CHAPITRE 3 : Implant
La soirée était déjà bien avancée et le début de la nuit avait vidé la clinique privée de tous ses occupants ou presque. À vrai dire, ce n'était pas vraiment un hôpital, pas au sens commun du terme. Green Edge s'en servait comme d'un centre de désintoxication, parfois.
Seul le Thanyxte était resté. Il n'était pas pressé d'aller dormir et il ne sortait pratiquement jamais de l'enceinte du bâtiment. Il n'y avait rien pour lui ici, ni nulle part ailleurs, depuis cinquante ans déjà, ce qui représentait quand même beaucoup de temps, même pour ceux comme lui, dont la vie s'étirait sur des dizaines de siècles ou presque.
Les siècles, c'était un concept mammifère, chez lui on parlait plutôt de cycles, de l'œuf au rampant et à la station debout. Lui n'avait été qu'au début de sa vie d'adulte quand il avait fallu fuir. Un demi-siècle passé à mentir, à cacher ce qu'il était vraiment, obligé de chercher refuge dans les pires endroits du Circulaire, à migrer d'une fosse commune à une benne à ordures en permanence.
La drôle de femelle humaine était repartie quelques heures plus tôt en titubant à cause des effets secondaires de l'anesthésie, mais au moins, elle pouvait encore se servir de ses jambes. Enlever l'implant avait été facile. Ennuyeux, même, au vu de son réel niveau de compétences. Il avait empoché une somme exorbitante, bien entendu, et il avait presque honte d'avoir autant dramatisé sur les hypothétiques difficultés de l'intervention.
Le malheureux NT-16 était posé sur la lamelle de verre du microscope qu'il avait sur son bureau.
Le circuit imprimé était de belle facture. Probablement nano-gravé avec une imprimante 3D dernière génération. Il avait été brûlé. La pauvre créature qui s'était perdue sur Swarth avait dû s'injecter une saloperie radioactive dans les veines, parce que c'était le seul moyen qu'elle connaissait pour détruire la géolocalisation. Il retira l'implant de sous la lentille et le posa sur un boîtier noir de jais, fin et laqué.
— Aresh. Scanner, prononça-t-il à mi-voix. Résultat sur l'écran deux.
L'assistant virtuel Aresh, lui, était de facture Thanyxte.
L'analyse mit quelques millisecondes à s'afficher sur la plaque en verracier devant lui. Tout ce que contenait l'implant se mit à défiler sous ses yeux.
Il zappa jusqu'à trouver la fiche d'identification du fabriquant et celle du porteur.
— Bonjour, Aélig Lindstradt.
Ce nom, tout le monde l'avait déjà entendu, même lui, mais il ne s'en souvenait plus.
— Ça te dit quelque chose, Lindstradt ?
— Hélion GmbH, répondit l'intelligence artificielle d'un ton sec, balançant aussitôt les résultats sur les deux autres écrans. Les fusils à technologie Tesla. Les exoarmures Inpou à bobine Gauss. Le meilleur fabriquant d'armes du Circulaire. T'as des trous de mémoire, vieux ?
— Meilleur fabriquant humain, tu veux dire, répondit-il sans relever la remarque.
— Tu plaisantes. C'est le seul qui fait commerce avec le Styx. Enfin, je crois ? On lui a fait un vaisseau. Ultra secret. Hélion Lance, rétorqua l'assistant virtuel en lui montrant des plans. Propulsion à mouvement perpétuel.
— Putain, commenta l'alien. Il est blindé, ce PDG, non ?
L'IA afficha le cours de la bourse et les bénéfices d'Hélion sur les deux dernières années. Pensif, le Thanyxte pianota des doigts sur l'obsidienne polie de sa table de travail.
— Et il a des contacts avec le Styx...
— Ils ne te laisseront pas revenir.
— Ça fait un bail. Il y a prescription.
— C'était à vie.
Il était à court d'arguments. Autant changer de sujet.
— Tu crois que tu pourrais me récupérer son numéro personnel ?
L'assistant ne répondit pas vocalement. Le boîtier dans lequel il était hébergé moulina quelques secondes dans le vide, passant l'ultranet du Circulaire au crible. Même pour une intelligence artificielle de sa trempe, craquer les algorithmes de la plus grosse corporation d'armes de luxe devait être une affaire difficile.
— J'ai rien, s'exclama-t-il enfin avec une pointe de frustration. C'est incroyable. Quand je lisais que cette entreprise cultivait le secret, je pensais que c'était juste des conneries de marketeux. En revanche, quand il s'agit de faire des spots débiles sur l'écoresponsabilité... Tu imagines ça, toi ? Une entreprise qui vend des armes communiquer sur la préservation de l'environnement ? Des produits propres. Y a que des humains pour faire ça, ajouta l'assistant virtuel avec une pointe sardonique.
Le Thanyxte, ignorant les déblatérations de son compagnon invisible, avait eu une autre idée.
— Passe-moi leur service de sécurité, alors.
