CHAPITRE 7 : La langue du silence

LES TIRETS CADRATINS SONT REVENUS YAY

Aélig ne put s'empêcher de pousser une exclamation de surprise étouffée.

L'être qui se dressait devant eux était absolument magnifique, de cette beauté incompréhensible qui entourait certaines bêtes sauvages. La première chose qui lui vint en tête fut l'image antique d'un minotaure. 

Pâle, au cou épais, la tête de la créature était volumineuse et parfaitement proportionnée. Deux paires d'yeux étrangement doux, à la cornée rosâtre, dont les plus petits, situés légèrement en biais, étaient dépourvus de pupille, surmontaient un museau d'herbivore au cuir sombre. Ce qui lui servait de bouche contrastait vivement avec la carnation crémeuse du poil qui le recouvrait entièrement. 

Une cicatrice boursouflée marquait l'emplacement de son oreille manquante, l'autre étant rabattue en arrière, délicate comme celle d'un chat ou d'une chauve-souris, le circuit capillaire parfaitement visible à travers la chair fine.

La rougeur de son regard indiquait un albinisme congénital, si bien que sa face paraissait diaphane et éthérée. 

Ses pattes à l'intérieur rose toujours levées devant lui, l'alien les fixait de ses quatre yeux, parfaitement immobile face aux canons menaçants des armes braquées sur lui à hauteur de torse.

— C'est un Prométhéen, constata Vol'Zan, debout un peu à l'écart du groupe. Atteint d'une déficience génétique.

Apercevant le Thanyxte, ce dernier eut un mouvement de recul. Il secoua la tête, doucement, comme s'il ne voulait pas les effrayer. 

Sa masse musculaire était vraiment impressionnante, accentuée par le fait qu'au contraire de ses congénères, il se tenait bien droit, sans aucune déformation visible.

Sylphan'eth, prononça-t-il dans une langue inconnue aux accents mélodieux.

Aélig avait toujours imaginé les Prométhéens très laids. 

Les images qu'ils disposaient d'eux n'étaient guère nombreuses, très souvent de mauvaise qualité, ne les montrant que dans leurs armures mal ficelées et grotesques. 

Lors de la guerre, personne n'avait vraiment pris la peine de montrer leur vraie nature.

— Quoi ? grogna Lindstradt, sortant enfin de son mutisme choqué.

La créature fit encore un pas en arrière, presque respectueusement. 

Elle souffla par les naseaux, puis abaissa lentement les bras. Faisant claquer le dos d'une de ses mains contre la paume de l'autre, elle se toucha ensuite le poitrail puis porta les poignets à hauteur de menton.

— Impossible, dit le Thanyxte.

— De quoi ? s'inquiéta le directeur.

Vol'Zan s'avança brusquement, leur passant au-devant et contraignant ainsi les miliciens à baisser les armes. 

Le Prométhéen continuait à exécuter une série de gestes précis. De toute évidence, il ignorait le parler galactique, ou ne voulait pas l'employer.

— La langue du silence, expliqua enfin l'alien. Un procédé que ma race a mis en place à l'époque où il était interdit de parler le stygien en dehors de notre système.

— Quelle merveilleuse espèce, lâcha Cooper à mi-voix. Si ouverte, si amicale, j'en ai les larmes aux yeux.

Aélig ricana nerveusement, s'étouffant presque.

L'être blanc s'était figé, expectatif.

— On l'utilise encore dans certains milieux, poursuivit le Thanyxte, semblant ne pas avoir entendu les paroles du mercenaire.

— Lesquels, exactement ? demanda Lindstradt, légèrement troublé.

— Aucune importance.

Levant les mains à son tour, Vol'Zan mima habilement quelques signes à l'adresse de l'intrus.

Le Prométhéen inclina la tête, attentif, suivant le moindre mouvement d'un regard vif, puis répondit avec une dextérité moindre, écartant les phalanges et pliant les poignets quand c'était nécessaire. 

Cette manière de communiquer avait quelque chose de merveilleusement fascinant, très élaborée et primitive à la fois.

— Il dit qu'il s'appelle Zar-Shâ et qu'il ne nous veut aucun mal, traduisit le Thanyxte.

— Et on va le croire sur parole, bien sûr, ironisa aigrement Cooper. Après tout, ce n'est qu'un alien de deux mètres dans un vaisseau ennemi.

Tendu à l'extrême, il avait rechigné à baisser son arme au sol, s'exécutant plus tardivement que le reste du groupe. 

