les yeux. Il n'arrivait pas à réaliser ce qu'il venait d'entendre. Prenez l'étage, je prendrais les couvertures.

– Je vous héberge, ce n'est pas de votre responsabilité de me laisser une pièce que je vous ai déjà proposée. Cela serait un manque de respect de ma part de revenir sur ma parole.

– Avez-vous déjà oublié que je devais partir ce matin même ? Cette chambre à l'étage aurait dû être la vôtre si j'avais repris la route."

Yuna poussa un soupir.

"Allez-vous changer, on en rediscutera ce soir. Reposez-vous pour l'instant, cet après-midi nous retournerons là-bas pour voir les dégâts.

– Mais-

– Jungkook, pitié, pas de commentaire supplémentaire."

En voyant la fatigue s'accumuler sur son visage, il s'avoua vaincu et quitta la pièce non sans jeter un dernier regard à son hôtesse qui s'était pris la tête entre ses deux mains.

Lorsqu'il arriva à l'étage, il se dirigea vers la salle de bain. Jungkook se déshabilla et en profita pour se glisser sous la douche. Des tâches noires parcouraient la surface de sa peau, bien que la plupart avaient été protégées par des vêtements. La chaleur de l'eau lui fit fermer les yeux et les souvenirs de l'incendie lui revinrent à l'esprit. Son rêve se chevauchait à la réalité et cette affreuse impression de déjà vu ne voulait pas le laisser en paix.

Comment ce rêve avait-il pu être prémonitoire ? Était-ce même possible ? Comment le cerveau pouvait-il savoir à l'avance lorsqu'un événement va se produire ? Cela voulait donc également dire que Jungkook était destiné à tomber amoureux de Taehyung, à quitter le Palais, à venir dans ce village, à rencontrer Yuna... C'était impossible. Totalement et irrémédiablement impossible.

La vie se jouait de lui.

Le garde avait peint ces flammes, il avait voulu mettre de l'ordre dans ses pensées, il avait voulu soulager sa conscience de l'horreur qu'il vivait chaque nuit. Et maintenant que son premier cauchemar s'était réalisé, Jungkook était tétanisé que le deuxième vienne le détruire encore plus violemment. Durant des mois, presque des années, il en avait été libéré, mais ces derniers temps, tout se déréglait. Il avait un mauvais pressentiment qui refusait de s'arrêter malgré le fait d'être à des dizaines et des dizaines de kilomètres de là où il avait toujours habité. Là où tous ses problèmes auraient dû rester.

Namjoon, Seokjin, Jimin, et s'ils arrivaient à cerner le Palais ? Et s'ils arrivaient à récupérer le pouvoir ? Et si Taehyung mourait ? Et si... Wooyoung n'était pas la personne idéale pour le protéger ? Il avait des failles, il avait des points faibles, à présent peut-être bien plus que le garde. Avait-il fait une erreur en s'éloignant ?

Proie aux angoisses, l'eau était maintenant devenue froide et s'écoulait le long de son corps et de son torse qui se soulevait rapidement. Ses cheveux mouillés lui retombaient légèrement sur le front où sa main gauche s'était posée.

Putain, son coeur brûlait toujours autant pour lui, pour Taehyung. Ça n'allait donc jamais se dissiper ? L'amour n'était-il pas éphémère ?! Oh, qu'est-ce qu'il espérait chaque matin se réveiller avec un sentiment de vide.

Puisque ne rien ressentir serait sûrement moins déchirant que de ressentir.

Sa voix commençait à s'estomper, son odeur disparaissait au fil des heures, mais cette passion, elle, persistait. Et Jungkook sentait son temps s'écouler encore plus vite que lorsqu'il était près de lui.

Tic. Tac. Tic. Tac.

Éprouvante histoire malchanceuse.

Une idée lui vint, mais elle s'anéantit rapidement. Le garde était maintenant coincé ici, Yuna ne le laissera pas partir sans avoir aidé les villageois à réparer cette maison partie en fumée. Il pouvait fuir, certes, il pouvait reprendre son cheval et rejoindre un autre village où, peut-être, l'amour déciderait de le laisser en paix, sauf qu'il se sentirait comme un moins-que-rien.

Depuis son enfance, il avait été rejeté, et il avait à présent la sensation que c'était lui qui rejetait tout le monde. Alors il allait devoir prendre sur soi, accepter son sort, et surtout, tenter de canaliser ses milliards de papillons de nuit grouillant dans son estomac. Les émotions avaient toujours été son point faible, apprendre à les contrôler allait lui demander du courage et du travail, mais il était prêt à changer, prêt à devenir une autre personne.

À son retour au Palais, Jungkook serait assez puissant pour affronter son destin et reprendre une vie normale, car il venait de le comprendre...









La force, ce n'était pas seulement savoir se battre, c'était aussi savoir affronter sa douleur afin de la dominer.
Voire même l'écraser.

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