CHAPITRE 3 : Prométhéen


Mastiquant nerveusement un chewing-gum à la nicotine goût menthol, Nicholas Lindstradt contemplait ce qui se trouvait la vitre blindée du sas d'évacuation.

Ce dernier occupait environ trente mètres carrés, et était divisé en deux parties : la première, abritée derrière une baie d'acier-glace et la seconde, un espace nu et grisâtre, éclairé par des plaques lumineuses assez sales, qui jetaient des lueurs fantomatiques sur les larges mâchoires métalliques formant la dernière protection contre le vide glacial quand ils se trouvaient dans l'espace. 

C'était par des sas comme celui-ci qu'ils balançaient les déchets que le Lance était incapable de recycler.

Dans l'antichambre se trouvaient des miliciens en noir, supervisés par le sergent Auster, arme au poing. Parmi eux, seul Cooper avait abandonné l'exo, Shiva étant trop abîmée pour continuer à fonctionner correctement. 

Une de ses mains était bleuie d'hématomes jusqu'aux phalanges, mais à priori, il n'avait rien de cassé, contrairement à son armure, qui était revenue dans un état pitoyable.

Plastronné dans son habituelle tenue couleur carbone, Vol'Zan s'était appuyé contre un mur en retrait. Le Thanyxte avait pas mal morflé, lui aussi, et ce malgré l'extraordinaire umbrarmure que Lindstradt l'avait autorisé à remettre, au vu des circonstances. 

Une grande partie de sa nuque épaisse et de sa mâchoire inférieure étaient recouverts de pansements encore imbibés de désinfectant qu'on lui avait collés sur des points de suture. 

Il avait beau avoir le cuir épais, affronter des Prométhéens au corps à corps lui avait amené son lot de futures cicatrices.

Tranchant au milieu de cette assemblée de gueules cassées aux allures spartiates comme un éclat de rire lors d'un enterrement, Ahmal Karavindra sirotait un chaï latté, parfaitement serein dans sa chemise sombre parsemée de palmiers dorés et son pantalon crème sans pli.

— C'est du bon boulot, déclara le directeur en fixant d'abord Auster, puis le mercenaire.

— Merci, se contenta de répondre le chef de la sécurité en hochant de la tête.

Non loin de là, séparé du commandant de section par un garde d'Hélion qu'il dépassait d'une demi-tête, Cooper eut un sourire sardonique.

— C'est ça, oui, ironisa-t-il. Un mort sur le site de l'exploitation. Sans compter qu'on a tous failli y passer à cause d'une saloperie de tourelle près de Calypso-2. C'est pas ce que j'appellerais du bon bou...

— Vous êtes toujours là, non ? rétorqua Lindstradt en lui coupant froidement la parole. La mort de monsieur Barker est un événement malheureux, mais ce sont des choses qui arrivent quand on travaille sur un poste à risques.

Parfois, Légion se demandait si Lindstradt s'écoutait parler.

Ce grand-père était vraiment l'archétype du sociopathe en costard qui était parvenu au sommet en empilant des cadavres en guise d'escalier. 

N'étant pas d'humeur à jouer avec l'autorité, il s'abstint de lui en faire la remarque.

— Si je suis toujours là, c'est pas vraiment grâce à votre sécurité. Ils étaient bien partis pour me laisser crever, prononça-t-il en se tournant légèrement vers Auster. Hein, sergent ?

L'interpellé lui jeta un œil indifférent, reportant ensuite son attention sur Lindstradt.

— Je n'ai pas pris le risque d'envoyer plus de quinze personnes à la mort pour n'en sauver qu'une seule, édicta-t-il avec calme. Cela me semble être une décision logique.

— Je suis d'accord, appuya le directeur. Vous auriez fait la même chose, lança-t-il à Cooper.

Ce dernier fit la moue, se retenant visiblement de faire un commentaire venimeux. 

Il finit par soupirer, vaincu.

— Vous, déclara Lindstradt en s'avançant vers le Thanyxte. Tâchez de ne plus désobéir à un ordre direct. Si on vous dit de rester sur place, vous le faites.

— Sinon quoi ? s'intéressa Vol'Zan.

— Sinon notre accord ne tient plus. Je ne ferais pas jouer mes relations pour vous accorder une audience à l'ambassade de votre peuple et je vous larguerais sur le premier coin paumé que ce vaisseau croisera, répondit Lindstradt sans sourciller.

— Très bien, dit l'alien d'un ton neutre.