Lindstradt le comprenait parfaitement. 

L'ancien mercenaire gardait un souvenir particulièrement cuisant de sa dernière rencontre avec les monstres qui peuplaient autrefois l'intérieur de ce transporteur vieillot.

Vol'Zan lui adressa un regard indéchiffrable avant de reporter son attention sur l'autre.

Pourquoi tu n'as pas d'armure ? lui demanda-t-il sans un bruit.

Cela faisait très longtemps qu'il n'avait plus pratiqué la langue du silence. 

Mais les réflexes revenaient, encore présents dans son esprit.

Le dénommé Zar-Shâ se passa une paume devant le visage et, retroussant une de ses amples manches, il promena un doigt épais sur la saignée de son coude avant d'indiquer sa gorge et de croiser ses poignets devant lui.

— Il affirme qu'il n'a pas été transformé parce que son sang est mauvais, prononça le Thanyxte alors que son interlocuteur baissait les bras. Que la Voix ne veut pas de lui. J'imagine qu'il veut parler de son albinisme.

Le Prométhéen grogna quelque chose d'indistinct, secouant les doigts et enchaînant sur une iconographie gestuelle complexe et hésitante.

— Espèce dégénérée, interpréta lentement Vol'Zan. Il ne veut pas être comme eux.

— Qu'est-ce qu'il fout ici, alors ? s'étonna Lindstradt.

Bien plus fasciné que réellement effrayé, il s'était avancé, sortant imprudemment du mur protecteur formé par la garde et ignorant par la même occasion les protestations d'Auster.

— Je lui pose la question, annonça le Thanyxte en s'exécutant aussitôt.

Zar-Shâ cogna son poing fermé contre l'autre, puis imita un espèce de dièse avec ses longues phalanges veloutées.

— Pas le choix, dit Vol'Zan.

L'autre poursuivit, essayant de mimer les symboles iconographiques avec le plus d'application possible.

— Peuple mort, esclavage, énuméra l'alien. Il pense être le dernier de son espèce à conserver le libre-arbitre.

Un lourd silence s'abattit alors que Lindstradt et le reste de la petite assemblée digéraient cette révélation. 

Vol'Zan fixait la créature albinos avec un air difficile à déterminer.

Où as-tu appris la langue ? l'interrogea-t-il.

Le Prométhéen eut un flagrant moment d'hésitation.

Les vôtres me l'ont enseignée, signa-t-il enfin. Les bases, en tout cas. Quand ils sont venus sur ma planète.

Il traça un triangle incertain qu'il barra d'une ligne imaginaire.

« Kappa-Centauri », comprit Vol'Zan.

— Impossible, lâcha-t-il à voix haute.

— Qu'est-ce qu'il a dit ? s'impatienta Lindstradt dans son dos.

Le Thanyxte fit un geste agacé pour lui intimer de se taire.

Explique-toi, reprit-il à l'adresse de Zar-Shâ.

Celui-ci souffla bruyamment, éructant des syllabes incompréhensibles, secouant la tête. 

Il cherchait de toute évidence la meilleure formulation. 

Sa maîtrise de la langue du silence était sommaire, inexacte et il commettait beaucoup d'erreurs malgré une bonne volonté évidente.

Ils n'étaient pas comme vous, réussit-il enfin à transmettre. Pas des naturels. Ils n'avaient pas de couleur. Pas de visage.

Umbrarmure ? demanda Vol'Zan en esquissant la forme d'un casque autour de sa tête.

Le Prométhéen croisa les poignets, traduisant ainsi la négation.

Peau noire, dit-il. Mais pas d'armure.

Il montra son propre visage.

Eux étaient noirs de naissance comme je suis blanc, poursuivit-il.

De ce que savait Vol'Zan, et il en savait beaucoup plus qu'il ne le laissait entendre devant les humains, une telle chose était inconcevable. 

Les Thanyxtes noirs n'existaient pas. Cette teinte était une aberration génétique. 

Cela faisait des millénaires qu'ils veillaient à ne sélectionner que les meilleurs patrimoines pour la reproduction.

Sa race avait la peau uniforme la plupart du temps, et parfois rayée, ou mouchetée, toujours bitonale, une caractéristique séculaire propre aux reptiles rampants qu'ils étaient autrefois.

Ils étaient verts, marines, bruns, les couleurs de la boue et des eaux qui les avaient vus naître, mais jamais noirs. 

