CHAPITRE 9 : Milieu hostile

Après leur avoir imposé une dernière et rude fouille, les types en armure anthracite sous la houlette de la lieutenant-colonel les obligèrent à monter dans leurs transports de troupes renforcés. 

Ils n'avaient cependant pas eu l'affront de leur lier les mains, ce dont Lindstradt se félicita intérieurement. 

Les fusils d'assaut qu'arboraient fièrement les geôliers assis parmi eux étaient largement suffisants pour décourager toute tentative de fuite.

Voyant Apkar fixer sa montre à ressort d'un air mauvais, Lindstradt secoua son poignet en croisant les mains avec une expression goguenarde. 

Elle se demandait probablement combien d'années de son salaire valait l'objet de collection, et sa conclusion ne lui plaisait visiblement pas.

La lieutenant-colonel était pleine de cette jalousie propre aux petits bourgeois de la nouvelle génération qui se retrouvaient face aux dépositaires d'un pouvoir économique né dans l'ancien monde. 

Apkar était une enfant des étoiles qui n'avait jamais mis les pieds sur la Terre, avec des parents issus de la deuxième génération de colons d'une planète insignifiante et hostile, trop éloignée pour compter réellement et suffisamment développée pour ne pas être une cause perdue.

Quand on venait d'une poubelle de ce genre, les perspectives d'avenir n'étaient guère nombreuses : c'était soit s'engager dans l'armée et ainsi quitter le foyer le plus tôt possible, soit se condamner à une vie sans aucun intérêt dans une cité perdue à l'intérieur d'un système solaire moyen désigné par un nom sans imagination. 

Apkar, de toute évidence, avait opté pour la première solution, et comme tous les siens, elle ne supportait que mal la présence des nababs fortunés originaires de la vieille planète dont il faisait partie.

L'habitacle du camion était dépourvu de tout lien avec l'extérieur, rustique et inconfortable à l'instar d'un sas pénitentiaire. Une impression appuyée par le chiche éclairage du plafonnier et la froideur de leurs hôtes aux visages invisibles.

Se calant contre la paroi capitonnée avec un soupir, Lindstradt rompit le silence :

— Nous sommes vos prisonniers, si je comprends bien.

Apkar le gratifia de son plus beau sourire.

— Disons plutôt que je vous place en isolement le temps de tirer la situation au clair, répondit-elle, énigmatique.

— Je ne saisis pas très bien la différence, ironisa le directeur.

Il n'eut pas de réponse.

Le reste du trajet se passa dans un silence pesant.

À ses côtés, sa fille s'était enroulée dans son sweat à capuche comme s'il s'agissait d'une couverture de survie, et Lindstradt aurait voulu la prendre dans ses bras, ou lui poser une main sur l'épaule, peu importe, faire juste un geste pour la réconforter ou lui dire au moins que tout allait bien.

Mais il n'en fit rien, de peur de se trahir aux yeux d'Apkar et de ses sbires, de leur donner des armes qu'ils retourneraient ensuite contre lui. 

Il ne savait pas vraiment combien de temps il tiendrait, psychologiquement parlant, si jamais elle la torturait devant lui. Sûrement pas très longtemps. 

Il préférait ne pas trop y penser sur le moment.

 Il ne se rendit même pas compte qu'ils étaient arrivés à destination. 

Un des russes en exo grise dût le secouer par l'épaule pour qu'il réalise que le véhicule était à l'arrêt.

Le conglomérat Vladof avait commencé à dresser un véritable campement fortifié en plein milieu de nulle part. 

Les moyens déployés étaient plutôt impressionnants : camions-citernes, grues mobiles montées sur des chenilles et surtout, des dizaines d'hommes et de femmes armés entourant les cubes d'habitation préfabriqués qu'on avait installé près d'un corps de ferme en forme de U. 

Lindstradt devina qu'ils avaient choisi cet endroit à cause du château d'eau planté trois cents mètres plus loin, soutenu par une structure arachnéenne noire. 

Ils avaient démonté le réservoir après l'avoir vidé, y posant une sinistre plateforme de mirador.

S'ils en étaient au point de bâtir des infrastructures entre les champs, cela signifiait qu'ils comptaient passer des semaines, voire des mois, à la surface de la planète.