Ce n'était pas vraiment une réponse claire, mais le directeur sembla s'en contenter.

— Quant à vous, monsieur Cooper, reprit-t-il après une courte pause. Essayez de faire plus attention à votre matériel, la prochaine fois. Shiva nous a coûté des millions en termes d'investissement, c'était un exemplaire unique en son genre.

Ce dernier crut avoir mal entendu. Mais non. 

Il avait failli finir aplati par un foutu éléphant armé d'une hache, et l'autre ne trouvait vraiment rien de mieux que de lui parler investissement.

— Est-ce que vous êtes sérieux ? s'étonna-t-il.

À l'air qu'arborait Lindstradt, il comprit qu'il l'était.

— Sans vouloir vous offenser, monsieur, dit Cooper en insistant bien sur le dernier mot, vos armures, c'est de la merde.

Derrière le directeur, Karavindra le regarda sans sourire.

— C'est un modèle d'essai, prononça l'ingénieur, intervenant pour la première fois. Vous vous attendiez à quoi ?

— Et bien, à ce que ce bardas ne rende pas l'âme à la quatrième torgnole, par exemple, expliqua Légion avec un calme factice.

Il croisa les bras sur la poitrine, grimaçant de douleur. Son dos allait le faire souffrir pendant les jours à venir, même avec les antalgiques. 

Prenant une gorgée dans son gobelet en carton bordeaux, Karavindra ne se pressa guère à répondre.

— Si vous voulez mon avis, il s'agit plutôt d'un problème utilisateur, dit-il enfin.

Toute la sympathie que Cooper avait pu un jour ressentir pour l'ingénieur en chef de la compagnie s'envola en un claquement de doigts.

— Je vous demande pardon ?

— Et bien...

— On s'en fout, le coupa brutalement le Thanyxte en se redressant.

Karavindra se tut, enfonçant son nez dans son chaï désormais froid. L'alien s'approcha de la vitre renforcée d'un pas lent.

— Vous vouliez un Prométhéen, non ? interrogea-t-il Lindstradt. Vous l'avez eu. Alors qu'est-ce que vous attendez pour aller lui parler ?

À cette suggestion, Lindstradt enfonça ses mains dans les poches de son pantalon de costume. Il se tourna vers le contenu du sas.

Comme ils n'avaient rien d'autre, ils avaient attaché le Prométhéen blessé à une des barres soudées à la paroi, espérant que cette dernière, ainsi que les chaînes-neige avec lesquelles ils l'avaient entravé seraient suffisamment solides. 

En théorie, les lanières dont Hélion se servait pour équiper les roues des véhicules par grand froid étaient capables de résister à une traction de plusieurs kilonewtons. 

En théorie, aurait ajouté Cooper, les armures de l'entreprise étaient aussi censées résister à une explosion nucléaire, mais...

Préférant toutefois prendre le plus de précautions possibles, Lindstradt avait exigé que la bête estropiée soit mise sous sédatifs. 

C'était Vol'Zan, de loin le plus courageux parmi eux, qui s'était chargé de planter l'injecteur hypodermique dans une des articulations du monstre, alors qu'ils étaient encore près de l'exploitation dévastée. 

La dose de MoPer, un puissant anesthésique utilisé en chirurgie militaire, avait été calculée pour faire tomber un cheval de trait, mais le Prométhéen continuait à dodeliner de la tête.

Ce n'est qu'en la voyant entravée que Lindstradt mesura véritablement la taille de cette créature. Debout, elle atteignait facilement les deux mètres trente et devait peser dans les trois cent cinquante kilos. 

Il était probablement deux fois plus épais que Vol'Zan, ce qui n'était pas rien ; le Thanyxte était de loin la charpente la plus solide que Lindstradt avait rencontré.

La station debout était à peu près le seul point commun que le Prométhéen partageait avec les hommes. Pour le reste, tout était trop tordu, massif et disproportionné pour être sain et naturel.

Même assis, il était voûté, asymétrique, dégénéré.

Sa combinaison de survie était un chaotique assemblage de plaques cabossées et noircies d'usure, sur lequel on avait vissé des tuyaux d'alimentation. 

Il s'agissait d'une antique armure assistée première génération du CSW, probablement héritée de la guerre lointaine et modifiée à leur convenance. 

Les années l'avaient laissée en piteux état : des cathéters pendaient lamentablement, arrachés de l'exosquelette principal, laissant suinter un liquide transparent difficilement identifiable et des pans entiers d'alliage manquaient, zébrant l'armure de traces sombres. 