Le mélanisme était une erreur que l'évolution décidait parfois de tourner en avantage chez certaines espèces, mais eux avaient décidé de l'éliminer artificiellement depuis des siècles. 

À part la maladie du mouvement, ils avaient éradiqué toutes les tares physiques possibles et imaginables. Il était parfaitement impossible qu'une telle spécificité ait échappé au contrôle des siens.

Il avait sûrement mal compris ce que voulait exactement exprimer le Prométhéen. 

Cela n'avait pas d'importance, il y réfléchirait plus tard. 

Derrière lui, il savait que Lindstradt commençait à enrager de le voir ainsi garder le silence, mais ce n'était pas grave, il attendrait.

Quand est-ce qu'ils sont venus ? interrogea-t-il.

Quand l'air est devenu irrespirable.

Juste après les bombardements radiologiques qu'ils avaient fait pleuvoir sur Kappa-Centauri, donc. Cela remontait à un demi-siècle.

Qu'est-ce qu'ils sont venus faire, à ton avis ? Sont-ils restés longtemps ?

— Vol'Zan, grogna le directeur.

Il l'ignora une nouvelle fois, trop concentré à déchiffrer les gestes de Zar-Shâ.

Plusieurs cycles, prononça silencieusement celui-ci. Ils sont entrés dans le Caveau et en sont ressortis quelques soleils plus tard. Je ne sais pas ce qu'ils cherchaient.

Le Caveau ? répèta-t-il.

— Nazarah, répondit l'autre, usant cette fois-ci de sa voix.

À ce mot, que chacun reconnut, Lindstradt se mit sur le qui-vive.

— Expliquez-vous, ordonna-t-il à l'adresse du Thanyxte d'un ton qui se voulait autoritaire.

À la lueur vive des lampes-torches, Vol'Zan ressemblait à une apparition innommable, une divinité chtonienne aux yeux brillants, les pupilles dilatées au maximum pour compenser les ténèbres qui l'entouraient à l'instar d'une aura malfaisante.

— Il affirme que ceux de mon espèce... pas les Cephenes... sont venus sur son monde d'origine durant la guerre.

— Et c'est vrai ? menaça l'humain.

— Pas à ma connaissance, non, rétorqua-t-il. Mais je ne pense pas qu'il mente.

— Qu'est... marmonna Lindstradt, se grattant le cou avant de se reprendre. Pourquoi ?

— D'après lui, ils ont rendu visite à Nazarah, clarifia Vol'Zan.

— Encore ce foutu truc, constata le directeur d'un air sombre.

L'alien s'était de nouveau tourné vers le Prométhéen aux vêtements crasseux.

Qu'est-ce qu'est Nazarah ? demanda-t-il.

Zar-Shâ eut un mouvement trahissant l'ignorance.

Je ne suis jamais entré dans le Caveau.

— Il ne sait pas, traduisit le Thanyxte.

Son interlocuteur muet poursuivit :

Tout ce que je sais, c'est que la Voix parle pour lui, ou pour elle, et que cette chose est responsable de la décimation de mon peuple.

Alors qu'il parlait, ses gestes devenaient plus nerveux, plus brusques, reflétant une colère pleine de lassitude.

Ce n'est pas un dieu même s'il veut faire croire le contraire, dit-il. Un parasite, un asservisseur, mais sa nature n'est pas celle de la toute-puissance.

— C'est ce qui a contaminé les siens, résuma Vol'Zan, laissant entendre une certaine perplexité dans le ton de sa voix généralement sans émotions. J'ai toujours cru qu'il s'agissait d'une divinité primitive issue d'un mythe fondateur de leur espèce. Selon moi, ils ont juste nommé ainsi quelque chose qu'ils ne comprennent pas vraiment et ont établi un espèce de culte autour... avec toute cette histoire de porte-parole, de Voix...

— Oui, toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie, tout ça, le coupa Lindstradt, parfaitement irrité. Merci bien, on connaît !

Vol'Zan marqua une pause.

C'est un dispositif stygien ? signa-t-il à l'adresse du Prométhéen. Votre Voix a été Thanyxte, est-ce que c'est elle qui a contaminé les tiens ? En assemblant Nazarah ?

Zar-Shâ fit un X avec ses poignets, puis fit mine d'aplatir ses paumes sur une surface invisible, lentement.

— Ce n'est pas d'origine stygienne, répéta le Thanyxte. C'est autre.