Ils allaient sûrement passer le transporteur Prométhéen au crible avant de le démanteler, comme le voulait la procédure.

Avancer sous la menace des canons était extrêmement humiliant. 

À l'air fermé qu'arboraient Auster et la plupart des miliciens, Lindstradt devina qu'ils partageaient sa frustration avant que les soldats ne les alignent en file indienne. Être traité comme un espèce d'enfant turbulent le mettait hors de lui. 

Aiguillés par les jappements véhéments du chef d'escouade et de son casque peinturluré, ils furent conduits à travers l'entrée sommaire du campement. 

Ce sinistre amas de toile et de préfabriqués avait visiblement été installé le matin-même.

Trop préoccupé par les idées noires qui trottaient dans son esprit, Lindstradt ne regarda pas vraiment ce qui l'entourait, ignorant les cabanons rectangulaires, les panneaux photovoltaïques et les générateurs qui attendaient d'être mis en route. 

Ses pieds s'enfonçaient dans la mouise froide et ses chaussures étaient définitivement foutues.

— Vous venez avec moi, commanda Apkar à son adresse.

On le força à sortir du rang pour emprunter une bifurcation à peine marquée.

— Et eux ? s'enquit Lindstradt.

Et ma fille ? s'empêcha-t-il d'ajouter.

— Ce n'est plus votre problème, trancha froidement l'officier.

Il se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas hurler de rage.

Leur campement n'étant qu'à moitié achevé, les mercenaires à la solde de Vladof-Sokoviev amenèrent la quinzaine de miliciens et Aélig dans le corps de ferme adjacent.

Bâti en dur il y a une quarantaine d'années, alors qu'Odyssée recourait encore majoritairement à des cultivateurs humains, le petit complexe agricole dégageait la nostalgie d'une époque beaucoup plus stable. 

On y élevait probablement des Yaggas, avant la généralisation des hangars en batterie. 

L'industrialisation forcée de l'agriculture sur le continent avait expédié ce genre de coopérative indépendante aux oubliettes. 

Il en restait encore une poignée, certes, mais elles étaient de moins en moins nombreuses, souvent réduites à des murs craquelés, à un toit déchaussé et des installations de filtrage atmosphérique rongées par l'humidité, comme celle-ci.

À la plus grande surprise d'Aélig, les hommes de la corporation concurrente, malgré leur accent exagérément traînant et des manières parfois rudes, se révélèrent d'un professionnalisme qui n'avait rien à envier à la milice de son père. 

Personne ne fut vraiment rudoyé plus que nécessaire. 

Aucune trace de malfaisance, ou de sadisme trop appuyé, ne se retrouvait dans leur comportement tandis qu'ils les escortaient à l'intérieur de ce qui ressemblait à une étable réaménagée.

Ces gars n'étaient pas plus violents que n'importe quelle autre force de sécurité. 

Tout comme Auster, ils faisaient juste leur travail sans vraiment de passion quelconque. 

Elle aurait probablement préféré se retrouver face à des brutes haineuses et violentes, qu'on détestait au premier regard. 

Cela aurait été plus simple. 

Malheureusement, et comme souvent dans le monde moderne, les pires exactions et les injustices étaient systématiquement commises par des personnes qui faisaient juste leur travail.

C'est sur cette sombre conclusion qu'elle se laissa pousser dans un ancien box à Yaggas transformé en une cellule de prison sommaire, une grille aux barreaux très serrés en guise de porte. 

Un des gardes en exo russe ferma l'épaisse chaîne par un cadenas, avant de lui souhaiter courtoisement une bonne journée et de rattraper le reste de son groupe, emportant les clés et tous les espoirs avec lui.

Dans ce réduit à bétail en forme de cave, Aélig se sentit comme une bête au parc zoologique. 

Ce n'était pas agréable du tout. 

Aux sons de ferraille étouffés et aux exclamations outrées des miliciens qui se répercutaient plus loin, elle comprit qu'eux aussi étaient parqués dans le même genre de chambre d'hôtel quatre étoiles option murs moisis que la sienne.

Après avoir fixé l'extérieur monotone qu'elle apercevait à travers les barreaux, la jeune femme se retourna sans grande envie. 