Contrairement à eux, ces créatures ne disposaient pas d'une source d'alimentation pour faire fonctionner la vieille exo, qu'ils portaient juste pour le blindage.

La même puanteur chaude que Lindstradt avait senti dans la pièce du Substitut se dégageait de cet amas de tôle. Un impact froissé, maculé d'un jaune terne, lui trouait le flanc en un cratère miniature et craquelé. Il s'était pris une grenade de suppression en pleine poitrine mais il n'en était pas mort – pas encore – et malgré les dégâts importants, il respirait toujours, dans un grincement de plaques mal superposées. 

Son casque concave, fantastique construction de fibres de carbone chitineuses percée d'une visière aux reflets indistincts, était exagérément volumineux, même pour sa corpulence.

— Si jamais il arrive à se détacher, on fait quoi ? demanda Karavindra en terminant sa boisson.

Son ton était bien plus calme que lui-même.

— Ça dépend, cingla Légion. Si vous poussez monsieur le directeur vers la bête pour la distraire, vous avez une chance de vous en sortir, je pense.

Ni Lindstradt, ni son adjoint ne goutèrent pleinement l'ampleur de son sarcasme.

— Nous devrons faire avec, trancha le premier. Que va-t-il arriver si on lui enlève son casque ?

— Pour quoi faire ? grimaça Auster.

— Pour qu'il n'y ait pas de confusion possible sur la vidéo, répondit Karavindra.

— Une confusion avec quoi ? s'étonna Cooper. Ce truc ressemble à une petite écolière, à votre avis ? Ou alors, je sais pas moi... un poutounours peut-être ?

— C'est quoi ça encore, les poutounours ? fit l'ingénieur, perplexe.

— C'est dans... (*)

— Bref ! s'excéda le directeur. Je répète : est-ce qu'on peut lui enlever son casque ?

— Oui, j'imagine, dit le Thanyxte, toujours près de l'entrée. Il faudra juste éviter de le toucher.

— Je n'en avais pas l'intention, assura Lindstradt avec un froncement de sourcils qui trahissait son dégoût.

Karavindra dégainant un datapad flambant neuf pour enregistrer ce qui allait suivre, ils entrèrent, l'alien en tête.

 Auster et un milicien restèrent en arrière, pour déverrouiller la porte si les choses tournaient mal. Le panneau se referma dans leur dos en chuintant.

Il y eut un moment d'hésitation.

L'attention de tous était fixée sur le géant attaché devant eux. 

L'immense tête du Prométhéen ballotait de gauche à droite, comme s'il essayait de combattre l'engourdissement qui le gagnait peu à peu à cause de l'hémorragie que personne n'avait essayé d'arrêter.

— Vous êtes absolument sûr qu'il est apte à comprendre ce qu'on lui dit ?

Vol'Zan eut un mouvement d'approbation.

— Ces enfoirés parlent anglais comme vous et moi, ajouta Légion. Cinquante ans, c'est suffisant pour l'apprendre, j'imagine. Il a bien réussi, lui.

Il montra le Thanyxte d'un mouvement du menton.

— Vous n'arrêtez jamais de l'ouvrir, en fait ? constata froidement Lindstradt. Très bien. Allez-y, ajouta-t-il ensuite.

Avec des gestes précis, l'alien défit donc toutes les attaches pneumatiques qui retenaient le casque au reste de la combinaison, les rabattant en arrière dans une série de clics désagréables. Il y eut un sifflement prolongé. 

Une fine brume blanchâtre pulsa un court instant par une série d'interstices ainsi libérés, puis quelque chose sembla se rompre et un long jet incolore éclaboussa le sol. 

Le Thanyxte recula brusquement, évitant le liquide avec souplesse.

Il leva une main apaisante en remarquant le regard effrayé des autres.

— C'est du sérum physiologique, les rassura-t-il. Parfaitement isotonique. Ce n'est rien.

Il s'empara du casque pour le soulever. Un vérin réagit instantanément à cette impulsion, lui épargnant tout effort superflu en basculant en arrière.

 Le métal cabossé émit un bruit mat en se heurtant à la paroi.

— Impossible, lâcha Vol'Zan.

— Poussez-vous, ordonna Lindstradt en s'approchant.

L'autre obéit sans mot dire.

Le directeur se plaqua une main sur la bouche, profondément révulsé. 

Il y eut un très long moment de silence.

— Putain, commenta enfin Légion. Répugnant.