— Autre ? s'étonna le directeur. Extraterrestre vous voulez dire ?

— Extraterrestre, peut-être. Ou peut-être que ça a toujours été là, je ne sais pas, avoua l'alien. Il n'est pas plus informé que nous, ou presque. Mais...

Il s'interrompit en voyant que le Prométhéen continuait sa gestuelle brouillonne. 

Vol'Zan ouvrit la gueule, se ravisant au dernier moment.

— Quoi encore ? s'énerva Lindstradt, qui en avait plus qu'assez de leur échange incompréhensible.

— Il... euh... il dit que les miens sont au courant depuis le début pour « Nazarah » et qu'ils laissent faire, cracha-t-il, désormais complètement estomaqué.

Il y eut un silence.

— C'est pas étonnant, commenta Cooper de son habituel ton acide. Vous avez toujours été des putains de nazis.

— Je n'en suis pas personnellement responsable, se défendit Vol'Zan.

— Ouais... à part que vous avez lobotomisé des handicapés mentaux pour les envoyer sur le champ de bataille, vous êtes parfaitement innocent, docteur Mengele, se moqua le mercenaire.

— Ça suffit, trancha Lindstradt.

Il n'intervenait que pour la forme. 

Au fond de lui, il partageait le même sentiment ignoble que Cooper, à savoir que le Thanyxte avait plongé dans le sang et la barbarie jusqu'au cou et qu'il en était sorti étonnamment propre.

La tête inclinée, l'étrange Prométhéen suivait leur échange en tendant son unique oreille, n'en saisissant probablement pas un traître mot.

Visiblement peu touché par la diatribe accusatrice qui lui avait été adressée, le Thanyxte reprit son échange mutique avec l'alien pâle.

Comme tous ceux de mon peuple, je connais votre nom, mima Zar-Shâ. Vous et d'autres avez créé les Cephenes, et c'est à cause de vous que Nazarah a pu parler. La Voix a un jour dit que sans vous, rien de tout ça n'aurait été possible.

Il marqua un répit, clignant tristement des yeux.

Depuis que vous connaissez notre existence, vous cherchez à nous exterminer, affirma-t-il. Vous êtes venus sur mon monde, il y a cent cycles, et vous avez planté une bombe dans le sol afin que Nazarah émerge. C'est ce qu'on disait avant que je ne me retrouve seul. Nos histoires sont remplies de démons creusant notre terre pour en libérer le mal. Pourquoi ?

Impossible, affirma le Thanyxte. Mis à part les sections Cephenes, nous n'avons jamais mis les pieds sur votre planète.

Les mythes sont souvent faux, admit la créature. Mais je les ai vus de mes propres yeux. Ils étaient de votre race, bien que différents. Cela n'a plus d'importance, désormais. Je suis le seul qui reste.

Il se passa une main sur les paupières et les cils, qu'il avait désormais humides, inspirant.

Vous avez toujours été au service de l'entropie, reprit-il. La cruauté est ce qui vous définit le mieux. Notre race n'est plus par votre faute, alors que nous avions besoin d'aide pour nous débarrasser de l'ennemi qui nous rongeait de l'intérieur. Durant longtemps, vous vous êtes servis des êtres à quatre pattes que vous appelez Limrah comme esclaves. Vous avez bien failli les faire disparaître, eux aussi. Toute votre existence n'est que néant et génocides. Allez-vous faire subir la même chose à ceux qu'on nomme êtres humains ?

Vol'Zan ignora volontairement cette question.

Cela n'a plus d'importance, signa le Prométhéen. Tuez ou exploitez toute la vie intelligente de ce monde, cela ne changera rien pour moi.

— Qu'a-t-il dit ? exigea Lindstradt, qui piétinait littéralement d'agacement.

Cette situation de totale ignorance le frustrait énormément. Le Thanyxte était leur seul lien avec la fascinante créature albinos debout en face d'eux et personne ne lui faisait véritablement confiance.

— Je lui demandais ce qu'il advient des humains disparus, mentit immédiatement Vol'Zan.

Pour faire illusion, il posa la question à celui qui se faisait appeler Zar-Shâ.

Ils sont convertis, répondit-il. Ils deviennent les Mots de Nazarah. Il y en a sur ce vaisseau, bien plus qu'on ne peut en compter. Ils sont parfois intégrés aux obélisques de parole, comme celui qu'ils ont laissé sur le monde bleu aux arbres immenses.