Le sol n'était pas aussi sale qu'elle s'y était attendue. 

Une sanisette vieillotte, d'un vert cauchemardesque propre aux toilettes chimiques de moyenne gamme, occupait tout un coin du réduit. 

Une table, une chaise, toutes les deux en inox, qu'on avait soudé au sol à grands coups de chalumeau si elle se fiait aux pieds noircis des meubles. 

Quatre bouteilles d'eau. Des paquets de rations militaires dans leurs sachets autochauffants. Du café soluble et des tubes d'ersatz de sucre. Une lampe à chaleur orangée collée au plafond pour dissiper l'humidité. Et enfin, deux lits de camp étroits posés à même la terre bétonnée, accompagnés de leurs couvertures kaki soigneusement pliées. 

Du grand luxe, en somme, à croire que cette pétasse d'Apkar avait tout prévu. 

Ou peut-être que ces réduits ne leur étaient pas destinés de base, ou que le contingent à la solde du Kohltso les avait juste aménagés au cas-où.

 Après tout, quelle organisation militaire seraient-ils sans un miouf traditionnel ?

Elle s'assit sur un des lits rigides en se demandant combien de temps elle devrait passer dans ce trou à rats mal éclairé, et aussi si la lieutenant-colonel irait aussi loin qu'elle l'avait affirmé pour obtenir ce qu'elle voulait.

Probablement pas.

Aussi grande bouche et colérique qu'elle soit, Apkar et, à moins d'être complètement folle, elle ne malmènerait pas physiquement un des Lindstradt.

Ils venaient de la Confédération Suisse, un pays insignifiant sur le plan géographique, mais qui détenait environ quatre-vingts pourcents des organismes bancaires présents dans le système. Hélion était depuis longtemps entré au patrimoine national en tant qu'entreprise générant le plus de profits directs et indirects. On ne touchait pas à l'argent helvétique. 

Il y avait eu des guerres pour moins que ça, et CSW ou pas, le Kohltso ne tenait certainement pas à se retrouver face à des gardes suisses équipés par le meilleur fabriquant du monde à cause de la bêtise d'un de ses officiers supérieurs.

 Les conséquences seraient beaucoup trop lourdes. Les menaces d'Apkar n'étaient que des mots en l'air, destinés à faire douter son père pour qu'il leur donne le Lance, du bluff. 

Enfin, c'est ce qu'elle se disait pour se rassurer, car elle n'avait aucun moyen de deviner les véritables intentions de la femme. 

Aélig était néanmoins sûre d'une chose : les prisonniers malchanceux dont elle faisait partie n'étaient pas en tête de liste des priorités. 

Vladof-Sokoviev avait débarqué sur Odyssée pour la même raison qu'eux, à savoir l'épave Prométhéenne. Au fond, c'était plutôt une bonne nouvelle : le gouvernement mollasson du Kohltso prenait enfin les choses en main, ce qui signifiait qu'Hélion serait bientôt débarrassée de toute cette sale histoire.

En théorie, en tout cas.

Elle ne se doutait pas un seul instant que son père n'en aurait cure et persisterait dans sa folie, comme il l'avait toujours fait. 

Tant pis si cela ne le concernait plus outre-mesure et mettait tout l'équipage du Lance en péril. Au sein de l'entreprise, personne n'oserait protester. 

Bien que dépendant en partie du comité d'administration, Lindstradt était un tyran autoritaire. 

Les administrateurs du siège n'étaient que des fantômes, des figurants, et ils se trouvaient à des milliers d'années-lumière du vaisseau amiral. 

Dans le pire des cas, ils lui écriraient un mémo, lui déconseillant fortement de poursuivre, ce qui constituerait en soi un acte de contestation extraordinaire. 

Son père se contenterait de leur répondre « Sinon quoi ? », smiley à la ligne, et ça serait tout. 

Trop emportés par la peur de perdre leur poste, et surtout leur salaire, les hommes de paille se consoleraient probablement en se disant que si le fondateur historique de l'entreprise venait tragiquement à disparaître, Hélion n'en coulerait pas pour autant.

Aélig se dit qu'elle devrait peut-être rentrer sur Carrière pour dépenser beaucoup d'argent quand on la relâcherait enfin. 