— Ça je peux faire.
— Et mets le visio.
L'IA émit un bourdonnement de contrariété.
— Tu n'as pas peur qu'on te reconnaisse ?
— Aucun risque. Pour eux, on se ressemble tous.
La voix synthétique marmonna quelque chose comme « ok ok comme tu veux » avant de lancer l'appel par le système de communication de l'hôpital. Le signal étant crypté par le biais d'au moins une vingtaine de serveurs, cela mit un long moment. Il en profita pour essayer de se détendre en fermant les yeux. Ce qu'il s'apprêtait à faire n'était pas très prudent, mais les crédits ne poussaient pas sur les arbres et il en avait plus qu'assez de moisir sur Swarth.
Peut-être que si son affaire réussissait, il migrerait sur Hellgarden et se trouverait une petite place bien au chaud dans un labo pharmaceutique peu scrupuleux. Cette planète hostile était le plus gros pénitencier du Circulaire et donc le réceptacle d'un vivier de cobayes prêts à se sacrifier pour la science si cela leur permettait d'améliorer ne fut-ce qu'un peu leur condition misérable – et la sienne, par extension. Étranges humains, prêts à se faire charcuter pour de l'argent ; cela lui convenait tout à fait.
— Je peux savoir qui vous êtes et comment vous avez eu accès à notre canal privé ? l'apostropha une voix sèche et purement militaire, le sortant brusquement de ses projets d'avenir.
La scène qui s'affichait désormais sur l'écran central montrait un mammifère glabre de sexe mâle, entièrement vêtu de noir, planté dans un environnement sombre et difficile à déterminer. Son visage angulaire, aux pommettes pointues, était baigné par la lueur blafarde d'une console. Le logo doré représentant Hypérion sur son char au milieu du cercle solaire signifia au Thanyxte qu'il appelait au bon endroit.
— Bonsoir, euh...
Il dut se rapprocher un peu pour distinguer le nom de l'homme brodé près du symbole solaire d'Hélion.
— Sergent Auster. Est-ce que je pourrais parler à votre patron ?
L'autre ne montra absolument aucun signe de surprise. Un dur à cuire, probablement, le genre à dormir au garde-à-vous et à ranger ses chaussettes en fonction des jours de la semaine. Ex-militaire. Forces spéciales, vu le maintien. Il les connaissait bien, ceux-là, il en avait fait partie, avant, il y a longtemps, si toutefois on pouvait associer le Syra à cela.
— Déclinez votre identité, ordonna le sergent.
— Vous êtes un bon petit robot, vous, fit remarquer le Thanyxte en prenant l'implant abandonné sur son bureau pour le montrer à la caméra miniature. Est-ce que ça vous dit quelque chose, ça ?
Auster fronça des sourcils, montrant enfin un signe d'émotion pour la première fois depuis le début de leur entretien à bâtons rompus.
— Bien sûr, appuya l'alien. Vous en portez vous-même un, comme le veut la tradition. Chacun des NT a un numéro de série unique gravé à un niveau atomique. Il faut des outils sacrément puissants pour le lire. Heureusement, j'ai tout ce qu'il faut ici. Vous voulez connaître ce fameux numéro de série ?
Les mouvements oculaires plus rapides que de coutume trahissaient la panique grandissante du sergent. Le Thanyxte savait qu'il essayait désespérément de localiser la provenance de la visio avec l'aide des calculateurs quantiques que devait posséder Hélion, mais se heurtant à chaque fois à des réponses différentes. On ne pouvait pas biaiser les IA qui sortaient des labos du Styx. Et surtout pas celle-là.
— Un sept quatre zéro sept. Je vous envoie les scans car je suppose que ma seule bonne foi n'est pas une preuve.
Les documents mirent dix longues secondes à arriver au QG de la sécurité de l'entreprise. Même la vitesse de la lumière avait ses limites. Auster se décomposa littéralement en voyant les informations affichées devant lui, mais reprit très vite contenance en se passant la main sur le visage.
— Comment vous avez-vous eu ça ? interrogea-t-il d'une voix haineuse.
— Il se trouve qu'elle est venue se le faire enlever sur mon lieu de travail, répondit le médecin. Ça fait longtemps que vous la cherchez, votre petite Lindstradt ?
— Presque deux ans, avoua le planton.
Impressionnant. Échapper pendant si longtemps à une chose aussi organisée et tentaculaire qu'Hélion relevait soit de la folie, soit du miracle. La femelle devait être sacrement débrouillarde. Ou alors, elle avait juste eu beaucoup de chance.
Auster fit mine d'ouvrir la bouche pour parler quand une alerte sonore suraiguë se mit à hurler quelque part derrière lui.
— Recontactez-moi, aboya-t-il à l'adresse du Thanyxte. Comme vous l'entendez, nous avons une urgence à gérer.
Avant que l'autre ne puisse répliquer, l'officier d'Hélion tendit une main devant lui et l'écran s'éteignit dans un claquement.
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