Alliance. Ce monolithe ignoble.

— Alors ? s'enquit le directeur.

— Vous ne voulez pas savoir, avoua Vol'Zan avec un mouvement de tête. Disons qu'ils... sont absorbés. Cette chose palpitante qu'on a vu dans le couloir, tout à l'heure, j'imagine qu'elle a été faite avec plusieurs dizaines de cadavres. Un Substitut multiple.

— Comme Hammerfield, mais en pire encore, comprit Lindstradt en songeant avec peine à la colonie d'Alliance. Seigneur. Quoi que soit Nazarah, il faut l'éliminer.

— Je suis d'accord, intervint Auster, se manifestant pour la première depuis le début. Demandez-lui si c'est possible.

Le Thanyxte obéit.

Peut-on détruire Nazarah ?

Cela doit être possible, si vous vous rendez dans le Caveau, annonça le Prométhéen en une courte série de mouvements. Et j'ignore où il se trouve, on ne me laissait pas m'en approcher. Il est près de l'ancienne cité de Tul-Kathor, c'est tout ce que je sais. Mais ma planète est dangereuse. La Voix ne vous laissera pas faire. Rien ne peut l'arrêter.

J'en doute, commenta Vol'Zan, avant de parler à voix haute. C'est faisable, à condition d'aller sur Kappa-Centauri et de trouver l'emplacement exact de l'artefact, ou je ne sais quoi qu'ils appellent Nazarah. Apparemment, ce n'est pas loin de leur ville principale, ou ce qu'il en reste.

— Pourquoi faire simple, grogna Lindstradt, plutôt découragé par la nouvelle.

Un peu dépassé, il s'accorda un moment de réflexion, pesant le pour et le contre dans une balance mentale fébrile.

— Il va venir avec nous. Après tout, c'est de sa planète qu'il s'agit, décida-t-il.

Le Thanyxte se chargea de transmettre l'information au concerné. 

Zar-Shâ secoua alors la tête d'un air presque désolé. 

Il souleva un pan de ses frusques brunes, révélant une hideuse plaie qui lui dévorait les côtes. 

Elle était envahie de pus noir et visqueux.

Des nodules électroniques luisants avaient déjà commencé à bourgeonner sur le pourtour.

Vol'Zan fit un pas en arrière.

— Il est contaminé, diagnostiqua-t-il. Primo-infection de la cybernécrose.

Le Prométhéen se dépêcha de cacher sa blessure horrible, reprenant sa gestuelle maladroite. 

Tous avaient reculé jusqu'à la sortie, lentement.

Je ne voulais pas mourir, et c'était une erreur, expliqua Zar-Shâ en soupirant. Le gel m'a sauvé, mais je suis en train de changer. Je le sens.

Il indiqua l'objet enroulé dans une toile épaisse qu'il avait posé au sol en s'avançant dans leur direction un peu plus tôt.

Prenez-le, s'il vous plaît, demanda-t-il à Vol'Zan. C'est tout ce qui reste de mon peuple. J'étais Archiviste, j'ai fait du mieux que j'ai pu.

— Qu'est-ce qui se passe ? s'écria Lindstradt.

— Attendez ! éructa l'alien, alors que Zar-Shâ poursuivait.

Il se toucha le front, puis inclina la tête, une paume enserrant l'autre. 

Un geste de supplication. Le Thanyxte fit « non » des mains.

— Vol'Zan, bordel de Dieu, siffla le directeur.

— Il veut que je le tue, expliqua froidement l'interpellé.

L'humain fit mine de protester, mais l'autre claqua des mâchoires, le faisant sursauter.

— La ferme !

Voyant que Lindstradt lui jetait un regard noir, il inspira.

Non, répéta-t-il à l'adresse du Prométhéen malade. Je suis bio-ingénieur, je peux t'enlever le gel et tu pourras vivre normalement.

Zar-Shâ secoua tristement la tête et fit une croix avec ses doigts.

Cela ne sert à rien, déclara-t-il. Je ne veux pas de votre science hérétique. Il ne reste personne comme moi. Ni femelles ni petits. Tous dévorés.

Le Thanyxte ne se découragea pas pour autant.

Le clonage, signa-t-il. Nous pouvons sauver ton sang, ton espèce, grâce à notre technologie. Ton peuple pourra à nouveau marcher.