Cela l'était assurément.

Le Prométhéen possédait un crâne énorme, boursouflé, les os bosselés à l'instar d'un massif montagneux, recouverts de sécrétions glaireuses luisantes. 

Son faciès trapu, buté, paraissait stupide, accentué qu'il était par un œil énorme et globuleux, presque bovin, percé par une pupille ronde, et un second situé un peu au-dessus, le corps aqueux cerné par une fragile membrane. 

Il ne bénéficiait vraisemblablement pas d'une vision panoramique complète à cause de son museau tronqué, déchiré de cicatrices hideuses. 

Une de ses narines était plantée plus haut que l'autre, baignant dans un mucus jaunâtre et mousseux, mélange de sang et de morve.

Mais ce n'était pas le pire.

— Cybernécrose, constata Vol'Zan.

Il disait vrai. La moitié gauche de sa face proéminente ne comportait plus aucune parcelle de chair vivante. L'articulation de la maxillaire reposait sur un piston coulissant ancré dans l'os et une rangée de crocs d'acier, étrangement plats, ébréchés, bordait des gencives caoutchouteuses incrustées dans sa gueule difforme.

Une grande partie de son front tordu avait été recouverte d'un maillage artificiel obscène, maculé de pus, collé à la peau maladive qui rejetait la greffe forcée à grands renforts de boursouflures et d'infections. 

Sa deuxième orbite n'était plus qu'une vague cavité dans l'alliage, au fond de laquelle brillait un éclat bleuté. 

Le métal qui composait une bonne partie de sa figure taurine était lui-même balafré, cabossé et brûlé, comme s'il s'était autrefois retrouvé exposé à des températures extrêmes.

Une déchirure courait sur sa tempe artificielle, révélant un tissu de fibres complexes.

Cela puait comme un sac poubelle éventré et laissé au soleil. 

Prisonnier de son carcan, le corps du Prométhéen pourrissait, rongé par le métal et la rouille.

Donnant l'impression de bailler, expirant une haleine de charognard, il claqua des mâchoires, secouant lentement la tête.

Lindstradt, qui avait abaissé la main, eut un spasme de dégoût instinctif, fouillant ses poches à la recherche d'un mouchoir en tissu, qu'il se plaqua ensuite sur le nez pour se protéger des miasmes qu'exhalait la créature.

— Il n'est majoritairement plus organique. Du travail bâclé, mais qui reste efficace, diagnostiqua le Thanyxte.

— Bientôt, je serais parfait, prononçant le Prométhéen dans son anglais pâteux, pivotant son affreuse tête dans sa direction. Plus que tu ne l'as jamais été, adorateur du vide.

— Ça m'étonnerait fort, répliqua Vol'Zan. Vu que t'es un horrible monstre de foire.

Le regard de l'unique œil vivant de l'extraterrestre, vide et nauséeux, avait de quoi déstabiliser l'homme pourtant endurci qu'était Lindstradt. 

Il n'avait vu les Prométhéens que via les archives de la guerre, mais à l'époque, ils n'avaient absolument aucun point commun avec l'être cauchemardesque prostré devant eux. 

Leur transformation physique avait donc eu lieu bien après que les Thanyxtes aient stérilisé leur planète d'origine.

Un filet de bave épaisse dégoulina des lèvres informes de la créature abyssale alors qu'elle répondait :

— Toujours aussi obtus... toujours aussi incapables de comprendre...

— T'as un nom, l'horreur ? demanda le directeur.

Le Prométhéen hocha lentement de la tête. Se faisant, les ressorts métalliques et les nombreux tuyaux qui ornaient son crâne difforme grincèrent dans un bruit mat. 

Au fond de la pièce, brandissant la tablette devant lui, Karavindra filmait la scène, un air répugné collé au visage.

Lindstradt devina que dans son dos, Cooper se tendait, sur le qui-vive.

— J'en ai eu un.

— Qui a essayé de te transformer ? reprit le Thanyxte.

L'autre lui adressa un regard totalement vide.

— Nazarah. Nazarah convertit tout ce qu'il touche.

Sa respiration était congestionnée et difficile.

— Il en a plus pour très longtemps, avertit Vol'Zan.

— Tant mieux, expira l'alien. Sans la Voix... il ne me reste rien...

— Qu'est-ce que vous faites ? s'empressa de demander Lindstradt. Pourquoi vous en prendre à nous, encore ? Que deviennent les humains que vous capturez ? Où les amenez-vous ?