Elle se prendrait un esquif pour sillonner le réseau aquatique de la mégacité et passerait ses journées entourée de jeunes de la même classe sociale qu'elle, et dont la seule préoccupation était de boire le plus possible avant de tomber dans le coma. 

Quand elle en aurait marre, elle s'offrirait deux ou trois opérations de chirurgie esthétique pour devenir ce que la société voulait qu'elle soit, à savoir la petite fille parfaite d'un grand oligarque, elle mettrait des vêtements empreints d'un classicisme sévère, et se traînerait sans envie aux réceptions et galas de charité pour parler chiffres et statistiques avec l'air de s'y connaître. 

Passé trente ans, elle se trouverait un bon parti à épouser tandis que Green Edge se déciderait enfin à tenter son coup d'état, et, enceinte, elle siroterait des cocktails sans alcool sur une terrasse luxueuse quelconque en regardant un monde nouveau se mettre en place, se demandant combien de chars, d'armes et de Nexus ils pourraient vendre aux anciens terroristes devenus dirigeants.

Mais était-ce vraiment mieux que de courir après une cause perdue ? 

Que d'envisager de visiter une planète ravagée par une guerre ancienne pour éliminer elle ne savait quoi qui transformait les êtres humains en pâtée organique recyclable, la pétrissant en des sculptures abominables et incompréhensibles ? 

Cela la rendrait-il véritablement plus heureuse, plus sereine, ou lui enlèverait-il définitivement l'envie de fuir en permanence ?

Elle en doutait.

Elle en était à ce stade précis de ses réflexions quand un grincement de gonds mal huilés l'obligea à lever le nez dans un sursaut. 

Apercevant une paire d'armures couleur cendre, elle sentit son estomac se crisper d'appréhension, mais les hommes se contentèrent d'en pousser un autre dans la pièce crasseuse. 

Celui-ci trébucha, évitant la chute dans un réflexe et reprenant son équilibre en jurant.

 La jeune femme reconnut la voix d'Auster.

À la façon dont il avait de se tenir l'estomac et à sa démarche un peu hésitante, elle devina sans peine qu'il venait de subir un tabassage en règle. 

Le douloureux prix à payer pour avoir osé l'ouvrir devant Apkar, probablement. 

Aélig ne s'en trouva que moyennement peinée. 

Après tout, le boulot d'Auster consistait plus ou moins à se prendre des coups à la place des autres, et surtout de ceux qui le payaient, plutôt grassement d'ailleurs, de son souvenir.

— Ça va ? lui demanda-t-elle quand même, alors qu'il s'asseyait lourdement sur l'autre lit de camp.

Auster fit « OK » avec les doigts puis essuya son nez ensanglanté du plat de la main dans un reniflement blasé. Il s'adossa ensuite au mur, se tâtant prudemment les côtes sous sa vareuse, puis rejeta sa tête en arrière et passa un long moment à fixer le plafond d'un regard vide. 

Aélig le connaissait suffisamment bien pour savoir que ce n'était guère le moment pour lui adresser la parole. Il n'était pas un habitué de la défaite, comme en témoignait la médaille pour « actes de bravoures exceptionnels » qu'il avait ramené de son service au CSW.

Depuis sa majorité légale, le monde qui l'entourait l'avait flatté de prestige et de respect. 

Héros de guerre reconverti en commandant de la milice privée la mieux cotée du secteur, Auster avait rapidement adopté l'arrogance tranquille caractéristique du bon serviteur d'Hélion. 

Autant dire que se prendre la triste réalité en pleine face sous la forme d'un solide poing renforcé venait de lui saper sérieusement le moral.

Songeant à cette drôle de construction archaïque que les hommes appelaient fierté, Aélig enfonça machinalement les mains dans la poche kangourou de son sweat. 

Étonnée, elle y trouva un paquet de cigarettes qui avait échappé à la fouille des contractuels de Vladof par elle ne savait quel miracle. 

Le briquet glissé à l'intérieur fonctionnait parfaitement. Très bien. 

Sa journée n'était pas si foutue que ça, en fin de compte.

Humant l'odeur amère du tabac qui se répandait dans l'espace clos, Auster sortit de sa torpeur pour la regarder d'un air suspicieux. 