J'ai vu assez de machines, rétorqua silencieusement le Prométhéen. J'ai vu ce qu'elles faisaient réellement. N'essayez pas de m'avoir avec vos promesses. Votre race ne parle qu'en mensonges. Savez-vous ce que c'est d'être le dernier ? Connaissez-vous l'isolement ultime ? Vous ne pouvez pas comprendre ce qui me motive.

J'ai passé la moitié de ma vie en dehors de chez moi, poursuivit Vol'Zan avec des gestes précipités. Les miens ne veulent plus de moi pour ce que j'ai fait. La mort n'est pas la solution.

Alors quoi ?

Il faut s'adapter, expliqua-t-il.

Le Prométhéen cligna des yeux, émit un bruit de bouche, ajoutant :

Ayez un peu de pitié même si cela va à l'encontre de votre nature. Prolonger une existence sans lumière n'a pas de sens. Si vous ne voulez pas m'aider, laissez-moi au moins une arme.

Marquant une pause, il se toucha à nouveau le front.

S'il vous plaît, reptile. Je vais changer. Je ne veux pas faire du mal à quiconque, ni obéir à Nazarah, ni survivre par vos soins pour qu'on m'enferme à nouveau.

Il gémit presque.

Tuez-moi, dit-il au Thanyxte. C'est ce que vous savez faire de mieux. Commettez le dernier génocide.

Vol'Zan ne bougea pas.

Toujours coincée derrière Cooper, Aélig s'enfonçait douloureusement les ongles dans la peau de la main. La salle résonnait du cliquetis humide des canalisations. 

Lindstradt avait croisé les bras, le visage figé en un masque marmoréen.

 Auster serrait la crosse de son fusil avec nervosité. 

Chacun attendait les ordres.

— Donnez-moi une arme, dit enfin le Thanyxte au directeur.

— Attendez, intervint Aélig.

— Il peut être utile, ajouta Cooper et Lindstradt ne put qu'approuver.

— Il est contaminé. Il va mourir de toute manière, dit l'alien.

— Enfin, vous êtes un foutu ingénieur en bio-mécanique, non ? s'étonna Lindstradt, pointant un doigt accusateur dans sa direction. Le gel structurel, la cybernécrose et toutes ces merdes, vous connaissez. Sauvez-le.

— Je ne peux rien faire pour lui, affirma-t-il.

Ce n'était pas vrai. Quelle importance, après tout ? Ils n'en sauraient jamais rien.

— Bordel, s'exaspéra son interlocuteur.

— Il n'y a pas d'autre solution, insista le Thanyxte.

Il y en avait une. Contraindre le Prométhéen à venir avec eux, l'attacher, puis le soigner de force, lui faisant subir plusieurs interventions lourdes qui risquaient de le tuer. Le gel était une sacrée saloperie dont il était difficile de se défaire. Il n'était même pas sûr d'y arriver.

Et même s'il parvenait à créer le miracle, il ne savait que trop bien ce qui se passerait ensuite. 

Quand il leur aurait montré où se cachait la chose qu'il appelait Nazarah, Hélion déposerait un brevet. Vendrait les cellules du Prométhéen aux laboratoires. On le clonerait, certes, mais pas pour lui redonner un monde, ça serait beaucoup trop dangereux. 

Non, les humains utiliseraient ses copies génétiques comme des cobayes, des sujets de tests, des expériences qu'on pouvait gaspiller à volonté. 

Ils le faisaient déjà avec leurs propres semblables.

Les Thanyxtes aussi, en mille fois pire. Il savait de quoi les siens étaient capables, il y avait participé. Il n'avait pas vraiment de compassion pour Zar-Shâ, mais il n'était pas du genre à refaire deux fois la même erreur. 

Il avait déjà sauvé Aresh. Il n'allait pas se compromettre plus encore avec le dernier Prométhéen.

Et puis, quelque part, tout au fond de lui, il savait qu'il faisait ce qui était juste. 

Parfois, la mort était la seule issue.

Il devrait y songer plus souvent.

— Très bien, céda Lindstradt.

C'était tout, sauf très bien.

Cooper tendit son arme de service à l'alien, qui la prit d'un geste flegmatique.

Comprenant ce qui se passait alors que Vol'Zan levait le pistolet automatique, Zar-Shâ eut un dernier geste.

Il se toucha le menton et fit glisser la paume en direction de son ennemi naturel.

Cela voulait dire « merci », mais le Thanyxte ne l'expliqua pas.

Il pressa la détente et le dernier Sylphanete s'écroula sans aucune grâce.   

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