— Qui est ce putain de Nazarah ? ajouta Légion.

Le Prométhéen se vidait de bile et de sang clair, le regard terne.

— Expansion, déglutit-il. Votre race stupide... sera convertie pour que Nazarah... puisse à nouveau... la Voix a dit... la vie...

Il s'embrouillait, au bord de l'inconscience, la voix glaireuse et la langue molle, crachant morve, salive et sucs gastriques entre ses jambes en un flot ignoble.

— Où se trouve ton soi-disant dieu ? exigea Vol'Zan.

Le Prométhéen toussa.

— Je ne répondrais pas, balbutia-t-il.

Cooper braqua son pistolet automatique sur le front crevassé de la bête titanesque.

— Je crois que si, dit le mercenaire d'un ton faussement calme. Depuis cinquante piges, vous vous accrochez à une existence dégénérée...

— Je vais probablement mourir, oui, dit le Prométhéen avec une immonde parodie de sourire. Et des milliers d'autres mourront également. Et Nazarah dévorera nos cadavres et il en ressortira plus fort. La vie sera préservée.

— Je vais tous vous crever, lui déclara Lindstradt avec une colère glaciale. Pour ce que vous avez fait à Alliance. Je retrouverais le terrier puant dans lequel les tiens se cachent et je le brûlerais jusqu'à la racine. On vous exterminera une nouvelle fois, pour de bon, cette fois-ci.

— Vous ne nous avez jamais menacés, se moqua le Prométhéen en émettant un bruit de succion hideux, faisant grincer ses chaînes épaisses. C'était les reptiles rampants et hypocrites... c'est dans leur nature, vous savez... si vous les laissez faire... c'est eux qui vous massacreront... et vous serez leurs esclaves... leurs cobayes, leur nourriture...

— J'en ai assez entendu, déclara Lindstradt, faisant la moue. Achevez-le.

Décrochant le cran de sureté de son arme de service, puis attendant que tout le monde recule, Légion tira dans le crâne immonde à bout portant tandis que le directeur s'éloignait sans un regard en arrière. 

Il y eut une détonation étouffée, suivie d'une atroce odeur de chair carbonisée. Un morceau visqueux tomba près des bottes du Thanyxte, qui s'empressa de faire un pas sur le côté pour éviter de se salir.

Marmonnant dans sa barbe, Karavindra sortit à son tour, emportant le précieux enregistrement avec lui. Dévisageant un Auster impassible derrière la vitre blindée pendant un court instant, Légion reporta ensuite son attention sur l'alien toujours debout près du cadavre prostré contre le mur.

— Et maintenant ? lui demanda-t-il alors que celui-ci examinait le corps massif avec un intérêt clinique, les bras croisés sur la poitrine.

Vol'Zan ne répondit pas, lui tournant le dos pour détacher la carcasse inerte. Le Prométhéen mort bascula au sol sans dignité, faisant trembler les alentours sous son poids. 

Une flaque d'un jaune passé s'élargissait autour de son crâne pulvérisé, répandant une odeur d'essence.

Le silence se prolongea.

Le Thanyxte semblait réfléchir, se demandant probablement si l'entreprise allait l'autoriser à garder la charogne pour la découper méthodiquement. Cette seule idée révulsait Cooper.

— Je peux vous poser une question ? prononça-t-il.

L'alien s'était accroupi pour examiner la face difforme du Prométhéen de plus près. L'odeur ne semblait pas le déranger. 

Peut-être ne la sentait-il pas, ou plus probablement que ce qui retournait l'estomac aux humains le laissait parfaitement indifférent.

— C'est ce que vous venez de faire, répondit-il.

— Je suis vraiment très curieux. Pourquoi vous avez risqué votre peau pour sauver la mienne ? poursuivit Légion sans se formaliser. Si je ne me trompe pas, aucun des vôtres n'a jamais réellement apprécié les humains. En tout cas, pas au point de se mettre en danger.

L'autre ne leva même pas ses yeux de crocodile.

— Oh, je ne l'ai pas fait pour vous, se contenta-t-il de grogner.

Cooper attendit la suite de l'explication, mais celle-ci ne vint jamais. Haussant des épaules, il préféra ne pas insister.

— Merci quand même, lança-t-il en s'en allant. 

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(*) Les Poutounours, ainsi que les Licornes du Bonheur, les Monstromuguets et les Nuages Joyeux, sont des habitants du monde féerique, un niveau secret de Diablo III 



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