Le voyant tordre la bouche dans une moue désapprobatrice, elle détourna les yeux.

Fumer étouffait un peu l'inquiétude qui lui étreignait les tripes.

Elle pensait à son père, à Cooper et au Thanyxte que les larbins d'Apkar avaient amené elle ne savait où. Le vaisseau alien, le Prométhéen abattu et ce qu'il avait dit la hantaient avec autant d'insistance. 

Elle songeait à ses milliers d'hommes et de femmes démembrés et digérés par des mécanismes infernaux, réarrangés en excroissances tremblantes, en spirales tordues qui rampaient sur les murs.

Depuis le début, son cerveau refusait de se conformer à cette réalité, la rangeant dans un compartiment soigneusement scellé de son esprit, et elle n'osait pas vraiment l'ouvrir par peur de perdre définitivement son calme. 

Il y avait dans ce processus incompréhensible la terreur primitive d'être dévoré. 

D'être mangé par une chose immense, sombre, un Chronos extraterrestre qui se nourrissait de ses propres enfants.

Il avait terminé de digérer les Prométhéens et s'attaquait désormais aux autres, dans l'indifférence générale.

Le CSW avait déjà le monolithe d'Alliance en sa possession, sans parler du Substitut de Samuel Hammerfield, et désormais, ils avaient accès à un transporteur de deux mille mètres truffé de technologie ignoble.

 Il ne fallait pas être exceptionnellement intelligent pour imaginer ce que le Kohltso pouvait en faire, et cela la terrifiait peut-être encore plus que l'idée qu'une puissance inconnue se logeait quelque part dans les replis gluants d'une planète morte.

Chassant ses pensées désagréables, Aélig finit par se lever et s'asseoir à côté d'Auster.

 Elle lui prit le bras, l'obligeant à le soulever pour se glisser en-dessous, se serrant contre lui comme le ferait une gamine. À ce moment précis, c'est ce qu'elle avait l'impression d'être. 

Elle s'était pourtant presque toujours considérée comme forte, c'était de famille, bien sûr, mais elle se rendait désormais compte qu'elle avait atteint ses limites depuis longtemps.

Comprenant sûrement ce qu'elle ressentait, Auster ne la repoussa pas, lui posant au contraire une main sur le dos.

Il était drôle de constater à quel point un comportement pouvait varier en fonction des circonstances, se dit-elle en fermant les yeux. 

Après tout, la dernière fois qu'ils s'étaient retrouvés dans la même pièce, il l'avait fait sortir en la traînant douloureusement par le bras. 

Cela ne voulait pas pour autant dire qu'il la détestait. 

Il ne la comprenait pas, il était peut-être encore amoureux, souvent en colère, oui, mais à cet instant, il était probablement aussi perdu et déboussolé qu'elle, alors ce simple contact devait lui faire du bien, à lui aussi.

Elle renifla et laissa les heures s'égrener en silence.

L'une des rares sources de lumière terne, sans compter celle de la lampe chauffante installée dans la cellule, provenait des appliques alimentées par batterie individuelle qu'on avait installé à la va-vite dans le couloir, et cette lueur anémiée étirait exagérément les ombres. 

À force de les fixer, Aélig finit par s'endormir.

Quelqu'un tapa alors bruyamment sur la grille, la faisant sursauter bien malgré elle.

— Pas de contact physique ! aboya une voix rauque à l'accent slave prononcé. C'est pas l'hôtel, ici !

Réprimant une moue dégoûtée, elle se décolla d'Auster avec un soupir, s'éloignant de lui d'un demi-mètre. 

Derrière la porte, un type au casque aveugle fit courir ses doigts gantés sur les barreaux en guise d'avertissement menaçant. 

Son compagnon le fixa comme si rien ne lui ferait plus plaisir que de lui crever les yeux.

— Putain d'animaux, grogna le garde en s'éloignant.

L'ironie involontaire de l'insulte n'échappa pas à Aélig, qui ricana en se plaquant un poing sur les lèvres. 

Après avoir guetté le moindre son en provenance de l'extérieur, Auster se tourna vers elle. 

Son nez saignait encore un peu.

— Enlève ton soutien-gorge, dit-il d'une voix pâteuse.


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